CONCLUSION
A
l'issue de ces réflexions sur l'utilisation des organismes
génétiquement modifiés en agriculture et en alimentation,
je reste frappé par le refus, de la part de nombre de nos concitoyens,
de l'utilisation des techniques du génie génétique pour
l'élaboration des aliments alors qu'elles sont tout à fait
acceptées pour la fabrication des médicaments ou par la
thérapie génique.
Certes, comme on l'a vu, l'être humain est prêt, à juste
titre, à beaucoup de choses pour sauver sa vie. Mais il y a là ce
que je ressens comme une contradiction difficile à comprendre au fond.
J'estime donc que ces techniques, acceptées pour sauver la vie, ne
doivent pas être suspectées de menacer l'intégrité
de cette vie, dès lors qu'elles sont employées pour
élaborer des aliments.
Plus profondément, je redoute en effet, à entendre ou à
lire certaines déclarations sur la transgénèse, une
montée de l'obscurantisme. A cet égard on ne peut que se
féliciter du refus du texte soumis à la " votation "
suisse. Il est hors de doute que nos voisins ont refusé celui-ci car
allant trop loin en supprimant toutes possibilités de recherches, y
compris dans le domaine médical. Or tout le monde sait parfaitement que
les progrès en matière de lutte contre les maladies passeront
nécessairement par les techniques du génie
génétique.
La science et la technique ne sont pas toutes blanches ou toutes noires : il
faut se départir de cette vision manichéenne car elles ne sont
que ce qu'en font les êtres humains.
De ce point de vue ces controverses auront peut-être été
utiles dans la mesure où les scientifiques et les industriels en
tireront sans doute quelques enseignements et, notamment, celui d'apprendre
à mieux tenir compte des réactions de la société
face à leurs travaux.
En effet science et technique sont devenues des enjeux majeurs des
sociétés contemporaines. En démocratie, la conscience de
ceux-ci ne concerne plus seulement ses acteurs directs mais le corps social
tout entier. Ceci est dû au fait que les avancées scientifiques
deviennent proprement vertigineuses, notamment quand on considère ces
possibilités croissantes de transférer à n'importe quel
organisme vivant n'importe quel gène d'un autre organisme vivant.
J'ai peine à imaginer que la France, qui a été, dans tant
de domaines, à l'avant garde de la recherche scientifique et technique,
rejette ces technologies qui sont celles du futur.
Le panel de citoyens l'a bien compris lorsqu'il déclare : " Chacun
a pu se rendre compte à travers cette expérience qu'il
était extrêmement difficile d'émettre des avis
tranchés sur un sujet aussi important " et alors qu'une partie du
panel pense que si certaines solutions ne sont pas résolues " il
sera donc dans ce cas obligatoire d'instaurer un moratoire pour la mise en
culture des plantes transgéniques ", une autre partie estime
que " dans la situation actuelle de l'agriculture, les O.G.M. pourraient
représenter un atout, car ils peuvent permettre un développement
agricole qui serait intégré au niveau local. ". Ceux-ci
préconisent donc l'analyse au cas par cas en la replaçant
" dans l'ensemble des décisions déjà accordées
et en tenant " compte des expériences accumulées dans
l'ensemble agro-alimentaire ".
Je souhaite aussi très vivement qu'après la Conférence de
citoyens, la réflexion et le débat continuent dans le pays,
à un niveau décentralisé, comme je l'ai proposé.
Il faudra aussi nécessairement déboucher sur des
décisions. Car je m'alarme réellement quand je considère
le retard que non seulement la France, mais aussi l'Europe, accumulent
vis-à-vis des Etats-Unis. Ainsi les entreprises européennes
n'emploient-elles qu'environ 30 000 personnes dans ce secteur alors que le
chiffre correspondant pour les Etats-Unis est de l'ordre de 120 000.
S'il faut refuser l'obscurantisme, il faut aussi accepter les très
légitimes demandes de sécurité de la part de nos
concitoyens. C'est pour cette raison que j'ai spécialement abordé
dans ce travail la question des éventuelles conséquences du
développement et de la dissémination de ces plantes
transgéniques pour la sécurité aussi bien sanitaire que
pour l'environnement.
C'est aussi pour répondre à la demande d'information que j'estime
très légitime que je préconise l'étiquetage des
produits alimentaires issus de ces plantes tout en préconisant la
fixation d'un seuil afin de tenir compte des problèmes de
détection et de transports.
L'Europe possède un très important potentiel en matière de
biotechnologies. Elle ne doit pas laisser passer la chance de le
développer sous peine de prendre un retard qui deviendra vite
complètement irrattrapable, sauf peut-être sur certaines niches. A
cet égard, l'exemple de la micro-informatique devrait très
fortement inciter à la réflexion sur les occasions perdues.
Pour avoir le soutien des citoyens européens, il faudra que soient mis
en place :
- une législation transparente dans le domaine des produits des
biotechnologies;
- un cadre juridique clair et accepté par tous concernant les conditions
d'importations et d'étiquetage des produits génétiquement
modifiés;
- un cadre juridique clair permettant de prendre des décisions rapides
et efficaces dans toutes les questions relatives à la
sécurité des produits.
Un certain nombre de recommandations faites à l'issue de ce travail
peuvent s'intégrer dans ces domaines.
Puissent-elles favoriser la dissipation de la méfiance de nos
concitoyens envers les plantes transgéniques qui s'inscrivent dans la
continuité de l'oeuvre humaine de maîtrise de la nature ! C'est le
destin de l'Homme de progresser sans cesse sur le chemin de la connaissance.