Rapport n° 259 (1999-2000) de M. André DULAIT , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 8 mars 2000

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N° 259

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 mars 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant la ratification de la Convention portant statut de la Cour pénale internationale ,

Par M. André DULAIT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2065 , 2141 et T.A. 443 .

Sénat : 229 (1999-2000

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 28 juin dernier, le Parlement réuni en Congrès a modifié la Constitution afin de prendre en compte les adaptations nécessaires, préalables à la ratification, par la France, de la Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale.

Cette phase ultime de la ratification est désormais engagée et la France figurera parmi les premiers Etats ayant signifié leur consentement à la mise en oeuvre de cette institution.

La convention de Rome, signée le 17 juillet 1998, n'entrera en vigueur qu'après que 60 Etats l'auront ratifiée, sachant qu'à ce jour six pays ont procédé à cette ratification.

La Cour pénale internationale se veut l'instrument judiciaire répressif et dissuasif à l'égard de ceux qui entendraient commettre ou commettraient, à l'avenir, les crimes les plus odieux qui heurtent l'humanité, crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes d'agression. L'actualité démontre à quel point l'existence s'impose d'un tribunal pénal permanent, à vocation la plus universelle possible pour que ces crimes ne puissent plus être perpétrés avec, le plus souvent, pour leurs auteurs, l'assurance de l'impunité.

La future institution, qui jugera des individus, devra composer avec les Etats : le statut de la Cour traduit ces compromis entre souveraineté étatique et justice internationale et la dépendance de celle-ci par rapport à celle-là. De même, la Cour pâtira-t-elle sans doute de l'hostilité dont ont témoigné certains Etats lors de la signature de la convention de Rome, parmi lesquels figurent les Etats-Unis et la Chine, deux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

L'an passé, votre rapporteur avait, au nom de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présenté au Sénat un document d'information sur la Cour pénale internationale 1 ( * ) . Le présent rapport en reprendra les principaux axes d'analyse et se limitera donc à une présentation plus succincte du dispositif qui nous est proposé, qui prend cependant en compte les importants sujets qui demeurent en suspens ou font l'objet de débat.

I. LA CONVENTION DE ROME CONFÈRE A LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE DES CAPACITÉS ÉLARGIES A L'ÉGARD DES AUTEURS DES CRIMES LES PLUS GRAVES COMMIS CONTRE LE DROIT HUMANITAIRE INTERNATIONAL

A. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE SERA UNE INSTANCE PERMANENTE

La convention de Rome, en son article premier, crée " une Cour pénale internationale en tant qu'institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale (...) "

Le caractère permanent de la future Cour est l'un des éléments qui la distingue le plus clairement des juridictions pénales internationales, instituées jusqu'à présent et destinées à punir les responsables des crimes commis contre le droit humanitaire international. En effet, les deux tribunaux spéciaux actuellement en exercice -le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie ou le Tribunal spécial pour le Rwanda- ont été créés, par voie de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, dans un cadre politique précis destiné à parachever la solution d'un conflit. Ainsi revêtent-ils un caractère d'autant plus ponctuel, circonstanciel ou " sélectif ", que leur compétence se trouve limitée et dans le temps et dans l'espace.

Quelle que puisse être leur évidente fonction de justice au profit des victimes et du droit humanitaire, ces tribunaux spéciaux, de par cette compétence ainsi doublement limitée qui leur est reconnue, peuvent accréditer l'idée d'une justice de circonstance, mise en place à certains endroits du monde sur décision politique et par hypothèse incompétente à l'égard de crimes analogues commis ailleurs.

La Cour pénale internationale sera préservée de cette critique du fait de son caractère permanent et le plus universel possible. Préexistant à l'éventuelle commission de crimes relevant de sa compétence, elle pourra s'appuyer sur une fonction dissuasive, déconnectée de toute logique d'opportunité politique.

B. SA COMPÉTENCE MATÉRIELLE SERA CONCENTRÉE SUR LES CRIMES LES PLUS GRAVES, DONT L'IMPRESCRIPTIBILITÉ EST CONFIRMÉE

Rappelons tout d'abord que, contrairement aux tribunaux pénaux internationaux qui l'ont précédée, la CPI n'aura compétence qu'à l'égard des crimes commis après son entrée en vigueur.

Les crimes qui relèveront de la compétence de la Cour pénale internationale sont entendus, aux termes de l'article 5, comme " les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale " , à savoir : le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. C'est autour de ce " noyau dur " que la compétence de la Cour a finalement été circonscrite, conformément d'ailleurs aux voeux de notre pays au cours des négociations. Ainsi ont été écartées de la compétence de la Cour des incriminations liées au terrorisme ou au trafic de drogue. Cela étant, ce périmètre de compétence défini à l'article 5 pourra être révisé et donc éventuellement élargi si une conférence de révision, convoquée sept ans après l'entrée en vigueur du statut, en décidait ainsi (article 123).

Si le crime de génocide est assez succintement décrit sur la base de la convention existante de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, les articles 7 et 8, relatifs respectivement aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerres sont précisément définis.

La notion de crimes contre l'humanité recouvre ainsi chacun des 11 actes énumérés à l'article 7 §1 lorsque cet acte " est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ". L'article 7 §2 donne au demeurant une définition détaillée de certains de ces actes : attaque lancée contre une population civile, extermination, réduction en esclavage, grossesse forcée...

S'agissant des crimes de guerre , l'article 8 reprend pour l'essentiel des éléments de définition figurant déjà dans les conventions internationales pertinentes, notamment les conventions de Genève du 12 août 1949 ou les lois et coutumes applicables aux conflits armés. Une distinction formelle est opérée entre les crimes susceptibles d'être commis dans le cadre des conflits armés internationaux (article 8, §2, a) et b)) ou dans des conflits armés ne présentant pas un caractère international (article 8, §2, c) et e)).

La convention précise, pour ce dernier type de conflit, qu'elle n'est pas applicable " aux situations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire ". Le paragraphe 3 de l'article 8 précise enfin, comme limite à la compétence de la Cour à l'égard de tels crimes commis dans le cadre d'un conflit armé non international, que " rien (dans ces dispositions de l'article 8, §2, c) et e)) n'affecte la responsabilité d'un gouvernement de maintenir l'ordre public dans l'Etat ou de défendre l'unité et l'intégrité territoriale de l'Etat par tous les moyens légitimes ".

La France a l'intention de présenter, lors de la ratification, une déclaration interprétative sur la définition des crimes de guerre 2 ( * ) . Les 7 paragraphes de cette déclaration portent sur l'exercice par la France de son droit de légitime défense, sur la définition de certains concepts (" avantage militaire ", " objectif militaire "), et rappellent notamment que, conformément au Statut de Rome, les dispositions de son article 8 ne pourront être interprétées comme interdisant l'usage de l'arme nucléaire. Rappelons que la France s'apprête à adhérer au protocole n° 1, additionnel aux conventions de Genève et que la présente déclaration interprétative reprend l'essentiel des termes de celle qu'elle présentera lors de son adhésion au protocole.

La définition du crime d'agression reste à faire : le paragraphe 2 de l'article 5 renvoie cette démarche à une procédure de révision ultérieure de la convention, soit sept ans après son entrée en vigueur. En effet, il n'existe pas, aujourd'hui, d'instrument international normatif à vocation universelle définissant l'agression. Trois textes, de portée bien différente, étaient à la disposition des négociateurs de Rome :

- le Statut de Nuremberg qui, dans son article 6 (a) définit les crimes contre la paix comme " la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent ".

- la définition de l'agression annexée à la résolution 3314 de l'Assemblée générale des Nations unies en date du 14 décembre 1974. Elle a été adoptée par consensus mais n'a pas de valeur normative. Elle ne donne au demeurant qu'une définition très vague qui relève de l'évidence : " l'agression est l'emploi de la force armée par un Etat 3 ( * ) contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations unies "(...).

- enfin l'article 16 du projet de code des crimes contre l'humanité, adopté par la Commission du Droit international des Nations unies et qui est à l'heure actuelle soumis à l'examen des Etats.

La France fait valoir sur ce point une conception qui tend à préserver les prérogatives du Conseil de sécurité, premier responsable, en vertu de l'article 39 du chapitre VII de la Charte des Nations unies, pour déterminer l'existence d'un acte d'agression. Cette détermination par le Conseil de sécurité serait une condition préalable et nécessaire au renvoi d'une situation devant la Cour. Une fois ce préalable éventuellement acquis, il serait alors de la compétence de la Cour d'apprécier s'il y a eu ou non, dans le cadre de l'acte d'agression reconnu par le Conseil, commission d'un crime d'agression.

La position française tend à éviter que la Cour ne devienne une nouvelle instance, qui serait alors concurrente du Conseil de sécurité, devant laquelle les Etats viendraient porter leurs différends politico-militaires, ce qui nuirait à l'efficacité et à la crédibilité de la CPI.

C. SA COMPÉTENCE SERA COMPLÉMENTAIRE DE CELLE DES TRIBUNAUX NATIONAUX DES ETATS PARTIES

La convention de Rome reconnaît la prééminence des juridictions nationales dans la répression de ces " crimes d'une telle gravité qu'ils menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ". Il y est ainsi rappelé qu' " il est du droit de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ". Dans le même esprit, le préambule du statut souligne encore, comme l'article premier " que la Cour pénale internationale est complémentaire des juridictions nationales ".

Chaque Etat se voit ainsi confier le devoir -et en même temps reconnaître le droit- de juger, par son système judiciaire national les responsables de ces crimes susceptibles de relever de la compétence de la CPI, Celle-ci tient donc un rôle explicitement complémentaire aux juridictions nationales, apparaissant comme un recours dans le cas -et seulement dans le cas- où tel ou tel Etat faillirait -délibérément ou non- à cette obligation de faire justice.

Cette complémentarité est à mettre en regard du principe de primauté reconnue aux deux tribunaux spéciaux qui leur permet de procéder au dessaisissement d'une juridiction nationale à leur profit et auquel celle-ci ne pourrait s'opposer.

Dans le cas de la Cour pénale internationale, la souveraineté judiciaire de chaque Etat partie est donc reconnue, en même temps que son obligation d'agir à l'encontre du ou des auteurs de crimes impliquant sa compétence juridictionnelle. Ce n'est qu'à défaut d'une telle action que pourrait alors intervenir la cour pénale internationale dont le statut prévoit, dans cette hypothèse, les différents cas où elle pourrait être saisie d'une affaire.

Il ressort ainsi de l'article 17 du statut que la Cour ne pourrait être saisie d'une affaire que s'il s'avère qu'un Etat, compétent en l'espèce, n'a pas eu la volonté ou a été dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites. Pour étayer son appréciation sur le manque de volonté de l'Etat, la Cour vérifiera :

- si la procédure engagée par l'Etat concerné l'a été dans le but de " soustraire la personne incriminée à sa responsabilité pénale (...) ",

- si la procédure a subi un retard injustifié qui, (...) est incompatible avec l'intention de traduire en justice la personne intéressée,

- si cette procédure n'a pas été ou n'est pas menée de manière indépendante ou impartiale.

Pour apprécier l'éventuelle incapacité de l'Etat en cause, la Cour examinera si cet Etat n'est pas en mesure, " en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci ", de se saisir de l'accusé ou de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires. De fait, comment attendre de certains pays, devenus le théâtre d'affrontements armés particulièrement violents, sur le territoire desquels seraient commis les crimes les plus graves et dont la structure étatique aurait été ruinée, qu'ils engagent des procès mettant en cause des éléments de telle ou telle faction en conflit ? Dans cette hypothèse, la CPI aurait vocation à se substituer à un système judiciaire national devenu inefficient.

En tout état de cause, en cas de contestation sur la compétence de la Cour, c'est à cette dernière que le statut confie le soin de statuer en dernier ressort.

D. LA COUR PÉNALE ET LES SOUVERAINETÉS NATIONALES

Deux limitations des souverainetés nationales entraînées par le Statut de la Cour pénale internationale ont été mises en avant :

La première découle des règles de compétence de la Cour. Celle-ci peut en effet s'estimer compétente si un crime international a été commis sur le territoire d'un Etat Partie ou s'il l'a été par le ressortissant d'un Etat Partie . Il se peut donc que le ressortissant d'un Etat non partie au Statut ayant commis un crime de guerre sur le territoire d'un Etat partie soit attrait devant la Cour pénale internationale. De sorte qu'un Etat non partie pourrait se trouver ainsi lié par un texte, sans que cet Etat ait pourtant accepté de souscrire au dispositif et donné son consentement à être lié par le Traité. Cette disposition a été déterminante dans le refus des Etats-Unis de voter la Convention de Rome.

La seconde limitation concerne l'exercice de la souveraineté judiciaire interne. En dépit de la priorité reconnue aux juridictions nationales, un Etat n'aura pas toute latitude pour exonérer éventuellement les coupables de crimes relevant de la compétence de la Cour. Il peut donc en résulter, comme le Conseil constitutionnel l'avait relevé dans sa décision du 22 janvier 1999, une forme d'atteinte à certains principes de souveraineté nationale .

En effet, si un Etat partie décidait d'amnistier ou de prescrire certains actes relevant de sa compétence judiciaire, notamment lorsque le pays considéré souhaite engager une démarche de " réconciliation interne ", destinée à mettre fin à une période de dictature ou de troubles civils, cette décision, plaçant alors ses tribunaux dans l'impossibilité légale de juger les auteurs de tels crimes, pourrait entraîner, ipso facto , la compétence de la Cour. Il résulte ainsi de la combinaison des articles 17 et 20 du Statut, relatifs respectivement au principe de complémentarité et au principe " non bis in idem ", aux termes duquel nul ne peut être jugé deux fois pour le même crime, que la Cour dispose d'une faculté d'appréciation de la recevabilité d'une affaire dont elle et saisie et qui aurait fait l'objet d'une décision nationale d'amnistie.

Si celle-ci intervenait avant la condamnation par une juridiction répressive nationale, le principe de complémentarité et donc la compétence de la Cour s'appliquerait si celle-ci estimait que l'amnistie aurait été prononcée " dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ".

Si la loi d'amnistie intervenait après la décision d'une juridiction répressive nationale, la Cour ne pourrait, en se saisissant de l'affaire, faire exception au principe " non bis in idem " de l'article 20 que si la procédure suivie devant la juridiction nationale

- " avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ", ou

- " n'a pas été menée de manière indépendante ou impartiale (...) mais d'une manière qui (...) démentait l'intention de traduire l'intéressé en justice " (article 20, paragraphe 3).

Ce n'est donc que dans ces circonstances fort exceptionnelles et après une interprétation assez large de sa part que la Cour pourrait alors se déclarer compétente et se saisir d'une affaire déjà jugée par une juridiction nationale.

II. LA DÉPENDANCE DE LA COUR PÉNALE À L'ÉGARD DES ETATS

Comme les autres juridictions internationales, la Cour pénale internationale, instituée pour juger des individus, sera cependant très largement dépendante des Etats, à de nombreux égards.

A. DÉPENDANCE POUR SA MISE EN oeUVRE

Comme toute convention internationale, l'entrée en vigueur de la convention de Rome et donc de la CPI sera conditionnée à un nombre minimal de ratifications, en l'occurrence soixante. A ce jour, 94 Etats l'ont signée et 6 seulement l'ont ratifiée.

La lenteur des ratifications n'est pas propre à la convention de Rome, elle affecte nombre d'instruments multilatéraux. Il reste cependant que le processus peut se trouver ralenti par l'importance des Etats qui, pour différentes raisons, ont voté contre le Statut, en particulier les Etats-Unis et la Chine, l'Inde ou même Israël, et dont on ne peut escompter à ce jour un revirement d'attitude. Ces absences pourraient entraîner un éventuel scepticisme parmi certains partisans de la Cour, les incitant à l'expectative et retardant d'autant l'entrée en vigueur de l'institution.

Enfin, de très nombreux pays devront procéder à des amendements constitutionnels -la France a déjà réalisé cette adaptation- ou législatifs afin d'adapter leur droit interne aux dispositions du Statut.

La dépendance de la CPI à l'égard des Etats se trouve également formalisée par la convention de Rome elle-même, à travers, d'une part, la nécessaire coopération des Etats à son action et, d'autre part, le rôle spécifique du Conseil de sécurité.

B. L'INDISPENSABLE COOPÉRATION DES ÉTATS

La Cour pénale internationale aura en effet besoin de la coopération des Etats pour mener à bien enquêtes et poursuites. Pas plus que le TPY ou le TPR, la Cour ne disposera, en propre, de forces de police lui permettant une totale autonomie dans ces fonctions. C'est pourquoi le Statut de la Cour consacre un chapitre (Chapitre IX) à cette nécessaire coopération des Etats à son action en prévoyant, à l'article 86 intitulé " obligation générale de coopérer " que " les Etats Parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence ".

Cette obligation générale nécessitera, en premier lieu, pour les Etats parties, d'adapter leurs textes constitutionnels et leur législation interne afin de pouvoir répondre aux demandes de coopération formulées par la Cour (article 88), et en particulier de prévoir, dans leurs législations pénales, l'incrimination et l'imprescriptibilité des crimes relevant de la compétence de la Cour.

Ainsi la France, qui a déjà modifié la Constitution pour tenir compte de la création de la CPI, devra-t-elle bientôt procéder à l'examen d'une loi d'adaptation unique qui permettra de recouvrir plusieurs sujets :

- les modalités de coopération avec la Cour pénale internationale doivent, en vertu du Statut, être déterminées par la loi interne de chaque Etat Partie. Une législation comparable avait été adoptée pour déterminer les modalités d'application de la coopération entre la France et le TPY, à ceci près que dans ses communications avec la Cour, la France aura recours à la voie diplomatique -à la différence de ce qui se passe avec le TPY, dont les demandes sont adressées directement au ministère de la justice-. De même, la loi devra-t-elle prévoir les modalités de remise à la Cour des inculpés, y compris d'éventuels inculpés de nationalité française.

- des compléments au Code pénal français destinés à ajouter des incriminations qui n'y figurent pas ou à préciser la définition de celles qui existent déjà : ainsi des actes de " grossesse forcée ", de " stérilisation forcée ", ou d'apartheid qui ne sont pas explicitement inscrits dans notre code ;

- des mesures d'exécution sur le territoire français des décisions de la Cour , notamment en ce qui a trait aux réparations en faveur des victimes, à l'exécution des peines d'amende contre une personne condamnée résidant en France, ou l'exécution de mesures conservatoires ou de confiscation.

Enfin, la France pourra être conduite à préciser dans le code pénal, le caractère imprescriptible des crimes de guerre , ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Le Statut précise que les demandes de coopération demandées par la Cour pénale internationale aux Etats peuvent viser l'arrestation et la remise de personnes, ou encore l'autorisation de transit sur leur territoire d'une personne transférée à la Cour. Ces demandes peuvent également être liées aux enquêtes et aux poursuites menées par la Cour et concerner l'identification d'une personne, le rassemblement de preuves ou l'interrogatoire de personnes poursuivies, le transfèrement temporaire d'un détenu pour recueillir son témoignage, etc...

La coopération des Etats en vue de l'arrestation de personnes poursuivies est d'ailleurs d'autant plus indispensable pour le bon déroulement de la justice internationale que la culture de common law, qui inspire largement les règlements de procédure, a exclu du Statut de la CPI la possibilité de jugement " par contumace ", soit en l'absence de l'accusé. Le fait de ne pas arrêter l'accusé aboutit donc de facto à prolonger une impunité inacceptable.

Cette coopération des Etats, requise par le Statut, semble cependant n'être qu'une obligation formelle : aucune véritable sanction n'est prévue pour contrer un refus éventuel opposé par un Etat à une demande de la Cour pénale internationale. L'article 87, § 7, précise ainsi seulement que " si un Etat Partie n'accède pas à une demande de coopération de la Cour (...) et l'empêche ainsi d'exercer les fonctions et les pouvoirs que lui confère le présent Statut, la Cour peut en prendre acte et en référer à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de Sécurité lorsque c'est celui-ci qui l'a saisie ".

Un Etat réticent à coopérer avec la Cour, en dépit de l'obligation qui lui est faite par le Statut, a-t-il beaucoup à craindre d'une " prise d'acte " de ce refus par la Cour et de sa transmission par celle-ci à l'Assemblée des Etats Parties au Traité ? On peut en douter, le Statut ne prévoyant pas de doter l'Assemblée des Parties de pouvoirs particuliers de coercition à l'égard d'un tel Etat.

Il en irait différemment dans l'hypothèse où, le Conseil de Sécurité ayant saisi la Cour, celui-ci serait avisé d'un refus de coopération. Le Conseil pourrait alors -agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte- recourir à des formules plus contraignantes et plus efficaces, à l'instar de ce qui lui est possible de faire dans le cas d'un refus de coopération avec l'un ou l'autre des deux tribunaux spéciaux.

Le Statut de la Cour pénale internationale limite cependant la faculté de refus par un Etat de coopérer avec elle. Un premier tempérament à l'obligation de coopérer inscrit au Statut concerne la prise en compte, par l'Etat sollicité, du risque de divulgation d'informations touchant à sa sécurité nationale.

L'article 72 du Statut de la Cour pénale internationale concerne la protection de renseignements touchant la sécurité nationale des Etats parties. Toute procédure judiciaire peut entraîner en effet, à telle ou telle phase de son déroulement et en particulier dans le cadre de l'instruction, le besoin, pour le juge, d'accéder à des informations couvertes par le secret de la défense nationale. Des témoignages, des preuves, peuvent être sollicités par le juge et celui-ci peut se heurter alors à la protection particulière dont peuvent être l'objet tant les personnes physiques détentrices de l'information, que les éléments d'information ou de preuve eux-mêmes.

Le statut de la Cour pénale internationale établit cette protection de documents sensibles dans plusieurs hypothèses rappelées au premier alinéa de l'article 72. Il en ressort qu'un Etat peut notamment intervenir pour protéger tel ou tel renseignement, retenir telle ou telle information dans le cadre de l'instruction, lors du rassemblement des preuves, ou lorsque la chambre préliminaire ou la chambre de première instance entend procéder à la divulgation de tel ou tel renseignement.

Lorsqu'une opposition est ainsi formulée par un Etat, celui-ci engage avec la Cour une concertation afin de trouver une solution amiable : modification de la demande ou de la forme sous laquelle les documents pourraient être présentés... Si aucune solution amiable ou alternative ne s'avère possible, la Cour pénale internationale peut réagir de deux façons : si le refus par un Etat de communiquer l'information intervient dans le cadre de la coopération obligatoire des Etats, la Cour peut, après avoir tenu des consultations supplémentaires, conclure à un refus de coopération et en saisir l'Assemblée des Etats parties. Si le refus intervient dans d'autres circonstances et si la Cour détient déjà le document, elle peut soit ordonner la divulgation de l'information malgré l'opposition de l'Etat, soit " tirer toute conclusion qu'elle estime appropriée en l'espèce, lorsqu'elle juge l'accusé, quant à l'existence ou à l'inexistence d'un fait ".

Dans le même souci, l'article 68, paragraphe 6, relatif à la protection des témoins, précise qu' " un Etat peut demander que soient prises les mesures nécessaires pour assurer la protection de ses fonctionnaires ou agents et la protection d'informations confidentielles ou sensibles ".

Par ailleurs, l'article 98 du Statut, relatif à la coopération " en relation avec la renonciation à l'immunité et le consentement à la remise " d'une personne recherchée, peut constituer une seconde exception à cette obligation de coopérer. Cet article, en son premier alinéa, précise que : " La Cour ne peut présenter une demande d'assistance qui contraindrait l'Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité des Etats ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un Etat tiers, à moins d'obtenir au préalable la coopération de cet Etat tiers en vue de la levée de l'immunité ".

Cette disposition est à mettre en relation avec l'article 27 du Statut qui précise que " la qualité officielle de Chef d'Etat ou de Gouvernement de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un Etat n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut (...) ".

C. LA CPI ET LE CONSEIL DE SÉCURITÉ

Sa dépendance à l'égard des Etats, la CPI l'expérimentera également à travers le Conseil de sécurité des Nations Unies qui est en quelque sorte l'émanation de la société internationale. Le Conseil de sécurité peut tout à la fois contribuer à élargir les compétences de la Cour, tout comme il peut décider de suspendre une action judiciaire qu'elle aurait engagée.

. Saisie par le Conseil de sécurité, la Cour dispose de compétences élargies : l'article 13 du Statut précise que " La cour peut exercer sa compétence à l'égard des crimes visés à l'article 5 4 ( * ) , (...) b) si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies ". Cette saisine, par le Conseil de sécurité, constitue l'une des trois possibilités de saisine de la Cour, aux côtés de celle reconnue à un Etat partie (article 13a) et au Procureur lui-même (article 13c).

Le Conseil de sécurité ne peut saisir la Cour que dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies, c'est-à-dire " en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ". Cette faculté de saisine de la Cour par le Conseil présente deux caractéristiques contradictoires : sa mise en oeuvre est aléatoire ; en revanche, elle confère à la Cour des compétences assez étendues.

Aléatoire, la procédure de saisine par le Conseil de sécurité l'est, en premier lieu, en ce que toute résolution du Conseil suppose un vote que peut venir entraver le recours, par l'un des cinq membres permanents, à son droit de veto. Si tel ou tel de ces Etats entend " protéger " un pays où se dérouleraient des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, la saisine de celle-ci s'avérerait vite impossible.

En second lieu, la nécessité pour le Conseil de sécurité de se placer dans le cadre du chapitre VII suppose qu'au préalable le Conseil ait constaté " une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression ". Or cette constatation ne va pas de soi, dans les hypothèses de commissions de crimes relevant de la compétence de la Cour, si celles-ci interviennent dans le cas de conflits armés non internationaux ou dans le cadre d'une répression, purement interne, conduite par le gouvernement d'un Etat contre un groupe ou des membres d'un groupe, ethnique ou religieux.

Pourtant, la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité est de nature à conférer à la Cour des compétences que ne permettent pas les deux autres modalités de saisine en lui conférant une meilleure universalité.

En effet, la saisine de la Cour pénale internationale, soit par un Etat partie, soit par le Procureur de la Cour, suppose que soit Partie au Traité (article 12) les deux ou l'un seulement des deux Etats suivants :

- " l'Etat sur le territoire duquel le comportement en cause 5 ( * ) s'est produit ou, si le crime a été commis à bord d'un navire ou d'un aéronef portant pavillon ou l'immatriculation de l'Etat en question " ;

- ou " l'Etat dont la personne accusée de crime est un national ".

Or, il ressort de cet article 12§2 du Statut que ces conditions restrictives ne sont pas requises lorsque c'est le Conseil de sécurité qui est l'auteur de la saisine. Cela signifie donc, a contrario , que le Conseil peut saisir la Cour de crimes survenus sur le territoire d'un Etat non partie ou commis par les ressortissants d'un tel Etat. L'extension des compétences de la Cour en une telle occurrence est considérable, puisqu'elle exclurait tout risque d'impunité du ou des auteurs de crimes selon qu'ils auraient eu pour théâtre de leurs agissements, ou pour nationalité, respectivement celui ou celle d'un Etat qui aurait refusé la juridiction de la Cour pénale internationale.

. le Conseil de sécurité peut par ailleurs suspendre des actions conduites par la Cour pénale internationale. L'article 16 du statut de la Cour octroie au Conseil de sécurité la faculté de demander à la Cour de surseoir aux enquêtes ou aux poursuites qu'elle a engagées ou qu'elle mène " pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle (il) a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies ". L'article précise enfin que " la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions ".

Cette disposition a suscité de nombreuses critiques. Certains ont ainsi déploré qu'un rôle aussi déterminant soit conféré au Conseil de sécurité sur le fonctionnement de la Cour alors même qu'ils souhaitaient précisément " déconnecter " le plus possible la nouvelle juridiction de cette instance politique et interétatique suprême.

Cette disposition s'inscrit cependant dans le cadre plus général des responsabilités particulières reconnues, par les Etats parties à l'ONU, au Conseil de Sécurité en cas de menace contre la paix. C'est dans ce contexte de menace contre la paix (chapitre VII) que le Conseil de sécurité pourrait être conduit à formuler à la Cour pénale internationale une demande de suspension de ses enquêtes ou de ses poursuites. On peut en effet imaginer des situations où la saisine de la Cour pénale internationale, par un Etat, d'agissements commis par un autre Etat risquerait de créer une situation conflictuelle pouvant déboucher sur une guerre. Dans ce cas, d'ailleurs, en l'absence même de la disposition incriminée figurant au Statut, le Conseil de sécurité pourrait fort bien agir pour faire en sorte que la Cour pénale internationale n'engage pas de poursuites, compte tenu des compétences que lui reconnaît le chapitre VII de la Charte.

Par ailleurs, la procédure à suivre au sein du Conseil -l'adoption d'une résolution comportant la demande de sursis à enquêtes ou à poursuites- est plutôt favorable à la Cour. Il suffirait en effet qu'un seul des cinq membres permanents recoure à son droit de veto pour que la demande elle-même, ou son renouvellement, ne soit pas adoptée et que la Cour puisse ainsi poursuivre son travail.

Ainsi, tant la procédure retenue que les compétences générales reconnues par la Charte au Conseil de sécurité concourent à faire de cette disposition l'une des traductions de l'équilibre complexe, que le Statut tend à établir tout au long de son dispositif, entre la primauté reconnue aux Etats et la responsabilité du Conseil de sécurité, d'une part, et la possibilité, d'autre part, pour la Cour de dépasser la logique politique et de souveraineté des Etats qui régit la société internationale.

III. LE FONCTIONNEMENT DE LA COUR

A. LES ORGANES DE LA COUR

La Cour pénale internationale qui siégera à La Haye comprendra quatre organes distincts : la Présidence , les sections de jugement qui seront au nombre de trois : la Section des appels, la Section de première instance et la Section préliminaire : le Bureau du procureur , le Greffe . Elle sera composée de 18 juges, élus pour neuf ans par l'Assemblée des Etats parties et ayant la disponibilité requise pour exercer leurs fonctions à plein temps.

La Présidence

Elle est composée de trois magistrats : le Président, le premier et le Second vice-président. Tous trois sont élus pour trois ans et rééligibles une fois. La présidence ainsi composée est chargée des fonctions que lui confère le statut et de la bonne administration de la Cour, à l'exception du Bureau du procureur. Toutefois, pour toutes les questions d'intérêt commun, la Présidence est invitée à agir de concert avec le procureur et à rechercher son accord.

Les formations de jugement

Trois sections sont prévues :

La Section de première instance et la Section préliminaire sont chacune composées de six juges au moins ; la Section des Appels est composée du Président et de quatre autres juges.

Cette répartition administrative des juges par section sera opérée sur la base des compétences et de l'expérience de chacun des juges, chaque section devant comporter la " proportion voulue " de spécialistes du droit pénal et de la procédure pénale et de spécialistes du droit international. La Section préliminaire et la Section de première instance seront principalement composées de juges ayant l'expérience des procès pénaux.

Au sein de chaque section, des chambres permettront d'exercer les fonctions judiciaires de la Cour. Une chambre d'appel sera composée de tous les juges de la Section des appels (5 magistrats dont le Président) ; trois juges de la Section de première instance exerceront les fonctions de la chambre de première instance. Enfin, les fonctions de la chambre préliminaire seront exercées soit par trois juges, soit par un seul juge de la Section préliminaire, conformément au Règlement de procédure et de preuve. Si la charge de travail de la Cour pénale l'exige, plusieurs chambres de première instance ou chambres préliminaires pourraient être constituées. Enfin, si les juges affectés à la Section des appels y siègeront exclusivement et pendant toute la durée de leurs mandats, il en ira différemment des juges affectés à la Section préliminaire ou à celle de première instance : ils y siégeront au minimum pendant trois ans, sauf si le règlement d'une affaire dont ils ont eu à connaître nécessite le prolongement de leur affectation ; de même les juges de la Section de première instance pourront avoir une affectation provisoire à la Section préliminaire ou inversement.

Le Bureau du procureur

Présenté comme un organe distinct de la Cour et agissant indépendamment, le Bureau du procureur est chargé :

- de recevoir les communications et tout renseignement concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour ;

- de les examiner ;

- de conduire les enquêtes ;

- de soutenir l'accusation devant la Cour.

Le Bureau est dirigé par le procureur, élu au scrutin secret par l'Assemblée des Etats parties à la majorité absolue de ses membres. Il comprend un ou plusieurs procureurs-adjoints élus comme le procureur sur une liste présentée par celui-ci.

Le Greffe

Le Greffe de la Cour dirigé par la greffier assisté d'un greffier-adjoint est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour. Le greffier est élu pour cinq ans par les juges à la majorité absolue et au scrutin secret. Il est rééligible une fois.

Il a notamment la charge de créer, au sein du greffe, une division d'aide aux victimes et aux témoins, destinée notamment à assurer leur protection et leur sécurité.

Le fonctionnement matériel de la Cour

Le financement de la Cour peut provenir de trois sources différentes :

- les contributions des Etats parties, calculées sur la base d'un barème de quotes-parts calqué sur celui de l'ONU ;

- de l'ONU elle-même -sous réserve d'approbation de l'Assemblée Générale des Nations Unies ;

- enfin, elle peut recevoir au titre de financements supplémentaires, " des contributions (...) " des particuliers, des entreprises et " d'autres entités ", selon les critères fixés par l'Assemblée des Etats parties.

Cette dernière modalité de financement est étonnante : qu'une instance internationale publique, au surplus à vocation judiciaire, puisse avoir besoin de recourir à des modes de financement privé n'est pas de nature -quelle que soit l'évidente compétence et intégrité de ses magistrats- à lui conférer l'image d'indépendance qui doit s'attacher à l'institution.

B. LES RÈGLES DE PROCÉDURE

Par-delà les dispositions très précises que contient la convention de Rome en ce qui concerne la procédure judiciaire -contrairement aux textes assez succincts des Tribunaux ad hoc en la matière- deux éléments principaux retiennent principalement l'attention : le rôle étendu confié à la chambre préliminaire et l'importance de la place faite aux victimes tout au long de la procédure judiciaire. Par ailleurs, des dispositions détaillées permettent de prendre en compte le principe du respect des droits de la défense.

. L'institution inédite de la chambre préliminaire

Sur les trois possibilités de saisine de la CPI -un Etat partie, le Conseil de sécurité, le procureur de la Cour lui-même-, cette dernière hypothèse a fait l'objet de longues négociations.

Initialement en effet, notre pays privilégiait les seuls deux premiers cas de saisine et ne s'est rallié à une auto-saisine de la Cour, par le truchement de son Procureur, qu'à la condition qu'elle soit collégiale : c'est le sens de l'institution d'une chambre préliminaire. En vertu de l'article 15 du statut, le Procureur ne pourra ainsi ouvrir une enquête sans l'accord préalable de la chambre préliminaire.

Le rôle de la chambre préliminaire ne se limite pas à cette phase liminaire de la procédure mais se poursuit dans la phase préalable au procès. C'est ainsi à la chambre préliminaire -sollicitée par le Procureur- qu'il revient notamment de délivrer un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître contre une personne ; de même, les juges qui la composent tiennent-ils un rôle important dans le recueil des preuves et dans la conduite des investigations, équilibrant ainsi le rôle du Procureur. La chambre préliminaire décide, à la demande du Procureur, des mesures privatives ou limitatives de liberté ; après l'audience permettant d'examiner contradictoirement les charges réunies par le Procureur, c'est la chambre préliminaire qui décidera ou non du renvoi de la personne devant la formation de jugement, si les éléments à charge lui paraissent " sérieux ".

. Une place spécifique faite aux victimes

La France a activement plaidé, au cours des négociations, pour que les victimes se voient reconnaître un rôle particulier dans la procédure, tirant notamment en cela les leçons du fonctionnement des tribunaux spéciaux où les victimes n'ont pas de statut différent des autres témoins et sont souvent soumises à des interrogatoires et contre-interrogatoires parcellaires.

Cette spécificité reconnue aux victimes s'articule en trois points :

. elles bénéficient d'un droit de participation à la procédure : l'article 15 ouvre au procureur le droit de saisir la Cour au vu de renseignements reçus concernant des crimes relevant de sa compétence. L'article cite à cet égard explicitement, comme source de renseignements, non seulement les Etats ou l'ONU, mais également les Organisations non gouvernementales qui, par essence proches du terrain, peuvent aider les victimes à préparer une action judiciaire.

. L'article 68 du statut organise par ailleurs la protection et la participation des victimes et des témoins au procès afin d'assurer leur " sécurité, leur bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de leur vie privée " , pouvant aller, par dérogation à la règle de publicité des débats, jusqu'à décider du huis clos pour recueillir certaines dépositions. Une Division d'aide aux victimes et aux témoins , instituée par l'article 43, alinéa 6, conseille le procureur et la Cour sur les mesures de protection, les dispositions de sécurité et les activités de conseil et d'aide apportées aux victimes et aux témoins.

De même le procureur est invité, dans le cadre des enquêtes et des poursuites qu'il conduit, à prendre en compte les " intérêts et la situation personnelle des victimes et des témoins, y compris leur âge, leur sexe (...) et leur état de santé ". Il lui revient également de porter une attention spécifique à la nature du crime, en particulier quand il comporte " des violences sexuelles, des violences à caractère sexiste ou des violences contre des enfants ".

. Enfin, l'article 75 du statut établit un droit de réparation en faveur des victimes ou de leurs ayants droit prenant la forme d'une restitution, d'une indemnisation ou d'une réhabilitation, que la personne condamnée peut se voir contrainte d'acquitter.

Un fonds spécifique peut être créé par les Etats parties, alimenté par le produit des amendes ou des confiscations, pour concourir au versement de l'indemnité versée aux victimes au titre des réparations.

. Des procédures respectueuses des droits de la défense

La règle de la présence de l'accusé à son procès a été retenue, bien que la France ait plaidé pour le principe de la contumace afin que l'impossibilité de procéder à l'arrestation de l'accusé n'entraîne pas de facto son impunité. L'audience est publique, le huis clos pouvant cependant être décidé dans certaines circonstances. Le statut énumère par ailleurs, à son article 67, les droits dont bénéficiera l'accusé : être informé rapidement des charges qui sont portées contre lui, pouvoir disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense, être jugé " sans retard excessif ", bénéficier du défenseur de son choix ou, à défaut, d'un défenseur commis d'office par la Cour et sans frais, pouvoir interroger ou faire interroger témoins à charge et à décharge, ne pas être contraint de témoigner contre lui-même et garder le silence, sans que cette attitude pèse d'une quelconque façon sur la détermination de sa culpabilité ou de son innocence.

Les juges de la Chambre de première instance " s'efforcent de prendre leur décision à l'unanimité, faute de quoi, ils la prennent à la majorité " ; leurs délibérations sont et demeurent secrètes. La décision est présentée par écrit et construit l'exposé complet et motivé des constatations de la Chambre sur les preuves et les conclusions.

La Cour peut prononcer, contre une personne déclarée coupable d'un des crimes relevant de sa compétence, une peine de prison de 30 ans ou " si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient ", une peine d'emprisonnement à perpétuité.

Le procureur et le condamné peuvent interjeter appel d'une décision sur la culpabilité, la peine prononcée ou d'autres décisions prises par des instances de la Cour (compétence, refus de mise en liberté, décision affectant le déroulement équitable du procès...). Sauf décision contraire de la Chambre de première instance, la personne reconnue coupable reste détenue pendant la procédure d'appel. De même, les décisions sur la culpabilité peuvent faire l'objet d'une requête en révision de la part du coupable ou de ses ayants droit.

Les peines d'emprisonnement sont accomplies dans un Etat désigné par la Cour parmi ceux qui lui ont soumis leur accord à recevoir des condamnés. Si aucun Etat ne se propose, le condamné purgerait sa peine aux Pays-Bas, Etat-hôte de la Cour. Celle-ci contrôle l'exécution de la peine d'emprisonnement. L'Etat chargé de l'exécution ne peut libérer le détenu avant la fin de sa peine. Toute réduction de peine ne peut être décidée que par la Cour.

Ce n'est que lorsque la personne détenue a purgé les deux tiers de sa peine ou, dans le cas d'une condamnation à perpétuité, a accompli 25 ans d'emprisonnement que la Cour peut réexaminer la peine pour déterminer s'il y a lieu de la réduire. A cette fin elle prend notamment en compte le comportement coopératif du condamné avec la Cour dans ses activités d'enquête, de poursuite ou d'indemnisation des victimes.

IV. DES QUESTIONS IMPORTANTES EN SUSPENS OU EN DÉBAT

Conformément à la résolution F, § 5 de l'Acte final signé à Rome, une commission préparatoire pour la Cour pénale a été mise en place en 1999, destinée à parachever et préciser certaines dispositions du statut. Conçue comme un organe subsidiaire de l'Assemblée générale des Nations unies et donc ouverte à tous les Etats, même non-signataires, cette commission qui continue à travailler en ce premier semestre 2000 doit traiter notamment deux sujets importants : l'élaboration d'un Règlement de procédure et preuve et un texte sur les " éléments constitutifs des crimes ". Il lui revient par ailleurs d'élaborer le Règlement financier de la Cour, un accord avec les Nations unies, un accord de siège avec les Pays-Bas ou celui-ci serait fixé, un accord sur les privilèges et immunités, un projet de règlement intérieur de l'Assemblée des Etats parties, enfin une définition du crime d'agression.

A. RÈGLEMENT DE PROCÉDURE ET DE PREUVE

Le statut de Rome est le fruit complexe et fragile d'un mariage entre deux traditions juridiques : celle du droit civil romain et celle du " common law ". Même si le statut définit assez précisément les principes généraux du droit pénal, les grandes lignes de la procédure et les infractions, un texte complémentaire d'application est nécessaire pour faciliter le travail quotidien des personnels de la Cour.

C'est dans ce contexte que la Commission préparatoire élabore un règlement de procédure et de preuve, conçu comme un " guide pratique ", harmonisant et clarifiant des dispositions du Statut.

Or, dans le cadre de ces négociations sur cet élément essentiel pour le fonctionnement de la Cour, le risque existe de voir certaines délégations tentées de réécrire certaines dispositions du Statut pour les rendre plus conformes à leurs vues ou à leurs traditions juridiques. Parmi les dispositions les plus débattues figurent notamment certaines de celles qui furent intégrées à l'initiative de la France comme la participation des victimes à la procédure et le principe de leur droit à réparation ou à protection. Des pays de common law souhaiteraient pouvoir réduire les acquis de Rome sur ces points pourtant essentiels.

De même est est-il de la place de la chambre préliminaire pendant la période d'instruction, qui heurte certains pays de " common law " qui préféreraient laisser une marge d'action plus grande au Procureur.

B. LES " ÉLÉMENTS DES CRIMES "

L'article 9 du Statut prévoit que " les éléments des crimes aident la Cour à interpréter les articles 6 (crime de génocide), 7 (crimes contre l'humanité) et 8 " (crimes de guerre). Sur cette base, la Commission préparatoire est chargée d'élaborer un document définissant des " éléments des crimes " qui soient une indication pour les juges, qui permettent de préciser certains éléments de définition, d'ajouter des points de nature jurisprudentielle ou des commentaires destinés à guider les juges et non à les lier.

Or la négociation sur ce point tend parfois à dériver vers un autre exercice où certaines dispositions, délibérément écartées du Statut se verraient réintroduites à la faveur de ces " éléments des crimes ". Ainsi dans le cadre des principes généraux du droit, l'intentionnalité de l'acte est requise pour aboutir à la qualification de crime, écartant ainsi toute incrimination liée à une " omission " Or, certaines délégations souhaiteraient que ce concept d'omission soit réintroduit dans les éléments constitutifs, en contradiction avec les dispositions du Statut.

De même convient-il de préciser certains éléments de définition. Ainsi du " recours à la force " : recouvre-t-il, comme la conception française le veut, les critères de force, de violence, de contrainte, de menace, ou ne se limite-t-il, conformément au droit anglo-saxon, qu'à la seule notion de contrainte physique, sachant que par exemple les violences sexuelles ne sont pas nécessairement commises sous la seule contrainte physique stricto sensu mais peuvent être perpétrées par de simples menaces, chantage ou intimidation ?

On le voit, l'enjeu de ces discussions est essentiel et de leur résultat dépendra en grande partie l'efficacité de la Cour.

C. LA QUESTION DES CRIMES DE GUERRE ET L'ARTICLE 124 DU STATUT

Les crimes de guerre figurent, à l'article 5 du Statut, avec le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et le crime d'agression, parmi les actes qui relèveront de la compétence de la Cour pénale internationale.

L'article 8 en propose une définition particulièrement détaillée, structurée en quatre grandes catégories :

Les deux premières catégories couvrent les conflits armés internationaux et sont en grande partie fondés sur les principes établis par le droit international, qu'il s'agisse des quatre conventions de Genève du 12 août 1949 ou de la convention de La Haye limitant les méthodes à utiliser dans la conduite d'un conflit.

Les deux autres catégories de crimes de guerre concernent les conflits armés non internationaux " à l'exclusion des situations de tensions internes et de troubles intérieurs comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues ". Les crimes de guerre retenus dans ce cadre relèvent des violations graves de l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève (visant à protéger les personnes ne participant pas directement aux hostilités) et des violations du Protocole n° 2 aux conventions de Genève de 1949 qui protège les victimes des conflits non internationaux.

Le premier paragraphe de l'article 8 du Statut précise par ailleurs que la Cour a compétence à l'égard des crimes de guerre, " en particulier lorsque ces crimes s'inscrivent dans un plan ou dans une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle ".

Cette dernière disposition, présentée par les Etats-Unis et soutenue par la France, permet de ne retenir des crimes de guerre entrant dans la compétence de la Cour essentiellement ceux qui -à l'instar du génocide ou des crimes contre l'humanité- sont commis massivement selon un plan préétabli.

Toutefois, les termes " en particulier " entraînent, qu' a contrario , la Cour peut avoir compétence à l'égard de tels crimes qui ne s'inscrivent pas dans un plan ou une politique ou lorsqu'ils ne font pas partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle. Ainsi tout acte isolé de cette nature pourrait faire l'objet d'une plainte. Cette distinction entre le crime de guerre et les deux autres catégories de crimes n'est pas sans conséquence, notamment quant au nombre et à la nature des plaintes qui pourraient aboutir à la Cour. Il y avait là, pour la France, un risque particulier de détournement de la Cour à des fins autres que judiciaires qu'elle a voulu écarter en insérant une disposition particulière, figurant à l'article 124 du Statut.

Pour le ministère des Affaires étrangères, en effet " les pays fortement engagés sur des théâtres extérieurs, notamment dans le cadre d'opérations humanitaires ou de maintien de la paix, dont la France, souhaitaient éviter que les dispositions relatives aux crimes de guerre puissent aisément faire l'objet de plaintes abusives, sans fondement, teintées d'arrière- pensées politiques et dont le seul objet serait d'embarrasser publiquement pendant quelques mois le pays concerné voire le Conseil de sécurité lui-même. "

L'article 124 du Statut permet donc à un Etat partie de récuser, pour une période de 7 années, par une déclaration spécifique, la compétence de la Cour pénale internationale pour des crimes de guerre commis sur son territoire ou par ses ressortissants . Cette disposition sera réexaminée, avec d'autres, lors d'une conférence de révision, qui sera convoquée 7 ans après l'entrée en vigueur du Statut.

Cette disposition -et le fait que la France a officiellement indiqué qu'elle y aurait recours-, suscite de nombreuses critiques. Peut-être convient-il de préciser le contenu de ces dernières et les raisons qui ont guidé la démarche française.

Les critiques qui visent cet article 124 se fondent sur plusieurs arguments :

- En prévoyant la priorité aux juridictions nationales pour juger les auteurs des crimes de guerre, le Statut évite que la Cour pénale internationale enquête et instruise d'emblée un dossier qui s'avérerait in fine dépourvu de contenu. La France ne chercherait évidemment pas, estiment-ils, à soustraire à sa propre justice un soldat convaincu d'avoir commis un tel acte ; de ce fait, concluent-ils, la préoccupation française n'est pas justifiée.

- Quand bien même une telle affaire aboutirait devant la Cour pénale internationale, la chambre préliminaire , instituée à la demande de la France et chargée d'examiner le bien-fondé des charges avant d'autoriser le procureur à initier des poursuites constitue un garde-fou crédible contre toute dérive.

- De même, estiment-ils, la France, en se prévalant d'une telle disposition -assimilable à une " réserve " que le Statut par ailleurs exclut explicitement de son dispositif-, apparaît soucieuse de couvrir des crimes graves qui pourraient être commis par des forces et ternit ainsi son image dans le monde .

- Au surplus, la France risquerait bien, font-ils également valoir, d'être rejointe, autour de cet article 124, par des Etats dont les intentions en la matière ne seraient pas aussi transparentes que celles que nous mettons en avant et dont les forces militaires seraient loin d'avoir des comportements exemplaires : l'actualité en Tchétchénie en témoigne.

Le gouvernement français ne conteste pas que les dispositions protectrices du Statut sont de nature à éviter les dérives " politiques " que pourraient receler certaines plaintes. On peut rappeler également à cet égard que l'article 28 relatif à la responsabilité des chefs militaires ne retient leur responsabilité en cas de crimes de guerre commis par leurs subordonnés que s'ils connaissaient leur comportement et avaient sur eux un contrôle effectif . Ainsi ont été écartées les notions de responsabilité pénale pour omission, négligence coupable ou non assistance à personne en danger, qui dans certaines circonstances -forces de maintien de la paix non habilitées à recourir à la force sauf en cas de légitime défense- auraient rendu impossible, illégale et périlleuse la mission dont elles sont chargées.

Les autorités françaises font valoir qu'une plainte abusivement déposée contre un ou des militaires participant à des opérations de maintien de la paix pourrait, en dépit de l'inexistence de charges, faire l'objet d'une vaste exploitation médiatique qui aurait des incidences dommageables graves sur le déroulement de la mission elle-même . Comme le rappelait M. Hubert Védrine 6 ( * ) : " N'oublions pas (...) les polémiques qui ont mis en cause, ces dernières années, de façon souvent contestable et sans tenir compte du contexte, les nombreuses opérations de maintien de la paix, en particulier des Nations Unies. Or ces opérations sont indispensables et de plus en plus difficiles. De moins en moins de pays veulent en assumer les risques. Il ne faut pas aggraver cette tendance. "

La France a donc estimé que pour cette catégorie de crimes de guerre -couvrant la possibilité d'actes isolés et donc ouvrant de très nombreuses potentialités de plaintes-, il convenait qu'une période d'observation de sept ans soit mise à profit pour apprécier justement le fonctionnement des garanties protectrices mises en place. Pendant cette période, la France pourra intervenir, notamment lors de l'Assemblée annuelle des Etats parties, pour mettre en lumière tel ou tel dysfonctionnement.

Aux yeux de votre Rapporteur, tout doit en effet être mis en oeuvre pour éviter que la Cour ne soit " instrumentalisée ", par le truchement de plaintes multiples -et en fait infondées-, contre des forces de maintien de la paix, par ceux-là même qui entendraient saper leur mission et en provoquer l'échec.

Il reste que notre pays, initiateur de cette disposition, risque bien -à ce jour au moins- d'être le seul à y recourir, ce qui pourrait la conduire à un isolement diplomatique d'autant plus regrettable que notre pays est par ailleurs à la pointe du combat en faveur d'une CPI dotée de compétences réelles et efficaces. N'aurait-il pas été possible, sur ce point précis, de nous approcher de puissances comme la Grande-Bretagne qui, comme nous, ont des engagements militaires importants à l'extérieur et que le souci d'éviter des plaintes abusives anime à coup sûr également ?

Peut-être eut-il également été préférable de retenir dans le Statut une disposition permettant à un Etat partie d'attendre un éventuel dysfonctionnement pour réagir à l'égard de la Cour, plutôt que de préjuger de l'éventuelle inefficience des garanties qu'elle propose.

Votre rapporteur reconnaît la validité des préoccupations gouvernementales et la protection des militaires investis de missions, aussi difficiles et périlleuses que celles du maintien ou du rétablissement de la paix. Il ne méconnaît pas non plus, toutefois, le risque qui, en terme d'image, peut peser sur ces mêmes soldats déployés dans le cadre de formations multinationales au sein desquelles ils seraient les seuls à bénéficier d'une protection juridique spécifique qui, bien que fondée sur des motifs parfaitement légitimes, pourrait toujours être mal comprise et, finalement, se retourner contre eux.

Votre rapporteur prend donc en considération, sur le plan diplomatique, la position prise par le ministre des affaires étrangères lors du débat à l'Assemblée nationale, aux termes de laquelle notre pays pourrait renoncer à cette disposition de l'article 124 avant les sept années initialement prévues.

CONCLUSION

L'institution d'une Cour pénale internationale répond à un réel besoin de justice, à l'objectif tant dissuasif que répressif, à l'encontre des auteurs de crimes particulièrement odieux. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, les tribunaux pénaux internationaux sur la Yougoslavie et le Rwanda ont été des premiers jalons essentiels. La CPI, par sa vocation universelle et son caractère permanent, par les garanties de procédure qu'elle propose, par l'équilibre qu'elle maintient entre, d'une part, des compétences judiciaires élargies reconnues à la Cour et, d'autre part, le rôle des Etats et du Conseil de sécurité des Nations unies, semble constituer un instrument cohérent et nécessaire. C'est pourquoi votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées invite notre Haute Assemblée à adopter le projet de loi qui lui est soumis.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent projet de loi lors de sa séance du mercredi 8 mars 2000.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est instauré entre les commissaires.

M. Paul Masson s'est interrogé sur les raisons qui avaient motivé le refus de la convention de Rome par les Etats-Unis et la Chine. Il s'est interrogé sur la crédibilité d'une institution à laquelle ne participeraient pas des pays aussi importants.

M. André Dulait, rapporteur, a indiqué que les Etats-Unis étaient hostiles à l'idée qu'un de leurs ressortissants puisse être jugé par une telle instance internationale, dans la mesure où les conditions de saisine de la Cour permettent à celle-ci de poursuivre le ressortissant d'un Etat non partie au statut. La question du Tibet avait sans doute, par ailleurs, joué un rôle important dans le refus opposé par la Chine qui, dans les négociations, avait souhaité exclure les conflits armés internes de la compétence de la Cour. Il était difficile, a par ailleurs précisé le rapporteur, de fixer un délai précis quant à la mise en oeuvre de la CPI.

M. Michel Pelchat a considéré que le recours à l'article 124 du statut était une très mauvaise manière faite à l'armée française, estimant que cela laissait entendre que nos forces pourraient être à l'origine de crimes de guerre, alors qu'elles avaient toujours démontré un comportement exemplaire. Il ne saurait donc, a-t-il souligné, accepter le principe de cette exception ouverte par l'article 124. Il a fait enfin observer que cette disposition n'empêcherait pas, de toute façon, les actions médiatiques contre nos forces, voire risquerait de les renforcer.

M. Xavier de Villepin, président, a indiqué qu'avec M. André Dulait, rapporteur, il avait reçu des représentants d'organisations non gouvernementales sur ce sujet et entendu leurs différents arguments. Il a souligné que notre armée était préoccupée par le type de risques que l'article 124 avait pour objectif de réduire. La période de transition qu'il permettait, même écourtée, pouvait donc être souhaitable. A titre personnel, il s'est déclaré disposé à prendre en compte le souci des autorités françaises sur ce point.

M. André Dulait, rapporteur, a reconnu la difficulté qui se ferait jour si, après soixante ratifications, la France se retrouvait seule à avoir recours à l'article 124.

M. Christian de La Malène a indiqué qu'il ne voterait pas le projet de loi, l'expérience des juridictions internationales ne lui apparaissant guère convaincante. Toute institution de ce type était fragilisée par l'absence de base juridique commune permettant un régime pénal cohérent. Quant aux rapports du Conseil de sécurité avec la Cour, ils seraient largement neutralisés par l'hostilité de deux de ses cinq membres permanents. Il s'est enfin interrogé sur la capacité de la future CPI à apporter une solution aux tragédies qui affectaient le continent africain.

M. Xavier de Villepin, président, a alors fait observer que si les grands pays s'exemptaient de toute discipline juridique, l'évolution du monde deviendrait vite préoccupante. La défense du droit international était sans doute un moyen essentiel à la protection des Etats faibles.

M. André Dulait, rapporteur, a fait observer que les Etats-Unis n'étaient pas totalement exclus du jeu, dans la mesure où ils participaient aux travaux de la commission préparatoire. Par ailleurs, si le statut de la CPI n'est pas parfait, il constitue néanmoins une tentative positive pour construire un cadre juridique cohérent contre les crimes les plus graves portant atteinte au droit humanitaire international.

M. Xavier de Villepin, président, a relevé avec inquiétude que les Etats-Unis, puissance prééminente dans le monde, avaient refusé, outre la CPI, la convention d'Ottawa interdisant les mines anti-personnel et le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Ce comportement était particulièrement inquiétant. En revanche, la France avait, sur la question de la CPI, une position raisonnable et constructive, partagée par le Président de la République et le Gouvernement.

Puis, suivant l'avis de son rapporteur, la commission a approuvé le projet de loi.

ANNEXE 1 -
DÉCLARATION INTERPRÉTATIVE DE LA FRANCE

(1) Les dispositions du Statut de la Cour pénale internationale ne font pas obstacle à l'exercice par la France de son droit naturel de légitime défense, et ce conformément à l'article 51 de la Charte.

(2) Les dispositions de l'article 8 du Statut, en particulier celles du paragraphe 2b), concernent exclusivement les armements classiques e ne sauraient ni réglementer ni interdire l'emploi éventuel de l'arme nucléaire ni porter préjudice aux autres règles du droit international applicables à d'autres armes, nécessaires à l'exercice par la France de son droit naturel de légitime défense, à moins que l'arme nucléaire ou ces autres armes ne fassent l'objet dans l'avenir d'une interdiction générale et ne soient inscrites dans une annexe au Statut, par voie d'amendement adopté selon les dispositions des articles 121 et 123.

(3) Le Gouvernement de la République française considère que l'expression " conflit armé " dans l'article 8, paragraphes 2 b) ,et 2 c), d'elle-même et dans son contexte, indique une situation d'un genre qui ne comprend pas la commission de crimes ordinaires, y compris les actes de terrorisme, qu'ils soient collectifs ou isolés.

(4) La situation à laquelle les dispositions de l'article 8, paragraphe 2 b) (xxiii) du Statut font référence ne fait pas obstacle au lancement par la France d'attaques contre des objectifs considérés comme des objectifs militaires en vertu du droit international humanitaire.

-5) Le Gouvernement de la République française déclare que l'expression " avantage militaire " à l'article 8 paragraphe 2 b) (iv) désigne l'avantage attendu de l'ensemble de l'attaque et non de parties isolées ou particulières de l'attaque.

(6) Le Gouvernement de la République française déclare qu'une zone spécifique peut être considérée comme un " objectif militaire ", tel qu'évoqué dans l'ensemble du paragraphe 2 b) de l'article 8, si, à cause de sa nature, de son utilisation ou de son emplacement, sa destruction totale ou partielle, sa capture ou sa neutralisation, compte tenu des circonstances du moment, offre un avantage militaire décisif.

Le Gouvernement de la République française considère que les dispositions de l'article 8 paragraphe 2 b) (ii) et (v) ne visent pas les éventuels dommages collatéraux résultant des attaques dirigées contre des objectifs militaires.

(7) Le Gouvernement de la République française considère que le risque de dommages à l'environnement naturel résultant de l'utilisation des méthodes et moyens de guerre, tel qu'il découle des dispositions de l'article 8 paragraphe 2 b) (iv), doit être analysé objectivement sur la base de l'information disponible au moment où il est apprécié.

ANNEXE 2 -
LISTE DES ETATS SIGNATAIRES DE LA CONVENTION
DE ROME ET LISTE DES ETATS AYANT RATIFIE

à la date du 21 janvier 2000 :

94 signataires, 7 pays ayant ratifié (souligné)

Afrique du Sud

Albanie

Allemagne

Andorre

Angola

Antigua et Barbuda

Argentine

Autriche

Australie

Belgique

Bolivie

Brésil

Bulgarie

Burkina Faso

Burundi

Cameroun

Canada

Chili

Colombie

Congo

Costa Rica

Côte d'Ivoire

Croatie

Chypre

Danemark

Djibouti

Equateur

Erythrée

Espagne

Finlande

France

Gabon

Gambie

Géorgie

Ghana

Grèce

Haïti

Honduras

Hongrie

Ile Maurice

Iles Solomon

Islande

Irlande

Italie

Jordanie

Kirghistan

Lesotho

Liberia

Liechtenstein

Lithuanie

Luxembourg

Macédoine

Madagascar

Malawi

Mali

Malte

Monaco

Namibie

Niger

Norvège

Nouvelle-Zélande

Ouganda

Panama

Paraguay

Pays-Bas

Portugal

Royaume Uni

Samoa

San Marin

Sénégal

Sierra Leone

Slovaquie

Slovénie

Suède

Suisse

Tadjikistan

Trinité et Tobago

Vénézuela

Zambie

Zimbabwe

* 1 Rapport d'information n° 313 (1998-1999). " La Cour pénale internationale, quel nouvel équilibre entre souveraineté, sécurité et justice pénale internationale ? "

* 2 Voir annexe n° 1 au présent rapport.

* 3 Incluant la notion de " groupe d'Etats ".

* 4 Crime de génocide, crime de guerre, crime contre l'humanité, crime d'agression.

* 5 La commission de crimes relevant de la compétence de la Cour.

* 6 Le Monde, 21 juillet 1998.

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