CONCLUSION
· Mondialisation
accélérée,
· destruction et création massives d'emplois,
· réorganisation nécessaire des
entreprises, des administrations, du mode de travail, des modes de vie, des
hiérarchies, des loisirs,
· accès au savoir pour tous,
· nouveaux services et parts de marché mondial
qu'il faut saisir,
· l'ampleur des transformations en cours est immense.
En France, corps social, médias, décideurs économiques et
politiques n'ont pas encore apprécié à sa juste mesure
l'ampleur de cette révolution.
Nous avons des handicaps et des atouts. Bien que nous
perdions
du terrain y compris en Europe
[18
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques par le canal de son rapporteur propose une série d'actions :
1 - Un effort de sensibilisation et de formation décentralisé et ciblé ;
2 - Le renforcement des expérimentations , leur évaluation et la diffusion des résultats ;
3 - La conception de stratégies industrielles adaptées ;
4 - La promotion d'une industrie de création de contenus et services ;
5 - L'appui des nouvelles technologies à la réforme des pouvoirs publics.
1) SENSIBILISATION, FORMATION
Il existe en France des ÒspécialistesÓ convaincus et sensibilisés. Dans les nombreux colloques sur le thème des inforoutes de la société de l'information, de la numérisation, etc., on les retrouve actifs et diserts, parfois avec plus de compétence que dans d'autres pays. Mais, sur le terrain, chez les acteurs de base de notre société, auprès des élus locaux, des membres des corps consulaires, des associations professionnelles, des syndicats, la masse des décideurs est mal informée et peu sensibilisée.
Certes, ils ont lu des articles, entendu des commentaires et en particulier retenu des mots : cyberspace, cybernaute, réalité image ou entreprise virtuelle. Ce langage ne tient pas lieu d'information, ces mots éloignent du sujet [19] .
Une sensibilisation vraie exige un débat contradictoire centré sur le domaine d'intérêt professionnel d'un auditoire. L'usage innovant des nouvelles technologies doit se discuter entre spécialistes télématiques et ceux d'un métier, en vue d'une information réciproque et interactive. Cette mise en contact, cette fertilisation croisée est nécessaire pour aboutir à convaincre. Les usages effectifs de la télématique large bande sont multiformes et seuls les particuliers peuvent les faire émerger dans des débats. Médecins et informaticiens, enseignants et praticiens des réseaux, artistes et fournisseurs de services, pour prendre quelques exemples, pourront dans chaque cas transposer à leurs propres problèmes des types de solutions apportées par d'autres.
Ceci n'est pas très onéreux, notamment au sein des Òcommunautés réactivesÓ. Mais cela prend du temps, de l'énergie et nécessite du personnel pour organiser les travaux des groupes. Seules certaines collectivités locales aident pour le moment ces opérations. L'État doit s'y associer. Un outil central existe : la Cité des Sciences et de l'Industrie qui pourrait affecter une part importante de ses moyens à des activités de diffusion nationale axée sur une culture scientifique et technique pour une télématique moderne , adaptée aux divers métiers. Ceci implique que son personnel, pour quelques pour cent, soit décentralisé et renforce les groupements en région les plus actifs dans ce domaine. Une expérience envisagée actuellement dans ce sens devrait être promue sans délai, évaluée, puis généralisée.
Par ailleurs le même type d'opération pourrait être repris et mis en place pour utiliser l'excellente initiative Banque des programmes et services de La Cinquième [20] , la cha»ne de télévision d'accès au savoir. Une diffusion à la demande y compris vers l'étranger pourrait facilement suivre.
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Bien súr, il faudra quelques crédits supplémentaires à cette nécessaire priorité.
2) EXPERIMENTATIONS
A la suite de l'appel d'offres de 1994, des expérimentations sont en cours.
Il faut mieux financer ces expérimentations, les étendre à de nouveaux domaines.
La récolte, l'évaluation et la diffusion des résultats est impérative.
L' observatoire mis en place par le ministère compétent n'a pas été doté des moyens nécessaires à l'évaluation et la diffusion des résultats des expérimentations en cours.
On peut craindre qu'à ce manque de moyens s'ajoute, par voie de conséquence, une erreur de méthode consistant à s'adresser à un consultant unique qui évaluerait pour le compte d'un système centralisé des expérimentations très disparates.
A l'heure de la télématique, les réseaux permettent de répartir entre des p™les de compétence les analyses, évaluations et créations de bases de données multimédia dans le cadre d'une procédure normalisée. La gestion décentralisée par les D.R.I.R.E. (Direction Régionale de l'Industrie , de la Recherche et de l'Environnement) et par des organismes régionaux permettrait d'accélérer, d'améliorer et d'assurer plus d'efficacité et plus de rigueur et de rapidité. La décentralisation, en outre, implique plus de personnes, ce qui leur assure une capacité supplémentaire pour sensibiliser et former nos compatriotes.
3) STRATEGIES INDUSTRIELLES
Il n'existe pas de puissance économique sans industriels actifs dans les secteurs clefs de l'avenir.
Si les opérateurs de Telecom européens et français, ainsi que l'industrie de la commutation sont forts, il n'en est pas de même du secteur strictement informatique. Pour les composants, les matériels et les logiciels, la domination de l'Amérique du nord et du Japon est considérable.
Une stratégie tenace et continue s'impose. Je citerai cinq axes.
a) La Recherche
Il faut orienter mieux la recherche vers l'essentiel de ce qui peut renforcer l'économie.
Le budget 1997 ne tient absolument pas compte de l'importance prioritaire du domaine télématique. L'avenir du CNET est désormais lié aux nécessités de France Telecom. Il est essentiel que les équipes de fondamentalistes en physique et mathématiques, au cas où France Telecom ne considérerait pas leur financement comme prioritaire, puissent être hébergées et renforcées. Les écoles du GET (Groupe des Ecoles des Télécommunications) et de l'INRIA notamment, n'ont pas de dotations budgétaires à cet effet.
Les moyens de l'INRIA restent ridiculement bas malgré son renom international. Un doublement immédiat de son potentiel humain para»t nécessaire [21] , en partie grâce à des apports du CNRS ou du CNET, ou de bourses industrielles.
Les thématiques prioritaires doivent être définies par les chercheurs. Les percées nouvelles - par exemple le langage Esterel, désormais utilisé par Matra et Dassault, doivent être fortement appuyées par des procédures exceptionnelles. Les équipes qui ont conçu et développent ce langage sont fortement sollicitées pour s'installer aux États-Unis, où elles disposeraient de moyens accrus... Elles restent en France, pour le moment. Les politiques doivent savoir que le seul moyen pour la France et l'Europe de reconquérir des positions mondiales en informatique est d'exploiter chez nous les découvertes. A l'heure actuelle la plupart des équipes porteuses d'innovations majeures sont aspirées vers l'Amérique du nord dans ce domaine à forte croissance.
Comme dans le sport de haut niveau, si l'on veut gagner, dans la recherche il faut résolument aider les p™les d'excellence, même au détriment des autres si cela s'avère indispensable.
b) Modernisation et mondialisation du Minitel
15 millions de Français, grâce au Minitel, ont une pratique télématique. Le système Minitel-Kiosque-Télétel, bien qu'archaïque, fonctionne.
Par ailleurs, des milliers de chercheurs californiens travaillent (chez Apple, Sun, Oracle, etc.) sur un système client-serveur, doté de Network Computers et d'un serveur associé. Les recherches correspondent à une philosophie télématique du même style.
France Telecom (ou Global One) et ces groupes ont des interêts communs et pourraient gagner du temps.
Une grande alliance de ce type placerait France Telecom en position forte sur un créneau mondial porteur. Ceci permettrait peut-être de reprendre place sur le marché des systèmes avec miniterminaux.
Ne cherchons pas à réinventer seuls la roue, au risque de nous faire dépasser.
c) Saisir des opportunités de niches (modem, cartes spécialisées) comme SAGEM a saisi l'opportunité des fax, NOKIA et d'autres, la téléphonie mobile, d'autres les décodeurs numériques, les banques de programmes numérisés, les postes radionumériques avec écran, etc...
d) Pour les PMI, il faut veiller à des renforcements adéquats de fonds propres et promouvoir des groupements ou syndications. Les investisseurs en capitaux doivent se mobiliser et être incités. Les fonds de pension devraient consacrer une partie de leurs cours actifs à la télématique. D'une façon générale il faut promouvoir une action volontariste européenne.
4) CREATION DE CONTENUS
Tous les spécialistes s'accordent sur un point. Seule l'industrie de création de contenus ou de services contribuera fortement à la création d'emplois nouveaux et tout particulièrement d'emplois pour les jeunes. Il faut soutenir son démarrage, si nous ne voulons pas perdre l'un des domaines où nous sommes reconnus et enviés. C'est une grande priorité.
Les champs d'activité sont multiformes : services adaptés à des niches d'usagers bien ciblés, édition électronique, créations multimédia, gestion des serveurs de collectivités locales, création de bases de données, aide à la conception de produits, etc...
C'est un domaine où la capacité d'innovation s'allie à la gestion de compétences techniques. Des équipes de petite taille, souvent composées de très jeunes professionnels, peuvent acquérir très vite des compétences internationalement reconnues.
Certes les grands éditeurs ne sont pas absents de ce domaine : des alliances avec ces petites entreprises, en cette période de bouillonnement renforcent très souvent leur créativité.. Elles ont en effet intérêt à profiter de leur réactivité, leur flexibilité, leur rapidité de prise de décision.
Aider ces petites équipes est donc essentiel, y compris pour nos grands éditeurs.
- Pour les périodes initiales de développement, la création de Centres de ressources multimédia est très efficace. Il s'agit d'un lieu où sont rassemblés des moyens en matériel, en logiciel et en accès aux réseaux et qui dispose de compétences techniques. Un tel centre de ressources mis à la disposition des PME intéressées permet à celles-ci de disposer de moyens performants et de conseils techniques, en contrepartie d'une contribution financière modique. Elles évitent d'avoir à consacrer des investissements considérables, souvent rapidement frappés d'obsolescence.
Lorsque l'environnement s'y prête, l'État, en partenariat avec d'autres, notamment collectivités locales ou sponsors industriels, doit financer la création de tels centres.
- Pour le fonctionnement, ces PME peuvent bénéficier d'un préfinancement analogue à l'aide au cinéma. Le fonds devrait être augmenté et comporter aussi un système d'avance sur recettes.
Par ailleurs, les pouvoirs publics (Ministère de l'Industrie, Services Fiscaux, ANVAR) doivent réserver à l'industrie de conception et de réalisation des contenus et des services télématiques, le même sort à tous égards (y compris vis-à-vis du crédit d'imp™t recherche) qu'aux industries plus traditionnelles (mécaniques, pharmaceutiques, chimiques, etc...). Ceci n'est souvent pas le cas car parfois, on ne les considère pas comme de Òvraies industriesÓ mais comme des services annexes.
- Pour les phases de développement, il faudra sensibiliser les milieux financiers nationaux ou européens. Pour un banquier, le caractère immatériel est moins attrayant à première vue que les investissements matériels. Les récents déboires de l'immobilier ont rendu les milieux financiers prudents vis-à-vis des investissements bien visibles, mais ne les ont pas conduits à financer les investissements ÒimmatérielsÓ.
C'est l'une des raisons pour lesquelles beaucoup de PME, parmi les plus performantes, liées à la fabrication de contenus et de services, sont souvent rachetées, pour se développer, par des groupes américains, ce qui ne devrait pas être une règle quasi automatique.
Je ne ferai qu'évoquer l'importance de l'industrie du contenu pour la défense de l'identité culturelle et les problèmes liés aux droits d'auteur et les questions d'éthique de la communication électronique, car c'est l'un des points centraux de réflexions de la Mission du Sénat sur l'entrée dans la Société de l'Information.
5) LA REFORME DES POUVOIRS PUBLICS
L'État doit donner l'exemple [22] . Certes le ministère technique concerné est convaincu. Dans d'autres ministères des initiatives sont prises. Mais il ne suffit pas d'ouvrir un site web [23] et de donner quelques informations. Tous les niveaux administratifs du haut en bas sont concernés. L'entrée inéluctable dans la Société de l'Information permet de casser les lourdeurs bureaucratiques. Le sursaut dont notre pays a besoin, peut résulter de l'accès de tous au savoir, qui provoquera cette nécessaire rupture avec le style hiérarchique napoléonien.
Voilà l'occasion rêvée, le détonateur pour que chaque administration change de comportement, se réorganise en profondeur. Chaque poste de travail doit être défini à nouveau. Le rapport avec ses annexes montre que cela a été réalisé ailleurs. Les conséquences en sont, outre des économies substantielles, une satisfaction accrue des usagers, et du personnel.
Ne rêvons pas, il ne s'agit pas d'un coup de baguette magique mais du résultat d'une action tenace d'analyse, de sensibilisation, de formation. Des réticences et des résistances devront être brisées ainsi que des habitudes, des privilèges. Une certaine arrogance, liée à l'omnipotence dans l'opacité des prises de décisions arbitraires, sera éliminée. Dans une société mieux informée, plus démocratique, plus habituée à l'interactivité et la discussion, la hiérarchie prendra des formes différentes. L'information des citoyens aussi.
J'ai évoqué plus haut les efforts importants à réaliser pour la formation et la santé. On pourrait de même concevoir de nouvelles actions et de nouvelles méthodes pour la Justice, l'Intérieur et la Défense, l'Agriculture, la politique de la Ville, les Transports, l'Équipement, etc... en fait partout.
C'est une Òcroisade pour la numérisationÓ qu'il faut mettre en oeuvre dans chaque ministère, administrations centrales et services déconcentrés de l'État qui devraient rendre compte chaque mois de l'état d'avancement du chantier Réforme de l'État. Il faut, avec détermination, accélérer le mouvement.
Quant aux collectivités locales, le mouvement est amorcé dans certaines cités et certains départements mais moins puissamment qu'en Amérique du nord. Renforcer les incitations de la DATAR, relancer les expérimentations, leur évaluation et la large diffusion des résultats, utiliser les Òcommunautés réactivesÓ et les centres de compétence, demander à la presse et aux médias audiovisuels de montrer la voie, lancer des concours, distribuer des prix, bref mobiliser les énergies existantes. Tout est possible. Tout est nécessaire.
La Mission du Sénat, déjà évoquée, consacrera une large part de ses réflexions aux collectivités locales, thème qui correspond à la sensibilité prioritaire de la Haute Assemblée.
Répétons que dans le domaine crucial pour notre avenir de l'entrée dans la Société de l'Information, l'État et les collectivités locales doivent donner l'exemple. Les dangers de vassalisation culturelle, de ch™mage massif, de régression sociale et économique sont considérables. Réagir, nous le pouvons. Nous le devons.
Il semble à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques que le Président de la République Française pourrait en la matière déclencher de façon vigoureuse le sursaut et catalyser les énergies [24] et les compétences nombreuses au sein de la fonction publique. Osons donc construire notre avenir avec enthousiasme.