II. METTRE FIN À " L'EXCEPTION FRANÇAISE "
Ainsi que votre commission des finances l'a déjà rappelé, " l'exception française " en matière de finances publiques se traduit par un niveau historiquement élevé de prélèvements obligatoires destinés à financer des dépenses publiques qui ne baissent pas et un déficit budgétaire insuffisamment réduit. La comparaison de notre situation " d'exception " avec celle de nos principaux partenaires nous démontre que celle-ci est une impasse. Il convient donc, sans délai, d'y remédier.
La
dérive de la dette publique analysée par votre commission des
finances :
des leçons à méditer
A la
demande de la commission des finances du Sénat, le ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie (direction de la
prévision) a réalisé une étude sur
l'évolution de la dette publique en France. Cette étude a fait
l'objet d'un rapport d'information de votre rapporteur général.
La dérive de la dette publique, passée de 27.000 francs par
actif occupé en 1980 à 212.000 francs en 1997, a
transféré aux générations futures un lourd
fardeau
. Ce report de charges est d'autant moins justifiable que,
l'endettement de l'Etat ayant servi à financer ses charges courantes de
fonctionnement, il s'est accompagné d'un appauvrissement du patrimoine
public. La valeur nette de ce dernier atteignait 53,3 points de PIB en 1980 ;
elle n'était plus que de 7,6 points de PIB en 1997.
L'accumulation de la dette publique a été le produit d'une
politique des finances publiques délibérément conduite par
l'Etat dans le sens, d'une part, d'un recours volontaire au déficit
budgétaire et, d'autre part, de l'alourdissement continu des charges
publiques. L'impact négatif de cette gestion sur la dette publique a
été amplifié par l'écart entre le coût de la
dette et le taux de croissance suscité par le niveau élevé
des taux d'intérêt.
Des précisions importantes doivent compléter cette
présentation.
Pour apprécier correctement la politique budgétaire de l'Etat, il
convient de distinguer trois périodes : la première, de 1981
à 1986, où le solde conjoncturel est proche de l'équilibre
alors que le solde primaire structurel -qui manifeste l'orientation volontaire
de la politique budgétaire- est largement déficitaire, la
deuxième, entre 1988 et 1991, où le solde conjoncturel devient
nettement excédentaire mais où le solde primaire structurel est
significativement déficitaire, la troisième, enfin, à
partir de 1993, où le solde conjoncturel accuse de profonds
déficits alors que les déficits primaires structurels sont
réduits et se transforment en excédents à partir de 1996.
Cette périodisation montre qu'un jugement global sur la
responsabilité respective de la conjoncture et des politiques
budgétaires sur l'augmentation de la dette publique peut être
établi. A partir de 1993, les déficits conjoncturels sont
responsables du surcroît d'endettement à peu près à
parité avec les déficits structurels, que les gouvernements en
fonction à partir de cette date se sont efforcés de
réduire, tandis que, sans nécessité économique, les
marges de manoeuvre engendrées par la bonne conjoncture des
années 89 à 90 ont été dépensées au
lieu d'être employées à réduire l'endettement public
que les importants déficits délibérés du
début des années 80 et l'extension du secteur public avaient
suscité.
Car, à côté des déficits
délibérés, il faut aussi prendre en compte
l'évolution du secteur public.
Le financement des nationalisations a impliqué un endettement global de
34,6 points de PIB au cours de la période, imputable pour l'essentiel au
début des années 80, et a entraîné des charges
cumulatives puisque le patrimoine financier des administrations publiques a un
rendement net négatif. Il existe en effet un écart de 4 points
entre le coût de la dette et les revenus des actifs financiers de l'Etat.
Face à cette gestion contestable des finances publiques, un
changement de cap est intervenu à partir de 1994.
Dès cette année, l'orientation de la politique budgétaire
a permis progressivement de contrecarrer l'effet sur la dette d'une conjoncture
déprimée. La réduction continue des déficits
structurels primaires s'étant prolongée, à partir de 1996
des excédents structurels primaires compensent de plus en plus
complètement les déficits conjoncturels. L'accroissement de la
dette a ainsi pu être freiné alors que le déficit de
croissance atteignait son comble, comme dans l'ensemble des pays
européens, et alors que l'écart entre le coût moyen de la
dette et le taux de croissance provoquait une dérive spontanée
particulièrement rapide de la dette.
A ce sujet, il convient en effet de préciser que si les taux
d'intérêt et de croissance avaient été identiques
entre 1991 et 1997, la dette publique n'aurait augmenté que de 8,5
points de PIB entre ces dates, contre les 22,5 points observés.
Le gouvernement devrait tirer toutes les leçons de cette étude
alors que la prise en compte du " hors-bilan " de l'Etat non encore
comptabilisé (retraites, défaisances, garanties...) va
accroître encore un passif qu'il importe de résorber dès
maintenant.
Mais le programme de stabilité notifié par le gouvernement
à la Commission européenne n'est pas à la hauteur des
enjeux. Les déficits structurels sont maintenus alors que la conjoncture
économique permettrait d'accumuler des réserves. Le gouvernement
choisit une augmentation du volume des dépenses publiques alors que la
responsabilité de la dérive de la dette est largement imputable
au niveau qu'elles atteignent déjà dans notre pays.
Cette politique ne marque aucune rupture avec les choix qui ont fait le lit
d'un endettement public insoutenable.
A. LA NÉCESSITÉ D'ALLER PLUS AVANT DANS LA RÉDUCTION DU DÉFICIT
Votre
commission ne fait pas de l'orthodoxie budgétaire, consistant à
réduire prioritairement le déficit budgétaire et à
diminuer le poids de la dette publique, un dogme absolu. Elle estime
néanmoins indispensable de profiter de la situation actuelle pour
accroître l'effort de réduction du déficit, celui-ci se
situant toujours à un niveau trop élevé car
supérieur à celui enregistré chez nos principaux
partenaires
43(
*
)
.
Un tel effort, conforme à ce que votre commission a encore
récemment préconisé lors du débat d'orientation
budgétaire, est non seulement souhaitable mais possible et, à ce
titre, largement réclamé tant en France qu'à
l'étranger. Dans ce contexte,
votre commission estime qu'il est
d'ores et déjà possible de faire " gagner un an "
à la France
en anticipant pour cela les objectifs que le
gouvernement s'était fixés dans le programme de
stabilité.
1. Les mises en garde internationales
a) Les jugements sévères de la Commission européenne
En mars
1999, dans ses recommandations concernant les " grandes orientations des
politiques économiques des Etats-membres et de la
Communauté ", la Commission européenne avait tenu à
indiquer s'agissant de la France que :
" le raffermissement
attendu de l'activité économique en 2000 et au delà
devrait être utilisé pour accomplir des progrès vers
l'objectif de moyen terme pour le déficit, c'est-à-dire les
projections du scénario favorable du programme de stabilité de la
France ".
Ce sentiment était également partagé par les nouveaux
commissaires européens. Ainsi, lors de son audition par le Parlement
européen, en septembre 1999, le nouveau commissaire aux affaires
financières, M. Pedro Solbes s'était félicité,
de façon générale, de voir les déficits publics de
l'Euro 11 diminuer plus vite que prévu dans le Pacte de
stabilité et de croissance. Il se déclarait par ailleurs
favorable à ce que les surplus de recettes engendrés par la
croissance soient affectés à la réduction des
déficits publics, en particulier s'agissant des pays connaissant des
" impasses importantes "
au nombre desquels il citait la
France.
De même, le 16 septembre 1999, M. Pascal Lamy, commissaire
européen chargé du commerce international estimait s'agissant de
la France que
" dans la conjoncture actuelle qui est bonne et qui
devrait être encore un peu meilleure l'année prochaine, le niveau
du déficit budgétaire est trop élevé ",
l'empêchant ainsi d'avoir un effet contra-cyclique.
Ces jugements étaient encore corroborés par l'analyse faite
récemment par M. Gerrit Zalm, ministre néerlandais de
l'économie et des finances. Il indiquait le 8 octobre 1999 que la
réduction des déficits publics apparaissait trop lente au regard
du rythme de croissance de la France
44(
*
)
. Il s'était par ailleurs, de
façon fort perspicace, déjà soucié du mode de
financement des 35 heures et de son impact sur le budget
français.
b) Les préconisations de la Banque centrale européenne
Le rapport de la Banque centrale européenne de septembre 1999 indiquait que " des objectifs budgétaires plus ambitieux sont justifiés pour l'année 2000 et au-delà ". Elle estimait ainsi nécessaire l'évolution consistant à " accorder une plus grande importance à l'objectif de réduction des dépenses primaires courantes afin de poursuivre plus avant l'assainissement des finances publiques ", dans la mesure où " pendant la phase de transition vers des soldes budgétaires proches de l'équilibre ou en excédent, les finances publiques dans l'ensemble de la zone euro demeurent vulnérables aux chocs non anticipés ".
Les
sages préconisations budgétaires de la Banque centrale
européenne
pour l'année 2000 et au-delà
Dans son
rapport de septembre 1999, la Banque centrale européenne émettait
les sages préconisations suivantes :
"
L'année 2000 devrait connaître des avancées plus
rapides que prévu en matière de réduction des
déficits budgétaires dans la zone euro. Lors de la
présentation du budget pour l'année à venir, plusieurs
gouvernements ont d'ailleurs clairement exprimé leur intention
d'accorder un grande importance à l'objectif de réduction de
dépenses primaires courantes ainsi que de poursuivre plus avant
l'assainissement des finances publiques.
Cette évolution est nécessaire car, pendant la phase de
transition vers des
soldes budgétaires proches de
l'équilibre ou en excédent, les finances publiques dans
l'ensemble de la zone euro demeurent vulnérables aux chocs non
anticipés.
Dans les années à venir, les gouvernements
devraient moins compter que dans un passé récent sur les effets
financiers bénéfiques escomptés de la conjonction, d'une
accélération de la croissance et de taux d'intérêts
bas pour améliorer le solde budgétaire. Au contraire, il leur
faut intensifier leurs efforts pour réduire les sources de
déséquilibre des finances publiques qui subsistent, tels que des
niveaux de dette publique et d'imposition excessivement élevés,
des systèmes de redistribution impossibles à maintenir et des
administrations publiques inefficaces.
L'expérience récente d'un ralentissement modeste de la croissance
dans la zone euro permet de penser que le respect des obligations du Pacte de
stabilité et de croissance est justifié pour protéger les
finances publiques des conséquences néfastes de périodes
plus sévères ou prolongées de faible activité
économique et -surtout dans les pays fortement endettés- d'une
remontée des taux d'intérêt aggravant le coût du
service de la dette publique. Les récents mouvements à la hausse
des rendements obligataires renforcent la nécessité de mesures
plus décisives pour parvenir à des situations budgétaires
fondamentalement robustes
".
2. Les critiques au sein même de la majorité plurielle
a) Les voix des experts
Le 10
septembre 1999, M. Jean-Claude Trichet, Gouverneur de la Banque de France,
soulignait que les dépenses et les déficits publics
étaient trop élevés en France, en Italie et en Allemagne
après avoir très opportunément rappelé que
le
Pacte de stabilité et de croissance prévoyait que les budgets
devaient être proches de l'équilibre ou en excédent.
Un large consensus existe également chez les économistes qui se
prononcent dans leur très grande majorité pour la
réduction du déficit budgétaire et le remboursement de la
dette. Ils rappellent ainsi fort justement que le Pacte de stabilité
prévoit que les éventuelles recettes excédentaires doivent
être utilisées à la réduction du déficit. De
même, ils estiment que la marge de manoeuvre budgétaire de la zone
euro ne s'accroîtra qu'à partir du moment où les
autorités gouvernementales européennes se seront engagées
durablement sur le chemin de la réduction des dépenses publiques
structurelles.
b) Et celle des anciens Premiers ministres socialistes
A la fin du mois d'août 1999, M. Michel Rocard déclarait qu'il lui " semblait plus sain de réduire notre dette. C'est le meilleur moyen de ne pas avoir à augmenter dans l'avenir la pression fiscale ".
Le
président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius, se
" rallie " aux recommandations de la commission des finances du
Sénat
Lors du
débat d'orientation budgétaire pour 2000, qui s'est tenu en juin
1999, votre commission des finances avait souhaité que les
prélèvements obligatoires, eu égard à leur niveau
historiquement élevé, soient réduits, que la
dépense publique soit maîtrisée mais également mieux
gérée, afin que le déficit budgétaire et, partant,
le poids de la dette publique soit significativement réduit et cela afin
de préserver l'avenir.
On ne peut donc que se féliciter que ces préconisations aient
été reprises au mois d'octobre 1999 par M. Laurent
Fabius, président de l'Assemblée nationale, sous la forme de
" trois cercles vertueux " : baisse des
prélèvements, contrôle de l'efficacité de la
dépense et amélioration de la gestion publique.
Il n'est pas jusqu'au rapporteur général de la commission des
finances de l'Assemblée nationale qui ne reconnaisse, à
l'occasion de la discussion générale du présent projet de
loi de finances, que
" quelques éléments d'incertitude ou
d'insatisfaction demeurent. Des impatiences se font également jour
concernant la réduction des déficits publics et des
prélèvements obligatoires ".
3. Adopter une gestion prévoyante
a) Se prémunir contre un éventuel retournement de la conjoncture
La
réduction des déficits publics, au premier chef celui de l'Etat,
et partant, celle de l'endettement doit permettre de reconstituer les marges de
manoeuvre nécessaires afin de pouvoir faire face à un
éventuel retournement de la conjoncture.
Elle permettrait également de se prémunir contre une
éventuelle dégradation du solde des administrations sociales qui
demeure, malgré un indéniable redressement, toujours
structurellement fragile. En outre, le vieillissement de la population et les
charges qui en découlent rendent plus que jamais indispensable cette
nécessaire et salutaire rigueur.
b) Utiliser les plus-values de recettes fiscales
Ainsi,
eu égard aux perspectives favorables de croissance que semble devoir
connaître la France pour l'année à venir, mais
également les années suivantes, une accentuation significative de
l'effort de réduction du déficit budgétaire apparaît
non seulement souhaitable ou nécessaire mais également
réalisable. Cette accentuation de la réduction pourrait ainsi
être évaluée, eu égard au retard français en
ce domaine, à un montant de l'ordre de 0,2 point de PIB, soit environ
20 milliards de francs. Ainsi la France " gagnerait un an " par
rapport au programme de stabilité en réalisant dès
l'année prochaine l'objectif qu'elle s'était fixée pour
2001, et qui est de 2,2 points de PIB (contre 2,4 points) s'agissant
du déficit budgétaire de l'Etat.
Par delà la vertu d'exemplarité attachée à
l'affichage d'un tel objectif, celui-ci pourrait d'ailleurs être atteint
dès cette année, soit dès 1999. En effet, les plus values
de recettes fiscales enregistrées d'ores et déjà par
l'Etat, que l'on peut chiffrer à un minimum de 30 à 40 milliards
de francs permettraient déjà, sans effort supplémentaire,
et nonobstant la nécessaire diminution du poids des
prélèvements obligatoires, d'atteindre un tel objectif comme le
reconnaissait d'ailleurs implicitement lors de la discussion
générale à l'Assemblée nationale, le ministre de
l'économie quand il soulignait que
" la croissance est en effet
plus forte que prévue,
mais les recettes, loin de ne pas être
au rendez-vous, sont excédentaires ".
Puissent donc les faits rejoindre les intentions afin que l'avenir soit
préservé.