3/ LA GESTION DES DÉCHETS PROVENANT DE L'EXPLOITATION ET DU DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS DE MARCOULE
Comme le rappelait fort justement l'inventaire national des
déchets radioactifs établi en 1997 par l'ANDRA :
"Plus de
90 % de la radioactivité répertoriée sur le
territoire français est concentrée sur les deux seuls sites de
La Hague et de Marcoule."
De fait, la lecture des trois pages de cet inventaire consacrées au site
de Marcoule laisse quelque peu perplexe et conduit à se demander si le
site de Marcoule ne s'est pas, peu à peu, transformé en centre de
stockage de déchets radioactifs.
Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à nous inquiéter d'une
éventuelle dérive de la vocation de certains centres du CEA. La
Direction de la sûreté des installations nucléaires, dans
son rapport pour l'année 1996, notait à propos des "solutions
d'attente" que le CEA a été contraint de mettre en oeuvre pour
entreposer temporairement les déchets pour lesquels il n'existe à
l'heure actuelle aucune solution :
"De telles opérations
présentent néanmoins un risque, que la DSIN s'attache à
éviter : que ces solutions provisoires se transforment par
passivité en solutions définitives."
Tous les déchets entreposés à Marcoule ne proviennent pas
d'activités liées à la force de dissuasion
française, et la répartition entre les déchets provenant
des activités "civiles" et ceux qui ont été produits dans
le cadre des programmes militaires est pratiquement impossible à faire.
De nombreuses installations ont, en effet, été utilisées
conjointement pour la production d'électricité et pour la
fourniture du plutonium, de l'uranium et du tritium destinés à la
fabrication des armes. Le Haut Commissaire s'attache d'ailleurs à
ce que tous les déchets d'origine civile rejoignent les installations
civiles régies par la DSIN.
Si la gestion des déchets d'ores et déjà entreposés
sur le site de Marcoule pose des problèmes, les opérations de
démantèlement en cours ou à venir risquent de venir encore
aggraver la situation car, comme le note la DSIN dans son rapport
d'activité pour 1996 :
"Le démantèlement des
installations nucléaires est à l'origine d'une quantité
importante de déchets sans commune mesure avec les quantités
produites en exploitation."
A/ L'inventaire des déchets
Les trois réacteurs G1, G2 et G3, essentiellement
destinés à la production de plutonium de qualité militaire
mais qui fournissaient également du courant à EDF, sont donc
aujourd'hui totalement arrêtés et démantelés
jusqu'au niveau 2.
Le démantèlement de ces installations n'a, à notre
connaissance, pas posé de problèmes particuliers, aucun incident
n'ayant été signalé pendant la durée des travaux.
Il reste toutefois maintenant à gérer les déchets qui
ont été générés par le fonctionnement de ces
réacteurs et les déchets qui résultent de leur
démantèlement et, devant l'ampleur de la tâche, on peut
légitimement se demander si ce n'est pas après le
démantèlement de niveau 3 que commenceront à se poser
les véritables problèmes.
Les déchets provenant du retraitement des combustibles
irradiés
sont de loin les plus difficiles à gérer car
la radioactivité qu'ils contiennent est considérable et ne
décroîtra que très lentement.
Ces déchets sont essentiellement constitués de produits de
fission issus de la fragmentation des noyaux d'uranium et de plutonium pendant
la durée de fonctionnement des réacteurs. Ils représentent
99,8 % de la radioactivité contenue dans la masse du combustible,
mais seulement 3 % de cette même masse.
Après le retraitement, ils se présentent sous la forme d'une
solution acide qu'il faut entreposer dans des cuves spécialement
conçues. Comme il est impossible de conserver très longtemps des
déchets à haute activité sous forme liquide, on
procède à leur vitrification selon les mêmes techniques qui
sont utilisées à l'usine de la COGEMA de La Hague.
Comme ces déchets n'ont, à l'heure actuelle, aucun stockage
définitif possible, ils restent entreposés "provisoirement" dans
des puits ventilés à l'intérieur même de l'atelier
de vitrification (AVM).
A l'heure actuelle, les puits de l'installation AVM contiennent :
- 2 557 conteneurs de verres,
- 114 conteneurs de déchets technologiques,
- 172 m
3
de produits de fission en solution.
La radioactivité contenue dans cet entreposage est de :
- 24 Pétabecquerels en émetteurs alpha,
- 5,8 Exabecquerels en émetteurs bêta et gamma.
Afin de bien évaluer l'importance de cette radioactivité, il faut
rappeler que :
- le Pétabecquerel représente
10
15
Becquerels,
- et l'Exabecquerel 10
18
Becquerels.
Bien entendu, tous ces déchets ne sont pas d'origine militaire car
l'usine de retraitement UP1 retraitait, outre les combustibles provenant de G1,
G2 et G3, des combustibles extraits de réacteurs de la filière
UNGG, des combustibles de provenances diverses (réacteurs
Célestin, surgénérateurs Phénix...) et même,
selon certaines sources, quelques combustibles d'origine
étrangère.
Que deviendraient, à terme, ces déchets de très haute
activité entreposés "provisoirement" dans un atelier qui ne doit
en aucun cas devenir un centre de stockage définitif, d'autant plus que
cet établissement doit fermer définitivement en 2001 ?
Leur sort est intimement lié à l'aboutissement des recherches
prévues dans la loi du 30 décembre 1991.
Si un stockage en couches géologiques profondes ou en surface doit
être un jour réalisé, ces déchets pourraient
être confiés à l'ANDRA. Se poserait d'ailleurs alors un
problème de facturation car on ne sait pas quel critère, le
m
3
ou l'activité, pourrait être retenu pour ces
déchets relativement peu volumineux mais de très haute et de
très longue activité.
Le graphite
qui servait à modérer ces réacteurs
constitue également un déchet. L'inventaire de l'ANDRA, comme le
montre le tableau ci-après, indique que sont actuellement
entreposées, toujours "provisoirement", 3 600 tonnes de
graphite des réacteurs G1, G2 et G3, ce qui représente une
activité totale estimée à 900 Térabecquerels.
De son côté, EDF aurait, dans ses anciennes centrales UNGG, un
stock de 20 000 tonnes de graphite contaminé. Il serait donc
rationnel de rechercher une solution globale pour l'ensemble du stock de
graphite contaminé en France. Des expériences sont en cours pour
procéder à son incinération, ce qui réduirait les
volumes des cendres à envoyer en stockage définitif en surface ou
en souterrain. Toutefois, comme ce graphite contient beaucoup de tritium, il
faudrait auparavant résoudre le problème des rejets gazeux dans
l'atmosphère.
Le graphite, qu'il soit resté dans les bâtiments des
réacteurs ou qu'il ait été entreposé, doit
être répertorié en tant que déchet comme le fait
d'ailleurs l'inventaire de l'ANDRA, en contradiction sur ce point avec des
documents du CEA-DAM qui annonce 800 tonnes de graphite seulement dans
l'inventaire des déchets de Marcoule en ne prenant pas en compte les
empilements laissés, pour le moment, dans les réacteurs.
La DSIN et l'autorité de sûreté des INB-S, conscientes du
problème posé par les graphites, examinent actuellement des
solutions de stockage au sein d'un groupe de travail.
Les ferrailles
: le démantèlement des trois
réacteurs G1, G2 et G3 a généré d'importantes
quantités de ferrailles. Pour les traiter, le CEA a installé
à proximité des anciennes installations un four électrique
dont l'exploitation a commencé en 1992. Ce four a également
été employé pour traiter des déchets
métalliques provenant d'autres centres du CEA et en particulier de
Saclay.
Selon l'inventaire de l'ANDRA, seraient actuellement entreposés à
Marcoule les déchets métalliques suivants en provenance des
anciens réacteurs :
- 4 060 tonnes de lingots et blocs de fonte,
- 1 062 tonnes de fonte en conteneurs,
- 549 tonnes de crasses de fusion en fûts ou en
blocs,
- 4 tonnes de poussières de fusion.
Les lingots et blocs de fonte provenant de la fusion sont entreposés en
surface quand ils ne contiennent que des émetteurs alpha, mais certains
déchets métalliques plus irradiants contenant des
émetteurs bêta et gamma ont été conditionnés
dans des conteneurs et entreposés dans des puits en attente d'un
éventuel stockage profond.
En plus de ces déchets métalliques déjà
traités, il reste aussi des déchets métalliques en
l'état, dont 2 900 tonnes d'aciers activés, sans qu'on
puisse savoir exactement s'ils sont ou non en attente de fusion. Le CEA a en
effet l'intention de transférer ses activités de fusion des
métaux contaminés à la société SOCODEI, qui
installe un four à l'entrée du site de Marcoule. Cette
installation, dénommée CENTRACO, destinée à traiter
les déchets faiblement radioactifs par fusion ou incinération, a
été cofinancée par COGEMA et EDF.
Ce rapide inventaire des déchets en provenance des seuls
réacteurs G1, G2, G3, montre que le problème du
démantèlement ne s'arrête pas avec la déconstruction
des anciennes installations. Bien que le démantèlement ne soit
jamais en lui-même une opération anodine, on peut
considérer que les véritables difficultés commencent avec
la fin des travaux.
Que va-t-on faire en effet des déchets pour lesquels il n'existe pas
à l'heure actuelle de solution de stockage définitif, soit que
leur activité soit trop élevée pour le stockage en
surface, soit au contraire que leur contamination soit trop faible pour faire
l'objet d'un stockage encombrant et coûteux dans le centre de
l'ANDRA ?
En l'absence de solution pour les déchets A et B et pour les
déchets très faiblement radioactifs, le site de Marcoule se
transforme peu à peu en centre de stockage de déchets, ce qui
n'était pas dans sa vocation initiale, et la situation va encore empirer
avec le démantèlement d'UP1, de ses installations satellites et
des réacteurs Célestin.
B/ La reprise et le conditionnement des déchets et le programme RCD
Consciente du fait que, depuis quarante ans, les
déchets générés par les activités civiles ou
militaires du centre de Marcoule n'avaient peut-être pas
été toujours été gérés selon les
règles actuellement en vigueur, la COGEMA a mis en oeuvre un programme
de reprise et de conditionnement des déchets, le programme RCD.
Il s'agit, dans le cadre de ce programme, de reprendre des déchets
anciens, de les trier, éventuellement de les traiter et enfin de les
reconditionner. A l'issue de ces opérations, les déchets doivent
être soit évacués sur le centre de stockage en surface de
l'ANDRA soit, faute d'autre solution, remis en entreposage temporaire sur le
site même de Marcoule.
Une grande partie de ces déchets anciens qui étaient jusqu'ici
entreposés dans l'Atelier de Conditionnement et d'entreposage des
Déchets Solides (CDS) va donc y retourner en attendant de leur trouver
une destination finale.
Dans les casemates et les fosses du CDS ou dans celles de la Station de
Traitement des Effluents liquides, on dénombrait ainsi :
- 59 829 fûts d'enrobés bitumineux de moyenne
activité,
- 1 200 m
3
de déchets technologiques
alpha (contenant environ 46 kg de plutonium),
- 3 400 m
3
de déchets bêta.
Il s'agit, soit de déchets "de procédé" provenant de
l'exploitation des réacteurs et de l'usine UP1, soit de déchets
"technologiques" résultant d'opérations de maintenance.
Après traitement, les déchets les moins actifs
(catégorie A) sont envoyés au centre de stockage de surface
de l'ANDRA. Ainsi, en 1996, le secteur "Armées" de Marcoule a
envoyé à l'ANDRA 240 colis de déchets
représentant 1 037 m
3
.
Il n'en demeure pas moins que la quantité de déchets "en attente"
sur le site de Marcoule reste considérable. Si ces déchets n'ont
pas été envoyés à l'ANDRA, c'est parce qu'ils ne
remplissaient pas les conditions draconiennes posées par cet organisme
pour accepter des colis qui, il faut le rappeler, doivent pouvoir être
stockés en surface et pour une durée de quelques siècles
seulement. Une partie d'entre eux vont donc être triés et
reconditionnés ; une installation spéciale, l'enceinte
pilote de reprise des fûts bitumés, a d'ailleurs été
conçue pour procéder à ces opérations.
Pour mener à bien le programme RCD, la construction de deux
bâtiments nouveaux est envisagée :
- l'un destiné au traitement et au conditionnement des
déchets (TCD),
- le second pour l'entreposage intermédiaire polyvalent (EIP).
A l'occasion de cette reprise des déchets anciens, il serait parfois
intéressant de concentrer la radioactivité et de faire passer
certains déchets de la catégorie B à la
catégorie A. Cette solution permettrait de réduire
considérablement les volumes et assurerait une meilleure
sûreté des stockages, les verres étant beaucoup plus
faciles et beaucoup plus sûrs à stocker que les colis
bitumés à partir du moment, toutefois, où l'on disposera
d'une solution pour le stockage définitif ou la transmutation des
déchets à haute activité, ce qui n'est pas le cas pour le
moment.
En l'absence de solution définitive, comme le note la
DSIN
28(
*
)
:
"Les
différents producteurs doivent gérer l'héritage du
passé et les "erreurs" perpétrées faute d'exutoire, il
s'agit notamment du travail de reprise et de conditionnement de déchets
anciens, déchets mal identifiés, mal conditionnés,
entreposés dans des conditions peu satisfaisantes au regard des normes
actuelles...."
La DSIN n'a pas, il faut le rappeler, compétence pour tout ce qui
concerne la défense nationale mais, dans le cas de Marcoule où
les activités militaires et civiles sont étroitement
imbriquées, c'est à juste titre que cet organisme a
demandé au CEA de faire le point, dans le cadre de son plan
d'assainissement, sur tous les équipements et toutes les installations
de traitement et d'entreposage des déchets car
"un certain nombre de
ces installations sont anciennes et nécessitent une mise à niveau
au plan de la sûreté"
.
Votre rapporteur, après avoir visité l'Atelier de
Conditionnement et d'entreposage des Déchets Solides, le CDS, estime que
l'entreposage actuel dans de simples fûts, dont quelques-uns sont en
mauvais état ou dans des fosses situées à
l'extérieur, ne correspond plus à nos conceptions actuelles de la
sûreté mais aussi de la sécurité des installations
nucléaires. Le programme d'assainissement du site de Marcoule est donc
une priorité et ne doit, en aucun cas, être ralenti quelles que
soient les difficultés budgétaires du CEA ou les controverses sur
la répartition des charges financières entre la Défense
nationale, le CEA et la COGEMA.
C/ L'absence de solution pour le stockage des déchets très faiblement radioactifs
Comme on vient de le voir, le démantèlement des
installations destinées à répondre aux besoins de la
Défense nationale va entraîner la production d'une masse
importante de déchets qui peuvent se répartir en quatre
catégories.
Il y a tout d'abord les déchets C, à haute activité
et à vie très longue, qui se présentent dans la majeure
partie des cas sous une forme vitrifiée. Ces déchets, bien
identifiés et bien contrôlés, sont pour le moment
entreposés sur les sites de production dans l'attente d'une solution
actuellement recherchée dans le cadre de la loi du
30 décembre 1991.
Viennent ensuite les déchets B d'activité moyenne mais
contenant des éléments à vie longue, et notamment des
émetteurs alpha, ce qui leur interdit l'accès au centre de
stockage en surface de l'ANDRA. Ces déchets, le plus souvent
conditionnés en fûts bitumés, sont en général
bien identifiés mais, dans quelques cas, leur conditionnement s'est
détérioré au fil des années et devra être
repris. La destination finale des déchets de moyenne activité
à vie longue fait également l'objet de recherches dans la cadre
de la loi de 1991.
Pour les déchets A, de faible et moyenne activité à
vie courte, il n'y a en revanche pas de problème, car ils peuvent
être admis au centre de stockage en surface dès lors qu'ils
répondent aux normes très strictes fixées par l'ANDRA, ce
qui impose parfois, pour les plus anciens, un nouveau tri et un
reconditionnement.
Malgré les clarifications apportées par la loi de 1991 et par
l'ouverture du centre de stockage en surface de l'Aube, il reste trois
catégories de déchets pour lesquelles aucune solution n'est,
à l'heure actuelle, définitivement arrêtée.
Il s'agit tout d'abord de déchets souvent de faible activité,
mais contenant soit du radium soit du tritium, et donc susceptibles de
dégazer. La conception du centre de stockage de l'Aube,
entièrement cerné de galeries de surveillance souterraines,
interdit en effet d'y placer des déchets produisant des gaz qui
pourraient envahir ces galeries et présenter un danger pour les
travailleurs appelés à y circuler.
Restent enfin les déchets de très faible activité, dits
déchets TFA, provenant essentiellement du démantèlement de
réacteurs et d'installations nucléaires diverses, qui ne
présentent qu'un taux d'activité de quelques Becquerels par
gramme mais qui sont cependant suffisamment radioactifs pour ne pas être
envoyés dans les décharges ordinaires.
Si la distinction entre les différentes catégories de
déchets A, B et C telle qu'elle est présentée
ci-dessus est relativement claire, il est beaucoup plus difficile de tracer une
frontière précise entre les déchets A et les
déchets considérés comme non radioactifs et qui peuvent
donc être banalisés. Il faut tout d'abord se souvenir que la
radioactivité est présente dans tous les éléments
existant sur notre terre et qu'il ne peut donc pas, par voie de
conséquence, exister de déchets de radioactivité nulle. Un
kilo de granite ordinaire peut en effet avoir une activité de
200 Becquerels au kilo et l'eau de mer de 13 Becquerels par litre.
Comme le notait déjà Jean-Yves Le Déaut dans un
rapport de l'Office publié en 1992
29(
*
)
, la réglementation sur ce sujet
est mal adaptée, incertaine et parfois même contradictoire. En
1994, le responsable des déchets à la DSIN était encore
plus catégorique et relevait que la gestion des déchets TFA
était
"révélatrice d'un certain nombre
d'insuffisances : insuffisance de stratégie clairement
formalisée et identifiée, insuffisances réglementaires,
insuffisances de procédures, insuffisance de
rigueur"
.
30(
*
)
Depuis lors, aucun progrès notable n'a été
enregistré dans ce domaine, un groupe de travail de la DSIN y
réfléchit mais rien de tangible n'est pour le moment sorti de ces
réflexions.
Si la recherche d'un exutoire pour les déchets TFA ne semble pas
être considérée comme une priorité, c'est qu'ils
n'ont posé jusqu'ici aucun problème véritablement crucial,
les exploitants se contentant de les laisser en attente sur les sites, à
proximité des installations démantelées.
Il n'en sera certainement pas de même dans les années à
venir. En effet, selon les prévisions de l'ANDRA, les volumes attendus
de déchets de toutes catégories devraient être les
suivantes :
|
Volumes attendus |
Activité (en Térabecquerels) |
|
|
d'ici 2020 (en m3) |
|
et |
Haute activité à vie longue |
6 000 |
5 000 000 |
1 000 000 000 |
Moyenne activité à vie longue |
90 000 |
500 000 |
17 000 000 |
Faible et moyenne activité à vie courte |
500 000 |
250 |
30 000 |
Très faible activité |
250 000 |
3 |
Il s'agit là de tous les déchets
nucléaires, civils et militaires confondus, mais l'exemple du
démantèlement des installations travaillant pour la
Défense nationale à Marcoule, qui est en avance sur le
démantèlement des installations destinées à la
production d'électricité, montre bien que, très
rapidement, on ne pourra plus se contenter des solutions provisoires en vigueur
jusqu'à maintenant.
A l'heure actuelle sont déjà entreposés sur le site de
Marcoule les déchets TFA suivants :
- 4 000 tonnes de fonte en lingots
(dont 100 % Défense)
- 13 000 tonnes de fonte et d'acier
(dont 40 % Défense)
- 4 300 tonnes de plomb
(dont 40 % Défense)
- 2 600 tonnes de béton
(dont 40 % Défense)
- 11 800 tonnes de déchets divers
(dont 40 % Défense)
- 15 000 tonnes de gravats (dont 40 %
Défense).
La répartition entre les déchets provenant des activités
civiles et ceux produits par les activités liées à la
Défense nationale ne résulte que d'estimations grossières,
les déchets perdant, quand il s'agit de les gérer, leur
identité d'origine.
Sans vouloir anticiper sur les conclusions du groupe de travail des experts de
la DSIN, il convient de rappeler un certain nombre de principes sur lesquels
j'estime qu'il ne serait pas souhaitable de revenir.
Les responsables des installations à démanteler, mais aussi
certaines instances internationales, envisagent de fixer un seuil en
deçà duquel un déchet provenant d'un site nucléaire
ne serait pas considéré comme radioactif et pourrait donc
être géré comme n'importe quel autre déchet. Bien
que l'idée d'un seuil de banalisation ou de libération, comme le
prévoit la Directive Euratom du 13 mai 1986 pour les déchets
dont l'activité se rapproche de la radioactivité naturelle,
puisse apparaître comme théoriquement séduisante, il
convient de s'y opposer pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, quelques exemples récents nous montrent que le
contrôle en continu d'une masse importante de déchets
hétérogènes est très difficile à
réaliser et que des intermédiaires peu scrupuleux peuvent
profiter de cette difficulté technique pour envoyer dans des
décharges ordinaires des déchets contenant des points chauds.
L'affaire de la société Radiacontrôle,
révélée en 1993 par la CRII-RAD et jugée en
1996
31(
*
)
, montre qu'il ne
s'agit pas d'un risque purement théorique et que des opérations
de traitement de déchets confiées à des
sociétés négligeantes ou malhonnêtes peuvent donner
lieu à des fraudes regrettables.
En second lieu, l'existence d'un seuil de banalisation des déchets,
comme le soulignait le directeur général de l'ANDRA, M. Yves
Kaluzny,
"pourrait conduire à des pratiques de dilution des
déchets de façon à se placer au-dessous du seuil
fatidique"
32(
*
)
. Il
suffit en effet de mélanger une faible quantité de déchets
fortement contaminés avec une grande masse de produits neutres pour
obtenir une activité massique moyenne au-dessous de ce seuil. Ce risque
de "dilution" de la radioactivité n'est pas non plus théorique
car cette pratique avait été envisagée notamment pour
l'évacuation des déchets de l'usine Rhône-Poulenc de
La Rochelle, ceux-ci devant être mélangés à des
résidus miniers des anciennes installations de l'Ecarpière.
Enfin, devant le peu de garanties qu'on pourrait leur apporter, il faudrait
s'attendre à une vive réaction des populations concernées
qui apprendraient, et on peut compter sur certaines associations pour les en
informer, qu'une décharge prévue à l'origine pour
accueillir des déchets ordinaires reçoit des déchets
radioactifs pas toujours bien identifiés et contrôlés.
Dans l'état actuel de nos connaissances techniques et compte tenu de
la sensibilité particulière d'une partie de la population
à ces problèmes, il convient donc que les déchets,
même très faiblement radioactifs, soient stockés
définitivement dans des installations où ils pourront être
soumis à une gestion spécifique, ce qui permettrait d'obtenir une
traçabilité totale de leur origine à leur destination
finale.
Pour cela, il faudrait mettre en place :
- des centres de stockage "dédiés" s'inspirant des
décharges industrielles de classe 1 mais adaptés au stockage
ou de déchets TFA ou de déchets tritiés ou encore de
déchets radifères. Ces centres de stockage devraient être
placés sous la responsabilité exclusive de l'ANDRA et soumis
à la réglementation des INB ;
- des filières adaptées pour le recyclage de certains
éléments TFA et notamment de certaines ferrailles, à la
condition expresse que le produit de ces recyclages ne puisse être
réemployé qu'à l'intérieur d'un site
nucléaire classé en INB.
Dans bien des cas, ces précautions se révéleront sans
doute inutiles ou superflues mais la réglementation doit être
élaborée, dans un secteur aussi sensible, non pas en fonction des
situations normales mais en tenant compte des erreurs et des dérives
toujours possibles.
Les opérations d'assainissement des anciennes installations de Marcoule
pourraient constituer, pour tout ce qui concerne la gestion des déchets
TFA, une expérience intéressante à condition qu'il soit
décidé dès à présent :
- de faire une évaluation précise des quantités et
des différentes catégories de déchets TFA qui
résulteront des opérations de démantèlement,
- de présenter une étude technico-économique des
solutions envisagées pour le stockage définitif de ces
déchets,
- de prévoir les modifications réglementaires
nécessaires pour le mise en place des solutions retenues.
Faute d'un tel programme et en l'absence de tout exutoire
réglementairement ou socialement possible, on continuera à
utiliser le site de Marcoule comme centre d'entreposage plus ou moins
provisoire de déchets, les solutions transitoires risquant bien souvent
de se transformer, par passivité, en solution définitive ainsi
que le redoutait le directeur de la DSIN dans son dernier rapport
d'activité.
Une fois de plus, le problème crucial sera celui de la localisation de
la ou des futures décharges de TFA, il est à parier en effet que
certains des écologistes qui acceptent aujourd'hui l'idée de la
création de stockages pour les déchets de très faible
activité prendront la tête de la contestation dès que
l'emplacement d'un site sera annoncé.
Dans cette affaire, comme dans tous les dossiers qui concernent les
déchets radioactifs, c'est aux responsables politiques d'exprimer
clairement leur volonté de trouver dès maintenant des solutions
raisonnables et de ne pas laisser aux générations futures le soin
de gérer les problèmes que nous avons créés.
4°/ L'ASSAINISSEMENT DE L'ETABLISSEMENT DE PIERRELATTE
L'uranium extrait des mines est un mélange de plusieurs
isotopes dont les principaux, l'uranium 238 et l'uranium 235, se
trouvent en général dans les proportions de 99,3 % pour le
premier et de 0,7 % pour le second. Or la Défense nationale, comme
les activités nucléaires civiles d'ailleurs, ne sont
intéressées que par l'uranium 235.
Il faut donc procéder à l'enrichissement de l'uranium naturel en
le séparant en deux fractions, l'une très enrichie en
uranium 235 et l'autre appauvrie en uranium 235 mais riche en
uranium 238.
Le procédé d'enrichissement par diffusion gazeuse utilisé
jusqu'à maintenant en France consiste à faire passer un
composé sous forme gazeuse d'uranium naturel, l'hexaflorure d'uranium,
à travers une succession de barrières poreuses qui vont peu
à peu séparer les deux isotopes, chaque barrière laissant
passer un peu plus d'uranium 235 que d'uranium 238.
Pour obtenir l'uranium fortement enrichi dont avait besoin la Défense
nationale, on a créé en 1958 l'Etablissement de Pierrelatte,
transféré en 1976 à la COGEMA et situé à
côté de l'usine Eurodif, qui assure l'enrichissement de l'uranium
destiné aux centrales nucléaires.
L'arrêt en 1996 de la production d'uranium hautement enrichi
destiné à la Défense nationale a immanquablement
entraîné la fermeture de l'Etablissement de Pierrelatte. Le
26 mai 1997, un protocole d'accord a été signé entre
l'Administrateur général du CEA et le Président-directeur
général de la COGEMA pour fixer les modalités de cette
fermeture.
Ce protocole définit notamment
"les principes généraux
devant régir l'organisation du programme de mise à l'arrêt
définitif et de démantèlement des quatre usines
d'enrichissement militaire du site de Pierrelatte, ainsi que de leurs
installations associées.
Les principes définis dans ce protocole doivent permettre de
réaliser le démantèlement des installations
correspondantes dans les meilleures conditions de sécurité, de
coût et de délai, tout en utilisant au mieux les moyens et les
compétences du personnel de COGEMA.
Dans ce cadre, le CEA, propriétaire des installations et agissant pour
le compte du ministère de la Défense, assure la maîtrise
d'ouvrage du programme. Il contrôle à ce titre la
réalisation confiée au maître d'oeuvre, de façon
à s'assurer du respect des objectifs contractuels de performance,
coût et délai. COGEMA, exploitant nucléaire du site de
Pierrelatte, en est le maître d'oeuvre et assure, à ce titre, la
gestion et la conduite du programme. COGEMA sera également le
fournisseur principal dans la réalisation du programme."
Il faut noter que, dans les années 1980, trois autres usines (basse,
moyenne et très haute, appartenant au même ensemble) avaient
déjà été fermées et se trouvent aujourd'hui
dans la situation de "mise à l'arrêt définitif".
L'usine haute, la dernière usine d'enrichissement d'uranium à des
fins militaires, est aujourd'hui également arrêtée, les
opérations de mise à l'arrêt définitif et de
récupération des matières nucléaires devant se
terminer à la fin de l'année 1997. Les travaux sont
confiés à la COGEMA, devenue simple prestataire de services.
C'est également la COGEMA qui doit conduire le chantier de
démantèlement qui devrait commencer en 1998 pour une durée
de six à sept ans, le coût de l'ensemble des travaux étant
estimé, aujourd'hui, à plus de 1,8 milliard de francs.
La rapidité d'exécution de ces travaux dépendra
étroitement de l'évolution des budgets de la Défense
nationale mais il y a des opérations, nécessaires pour assurer la
sécurité du site, qui ne pourront de toute façon pas
être différées.
A/ Les déchets générés par le démantèlement des usines d'enrichissement
La décontamination doit tout d'abord permettre
d'enlever, par trempage, tout l'uranium présent dans les installations.
L'uranium résiduel ainsi récupéré, ainsi que
l'uranium déjà enrichi représentant "l'en cours" de
fabrication, constitueront un stock restant à la disposition de la
Défense nationale et ne peuvent donc pas être
considérés comme des déchets.
Les opérations de démantèlement proprement dites des
usines d'enrichissement devraient, selon la DAM, produire les déchets
suivants :
- Métaux non contaminés
. aciers des structures : 15 000 tonnes
. cuivre : 700 tonnes
- Déchets destinés à l'ANDRA
. fûts de 200 litres : de 10 000 à
15 000 fûts (dont 5 000 fûts de déchets
technologiques)
- Déchets très faiblement radioactifs (TFA) de moins d'un
Becquerel par gramme : 11 700 tonnes.
Le problème de l'évacuation des barrières qui servaient
à la séparation isotopique qui ne sont pas mentionnées
dans le tableau ci-dessus va se poser car, selon les informations recueillies
sur place, celles-ci, qui devraient normalement être
considérées comme un déchet, continuent à
être couvertes par le secret défense et devraient donc pour le
moment rester sur place.
Aux déchets issus du démantèlement s'ajoutent les
déchets d'exploitation et de maintenance entreposés sur le site
et que l'ANDRA a répertoriés dans son dernier inventaire (voir
tableau ci-après).
B/ L'entreposage de l'uranium appauvri
La séparation isotopique de l'uranium naturel conduit
à produire d'importantes quantités d'uranium appauvri
composé principalement d'uranium 238, qui constitue un sous-produit
sans utilité dans les conditions actuelles des techniques.
Pour obtenir un kilo d'uranium enrichi à 90 %, il faut en effet
utiliser 212 kg d'uranium naturel, ce qui conduit en fin de processus
à la production de 211 kg d'uranium appauvri.
Selon certaines sources, il faudrait en moyenne 15 kg d'uranium enrichi
pour fabriquer une tête nucléaire. Si la France a, selon les
indications données par le Président de la République lors
d'une conférence de presse en 1993, environ 600 têtes
nucléaires auxquelles il faut ajouter les 192 utilisées lors
des essais, on peut estimer que les seules activités militaires
d'enrichissement auraient conduit à produire plus de
2 500 tonnes d'uranium appauvri.
L'uranium appauvri, qu'il provienne des activités d'enrichissement
civiles ou militaires, est actuellement "entreposé" sur le site de
Pierrelatte sous forme d'hexaflorure d'uranium (UF 6) ou d'oxyde d'uranium
(U3 O8).
Selon la COGEMA, il faut bien parler d'entreposage et non de stockage car
l'uranium appauvri ne serait pas un déchet, l'inventaire des
déchets radioactifs de l'ANDRA ne comporte d'ailleurs aucune indication
sur cet entreposage.
Un document de la COGEMA, intitulé "L'entreposage de l'oxyde d'uranium
appauvri", précise que
"l'oxyde d'uranium appauvri est une
véritable matière première valorisable par l'application
à l'échelle industrielle de nouvelles techniques d'enrichissement
en cours d'étude ou lorsque les auditions du marché le
permettront"
.
De fait, il est probable que les nouvelles techniques d'enrichissement, en
particulier par laser, actuellement en cours de développement,
pourraient permettre de faire ressortir de l'uranium appauvri les quelques
quantités d'uranium 235 qui s'y trouvent encore mais, pour le
moment, ce sous-produit reste entreposé sur place après
récupération du fluor contenu dans l'UF 6 pour obtenir,
d'une part, de l'acide fluorhydrique qui sera utilisé et, d'autre part,
de l'oxyde d'uranium U3 O8 plus facile à conserver. L'UF 6 est
en effet très corrosif et réagit en présence de
l'eau ; il doit donc être conservé dans des conteneurs
spéciaux qui nécessitent un entretien régulier,
onéreux et qui mobilisent des surfaces très importantes.
En 1990, le site de Pierrelatte avait été autorisé
à entreposer 100 000 tonnes d'uranium sous forme d'UF 6.
Nous n'avons pas d'information sur les limites d'entreposage de l'U3 O8
mais, en 1993, une publication de la COGEMA
33(
*
)
notait déjà que
"les
capacités d'entreposage liées à cette usine W (de
transformation de l'UF 6 en U3 O8) sont aujourd'hui
insuffisantes"
.
La COGEMA avait envisagé de transférer ces produits sur un site
à Miramas mais l'arrêté préfectoral a
été annulé par le tribunal administratif. La COGEMA a
alors proposé de créer un centre d'entreposage sur le carreau
d'une ancienne usine de concentration de minerai d'uranium à Bessines,
ce qui aurait permis de maintenir quelques personnes en activité
après l'arrêt de l'extraction et du traitement du minerai. Comme
on pouvait s'y attendre, ce projet a été très vivement
attaqué par les associations écologistes qui ont introduit des
recours contre l'arrêté préfectoral autorisant
l'opération. En juin 1996, le tribunal administratif de Limoges a
rejeté la requête des écologistes mais les oppositions au
projet sont toujours aussi virulentes même si elles n'émanent que
d'une minorité de la population.
Il faut reconnaître, sans vouloir entrer dans les polémiques
entretenues par les opposants au nucléaire, que cette affaire n'est pas
très claire.
Selon la COGEMA, en effet, l'uranium appauvri ne constitue pas un
déchet. La loi du 13 juillet 1992 relative à
l'élimination des déchets est cependant fort explicite à
ce sujet :
"Est considéré comme un déchet ultime,
un déchet qui n'est plus susceptible d'être traité dans les
conditions techniques et économiques du moment."
Si on se
réfère à cette loi, l'uranium appauvri est bien un
déchet puisque ses détenteurs n'en ont aucune utilisation
possible "dans les conditions techniques et économiques du moment".
De toute façon, si l'uranium appauvri avait un quelconque
intérêt économique dans un avenir prévisible, on le
conserverait sous sa forme primitive d'UF 6 et on n'engagerait pas des
frais certainement élevés pour le transformer en un
composé
"extrêmement stable"
destiné à un
"stockage de très longue durée"
.
34(
*
)
De la même manière, si ce sous-produit était
véritablement réutilisable, il serait inutile de le
transférer de la Vallée du Rhône jusque dans le Limousin.
Il serait préférable de la laisser à proximité des
usines où il serait susceptible de subir un deuxième cycle
d'enrichissement.
En fait, tout repose sur la définition du déchet. Selon les
normes actuelles, un produit actuellement inutilisable et pour lequel on
recherche un site de stockage à très long terme ne constitue pas
un déchet s'il existe une possibilité, même très
hypothétique, de le voir un jour revenir comme matière
première.
En revanche, si cette possibilité ne se réalise jamais, cette
matière première se trouvera alors reléguée au rang
de déchet ultime.