II. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION
En tant
qu'il reprend le texte adopté en première lecture, votre
commission adressera au dispositif transmis par l'Assemblée nationale
les mêmes critiques que celles déjà formulées.
S'agissant des dispositions nouvelles introduites par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, votre commission ne peut
qu'émettre des doutes sur leur capacité à répondre
aux objectifs qu'elles visent.
A. LE DISPOSITIF EXAMINÉ EN PREMIÈRE LECTURE
Il n'est
pas utile de rappeler à nouveau les raisons d'ordre juridique et
pratique qui ont conduit le Sénat lors de la première lecture
à refuser le principe du monopole.
L'Assemblée nationale elle-même semble avoir pris conscience
des dérives que risquait de générer un système
articulé autour d'un établissement public doté de droits
exclusifs.
Ainsi, à l'article 1
er
bis
, la limitation du
rôle de l'établissement public dans la désignation du
responsable de fouilles comme la faculté ouverte à
l'autorité administrative de s'entourer de l'avis d'organes
scientifiques consultatifs traduisent le souci de l'Assemblée nationale
d'éviter que ne se crée une confusion entre les services de
l'Etat et l'établissement public.
De même, l'adoption de l'article 2
bis
prévoyant la
signature d'une convention entre l'établissement public et les
aménageurs, destinée à fixer les modalités de
réalisation des fouilles, procède du souci louable de mieux
prendre en compte les préoccupations des aménageurs.
Cependant, force est de constater que le rétablissement du monopole
prive de portée ces aménagements.
Les risques de consanguinité entre les services de l'Etat et
l'établissement public ne sont pas écartés. Dans ce
contexte les garanties apportées aux aménageurs sur la pertinence
des prescriptions archéologiques ne semblent pas suffisantes.
De même, les dispositions destinées à prendre en compte les
contraintes des aménageurs, notamment en ce qui concerne la durée
des fouilles, ne sont guère de nature à répondre à
la volonté du Sénat de réduire l' " aléa
archéologique ". En effet, on voit mal l'intérêt de
prévoir un mécanisme conventionnel entre les aménageurs et
l'établissement public dans la mesure où les rapports de force
seront très inégaux, les aménageurs ne disposant plus
comme dans le système actuel du recours à l'arme du financement
pour négocier avec l'établissement qui pourra donc imposer ses
propres conditions, notamment en ce qui concerne les délais de
réalisation des opérations de terrain.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale n'est pas non plus
de nature à apaiser les inquiétudes exprimées par le
Sénat sur l'efficacité économique et scientifique du
système choisi pour la réalisation des opérations de
terrain.
L'établissement public demeure doté de droits exclusifs et libre
de collaborer ou non avec d'autres organismes de recherche. Dans ce cadre, on
peut se demander dans quelles conditions pourra travailler un responsable de
fouilles qui ne serait pas choisi parmi ses personnels.
La diversité des intervenants n'est donc pas garantie.
L'association des services archéologiques des collectivités
territoriales demeure hypothétique. Lors des débats, le
rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Marcel Rogemont, a
précisé que "
ces services sont associés à
l'établissement public et réaliseront des travaux dès lors
qu'ils en seront compétents
". Or, force est de constater que
le texte adopté par l'Assemblée nationale ne définit aucun
critère précis de compétence pour ces services.
Enfin, les inconvénients du maintien du statut d'établissement
public à caractère administratif sont accrus par le renforcement
de l'encadrement réglementaire du statut de ses personnels.
Compte tenu de ces observations, votre commission vous proposera d'en revenir
sur ces points au texte adopté par le Sénat, dispositif qui
permettait :
- de préciser à l'article 1
er
bis
le cadre
juridique dans lequel interviennent les décisions de l'Etat notamment en
établissant une distinction claire entre la prescription des fouilles et
leur réalisation ;
- de supprimer le monopole prévu par l'article 2 afin d'assurer
l'efficacité des fouilles au regard des contraintes des
aménageurs comme des exigences de la recherche scientifique mais
également de permettre le développement des services
archéologiques des collectivités territoriales dont il importe de
préciser les compétences à l'article 1
er
quater ;
- et d'adapter le statut de l'établissement public
créé par l'article 2 à la spécificité de ses
missions.
Votre rapporteur souligne que la suppression du monopole ne revient pas
à ouvrir l'archéologie à la concurrence ni à
laisser les opérations d'archéologie aux mains d'entreprises peu
scrupuleuses. Il ne s'agit en aucun cas de laisser les aménageurs libre
de choisir leur opérateur des fouilles. C'est à l'Etat qu'il
reviendra de désigner le responsable de fouilles. A ce titre, il
veillera à ce que ce dernier présente toutes les
compétences scientifiques pour conduire les opérations
prescrites.
B. LES DISPOSITIONS INTRODUITES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE
•
Les nouvelles modalités de calcul de la redevance introduites
pour l'essentiel sur proposition du gouvernement suscitent des interrogations
sur la cohérence du dispositif proposé
.
On est en droit de se demander si, à force de modifier les règles
de calcul de la redevance, le gouvernement ne s'éloigne pas de
l'objectif de financement qu'il s'est fixé, soit environ
700 millions de francs.
Faute de données statistiques, votre rapporteur se trouve dans
l'impossibilité de s'assurer que le produit de la redevance correspondra
effectivement au coût que représenteront pour
l'établissement public les opérations qu'il devra assurer.
Conjugué au maintien du monopole, ce nouveau dispositif ne peut donc que
renforcer les interrogations soulevées par le Sénat en
première lecture sur l'efficacité du système.
Si la redevance rapporte plus que le coût réel des fouilles,
pèsera sur les aménageurs une charge fiscale nouvelle et indue.
Dans le cas inverse, l'établissement ne disposera pas des moyens lui
permettant de réaliser les fouilles prescrites par l'Etat, ce qui aura
pour effet de retarder les opérations d'aménagement sauf à
recourir à la sous-traitance, solution qui engendrera une charge
financière pour l'établissement, ou à passer des
conventions avec d'autres organismes publics qui, à la différence
du système actuel, ne seront pas rémunérés par les
aménageurs, la redevance n'étant perçue que par
l'établissement, ce qui ne les incitera guère à
coopérer avec ce dernier.
Toutefois, comme en première lecture, votre commission ne remettra pas
en cause le financement par l'impôt, qui répond à une
demande des aménageurs comme des archéologues, de voir
fixé un barème national des opérations
d'archéologie préventive mais également d'assurer une
mutualisation de son coût.
Cependant, la perplexité que soulève les atermoiements du
gouvernement constituent pour votre commission un nouvel argument pour
s'opposer au monopole.
Refuser d'accorder à l'établissement
public des droits exclusifs constitue le seul moyen de se prémunir
contre le risque d'asphyxie du système.
Votre commission vous proposera donc de rétablir le mécanisme
d'exonération prévu par le Sénat dans le cas où les
fouilles sont réalisées par un opérateur autre que
l'établissement.
Au-delà de ces considérations sur l'économie
générale du système et sa cohérence, votre
rapporteur soulignera deux effets pervers des nouvelles modalités de
calcul de la redevance adoptées par l'Assemblée nationale.
En premier lieu, on peut se demander si la diminution du taux de la redevance
pour diagnostics, légitime dans son principe, ne risque pas de susciter
des prescriptions de fouilles justifiées plus par des
considérations financières que scientifiques. En effet, il faudra
bien parvenir à ce que le produit global de la redevance
équilibre le budget de l'établissement. Votre rapporteur a vu
dans ce risque de dérive un motif supplémentaire pour
établir dans le projet de loi une nette séparation entre et les
services de l'Etat et le prescripteur de fouilles.
En second lieu, si la préoccupation du Sénat de mieux tenir
compte dans le calcul de la redevance du coût des fouilles pour les
terrains renfermant des structures complexes a été prise en
considération, la nouvelle formule de calcul applicable aux terrains non
stratifiés ne confère pas à la redevance dans
l'hypothèse de sites particulièrement riches un caractère
réellement dissuasif. Dans ces cas, l'Etat devra donc choisir entre deux
solutions peu satisfaisantes : soit faire supporter à
l'établissement des fouilles dont le coût ne sera pas couvert par
la redevance soit classer le terrain, ce qui se traduira par le gel du projet
d'aménagement et une dépense pour les finances publiques au titre
de l'indemnisation due au titre de la loi de 1913. Afin d'éviter cette
alternative, votre commission vous proposera de rétablir les formules de
calcul adoptées par le Sénat pour les sites non
stratifiés, sous réserve de l'intégration du coût
d'enlèvement des stériles.
•
Les dispositions introduites en deuxième lecture
relatives à la propriété des vestiges
archéologiques visent à remédier aux lacunes des
dispositions de la loi de 1941. Cependant, on est en droit de s'interroger sur
leur pertinence.
En ce qui concerne les objets mobiliers, le dispositif adopté par
l'Assemblée nationale ne constitue qu'un remède temporaire
à l'inadaptation des règles de la loi de 1941 à la nature
des vestiges découverts lors des fouilles.
En effet, à l'issue de la période pendant laquelle l'Etat pourra
disposer du bien pour procéder à son étude scientifique,
s'appliqueront toujours les règles de l'article 716 du code civil. A cet
égard, on peut se demander légitimement si elles seront alors
mieux appliquées qu'aujourd'hui.
Cependant, cette rédaction présente le mérite de ne pas
remettre en cause des règles de dévolution de
propriété bien admises, plus respectueuses dans leur esprit des
droits du propriétaire du fonds dans lequel est découvert le
vestige.
En ce qui concerne les
vestiges immobiliers
, il apparaît que le
nouvel article 5
ter
nouveau du projet de loi pose plus de
problèmes qu'il n'en résout.
L'opportunité d'un tel dispositif n'apparaît, en effet, pas
clairement.
Si, pour le gouvernement, l'exception créée pour les vestiges
immobiliers par le premier alinéa de l'article 18-1 nouveau de la loi de
1941 doit être analysée comme une simple inversion de la charge de
la preuve de la propriété, elle a bien pour effet
d'espérer un transfert de propriété même si c'est
par le truchement d'une inversion des règles de présomption de
propriété applicables à ces vestiges. Aujourd'hui un
propriétaire qui découvre un vestige immobilier sur son terrain
en est supposé propriétaire en application de l'article 552 du
code civil, les possibilités de preuve contraire étant
quasi-nulles, alors qu'une fois la loi promulguée, la
propriété du vestige reviendra à l'Etat sauf si le
propriétaire avance une preuve contraire qu'il ne pourrait en
réalité détenir que s'il avait eu connaissance du vestige.
De plus, il importe de se demander si cette nouvelle règle ne risque pas
de susciter un important contentieux sur la nature immobilière ou
mobilière du vestige mais aussi si l'Etat doit devenir
propriétaire de tous les vestiges immobiliers mis à jour qu'elle
que soit leur valeur historique ou scientifique.
Il semble plus raisonnable de s'en tenir à l'état actuel du droit
par ailleurs plus respectueux des droits des propriétaires :
lorsque le vestige présentera un intérêt particulier,
l'autorité administrative classera ou expropriera le bien comme cela a
été fait dans l'affaire de la grotte Chauvet. Par ailleurs, les
prérogatives que détient l'Etat pour surveiller ou
exécuter les fouilles en vertu du titre II de la loi de 1941 lui
permettront d'en assurer l'étude scientifique.
La disposition accordant aux inventeurs une indemnisation en cas d'exploitation
du vestige soulève également des interrogations.
Si le dispositif proposé, justifié par des préoccupations
d'équité qui peuvent se comprendre, se rapproche, du moins dans
son fondement, de l'article 716 du code civil, son économie en est
très différente : il s'agit non pas de la reconnaissance
d'un droit de propriété mais d'une indemnisation dont les
modalités de calcul ne sont pas exemptes d'ambiguïtés.
Par ailleurs, il convient de souligner que son champ est limité aux
découvertes fortuites, dont la définition peut être
délicate et qui sont dans les faits très peu fréquentes.
Au-delà, sa constitutionnalité ne va pas de soi dans le cas
où l'exploitant se trouve être le propriétaire, le texte
revient en effet, à priver le propriétaire d'une partie des
fruits de son terrain, ce que voulait précisément éviter
le gouvernement en refusant un amendement qui allait dans ce sens lors de la
première lecture à l'Assemblée nationale.
Le nouvel article 18-1 proposé par l'article 5 ter apparaît donc
à bien des égards inabouti.
Certes, l'application des règles actuellement en vigueur n'est pas
exempte de difficultés et en démontre les lacunes, notamment en
ce qui concerne les droits des inventeurs.
Cependant, compte tenu de l'importance comme du nombre des questions
soulevées, votre commission a souhaité que la réflexion
engagée sur cette question puisse être approfondie.
En ce domaine où les cas de découvertes immobilières
majeures sont en réalité très rares, il semblerait
regrettable de légiférer à la hâte. Votre commission
vous proposera donc de supprimer cet article.
*
* *
Sous réserve de ces observations et des modifications qu'elle vous soumet, votre commission des affaires culturelles vous proposera d'adopter en deuxième lecture le présent projet de loi.