Défense : exposé d'ensemble et dépenses en capital
Maurice BLIN
Table des matières
- I. PRESENTATION GENERALE
- II. DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT66 En l'état actuel des informations disponibles, les chiffres commentés correspondent aux « crédits disponibles » présentés par le Gouvernement, c'est-à-dire aux crédits nouveaux 2002 majorés des reports autorisés 2001.
- III. LES GRANDS PROGRAMMES
-
PRINCIPALES OBSERVATIONS
- 1. En 2002, le budget de la défense confirme son rôle de variable d'ajustement privilégiée de l'équilibre budgétaire général
- 2. Le sacrifice constant de l'équipement militaire tout au long de la législature handicape la réalisation du « modèle d'armée 2015 »
- 3. L'adaptation du secteur public de nos industries d'armement n'a pas été menée à terme
- 4. La dérive française s'inscrit dans le cadre d'une évolution européenne fragilisée
- 5. Conclusion : un « état des lieux » préoccupant
I. PRESENTATION GENERALE
1. Evolution générale des crédits
Le
projet de budget de la Défense pour 2002 s'élève à
37,6 milliards d'euros (246,7 milliards de francs), dont
8,75 milliards d'euros (57,4 milliards de francs) de pensions, soit
un montant hors pensions de 28,85 milliards d'euros
(189,2 milliards de francs)
1(
*
)
.
Par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour
2001,
la progression atteint 0,2 %, contre une moyenne de
+ 2,5 % pour l'ensemble des budgets civils
.
Les crédits (hors pensions) du Titre III proposés pour 2002
s'élèvent à 16,5 milliards d'euros (107,9 milliards
de francs), soit une progression de 2,3 % par rapport à 2001,
inférieure de moitié à la majoration de 5,1 %
consentie pour l'ensemble des budgets civils de fonctionnement.
Les crédits des Titres V et VI (crédits de paiement)
s'élèvent à 12,4 milliards d'euros
(81,4 milliards de francs), soit une diminution de 2,5 % par rapport
à 2001, très supérieure à la baisse moyenne de
1,7 % pour les dépenses d'investissement civil.
Toutefois, de façon relativement inusitée
2(
*
)
, le Gouvernement a d'ores et déjà
autorisé - et inscrit dans la présentation des chiffres du projet
de budget 2002 - le
report partiel de crédits
d'équipement 2001 non consommés
, à hauteur de
411,6 millions d'euros (2,7 milliards de francs), ce qui correspond
à la moitié environ de l'enveloppe attendue.
Ceci permet d'afficher un total de «
crédits
disponibles
» 2002 de 12,8 milliards d'euros
(84,01 milliards de francs) pour les dépenses d'équipement
et de 29,3 milliards d'euros (192 milliards de francs) pour le budget
total, et donc une progression -optique- de 0,6 % des crédits
d'équipement et de 1,6 % du budget total de la
Défense
3(
*
)
.
Evolution globale des crédits
|
LFI 2001 |
PLF 2002 |
Evolution |
Rappel : budgets civils |
Dépenses ordinaires
|
16,1
|
16,5
|
+ 2,3
%
|
+ 5,1 % |
Dépenses en capital (CP)
|
12,7
|
12,4
|
- 2,5
%
|
- 1,7 % |
Dépenses en capital (CP)
|
12,7
|
12,8
|
+ 0,7
%
|
ns |
Total hors reports 2001
|
28,8
|
28,9
|
+ 0,2
%
|
+ 2,5 % |
Total y compris reports 2001
|
28,8
|
29,3
|
+ 1,6
%
|
ns |
2. L'effort français de défense
Avec 29,3 milliards d'euros, le budget de la Défense est devenu le cinquième poste de dépenses de l'Etat , après l'Education nationale (61,4 milliards d'euros), les Charges communes (51,6 milliards d'euros, dont 36,8 milliards de dette publique nette), les concours de l'Etat aux collectivités locales (56,1 milliards d'euros) et l'Emploi et solidarité (32,1 milliards d'euros).
Poids relatif du budget de la Défense (hors pensions)
|
Budget Défense/Budget
Etat
|
Budget Défense/PIB
|
1980 |
15,52 % |
3,07 % |
1996
|
12,30 %
|
2,41 %
|
De
1996 à 2002, la part de l'effort consacré à la
Défense dans le budget de l'Etat aura diminué de 1,4 point, et la
part de l'effort de la Défense dans le PIB de 0,5 point.
Depuis 1980, cette diminution atteint près de cinq points de PIB,
et plus de deux points du budget général.
En réalité, le budget militaire est clairement devenu le
parent pauvre, ou plutôt la variable d'ajustement
privilégiée de l'équilibre du budget
général.
Cette tendance, constante tout au long de la loi de programmation,
marquée dès les lois de finances initiales, a toujours
été renforcée en cours d'exécution.
3. Structure du budget militaire
Depuis 1990, au sein d'une enveloppe demeurée rigoureusement identique en francs courants, la structure du budget militaire s'est profondément modifiée, avec une inversion absolue du poids relatif des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'équipement .
Evolution de la structure du budget de
défense
(milliards de francs courants)
|
LFR 1990 |
PLF 2002 |
Titre III
|
87
|
107,9
|
Total |
189 |
189,3 |
De façon constante sur l'ensemble de la période, et renforcée au cours de l'actuelle législature, les dépenses du Titre III ont été privilégiées au détriment des dépenses d'équipement du titre V, qui ont systématiquement servi de variable d'ajustement interne, tant en loi de finances initiale qu'en exécution budgétaire.
Au sein même du titre III, ce sont les seules dépenses de rémunérations et de charges sociales qui expliquent cette croissance, les dépenses de fonctionnement et d'entretien courant ayant elles-mêmes fait l'objet d'importantes réductions, qui se traduisent aujourd'hui par une sensible détérioration des taux d'activité des forces. Le projet de budget 2002 marque enfin un coup d'arrêt à cette tendance.
4. Les principales évolutions du budget 2002
a) La priorité donnée à la condition militaire
En
dernière année de programmation, le projet de budget 2002
confirme l'évolution générale relevée sur la
période. Il se caractérise notamment par une forte revalorisation
des rémunérations et charges sociales qui traduit la
priorité particulière donnée cette année à
la «
condition militaire
».
Lié à la réalisation de la dernière annuité
de programmation de la professionnalisation, qui se traduit par une
création nette d'emplois budgétaire hors appelés de
12.896 unités, cet effort correspond surtout à la mise en
oeuvre d'un
plan exceptionnel d'amélioration de la condition des
personnels
.
Celui-ci comprend à la fois la revalorisation des
rémunérations (221 millions d'euros - 1,5 milliard de
francs), et plusieurs mesures catégorielles (79 millions d'euros -
518 millions de francs), celles-ci recouvrant notamment
l'amélioration des bas salaires
(27,7 millions d'euros),
des
mesures catégorielles spécifiques
(38 millions
d'euros), essentiellement en direction des sous-officiers, et l'ajustement des
crédits d'indemnités liés à la
mise en oeuvre
des 35 heures au sein du personnel civil
4(
*
)
(7,5 millions d'euros).
Parallèlement, les crédits de fonctionnement courant (hors
rémunérations et charges sociales) sont majorés de
78 millions d'euros (511,6 millions de francs).
De fait, dans sa présentation, le Gouvernement ajoute à ces
« mesures nouvelles » l'incidence de la réduction du
format des armées et de diverses mesures d'économies et de
transferts, à hauteur de 122 millions d'euros, ce qui lui permet
d'afficher un effort global de 200 millions d'euros (1.312 millions
de francs) en faveur du fonctionnement.
b) Le sacrifice confirmé des crédits du titre V
S'agissant des crédits d'équipement inscrits au
budget
de la défense, il faut souligner l'évolution très
divergente des crédits strictement affectés à
l'équipement des forces armées (titre V), dont la baisse se
confirme en 2002, tandis que les crédits du titre VI, qui recouvrent des
dépenses de nature diverse dont certaines étaient exclues par la
loi de programmation (contribution de la Défense au budget civil de
recherche et développement, compensation à la Polynésie et
dépenses anciens combattants notamment), poursuivent une croissance
forte, qui masque partiellement la baisse du titre V.
De fait, les crédits d'équipement (hors reports) du titre V
subiront en 2002 une nouvelle encoche importante :
- 2,1 milliards de francs de moins par rapport aux crédits
votés de la loi de finances initiale pour 2001 ;
- 7,2 milliards de francs de moins par rapport aux crédits
prévus, en francs 2001, pour l'annuité 2002 par l'actuelle loi de
programmation révisée qui s'achève ;
- 6,3 milliards de francs de moins par rapport aux crédits
envisagés pour l'annuité 2003 par la prochaine loi de
programmation.
c) Le poids croissant de la Gendarmerie
L'analyse des crédits proposés pour 2002 confirme également une autre tendance relevée sur la plus longue période : la priorité donnée à la Gendarmerie, et le poids croissant prélevée par celle-ci dans la répartition des moyens.
Evolution des moyens
- Titres III et V -
(en
pourcentage du total)
|
LFI
|
LFI
|
LFI
|
PLF
|
Air
|
27,4
|
25,9
|
24,8
|
24,2
|
Représentant un peu plus de 12 % du total des
moyens de
la Défense (titres III et V) en 1991, la Gendarmerie en
représente en 2002 près de 18 %.
De fait, sur l'ensemble de la période de programmation, la part des
dépenses de fonctionnement de la Gendarmerie aura
représenté 125 milliards de francs courants, soit
l'équivalent des dépenses conjointes de la Marine et de
l'armée de l'Air.
5. Bilan de la loi de programmation militaire 1997-2002
a) Titre III : un objectif globalement atteint en termes d'emplois budgétaires, pour un coût sensiblement supérieur au calibrage initial
En
termes d'
emplois budgétaires
, l'objectif fixé par la loi
de programmation militaire est globalement atteint
: 436.221 emplois
inscrits pour 2002, contre 440.206 prévus au titre de la loi de
programmation militaire, soit une différence inférieure à
1 %.
L'analyse plus détaillée des
effectifs réels
fait
toutefois apparaître
des difficultés spécifiques,
notamment sur les effectifs des civils et des volontaires et des insuffisances
réelles dans certaines catégories
(sous-officiers de
gendarmerie)
ou
certains secteurs
(service de santé,
informaticiens, atomiciens). Apparaît en outre un souci particulier
concernant la fidélisation des recrues, compte tenu d'un écart
croissant avec la situation et les conditions du marché civil du travail.
En réalité,
la croissance plus forte que prévue des
dépenses du titre III
, qui a dû être
financée par des prélèvements croissants sur le titre V,
résulte de plusieurs facteurs :
1.- Une relative
sous-estimation du coût de la professionnalisation
des armées
Au total, sur la période 1997-2002, le coût des mesures
d'accompagnement de la professionnalisation aura représenté, pour
les seuls crédits de rémunérations et de charges sociales
-aides au départ, reconversion, réserves, sous-traitance,
mensualisation des militaires du rang et des élèves officiers-,
un total de 155 millions d'euros (plus de 1 milliard de francs). Ceci
correspond à moins de 10 % de l'augmentation totale des RCS sur la
période (en loi de finances initiale).
2.- La non prise en compte de
l'impact des mesures
générales fonction publique
sur le budget de la
Défense. Au total, sur la période 1997-2002, l'ensemble de ces
mesures peut être évalué à 815 millions d'euros
(5,4 milliards de francs), hors mesures catégorielles, prise en
compte du GVT et accords salariaux spécifiques. Ceci correspond à
45 % de l'augmentation totale des RCS sur la période (en loi de
finances initiale).
3.- Le poids désormais constant, voire croissant, de la
participation à des opérations militaires sur des
théâtres extérieurs
(OPEX). A ce titre, le
surcoût des dépenses de fonctionnement, financé en
totalité en exécution par prélèvement sur le
titre V, atteint en moyenne près de 3 milliards de francs par
an (450 millions d'euros), soit, sur l'ensemble de la période
1997-2002, l'équivalent du coût d'un second porte-avions
nucléaire.
b) Titre V : une année de crédits en moins au terme de la loi de programmation
Le montant total de l'enveloppe des crédits initialement définie par la loi de programmation militaire pour les dépenses d'équipement avait été fixé à 541,2 milliards de francs 1997 (82,5 milliards d'euros) sur 1997-2002.
Bilan en fin de programmation
- écarts en milliards
d'euros 2001 par rapport à la loi de programmation initiale
- Effet
de la revue de programmes : - 2,67 milliards d'euros (17,5 milliards de
francs)
- Crédits inscrits en LFI : - 6,25 milliards d'euros (41 milliards de
francs)
- Dépenses exécutées
(hors BCRD) : - 12,74
milliards d'euros (83,6 milliards de francs
- écarts en milliards d'euros 2001 par rapport à la loi de
programmation militaire révisée
- crédits inscrits en LFI : - 3,58 milliards d'euros (23,5
milliards de francs), soit un taux d'exécution de 95,6 %
- dépenses exécutées hors BCRD : - 10,1
milliards d'euros (66,25 milliards de francs), soit un taux d'exécution
de 87,8 %
En fin
de programmation, les conditions d'exécution des crédits
d'équipement militaire sur la législature conduisent à un
écart qui peut être estimé à 12,6 milliards
d'euros courants (82,6 milliards de francs) par rapport aux objectifs de
la loi de programmation initiale, soit l'équivalent d'environ une
année de crédits d'équipement, et à
10,1 milliards d'euros courants (66,25 milliards de francs) par rapport
aux objectifs de la loi de programmation révisée
5(
*
)
.
De fait, fin 2001, les plus hauts responsables militaires reconnaissent
désormais qu'il y a d'ores et déjà, sinon des ruptures de
capacité, du moins
« érosion des
matériels », « dégradation du contenu du
modèle d'armée 2015 »
et surtout, ce qui est plus
grave,
« inquiétude sur la cohérence des
forces ».
Les armées devront dès lors aborder la prochaine loi de
programmation militaire avec une double difficulté : une
réalisation en termes physiques moins favorable que prévue, et
une dotation en autorisations de programmes, comme en crédits de
paiement, qui présente un écart sensible avec les dotations
prévues pour 2003.
6. Eléments de comparaison internationale
a) Effort global de défense
Dépenses globales de défense (hors
pensions)
(En pourcentage du PIB, après recomposition en
structure OTAN)
Années |
France |
Allemagne |
Grande-Bretagne |
Etats-Unis |
||||
|
dont :
|
|
dont :
|
|
dont :
|
|
dont :
|
|
1991
|
2,60
|
1,16
|
1,89
|
0,46
|
3,95
|
1,04
|
4,68
|
1,43
|
Source : Memorandum statistique OTAN - décembre
2000
Retraitement Ministère de la Défense in Annuaire Statistique -
juin 2001
La
baisse de l'effort de dépense en pourcentage du PIB
-« l'effet dividendes de la paix »
-
caractérise l'ensemble des pays de l'OTAN, Etats-Unis compris.
Il reste qu'en 2000, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne consacrent encore
près de trois points de PIB à leur effort de défense,
tandis que la France est très en deçà de deux points et
l'Allemagne proche de un.
b) Dépenses de fonctionnement
L'analyse plus détaillée des chiffres souligne le poids particulièrement élevé des dépenses de fonctionnement, qui atteint près du triple des dépenses d'équipement pour les Etats-Unis et l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni se situant dans un rapport de 1 à 2.
Dépenses de défense par habitant
(structure
OTAN)
- francs 2000 -
Dépenses totales
|
France |
Allemagne |
Royaume-Uni |
Etats-Unis |
2
742
|
1844
|
3
470
|
6
742
|
Source : ibid.
Dépenses de fonctionnement (yc RCS) par
soldat
Année 2000
-
France : 209 300 F
- Allemagne : 253 300 F
- Royaume-Uni : 441 000 F
- Etats-Unis : 562 100 F
Source : ibid
De
fait, en 2000, la dépense française de fonctionnement par soldat
est la plus basse des quatre grands pays de l'OTAN. La dépense
britannique est plus de deux fois plus élevée, et la
dépense américaine près de trois fois.
Aujourd'hui, le taux de croissance moyen des dépenses de fonctionnement
et de rémunérations des armées américaine et
britannique est de 2 % par an en termes réels.
c) Dépenses d'équipement
L'écart est également sensible s'agissant de la dépense d'équipement par militaire. Si le niveau d'équipement du soldat français est cette fois supérieur à celui de l'allemand, il reste inférieur des deux tiers à celui des soldats britannique et américain, de même ordre.
Dépenses d'équipement par
soldat
Année 2000
-
France : 135 000 F
- Allemagne : 85 500 F
- Royaume-Uni : 218 700 F
- Etats-Unis : 212 500 F
Source : ibid
II. DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT6( * )
1. Analyse générale
a) Une nouvelle encoche forte par rapport à l'actuelle loi de programmation et une jonction difficile avec la prochaine loi de programmation
Crédits de paiement
La présentation du budget d'équipement pour 2002 intègre
412 millions d'euros (2,7 milliards de francs) de reports de
crédits de la gestion 2001.
Compte non tenu de ces reports, les crédits de paiement des
titres V et VI s'élèvent à 12,4 milliards
d'euros (81,34 milliards de francs), en diminution de 2,8 % par
rapport à 2001 (soit une baisse une fois et demie plus forte que celle
des budgets d'investissement civil limitée à 1,7 %).
Si l'on intègre les reports 2001, les crédits de paiement
s'élèvent à 12,8 milliards d'euros
(84,03 milliards de francs), en hausse de 0,7 % par rapport à
2001.
Il
reste que, même en intégrant les reports autorisés,
l'enveloppe des crédits d'équipement subit en 2002 une encoche
forte par rapport au niveau arrêté par la revue de programmes de
1998
.
De fait, l'écart s'établit à 4,5 milliards de francs
(680 millions d'euros) par rapport au niveau fixé par la loi de
programmation révisée, et à 8,9 milliards de francs
(1,35 milliard d'euros par rapport à celui fixé par la loi
de programmation initiale.
Hors reports, l'écart atteint 7,2 milliards de francs
(1,09 milliard d'euros) par rapport à la loi de programmation
révisée, et 11,5 milliards de francs (1.760 millions
d'euros) par rapport à la loi de programmation initiale.
Par ailleurs, on ne peut que s'inquiéter déjà de
l'écart tout aussi considérable entre l'annuité 2002 et le
montant retenu pour la prochaine loi de programmation pour 2003, soit
13,34 milliards d'euros (87,5 milliards de francs). Hors reports,
celle-ci atteint près de 1 milliard d'euros (7 milliards de
francs).
Hors
dépenses dites de « bourrage », en principe exclues
par la loi de programmation militaire, -c'est-à-dire essentiellement
contribution au BCRD
7(
*
)
et financement des
compensations accordées à la Polynésie
8(
*
)
au titre de l'arrêt des essais
nucléaires-, la « marche » budgétaire qu'il
faudra, en principe, escalader, est de l'ordre de 1,4 milliard d'euros
(plus de 9 milliards de francs).
Autorisations de programme
Les autorisations de programme s'élèvent à
13,01 milliards d'euros (85,34 milliards de francs), soit une
progression de 0,7 % par rapport à 2001.
Bien que supérieures de 4 milliards de francs à celui des
crédits de paiement, le niveau des autorisations de programme ne devrait
pas suffire toutefois à maintenir une politique cohérente de
commandes totales.
La limitation de la dotation obligera ainsi à repousser début
2003 des commandes importantes qui auraient dû être passées
en 2002, comme celle des missiles M51.
b) Poursuite du « bourrage d'enveloppe »
Outre
l'effet des reports, l'appréciation portée sur l'évolution
des crédits d'équipement doit également tenir compte de
l'incidence des procédures diverses de « bourrage
d'enveloppe », correspondant à des dépenses non
prévues ou exclues par la loi de programmation, et pour l'essentiel
inscrites au titre VI du budget.
On soulignera d'ailleurs que, sur l'ensemble de la durée de
programmation, l'évolution générale des dépenses
d'équipement recouvre deux mouvements divergents entre les
crédits du titre V, strictement affectés à
l'équipement des forces armées, et ceux du titre VI, qui
regroupent des subventions de nature diverse, parfois très indirectement
rattachées à l'équipement militaire.
De fait,
en 2002, seuls les crédits du titre V sont diminués (- 2,8 %
en crédits de paiement et + 0,6 % en autorisations de programme).
Inversement, ceux du titre VI poursuivent la forte progression
enregistrée au cours des exercices précédents, du fait de
l'imputation croissante sur ce titre de dépenses non liées
à l'équipement des forces armées :
aides à
la Polynésie française consécutives à l'arrêt
des essais nucléaires
9(
*
)
, financement de
la recherche civile
par transfert de crédits au budget de la
recherche civile
10(
*
)
,
Fonds pour les
restructurations de la défense
(FRED)
11(
*
)
subventions à l'ONERA (
Office national
d'études et de recherches aérospatiales
) et à
l'Institut franco-allemand de Saint-Louis, dotations pour les fondations et le
tourisme de mémoire (
Anciens combattants
), pour l'essentiel.
Le titre V « porte » en outre des dépenses dont la
nature relèverait davantage du titre III. Celles-ci, qui contribuent
à majorer « optiquement » le poids du titre V,
correspondent d'ailleurs souvent à des transferts progressifs, au cours
de la programmation, en provenance du titre III.
Tel est le cas par exemple du transfert partiel des
crédits
d'entretien programmé du matériel
, dont le total, au terme
d'un nouveau transfert de 40 millions d'euros (262 millions de
francs), s'élève pour 2002 à 304 millions d'euros
(près de 2 milliards de francs).
De même, la masse salariale correspondant aux
personnels
employés par la Direction des constructions navales et par le Service de
maintenance
aéronautique
ne figure pas au titre III du budget
mais au titre V, dès lors qu'elle est financée sur les programmes
d'armement et d'entretien commandés à ces deux services par les
armées. La même situation prévaut pour la
Direction des
applications militaires (DAM) du CEA
, dont la masse salariale est
financée sur les programmes militaires.
2. Répartition par armée et service
La
réduction en 2002 des dotations de la Marine et de l'Etat-major des
armées provient en partie du niveau élevé des dotations
affectées à certains programmes en 2001 (Espace, Rafale
notamment).
L'augmentation des dotations en autorisations de programme de l'armée de
l'Air et de l'armée de Terre s'explique notamment par d'importantes
commandes prévues en 2002 (FSAF -missiles Famille sol-air futurs-,
valorisation VAB, véhicules divers notamment).
3. Évolution par domaine
L'augmentation sensible en 2002 des crédits
consacrés
au domaine nucléaire résulte principalement de la montée
en puissance des grands programmes, tels que le quatrième SNLE-NG
(sous-marin nucléaire lance-engins - nouvelle génération),
l'ASMP-A (missile air-sol moyenne portée amélioré) et le
programme de simulation. Parallèlement, les enveloppes des domaines
spatial et classique enregistrent des réductions importantes, en partie
seulement liées au niveau élevé des crédits
consacrés à certains programmes en 2001 (Hélios, Syracuse,
Rafale, char Leclerc, MTGT (modernisation des moyens de transport des garnisons
de l'armée de Terre).
En réalité, l'évolution enregistrée en 2002
reflète sans doute une tendance de plus long terme à laquelle il
convient d'être attentif.
Elle correspond en effet à une remontée structurelle du poids
des dépenses nucléaires, dont l'effet d'éviction sur les
autres grands programmes pourrait bien progresser.
Après avoir considérablement diminué depuis les
années soixante-dix, (il était alors proche de 30 milliards
de francs), l'agrégat nucléaire est tombé à un
niveau voisin de 15 milliards de francs en 2001. La forte progression
enregistrée en 2002 (+ 23 % pour les autorisations de
programme ; + 13 % pour les crédits de paiements),
signale vraisemblablement le début d'un retournement de tendance,
lié à la modernisation simultanée des vecteurs, des
missiles et des charges, et à la montée en puissance de la
simulation
12(
*
)
.
Inversement, il faut souligner le relatif « sacrifice »
des crédits liés à l'Espace, tout au long de la loi de
programmation, notamment en exécution
13(
*
)
. Certes liée à une visibilité
difficile sur l'évolution des programmes, en raison des multiples
défaillances de la coopération européenne, ce choix
apparaît coûteux aujourd'hui, notamment en termes d'autonomie.
4. Evolution par catégorie de dépenses
Les
variations observées traduisent principalement :
- un effort en faveur de
moyens d'études et de recherche
,
longtemps sacrifiés ;
- un effort également en faveur du
maintien en condition
opérationnelle
des matériels, dont le niveau était
devenu préoccupant ;
- la diminution des enveloppes qui avaient été
« privilégiées » au cours de l'exercice
2001 : infrastructures (Gendarmerie et Service de santé des
armées), fabrications et munitions.
III. LES GRANDS PROGRAMMES
1. Le nucléaire
En 2002,
le domaine nucléaire fait l'objet d'une sensible augmentation des
crédits qui lui sont consacrés (+ 13 % en
crédits de paiement, + 22 % en autorisations de programme).
Cette évolution traduit principalement la montée en puissance des
grands programmes (sous-marins nucléaires SNLE-NG et missiles ASMP-A)
ainsi que,
en rupture avec la tendance précédente, une reprise
des efforts en faveur du programme de simulation
.
• L'admission au service actif du
troisième
SNLE-NG
interviendra en
2004
. Celle du
quatrième, commandé en
2000, équipé directement du missile M51, reste prévue pour
2008
.
• Le
missile M51
qui doit équiper le 4
ème
SNLE-NG ne sera mis en service qu'en 2010 (contre 2008 prévu
initialement). Une commande d'1,1 milliard d'euros portant sur une tranche
ferme de deux ans de développement a été enfin
passée en décembre 2000, au terme d'une difficile bataille
contractuelle entre EADS et la Délégation générale
à l'armement.
• S'agissant du
missile ASMP-A
, dont la mise en service est
prévue fin 2007 sous Mirage 2000 et en 2008 sous Rafale
, la
notification de la première tranche du contrat de réalisation est
également intervenue en décembre.
• Le
programme de simulation
bénéficie enfin de
moyens supplémentaires, après la diminution importante intervenue
au cours du dernier exercice.
Des ressources supplémentaires seront également consacrées
à la préparation du renouvellement des têtes
nucléaires destinées aux missiles M51 et ASMP-A.
En principe, la poursuite du programme RES du réacteur d'essai à
terre pour la propulsion nucléaire navale, et celle des travaux de
démantèlement des usines de Pierrelatte et Marcoule devraient
être assurées.
2. L'Espace
Après avoir été particulièrement
malmenés au cours de l'exécution 2000, les crédits
affectés à l'Espace avaient enregistré, en loi de finances
initiale 2001, une forte progression tant en crédits de paiement
(+ 17,4 %) qu'en autorisations de programme (+ 52,4 %). Celle-ci
est partiellement remise en cause par l'exécution budgétaire.
Les crédits prévus au budget 2002 marquent une nouvelle baisse,
avec une chute de 28,7 % des autorisations de programme et une progression
des crédits de paiement limitée à 9,1 %.
Cette situation traduit vraisemblablement la persistance de difficultés
en matière de coopération européenne sur les projets
concernés, notamment Hélios II et le programme successeur
Syracuse II
14(
*
)
. De fait, le premier satellite
Helios II ne pourra être lancé qu'en 2004 et le premier satellite
successeur Syracuse II que fin 2013.
3. Les forces classiques
Les crédits affectés aux programmes classiques sont sensiblement réduits : (- 2,3 % en autorisations de programme et - 2,5 % en crédits de paiement).
a) l'armée de Terre
• Blindés
: En 2002, 50
chars
Leclerc
devraient être livrés. Fin 2002, 406 chars Leclerc auront
été commandés, conformément à la cible
fixée par la loi de programmation révisée. Mais seulement
310 auront été effectivement livrés. Etant entendu que les
17 premiers chars livrés sont inaptes à une quelconque
activité militaire,
le « trou » par rapport
à l'objectif s'établira à 113 chars
.
22 simulateurs Leclerc seront livrés en 2002.
Le
véhicule blindé de combat d'infanterie
(VBCI)
destiné à remplacer l'AMX10, dont l'état actuel a atteint
le niveau critique, fait l'objet d'un projet en coopération avec
l'Allemagne et la Grande-Bretagne qui n'est toujours pas conclu, compte tenu de
désaccords importants sur les besoins à couvrir.
Des crédits sont prévus par le projet de budget 2002 pour des
opérations de « rénovation » de
l'AMX 10
(commande de 44 châssis).
• Aéromobilité
Le programme
hélicoptère Tigre
, mené en
coopération avec l'Allemagne dans le cadre de l'OCCAR, est entré
en phase de production depuis fin 1998. Une commande globale de
80 appareils (70 hélicoptères antichar (HAC) et
10 hélicoptères appuiprotection (HAP)), a été
notifiée en 1999. Les premières livraisons sont prévues en
2003 pour la version antichar et en 2011 seulement pour la version
appui-protection.
L'
hélicoptère de transport NH90
fait également
l'objet d'un programme en coopération (Allemagne, PaysBas, Italie).
Aucune commande n'a encore été notifiée s'agissant des
appareils destinés à l'Armée de Terre. Ils ne peuvent
donc être disponibles avant 2011
, ce qui pose un réel
problème compte tenu du vieillissement accéléré des
PUMA, soumis à une utilisation plus intense que prévue.
• Munitions - Transmissions - Communications - Renseignements
En 2002, l'armée de Terre devrait bénéficier d'une
livraison de 410
obus BONUS
, étant entendu qu'une nouvelle
version plus performante est actuellement en cours de développement,
pour une qualification prévue en 2002.
Le programme
radar de contre-batterie COBRA
, mise en coopération
avec l'Allemagne et le Royaume-Uni dans le cadre de l'OCCAR prévoit la
livraison de 3 radars de série en 2002.
Enfin,
1 200 postes de radio
4
ème
génération PR4G
seront
livrés en 2002.
b) La Marine
•
La commande d'un second
porte-avions nucléaire
ne figure
pas, en l'état actuel, dans la prochaine loi de programmation.
• Aéronavale
La première flottille de
Rafale-marine
au standard F1 sera
opérationnelle en 2002 (10 appareils sur les 12 prévus par
la loi de programmation). Mais
l'entrée en service du premier
escadron opérationnel au standard F2 n'est pas prévue avant
2006
. Un seul appareil sera livré en 2002.
La Marine a par ailleurs bénéficié en juin 2000 d'un
contrat de commandes portant sur
27 hélicoptères
NH90
, dont
les premières livraisons sont prévues pour
2005
.
• Flotte de surface
Après le retrait de la Grande-Bretagne en 1999, le programme de
frégates antiaériennes Horizon
se poursuit en
bilatéral avec l'Italie.
L'admission au service actif du premier
bâtiment est prévue en 2006, avec deux ans de retard sur
l'objectif
, celle du second interviendra en 2008.
Le
programme PAAMS
(système d'auto-défense des
frégates Horizon) continue d'être menée en
coopération avec la GrandeBretagne et l'Italie.
Le programme de construction de 17
frégates multimissions
doit passer au stade de la conception d'ici fin 2001.
L'admission au
service actif de la première frégate est prévue pour
2008.
Le programme Barracuda de construction de
sous-marins nucléaires
d'attaque
est encore
actuellement au stade de la conception.
L'admission au service actif du premier sous-marin n'est pas prévue
avant 2012.
Le programme
Nouveaux transports de chalands de débarquement
a fait enfin l'objet d'une notification de commande fin 2000 pour deux
unités.
Les admissions au service actif sont prévus pour 2005
et 2006
.
La Marine bénéficiera enfin en 2002 de la livraison de
50
torpilles MU 90
, de 60
missiles MICA
(missile
d'interception, de combat et d'autodéfense) et de 24
missiles
Aster 30
(sol-air moyenne portée pour le PAN Charles-de-Gaulle.
- Un
chasseur de mines tripartite
(CMT) type Eridan modernisé
sera livré en 2002.
- Le
bâtiment hydrographique et océanographique
commandé en 2001 sera livré en 2003.
- Le quatrième
avion de surveillance maritime
sera livré
en mars 2002.
- Le troisième avion de fret aérien
Hawkeye
sera
livré en 2003.
c) - L'armée de l'Air
• Avions de transport
Après la signature du MOU (
Memorandum of Understanding
) par les
principaux états participants au programme
A-400M
, la signature
de la commande de 50 avions devrait intervenir, en principe, fin 2001.
La moitié des autorisations de programme nécessaires pour honorer
la commande ont été financées par redéploiement
dans le collectif de fin d'année 2000. Le solde (3,6 milliards
d'euros, soit 23,6 milliards de francs) «
devant
être
ouvert en 2001
», selon les documents de
présentation budgétaire, c'est-à-dire dans le collectif de
fin d'année.
Une incertitude importante demeure néanmoins sur la signature attendue
de l'Italie et sur celle de l'Allemagne, compte tenu des réticences
fortes du Bundestag, au moins au sein de sa commission des Finances. Aucune
précision n'a été donnée sur la date de
disponibilité de ces nouveaux appareils, alors que la flotte actuelle
des C160 Transall est usée.
• Missiles
L'armée de l'Air devrait bénéficier d'une livraison de
43
missiles Apache anti-piste
.
Les premiers missiles
SCALP/EG
ne seront disponibles qu'en 2003.
• Transmissions, communications
Six nouvelles bases aériennes seront équipées en 2002 du
Moyens de transmission de bases aériennes
(MTBA), portant
à 26 le nombre de sites modernisés.
L'armée de l'Air poursuivra par ailleurs la réalisation du
Système de commandement et de conduite des opérations
aériennes
(SCCOA).
PRINCIPALES OBSERVATIONS
1. En 2002, le budget de la défense confirme son rôle de variable d'ajustement privilégiée de l'équilibre budgétaire général
L'examen du budget de la Défense pour 2002 s'inscrit
dans
un double contexte : la fin de l'actuelle loi de programmation militaire,
dont il convient de dresser le bilan avant de s'engager dans la prochaine, et
la nécessaire analyse, sinon la prise en compte, des
événements du 11 septembre 2001, s'agissant des
évolutions potentielles de la « nature de la
menace ».
Les principales données du budget 2002 confirment la tendance lourde
relevée tout au long de l'exécution de la loi de programmation
qui s'achève. Le budget de la Défense a constamment
constitué la variable d'ajustement privilégiée de
l'équilibre budgétaire général, et n'a jamais
bénéficié des « dividendes de la
croissance », pourtant considérables sur la durée de la
législature.
De 1996 à 2002, la part du budget de la Défense dans le budget de
l'Etat aura diminué de 12,3 % en 1996 à 10,9 % en 2002.
Parallèlement, la part de l'effort militaire dans le PIB aura
régressé de 2,41 % à 1,89 %.
Avec 29,3 milliards d'euros (y compris les reports autorisés), le
budget de la Défense devient en 2002 le cinquième poste de
dépenses de l'Etat, après l'Education nationale, les Charges
communes -qui comprennent la charge de la dette- les concours de l'Etat aux
collectivités locales et l'Emploi et solidarité.
De façon relativement inusitée, et en tout état de cause
contraire au strict droit budgétaire, le Gouvernement inclut dans la
présentation du budget 2002 des reports de crédits de l'exercice
2001, pour un montant total de 412 millions d'euros (soit
2,7 milliards de francs), ce qui lui permet d'afficher un montant de
crédits « disponibles » sensiblement plus
élevé.
Hors reports, le budget 2002 s'établit à 28,85 milliards
d'euros hors pensions (189,2 milliards de francs), soit une croissance
limitée à 0,2 %, nettement inférieure à celle
de l'inflation prévue (+ 1,6 %), et correspondant à
moins du dixième de ce qui est prévu en moyenne pour les budgets
civils (+ 2,5 %).
Certes, l'exercice 2002 correspond à un effort particulier en direction
de la « condition militaire », puisque le titre III
progresse de 2,3 %. Cette évolution reste toutefois
inférieure de moitié à celle des budgets civils
(+ 5,1 %), et correspond pour moitié à
l'inéluctable prise en compte des mesures Sapin. Si un réel
effort est fait en termes de mesures catégorielles,
généralisées cette fois à l'ensemble des
armées et services, celles-ci ne concernent que les sous-officiers pour
l'essentiel, et ne peuvent constituer qu'un début de réponse,
face à l'ampleur des besoins justifiés qui commencent, à
peine, à s'exprimer.
En revanche, le montant des crédits d'équipement militaire ne
peut être, en aucun cas, considéré comme satisfaisant. Il
correspond à une nouvelle encoche par rapport à l'objectif
fixé par la loi de programmation militaire, même
révisée, dont il s'écarte (hors reports) de près de
5 milliards de francs si l'on tient compte des reports autorisés,
et de plus de 7 si, en toute rigueur budgétaire, on n'en tient pas
compte. Il représente surtout un écart considérable avec
l'annuité en principe retenue pour 2003 par la prochaine loi de
programmation.
Hors dépenses dites de « bourrage », en principe
exclues par la loi de programmation militaire, c'est-à-dire notamment
contribution au BCRD et financement des compensations accordées à
la Polynésie au titre de l'arrêt des essais nucléaires, cet
écart peut être évalué à près de
10 milliards de francs.
Quant au niveau des autorisations de programmes, bien que supérieur de
4 milliards de francs aux crédits de paiement, il ne suffit pas
à maintenir une politique cohérente de commandes globales, et
impose de repousser à nouveau d'un an des commandes importantes, comme
celle du programme de missiles M51.
2. Le sacrifice constant de l'équipement militaire tout au long de la législature handicape la réalisation du « modèle d'armée 2015 »
Au
sein même du budget de la Défense, les dépenses
d'équipement ont elles-mêmes toujours servi de variable
d'ajustement à des dépenses de fonctionnement en constante
progression et désormais prépondérantes (57,1 % du
total du budget).
En particulier, les dépenses de fonctionnement liées à la
participation de la France à des opérations extérieures,
notamment sur le théâtre du Kosovo, pourtant prévues et
récurrentes, ont constamment été financées par un
prélèvement, en cours d'exécution, sur les crédits
d'équipement du titre V : soit, en cinq ans,
l'équivalent du prix du second porte-avions nucléaire.
Au sein du titre III, le poids croissant des dépenses de
rémunérations et charges sociales, également lié
à l'incidence lourde des mesures globales fonction publique, a
exercé par ailleurs un important effet d'éviction sur les
crédits d'activité et de fonctionnement courant, contribuant
à une sensible détérioration des taux d'activité
des forces françaises, tombés en deçà des normes
OTAN, et surtout très en deçà des seuils britanniques.
Au total, l'exécution globale de la loi de programmation risque de se
solder par une année complète de dépenses
d'équipement en moins, et une détérioration des
matériels plus importante que prévue.
De fait, fin 2001, les plus hauts responsables militaires reconnaissent
désormais qu'il y aura, sinon ruptures de capacités d'ores et
déjà avérées, du moins « érosion
des matériels », « dégradation du
modèle d'armée 2015 », et « inquiétude
sur la cohérence des forces ».
En réalité, les retards successifs pris dans les commandes au
cours de l'actuelle programmation font que la plupart des programmes majeurs ne
seront pas livrés avant 2008-2011 ; ainsi, par exemple, le
quatrième SNLE-NG, équipé directement du missile M51, ne
sera admis au service actif qu'en 2008 au plus tôt ; la mise en
service des missiles ASMP-A sous Mirage 2000 et Rafale n'interviendra pas avant
2007-2008 ; le premier satellite successeur de Syracuse II ne sera
lancé qu'en 2013 ; les premiers Tigre version appui-protection de
l'armée de Terre, ainsi que ses premiers hélicoptères NH90
ne seront livrés qu'en 2011 ; le premier escadron
opérationnel de Rafale au standard F2 n'entrera en service qu'en 2006,
la première frégate anti-aérienne Horizon et la
première frégate multimissions qu'en 2008 ; le premier
sous-marin nucléaire d'attaque type Barracuda ne sera admis au service
actif qu'en 2012 ; et les premiers nouveaux transports de chalands de
débarquement qu'en 2006. Quant au futur avion de transport A-400M, son
sort apparaît aujourd'hui particulièrement incertain.
Les armées françaises devront dès lors aborder la
prochaine loi de programmation militaire avec une double
difficulté : une réalisation en termes physiques d'ores et
déjà moins favorable que prévue, et une dotation en
autorisations de programmes, comme en crédits de paiement, qui
présente un écart sensible avec les dotations prévues pour
2003.
3. L'adaptation du secteur public de nos industries d'armement n'a pas été menée à terme
Malgré une dépense budgétaire d'ores et
déjà considérable, la restructuration de DCN et de
GIAT-Industries n'est toujours pas acquise. On peut d'ailleurs alternativement
considérer que c'est la baisse des budgets d'équipement de
défense qui a mis à mal nos anciens arsenaux terrestres et
maritimes, ou que c'est le prélèvement lié aux
restructurations et la dégradation de la qualité du service rendu
qui ont contribué à la détérioration des
équipements militaires. Quoi qu'il en soit, le résultat est tout
à la fois désastreux pour les industries d'armement et pour
l'équipement des forces armées.
Dans les deux cas, la mutation, difficile, notamment parce qu'elle exige
d'abord celle des personnels, ne se fera pas sans une nouvelle et forte
contribution budgétaire. Sur la période 1997-2002, le coût
de restructuration de la DCN aura déjà représenté
3,3 milliards de francs. Depuis sa création en 1990, le groupe
GIAT-Industries aura totalisé 24 milliards de francs de pertes et
l'Etat, actionnaire unique, aura versé 18,5 milliards de francs au
titre de sa recapitalisation (dont 11,7 depuis 1996), au prix d'un
prélèvement important sur le titre V. Une nouvelle
recapitalisation, de l'ordre de 4 milliards de francs, est attendue d'ici
la fin de l'exercice.
4. La dérive française s'inscrit dans le cadre d'une évolution européenne fragilisée
La
politique européenne de défense a certes franchi, il y a deux
ans, une étape décisive au sommet d'Helsinki de décembre
1999, avec l'adoption du principe d'une « force de réaction
rapide » européenne, théoriquement
opérationnelle à horizon 2003.
Un an avant la date envisagée, toutefois, de nombreux points sensibles
et stratégiques, dont l'insuffisance a été
concrètement soulignée sur le terrain du Kosovo, restent encore
à améliorer, en particulier en matière de défense
anti-missile, de forces opérationnelles spéciales, de
renseignement, de communication et de transport stratégique
aérien et naval.
En réalité, les conditions, et même le succès, de la
mise en place d'une défense européenne, paraissent
étroitement dépendants d'un degré minimum de convergence
des choix budgétaires -et donc en réalité politiques- des
Etats membres.
Or, dans ce domaine, l'écart se creuse entre la France et le Royaume-Uni
d'un côté et l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne de l'autre, mais
surtout, et ceci est sans doute plus pernicieux, entre le Royaume-Uni et la
France.
En 2000, le Royaume-Uni consacre encore près de 2,3 % du PIB
à son effort de défense, tandis que la France y consent moins de
1,8 %. Le niveau actuel des dépenses de fonctionnement par soldat
est deux fois et demie plus élevé chez les britanniques, et les
dépenses d'équipement par soldat près de deux fois plus
importantes. A tous ces égards, l'écart entre la France et le
Royaume-Uni est plus élevé que celui, souvent très faible,
entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
De fait, concrètement, la coopération en matière de
programmes d'armement marque le pas. Lors de l'examen du
précédent budget, il convenait de se féliciter du proche
aboutissement du projet de l'avion de transport A-400M. Un an après,
à quelques semaines de la décision finale, de sérieuses
incertitudes menacent la participation de l'Allemagne et de l'Italie.
S'ajoutant à l'échec du programme Syracuse (satellite de
communication) en 1998, puis Horizon (frégate anti-aérienne) en
1999, du fait du retrait britannique, ceci réduirait à bien peu
de choses la liste des succès réels de la coopération
européenne en ce domaine (le seul missile Meteor...).
Enfin et surtout, les événements du 11 septembre 2001 ne sont pas
sans conséquences sur les perspectives de cette Europe de la
défense. L'accélération considérable donnée
au programme de l'avion de combat américain Joint Strike Fighter
pèse sur les perspectives de développement du Rafale et de
l'Eurofighter, rebat considérablement les cartes de l'industrie
européenne, et constitue un exemple qui doit être
médité. Plus profondément, il convient sans aucun doute
d'être attentif au repositionnement politique évident de certains
partenaires européens -le Royaume-Uni, certes, mais aussi l'Italie-
autour des Etats-Unis.
5. Conclusion : un « état des lieux » préoccupant
Au
total, dans un contexte géostratégique profondément
évolutif, la professionnalisation des armées françaises
est acquise, mais elle reste à consolider et à inscrire dans la
durée. La modernisation des équipements a subi successivement
encoches, reports et annulations de crédits, qui aboutissent en fin de
loi de programmation à un « trou » de l'ordre de
80 milliards de francs, et se traduisent par l'érosion des
matériels, la dégradation de la cohérence des forces, et
des perspectives de ruptures capacitaires au cours de la prochaine
législature.
Du seul point de vue budgétaire, il faut être conscient que la
professionnalisation des armées, pour être seulement
consolidée, implique une charge supplémentaire importante sur le
titre III. Que le lancement de commandes importantes en fin de programmation
risque fort de se traduire, au cours de la prochaine législature, par la
nécessité de renforcer considérablement le niveau des
crédits de paiement, sauf à aboutir à une véritable
crise des paiements. Que l'adaptation de notre industrie d'armement n'a pas
été menée à terme et que le coût pour l'Etat,
compte tenu de la nécessaire prise en compte des considérations
liées au maintien de l'emploi et à l'aménagement du
territoire, sera conséquent - sans pour autant d'ailleurs qu'il revienne
nécessairement au budget de la Défense, dont ce n'est pas la
vocation, de le supporter indéfiniment.
Du seul point de vue budgétaire donc, qui est celui de la commission des
Finances, les conditions générales d'exécution de
l'actuelle loi de programmation conduisent à souligner l'ampleur des
charges accumulées, qui conduiront mécaniquement, et en dehors de
tout choix politique de renforcement de notre effort militaire, à une
sensible augmentation des dépenses militaires au cours de la prochaine
législature, sauf à remettre en cause définitivement le
modèle d'armée 2015.
1
Hors reports 2001.
2
Utilisée déjà, il est vrai, lors de la
présentation du projet de budget pour 1998, pour « faire
passer » l'encoche créée par la revue de programmes.
3
Chiffres retenus dans la présentation du document de presse.
4
Accord signé le 11 juillet 2001.
5
Cette hypothèse est cohérente avec les chiffres
avancés par le chef d'Etat-major des Armées et le
Délégué général de l'armement, qui
évaluent à 10,4 milliards d'euros l'insuffisance cumulée
des crédits d'équipement fin 2001.
cf. Audition du Général Jean-Pierre Kelche, chef d'Etat-major des
Armées (Commission de la défense et des forces armées de
l'Assemblée nationale - 2 octobre 2001)
cf. Audition de M. Yves Gleizes, Délégué
général pour l'armement (ibid - 18 octobre 2001)
6
En l'état actuel des informations disponibles, les chiffres
commentés correspondent aux « crédits
disponibles » présentés par le Gouvernement,
c'est-à-dire aux crédits nouveaux 2002 majorés des reports
autorisés 2001.
7
De l'ordre de 1,25illiard de francs.
8
De l'ordre de 1 milliard de francs.
9
Soit, en 2002, 152 millions d'euros (997 millions de francs)
en autorisations de programme et 94 millions d'euros (617 millions de
francs) en crédits de paiement.
10
Soit, en 2002, 191 millions d'euros (1,25 milliard de
francs) en autorisations de programme et en crédits de paiement.
11
Soit, en 2002, 26,6 millions d'euros (175,5 millions de
francs) en autorisations de programme et en crédits de paiement.
12
L'évolution sensible du contexte stratégique depuis
la fin de la guerre froide doit également être pris en
compte : un passage du concept de « pure dissuasion »
à celui de « frappe éventuelle » ne doit pas
être totalement exclu.
13
L'Espace a souvent été une victime de choix pour
les annulations de crédits...
14
Les déclarations d'intention allemande et italienne
restent toujours à confirmer