CHAPITRE II :
LES PERSPECTIVES DU SYSTÈME DE
FINANCEMENT
DES COLLECTIVITÉS LOCALES
I. L'ASPHYXIE FINANCIÈRE DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Les collectivités locales subissent actuellement un effet de ciseau entre l'évolution de leurs charges et celle de leurs dépenses.
A. L'EVOLUTION DES CHARGES
1. Les collectivités locales sont confrontées à des augmentations de charges ...
Les
collectivités locales supportent de plus en plus de charges
résultant de décisions de l'Etat qui ne s'accompagnent pas de
transferts de ressources
. Le plus pénalisant pour les budgets locaux
est l'augmentation des dépenses de personnel résultant des
dispositions de l'accord salarial du 10 février 1998. Le coût
total pour les collectivités de l'accord de février 1998
s'élève à 9,5 milliards de francs sur trois ans, dont
4 milliards de francs en 1999 et 3,2 milliards de francs en 2000.
En matière de personnel, les collectivités locales doivent
également supporter la charge du recrutement des emplois-jeunes qui,
selon la direction de la comptabilité publique, a conduit à
majorer le coût des charges de personnel de 0,6 % en 1998.
L'exemple des rémunérations n'est pas le seul. Les
collectivités locales supporteront en 2000 une hausse de leurs
cotisations à la Caisse nationale de retraite des agents des
collectivités locales (CNRACL), qui devrait représenter une
charge supplémentaire de 1,1 milliard de francs sur deux ans, dont
550 millions de francs dès 2000.
Les collectivités locales subissent également le coût
croissant de la départementalisation des services d'incendie et de
secours (SDIS), initialement estimé à 11,6 milliards de
francs. Cette prévision est aujourd'hui dépassée
10(
*
)
, à tel point que le ministre
de l'intérieur a annoncé la création d'une commission de
suivi et d'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme des
SDIS. Lors de son audition par votre commission des finances, le
2 novembre 1999, le ministre de l'intérieur a également
déclaré étudier les modalités de la création
d'une dotation globale d'équipement spécifique (DGE) aux SDIS.
Enfin, les investissements des collectivités locales sont largement
dictées par la nécessité d'adapter les équipements
existant aux évolutions des normes techniques établies par les
administrations centrales. Selon une étude du Crédit local de
France et du cabinet Arthur Andersen réalisée pour le compte de
la fédération des villes moyennes, le coût des
investissements nécessaires s'élève à
140 milliards de francs entre 1999 et 2005.
La reprise de l'investissement des collectivités locales depuis 1997 est
principalement justifiée par ces contraintes de mise aux normes des
équipements. Compte tenu du caractère parfois contestable de
l'élaboration par les administrations centrales des normes qui
s'imposent aux collectivités locales, il est à craindre que les
investissements ainsi réalisés ne correspondent pas toujours
à une allocation optimale des ressources, alors même que les
besoins sont importants, notamment dans des domaines tels que les transports en
commun et les télécommunications.
2. ... dont elles n'ont pas la maîtrise
Les
charges nouvelles imposées aux collectivités locales
résultent pour la plupart de décisions de l'Etat prises sans
concertation avec les élus locaux
. Elles subissent notamment les
liens entre les dispositions applicables à la fonction publique de
l'Etat et la fonction publique territoriale. En matière salariale, les
accords signés par l'Etat employeur s'appliquent mécaniquement
aux collectivités locales employeurs. S'agissant de la CNRACL, le
gouvernement a estimé, contrairement aux préconisations du
comité des finances locales, ne pas pouvoir associer les agents des
collectivités locales à l'effort de redressement de la caisse en
augmentant leurs taux de cotisation car cette solution aurait conduit à
appliquer des taux différents aux agents des trois fonctions publiques.
En matière de normes, le rapport remis au ministre de l'intérieur
montre que celles qui pénalisent le plus les collectivités
locales ne sont pas les normes professionnelles mais les normes
édictées par les administrations centrales.
Ces dépenses nouvelles conduisent à remettre en cause les efforts
menés par les collectivités locales, depuis le milieu des
années 90, pour assainir leur situation financière en
maîtrisant leurs dépenses de fonctionnement. Ces efforts ont
d'ailleurs été menés dans une période où,
avec le pacte de stabilité qui a régi leurs relations
financières avec l'Etat de 1996 à 1998, les collectivités
ont parallèlement accepté une moindre progression des dotations
que leur verse l'Etat, s'associant ainsi à l'effort national de
redressement des finances publiques.
En outre, les charges nouvelles que leur impose leur gouvernement portent en
germe une nouvelle
rigidification de leurs dépenses
, comme si
l'Etat voulait les pousser à imiter ses propres travers
En effet, malgré les déclarations d'intentions, l'Etat a, pour sa
part, du mal à maîtriser la dépense publique et à
respecter les critères de convergence. Dans son rapport sur
l'exécution de la loi de finances pour 1998, la Cour des comptes
relève que, avec un déficit budgétaire représentant
2,9 % du PIB, la France se classe au dernier rang des pays de l'Union.
Elle souligne également que les tendances actuelles ne vont pas dans le
sens d'une amélioration puisque le premier exercice budgétaire
complet du gouvernement actuel a été marqué par une
augmentation de 3,7 % des charges définitives du budget
général, contre 1 % en 1997.
Pire, la Cour met en évidence que l'évolution du budget de
l'Etat, à la différence du " cercle vertueux "
enclenché par les collectivités locales, se caractérise
par une augmentation forte des dépenses de fonctionnement, en partie
compensée par une réduction des dépenses d'intervention,
redescendues à leur niveau de 1996, et des dépenses
d'investissement.
B. L'EVOLUTION DES RECETTES
1. Le sous-dimensionnement de l'effort financier de l'Etat
L'évolution des dotations de l'Etat est insuffisante au
regard des charges nouvelles supportées par les collectivités
locales. Le ministre de l'intérieur l'a implicitement reconnu lorsqu'il
a fait part de son intention de mettre en place une nouvelle dotation,
destinée à financer la mise en place des services
départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Cette nouvelle dotation
devrait prendre la forme d'une dotation globale d'équipement (DGE)
spécifique, alimentée par des crédits provenant de la DGE
des communes, de celle des départements et de crédits
supplémentaires du budget général.
De même, il est intéressant de relever que le coût pour les
collectivités de l'accord salarial du 10 février 1998 est
supérieur à l'augmentation de la principale dotation de
fonctionnement de l'Etat aux collectivités locales, la dotation globale
de fonctionnement (DGF).
Le sous-dimensionnement de l'effort de l'Etat se manifeste également
par le développement du phénomène des
" abondements " exceptionnels aux différentes dotations
,
notamment à la DGF et aux dotations qui la composent. Par exemple :
- le cadre du " contrat de croissance et de solidarité "
prévoit que pendant ses trois années d'application (1999, 2000,
2001), le montant de la dotation de solidarité urbaine sera
majoré de 500 millions de francs ;
- l'article 105 de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et
à la simplification de la coopération intercommunale dispose que
la fraction de la DGF qui alimente les structures intercommunales sera
majorée de 500 millions de francs pendant cinq ans ;
- le projet de loi de finances pour 2000 prévoit que, de manière
à permettre aux dotations de solidarité qui composent la DGF (la
dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité
rurale) de progresser en 2000 malgré la prise en compte des
résultats du recensement général de 1999, la dotation
d'aménagement de la DGF sera majorée de 200 millions de francs,
la DSU de 500 millions de francs et la DSR de 150 millions de francs.
La multiplication de ces mesures témoigne du fait que les dotations
traditionnelles ne sont plus à même de s'adapter aux aléas
conjoncturels. En conséquence, le gouvernement est conduit à
majorer, voire à " bricoler "
11(
*
)
, les montants des dotations pour en
absorber les effets.
De la même manière, l'exonération des communes les moins
favorisées des baisses de dotation de compensation de la taxe
professionnelle (DCTP) montre que les évolutions mécaniques des
différentes dotations ne sont pas adaptées à la
réalité de la situation financière des
collectivités locales.
2. La nécessité de revoir l'indexation des concours de l'Etat aux collectivités locales
Lors de
son audition par la mission chargée de dresser le bilan de la
décentralisation, notre collègue Joël Bourdin, rapporteur de
l'observatoire des finances locales, a considéré que les
dotations de l'Etat aux collectivités locales devaient évoluer
non pas en fonction d'indices prenant en compte l'évolution des prix et
une fraction du taux de progression du produit intérieur brut, comme
c'est le cas actuellement pour la plupart des dotations, mais en fonction d'un
indice synthétique du " panier des charges des
collectivités ", représentatif des dépenses
réellement supportées par les collectivités. Il a
estimé que cet indice devrait prendre en compte les augmentations de
charges, telles que les dépenses de personnel, mais également
leurs baisses, par exemple celle des frais financiers.
Cette idée doit faire son chemin, même si le gouvernement n'y
semble pas favorable pour l'instant. Pour l'heure, il convient de continuer
à raisonner dans le cadre actuel des indices élaborés en
fonction des évolutions des prix et du PIB. L'indice de la DGF,
défini à l'article L. 1613-1 du code général des
collectivités territoriales, qui prend en compte les prix et 50 %
du taux de croissance du PIB, pourrait être considéré comme
satisfaisant. Malheureusement, le montant de la DGF d'une année n'est
pas calculé en appliquant l'indice au montant de l'année
antérieure. Il faut en effet tenir compte des opérations de
recalage de la base de la DGF ainsi que de la régularisation de son
montant au titre du " trop perçu " au cours d'exercices
antérieurs ". Ainsi, en 2000, la DGF progressera de 0,821 % au
lieu des 2,05 % prévus par l'indice.
Ce taux de 0,821 % s'applique à toutes les dotations dont ils est
prévu qu'elles sont indexées sur la DGF, soit la dotation
spéciale instituteurs, la dotation élu local, la dotation
générale de décentralisation (DGD) et les dotation globale
d'équipement (DGE) des communes et des départements.
L'indice retenu par le contrat de croissance et de solidarité pour
déterminer le montant de l'enveloppe normée des concours de
l'Etat aux collectivités locales est également trop faible,
puisqu'il tient compte de 20 % du taux de croissance du PIB en 1999,
25 % en 2000 et 33 % en 2001. Ainsi, en 2000, l'enveloppe
normée des concours de l'Etat aux collectivités locales
augmentera de 1,475 %, contre 2,05 % pour le montant de la DGF
inscrit dans l'enveloppe normée.
Le décalage entre ces deux taux aboutit à une diminution
mécanique, d'une année sur l'autre, du montant de la dotation de
compensation de la taxe professionnelle, qui est la variable d'ajustement du
contrat de croissance. Depuis 1995, cette dotation, qui est pourtant
censée compenser des exonérations de taxe professionnelle
consenties par l'Etat aux entreprises, a perdu environ 25 % de son montant.
Il ressort de ces exemples que les collectivités locales sont insuffisamment associées aux fruits de la croissance. Le graphique ci-dessous compare l'évolution depuis 1997 des recettes brutes du budget général à structure constante, c'est-à-dire sans tenir compte du transfert de recettes à la sécurité sociale opéré par le projet de loi de finances pour 2000, et celle des prélèvements sur les recettes de l'Etat aux collectivités locales, qui constituent une part substantielle des dotations de l'Etat aux collectivités 12( * ) . Il apparaît clairement que le supplément de recettes enregistré par l'Etat ne profite que marginalement aux collectivités locales.
Les
conséquences négatives de l'insuffisance des taux d'indexation
des dotations de l'Etat sont aggravées par les orientations du
gouvernement tendant à remplacer des impôts perçus par les
collectivités locales par des dotations de l'Etat. Les
allégements fiscaux consentis par l'Etat aux collectivités ne
sont pas compensés par la voie du dégrèvement, qui permet
aux ressources des collectivités de continuer à évoluer
comme les anciennes bases, mais par des compensations, calculées en
appliquant au montant de la perte de recettes au titre de la première
année un taux d'indexation, qui tend de manière
systématique à devenir " le taux de progression de la
DGF ".
Ces orientations conduisent à priver les collectivités locales du
dynamisme des bases. Par exemple, en 2000, la compensation de la réforme
de la taxe professionnelle sera indexée à 2,05 % alors que
les anciennes bases, les salaires, augmenteront de plus de 3 %. En outre,
les collectivités locales ne bénéficieront jamais des
emplois créés sur leur territoire après la mise en place
de la réforme.