Proposition de loi de M. Jacques PELLETIER permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale
BONNET (Christian)
RAPPORT 63 (1999-2000) - commission des lois
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Table des matières
- LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
- EXPOSÉ GÉNÉRAL
-
EXAMEN DES ARTICLES
DE LA PROPOSITION DE LOI - TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION
- ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF
N° 63
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 novembre 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de M. Jacques PELLETIER permettant au juge des tutelles d' autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale ,
Par M.
Christian BONNET,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM.
Jacques
Larché,
président
; René-Georges Laurin, Mme Dinah
Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour,
vice-présidents
; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
;
Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José
Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret,
Guy-Pierre
Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière,
Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot,
Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel
Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Simon
Loueckhote, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude
Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Voir le
numéro :
Sénat
:
185
(1998-1999).
Elections et référendums. |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le 10 novembre 1999 sous la présidence de
M.
Jacques Larché, président, la commission des Lois a
examiné, sur le rapport de M. Christian Bonnet, la proposition de
loi permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à
être inscrit sur une liste électorale.
M. Christian Bonnet, rapporteur, a constaté le
contraste entre, d'une
part, le code civil prévoyant un régime juridique de tutelle
modulable selon les facultés des majeurs en tutelle
, le juge pouvant
permettre à un majeur protégé d'accomplir certains actes
et, d'autre part, le code électoral s'opposant, en toutes
circonstances, à l'exercice du droit de vote par les mêmes
personnes, quelle que soit la nature de leur handicap.
Tout en maintenant le principe de l'incapacité des majeurs sous tutelle,
y compris pour le droit de vote, la commission des Lois a décidé
d'autoriser le juge des tutelles à permettre à ces personnes
de voter, dès lors qu'elles ne sont pas dépourvues de
discernement.
Enfin elle a proposé d'aménager plusieurs dispositions du code
électoral pour que l'autorisation de voter accordée à
certains majeurs sous tutelle
n'ait pas
pour conséquence de
les rendre éligibles aux élections locales
*
* *
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Comme l'indique notre excellent collègue, M. Jacques Pelletier auteur
des présentes propositions de loi, l'impossibilité absolue pour
les majeurs en tutelle de voter "
paraît manquer de nuances, eu
égard à certaines situations individuelles
".
Dans le prolongement d'une proposition de réforme qu'il avait
formulé lorsqu'il était Médiateur de la
République
1(
*
)
, M. Jacques Pelletier
a déposé une proposition de loi et une proposition de loi
organique afin de permettre au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous
tutelle à être inscrit sur une liste électorale, sans pour
autant le rendre éligible
2(
*
)
.
Selon la présente proposition de loi, une personne dont la tutelle a
été ouverte pour des motifs ne tenant pas à une
altération grave de ses facultés mentales ou tenant exclusivement
à une altération de ses facultés corporelles pourrait
désormais participer à tous les scrutins, si elle y était
autorisée par le juge compétent, alors que cette
possibilité est actuellement fermée de manière absolue.
Même admis à voter, le majeur sous tutelle resterait
inéligible, la présente proposition de loi ne traitant que des
inéligibilités aux scrutins locaux, tandis que la proposition de
loi organique concerne les inéligibilités applicables aux
parlementaires et au président de la République, puisqu'elles
relèvent du domaine de la loi organique.
I. LE RÉGIME DES MAJEURS SOUS TUTELLE EST MARQUÉ PAR DES PRINCIPES CONTRADICTOIRES
A. LA TUTELLE EN DROIT CIVIL : UN RÉGIME PERSONNALISÉ
Selon
l'article 492 du code civil, un majeur est placé sous tutelle quand il
"
a
besoin d'être représenté d'une
manière continue dans les actes de la vie civile " pour l'une des
causes
prévues à l'article 490 du même code, à
savoir :
-
l'altération des facultés mentales
par une maladie, une
infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge ;
-
l'altération des facultés corporelles
, si elle
empêche l'expression de la volonté.
L'ouverture d'une tutelle ne résulte donc pas nécessairement
d'une altération des facultés mentales.
Les modalités d'un traitement médical (notamment hospitalisation
ou soins à domicile) sont indépendantes du régime de
protection appliqué aux intérêts civils.
L'article 493 du code civil prévoit que la tutelle est ouverte par le
juge des tutelles, soit d'office, soit à la demande de la personne
concernée, de son conjoint (sauf si la communauté de vie a
cessé entre les époux), des descendants, ascendants, des
frères et soeurs, du curateur ou du ministère public.
"
Les autres parents, les alliés les amis peuvent seulement
donner au juge avis de la cause qui justifierait l'ouverture de la
tutelle
". Il en est de même du médecin traitant et du
directeur de l'établissement où serait hospitalisé la
personne concernée.
Les personnes qualifiées pour demander l'ouverture d'une tutelle ou pour
" donner avis " peuvent aussi, le cas échéant, former
un recours devant le tribunal de grande instance du ressort contre le jugement
ayant ouvert une tutelle.
L'ouverture d'une tutelle doit être précédée d'une
constatation de l'altération des facultés mentales ou corporelles
par un médecin spécialiste choisi sur une liste établie
par le procureur de la République (article 493-1 du code civil).
L'article 501 du code civil permet au juge, lors de l'ouverture de la tutelle
ou postérieurement, sur l'avis du médecin traitant,
d'énumérer "
certains actes que la personne en tutelle
aura la capacité de faire elle-même, soit seule, soit avec
l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu
".
Avant de prendre cette mesure de tutelle allégée, le juge doit
recueillir l'avis du ministère public.
Cette possibilité de personnaliser la tutelle est fondée car
les troubles ou les handicaps qui affectent les majeurs protégés
n'excluent pas nécessairement qu'ils puissent agir avec discernement
dans certains domaines.
Par ailleurs, beaucoup de maladies mentales ayant un caractère cyclique
ou évolutif, l'article 501 du code civil permet d'adapter la protection
juridique aux différentes étapes de la pathologie.
La décision du juge peut porter sur un acte particulier ou sur une
catégorie d'actes. Il peut s'agir d'actes de disposition ou d'actes
d'administration, d'actes patrimoniaux ou d'actes extra-patrimoniaux.
L'autorisation d'accomplir ces actes peut être accordée pour une
période limitée ou pour une durée
indéterminée. Elle est toujours révocable.
Le juge peut autoriser la personne protégée à accomplir
certains actes elle-même, seule ou avec l'assistance de son
représentant légal, ce qui revient, dans ce cas, en fait,
à combiner la tutelle et la curatelle.
L'article 501 du code civil est souvent mis en oeuvre pour autoriser la
personne concernée à percevoir elle-même son salaire ou
à utiliser son compte en banque.
Il y est aussi souvent recouru pour permettre au majeur de se marier ou de
divorcer.
Selon les indications fournies à votre rapporteur par le
ministère de la Justice, il n'est pas fréquemment fait
application de l'article 501 du code civil, puisque sur les 28.000 tutelles
ouvertes en 1996, 300 l'ont été selon la formule
allégée.
Ces chiffres devraient être pondérés par ceux relatifs aux
mainlevées de tutelles, mais le ministère de la Justice ne
procède à un recensement exhaustif de ces décisions que
depuis un an.
Il convient donc d'interpréter ces éléments d'information
avec une certaine prudence.
Néanmoins, le champ de l'incapacité de la personne en tutelle
n'est pas figé. Il peut dépendre de ses aptitudes propres et donc
être adapté à sa situation personnelle, au moins pour les
actes de la vie civile.
La mise en oeuvre de l'article 501 du code civil peut même faciliter
l'intégration du majeur en tutelle.
En revanche, au regard du droit électoral, le régime du majeur en
tutelle est plus rigide et ne prend pas en considération la
diversité des handicaps.
B. LA TUTELLE EN DROIT ÉLECTORAL : UN RÉGIME D'EXCLUSION
Selon
l'article L. 5 du code électoral, "
ne doivent pas être
inscrits sur les listes électorales les majeurs en tutelle
".
N'étant pas électeurs, les majeurs en tutelle ne sont pas
éligibles en application des articles L. 199, L. 230 et
L.O. 127 du code électoral.
Selon un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 1982, le
régime de tutelle allégée de l'article 501 du code
civil n'a pas pour objet ou pour effet de tenir en échec la règle
de droit public établie par l'article L. 5 du code électoral
interdisant à celui-ci d'être inscrit sur une liste
électorale.
L'interdiction de voter, frappant indistinctement toute personne placée
en tutelle, ne peut donc pas être levée par le juge pour quelque
cause que ce soit. Cette interdiction revêt un caractère absolu.
Apparaît donc un contraste entre, d'une part, la rigidité de
l'article L. 5 du code électoral et, d'autre part, le régime de
droit civil de protection personnalisée établi par l'article 501
du code civil.
Si l'interdiction de voter se justifie évidemment pour les personnes
dépourvues de tout discernement, elle peut, en revanche,
apparaître contestable lorsque le handicap ne prive pas la personne de
toute capacité de jugement.
On peut en effet se demander pourquoi la personne qui serait reconnue capable
d'accomplir certains actes essentiels de la vie civile, comme le mariage, ne
pourrait, en aucun cas, être autorisée à voter.
Cette situation peut apparaître d'autant plus surprenante que, selon
l'article L. 326-3 du code de la santé publique,
une personne
atteinte de troubles mentaux et hospitalisée sans son consentement, si
elle n'est pas placée en tutelle, conserve la possibilité
d'exercer son droit de vote
.
Plus paradoxal encore, la
personne en tutelle
, si elle ne peut, en
principe, recevoir un visa de
permis de chasse, peut cependant y être
autorisée par le juge
(article L. 223-19 (3°) du code rural),
alors qu'elle ne peut en aucune façon être autorisée
à voter.
Ainsi, l'interdiction absolue du droit de vote pour les personnes en tutelle
tranche fortement avec le régime individualisé dont ces personnes
peuvent bénéficier en matière civile, et même
administrative.
Cette interdiction pourrait même apparaître à certains
égards comme une
source d'exclusion
.
Dans l'exposé des motifs d'une proposition de loi similaire à la
présente
3(
*
)
, notre excellent
collègue M. Claude Huriet a estimé qu' "
il est
à peine besoin d'insister sur les effets possibles d'une telle mesure
sur l'individu concerné et dont les facultés de raison ne sont
pas atteintes : il peut parfaitement ressentir cela comme une mise
à l'écart de la communauté des citoyens par un
mécanisme qui s'apparente à une punition
".
Cette interdiction de voter peut être d'autant plus mal ressentie que la
rédaction de l'article L. 5 du code électoral en vigueur jusqu'au
1
er
mars 1994 citait pêle-mêle, parmi les personnes
privées de ce droit, celles condamnées pour crime (1°),
condamnées à une peine d'emprisonnement pour certains
délits graves (2° et 3°), celles en état de contumace
(4°) et les personnes condamnées à la faillite (5°),
avant de citer les " interdits ", c'est-à-dire aujourd'hui les
majeurs en tutelle.
Enfin,
le régime de la tutelle doit être distingué de
celui de la
curatelle
(adulte qui, pour les causes permettant
l'ouverture d'une tutelle, sans être hors d'état d'agir
lui-même, a besoin d'être conseillé ou contrôlé
dans les actes de la vie civile :
il peut
être
électeur, mais n'est pas éligible
)
et de celui de la
sauvegarde de justice
(mesure provisoire
n'affectant pas les droits
électoraux
).
II. LA PROPOSITION DE LOI MARQUE L'ABOUTISSEMENT D'UNE LONGUE RÉFLEXION
A. LES PREMIÈRES PROPOSITIONS
La
proposition, formulée
le 21 juillet 1993
par le
Médiateur de la République
, de permettre au juge des tutelles
d'autoriser un majeur en tutelle à voter, a reçu un
avis
favorable de principe du ministère de la
Justice
le
5 novembre 1993 confirmé les 23 février 1996 et 16
février 1998, lequel a suggéré toutefois un
complément pour inscrire expressément
l'inéligibilité de ces personnes dans le code électoral.
La proposition du Médiateur de la République avait
été précédée, quelques jours auparavant, par
le dépôt de la
proposition de loi
précitée de
notre collègue
M. Claude Huriet
.
Cette proposition de loi tendait à une nouvelle rédaction de
l'article L. 5 du code électoral, pour permettre le vote des
personnes concernées, après autorisation du juge.
Sur proposition de la commission des Lois et de son rapporteur, notre
regretté collègue M. Bernard Laurent
4(
*
)
,
le Sénat avait adopté, le
8 décembre 1993
,
cette proposition de loi
,
après l'avoir complétée par un nouvel article L. 44-1
du code électoral afin d'établir explicitement
l'inéligibilité de ces personnes à toutes les
élections.
Cependant, la commission des Lois de l'Assemblée nationale devait
ensuite conclure au rejet de cette proposition de loi, en exprimant des doutes
sur la possibilité, pour un majeur en tutelle, d'exercer en toute
connaissance de cause ses droits de citoyen.
Ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale.
Il est permis cependant de s'interroger sur la pertinence d'une telle position,
puisque précisément l'article 501 du code civil permet
déjà au juge d'individualiser le régime applicable aux
majeurs en tutelle, au profit des personnes dont le handicap n'a pas
altéré toute faculté de discernement.
Une personne reconnue capable de se marier ou de conclure un contrat de travail
peut-elle être considérée sans appel comme dépourvue
de la faculté de jugement nécessaire pour voter ?
On pourra cependant noter que le texte adopté par le Sénat en
1993 n'inscrivait pas formellement la procédure de relèvement de
l'incapacité électorale dans le cadre de l'article 501 du code
civil. L'inéligibilité, établie par la loi ordinaire
(nouvel article L. 44-1 du code électoral), n'aurait, de ce fait,
pas été étendue aux scrutins pour lesquels le
régime d'éligibilité doit être fixé par une
loi organique, selon les articles 6 et 25 de la Constitution (élections
présidentielle, législatives et sénatoriales).
Pour tenir compte de cette difficulté, nos collègues
MM. Jacques Pelletier, Paul Girod, Bernard Joly et André
Boyer
avaient présenté un dispositif plus complet -et
similaires aux propositions de loi organique et ordinaire de M. Jacques
Pelletier- au moyen d'
amendements
aux projets de loi organique et
simple relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux
et des fonctions et à leurs conditions d'exercice
, lors de leur
examen en
première lecture
les 28 et 29 octobre 1998.
Au cours de la discussion, M. le président Jacques Larché,
rapporteur de la commission des Lois, avait fait valoir que si les amendements
tendaient "
à apporter une réponse à un
véritable problème
", il convenait, dans le cadre de
l'examen de ces projets, de
" se consacrer uniquement aux dispositions
ayant trait à (leur) question principale
".
Ces amendements ont été retirés
après qu'il
eut indiqué que la commission rapporterait dans les meilleurs
délais d'éventuelles propositions de loi reprenant ces
amendements.
Tel est précisément l'objet des propositions de loi,
déposées le 2 février 1999 par notre collègue
M. Jacques Pelletier.
B. LA PROPOSITION DE LOI : UN TRAITEMENT COMPLET DE LA QUESTION
La
proposition de loi tend à compléter l'article L. 5 du code
électoral pour assortir le principe de non inscription des majeurs en
tutelle sur une liste électorale d'une
possibilité reconnue au
juge des tutelles d'autoriser, dans le cadre fixé par l'article 501 du
code civil, certaines de ces personnes à voter
.
Le régime civil personnalisé de protection des majeurs en
tutelle serait donc étendu au droit électoral.
Cette proposition de loi aménagerait aussi les articles du code
électoral fixant les inéligibilités applicables aux
élections locales (municipales, cantonales et régionales), pour
maintenir expressément l'inéligibilité des personnes en
tutelle qui résulte actuellement du fait qu'elles ne peuvent s'inscrire
sur une liste électorale
.
Par ailleurs, la proposition de loi organique traiterait de la même
manière les dispositions concernant les inéligibilités des
parlementaires nationaux et européens, ainsi que celles du
président de la République, puisqu'elles relèvent du
domaine de la loi organique
5(
*
)
.
Cette proposition de loi organique constitue donc un complément
indispensable de la proposition de loi pour maintenir dans tous les cas les
inéligibilités applicables aux majeurs en tutelle.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ÉTENDRE AU DOMAINE ÉLECTORAL LE RÉGIME JURIDIQUE PERSONNALISÉ DES MAJEURS EN TUTELLE
Votre
commission des Lois n'a pu que constater
le contraste entre,
d'une
part, l'article 501 du code civil
prévoyant un régime
juridique personnalisé des majeurs en tutelle, permettant au juge de les
autoriser à accomplir, soit seuls, soit avec l'assistance du tuteur,
certains actes parfois importants
et, d'autre part, l'article L. 5 du code
électoral
s'opposant, en toutes circonstances, à l'exercice
du droit de vote par les mêmes personnes.
Il apparaît préférable, tout en confirmant le principe de
l'incapacité, y compris pour le
droit de vote, d'étendre
à ce droit la possibilité de personnalisation au profit des
personnes qui ne sont pas dépourvues de discernement (tout en maintenant
les inéligibilités qui leur sont applicables).
Cette extension permettrait de supprimer ce qui peut être ressenti comme
une source d'exclusion par des personnes dont le handicap pour accomplir
certains actes de la vie quotidienne n'affecte pas pour autant la
capacité de jugement.
Sans doute pourrait-on s'interroger sur l'opportunité de confier
à un magistrat le pouvoir de prendre une décision sur le droit de
vote d'une personne, les règles d'admission paraissant plutôt
devoir être établies de manière objective par le code
électoral.
En réalité, les dispositions proposées se limiteraient
à étendre au droit électoral le large pouvoir
d'appréciation sur la capacité des personnes, déjà
reconnu au juge des tutelles par le code civil.
On remarquera d'ailleurs que les tribunaux sont d'ores et déjà
compétents pour statuer sur la capacité électorale d'une
personne, dans le cadre fixé par la loi, par exemple en
prononçant des peines complémentaires d'interdiction du droit de
vote et d'inéligibilité.
En tout état de cause, ces dispositions seraient indispensables à
une personnalisation du régime de la tutelle, le code électoral
ne pouvant pas distinguer les personnes dotées de discernement de celles
qui ne le sont pas.
Il convient cependant d'apporter au code électoral les
aménagements nécessaires pour que l'autorisation de voter n'ait
pas pour conséquence de rendre éligible un majeur sous tutelle.
Comme le relevait en effet M. Bernard Laurent dans son rapport
précité sur la proposition de loi de M. Claude Huriet,
"
on ne peut concevoir qu'un majeur protégé devienne
titulaire d'un mandat électif et puisse valablement engager la
collectivité, alors qu'à titre personnel, il ne serait pas
jugé capable de pourvoir lui-même à l'ensemble de ses
propres intérêts
".
L'acte consistant à participer au choix des représentants
d'une collectivité ou de la Nation n'est évidemment pas de
même nature que celui d'assurer soi-même les charges de la
représentation.
Enfin, reste posée la question de savoir s'il ne serait pas
préférable, plutôt que d'examiner ponctuellement cette
question, de l'étudier dans le cadre d'un projet de loi, révisant
les régimes de protection des majeurs, comme a semblé l'envisager
Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, lorsqu'elle a donné au
Médiateur de la République, le 16 février 1998, son accord
de principe sur sa proposition.
Mais, outre une incertitude concernant le calendrier de dépôt et
d'examen par le Parlement de ce projet de réforme d'ensemble, il
apparaît que celui-ci relèverait d'une loi simple, alors que les
propositions de notre collègue M. Jacques Pelletier comprennent
aussi, pour être complètes, des dispositions de nature organique.
Votre commission des Lois a donc approuvé, dans ses principes, la
présente proposition de loi, en apportant à sa rédaction
les quelques aménagements exposés ci-après.
EXAMEN DES ARTICLES
DE LA PROPOSITION DE LOI
Article 1
er
(art. L. 5 du code
électoral)
Possibilité pour le juge des
tutelles
d'accorder le droit de vote à des majeurs en tutelle
L'article 1
er
de la proposition de loi initiale
maintiendrait le principe, inscrit à l'article L. 5 du code
électoral, selon lequel les majeurs sous tutelle ne doivent pas
être inscrits sur une liste électorale, en le complétant
afin de
permettre au juge des tutelles d'autoriser cette inscription
" en application de l'article 501 du code civil ", selon lequel
il peut déjà autoriser la personne protégée
à accomplir "
certains actes
".
Votre rapporteur a exposé que l'inscription sur une liste
électorale ne figure pas parmi les actes susceptibles d'être
autorisés par le juge, en raison précisément de la
rédaction actuelle de l'article L. 5 du code électoral,
prohibant cette inscription sans possibilité de dérogation.
La présente proposition de loi, en complétant l'article 5 du
code électoral, permettrait donc le relèvement de cette
incapacité électorale
selon la procédure prévue
par l'article 501 du code civil.
Le juge des tutelles peut, suivant cette procédure, assouplir le
régime d'incapacité d'une personne, lors de l'ouverture de la
tutelle ou dans un jugement ultérieur.
Il prend sa décision d'office ou à la demande de
l'intéressé, du conjoint (si la communauté de vie n'a pas
cessé entre les époux), des ascendants et descendants,
frères et soeurs ou du ministère public, et après avoir
recueilli l'avis du médecin traitant.
Le ministère public est présent à tous les stades de la
procédure, qu'il peut déclencher à son initiative. Il est
informé des étapes de son déroulement, peut demander toute
mesure d'information complémentaire, notamment une enquête
sociale, donne son avis par écrit avant l'audience à laquelle il
peut assister et a le droit d'exercer un recours contre les décisions
prises dans le cadre de l'article 501 du code civil.
Pour les raisons précédemment développées,
l'article 1
er
de la proposition de loi initiale a
été approuvé dans son principe par votre commission des
Lois. Elle en a cependant adopté une rédaction plus
précise.
En effet,
l'article 501 du code civil, en application duquel l'autorisation
de s'inscrire sur une liste électorale serait donnée
, permet
au juge d'autoriser le majeur en tutelle à accomplir lui-même
certains actes,
soit seul, soit avec l'assistance du tuteur ou de la
personne qui en tient lieu
.
Il convient donc de préciser dans le texte de l'article L. 5 du code
électoral que l'intéressé pourrait être
autorisé
à exercer seul, donc sans l'assistance d'une tierce
personne, ce droit de vote
.
Cette précision ne ferait naturellement pas obstacle à ce
qu'un majeur en tutelle puisse
, comme tout électeur, selon l'article
L. 64 du code électoral,
se faire assister par un électeur de
son choix pour l'accomplissement des
opérations
matérielles
de vote
, s'il est "
atteint d'une
infirmité certaine
" le mettant dans l'impossibilité
d'effectuer seul ces opérations.
De même, le majeur en tutelle
, s'il répondait aux
conditions fixées par l'article L. 71 du code électoral,
pourrait exercer son droit de vote par procuration.
Article 2
(art. L. 199 et L. 200 du
code
électoral)
Inéligibilité du majeur en tutelle aux
élections
cantonales, régionales et à celle des
conseillers à
l'Assemblée de Corse
Votre
rapporteur a déjà indiqué les raisons pour lesquelles
l'auteur de la proposition de loi avait entendu éviter que le droit de
vote de certains majeurs sous tutelle n'entraîne leur
éligibilité aux différentes élections.
Cette préoccupation est à l'origine des articles 2 à 4 de
la proposition de loi.
L'article 2 de la proposition de loi modifierait les
articles L. 199 et L. 200 du code électoral, concernant
l'élection des conseillers généraux, dont les dispositions
sont également applicables aux conseillers régionaux
(article L. 340, dernier alinéa du même code) et aux
conseillers à l'Assemblée de Corse (article 367,
1
er
alinéa de ce code).
Dans sa rédaction en vigueur, l'article L. 199 du code
électoral prévoit que les personnes désignées
notamment à l'article L. 5 de ce code, donc tous les majeurs
en tutelle, sont inéligibles.
L'article L. 200 du code électoral concerne
l'inéligibilité des personnes pourvues d'un conseil judiciaire,
c'est-à-dire, depuis l'entrée en vigueur de la
loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme
du droit des incapables majeurs, les majeurs en curatelle.
La modification de l'article L. 5 du code électoral,
proposée à l'article 1
er
de la présente
proposition de loi, en permettant le relèvement de l'interdiction de
vote de certains majeurs en tutelle, aurait pour conséquence
mécanique, si l'article L. 199 n'était pas
modifié, d'exclure du champ de l'inéligibilité les
personnes qui auraient bénéficié de cette autorisation, et
donc de rendre certains majeurs en tutelle éligibles pour les scrutins
concernés.
En conséquence, l'article 2 de la proposition de loi
prévoit :
- de supprimer, dans l'article L. 199 du code électoral,
la référence à l'article L. 5 du code
électoral, puisqu'il ne concernerait plus la totalité des majeurs
sous tutelle ;
- de compléter l'article L. 200 du code électoral,
pour y mentionner expressément l'inéligibilité de tous les
majeurs sous tutelle.
Votre commission des Lois a ajusté la rédaction initiale de
l'article 2 de la proposition de loi, par une actualisation de termes
(remplacement des " personnes pourvues d'un conseil judiciaire " par
les " majeurs en curatelle ").
Article 3
(art. L. 230 du code
électoral)
Inéligibilité du majeur en tutelle aux
élections municipales
L'article 3 de la proposition de loi modifierait
l'article L. 230 (2°) du code électoral, concernant
l'élection des conseillers municipaux, dont les dispositions sont
applicables à celle des conseillers d'arrondissement de Paris, Lyon et
Marseille (article L. 272-1 du code électoral).
Selon l'article L. 230 du code électoral, ne peuvent
être élus conseiller municipal, notamment, les personnes
privées du droit électoral (1°), ce qui inclut tous les
majeurs en tutelle, en l'état actuel de la rédaction de
l'article L. 5 de ce code.
Les personnes pourvues d'un conseil judiciaire (2°), donc les majeurs en
curatelle, sont également inéligibles.
L'article 3 de la proposition de loi compléterait donc
l'article L. 230 (2°) du code électoral pour inscrire
expressément l'inéligibilité de tous les majeurs en
tutelle, qu'ils soient ou non autorisés à voter.
Comme à l'article précédent, votre commission des Lois a
adopté une rédaction actualisée du texte proposé
(personnes en curatelle, au lieu de personnes pourvues d'un conseil
judiciaire).
Article 4
Application de la loi à
Mayotte,
en Nouvelle-Calédonie,
en Polynésie française et dans
le territoire des îles Wallis-et-Futuna
Cet
article prévoit l'application des dispositions de la présente
proposition de loi dans ces collectivités d'outre-mer.
L'article 2, concernant les inéligibilités des conseillers
généraux, ne pourrait recevoir d'application qu'à Mayotte.
Il n'est donc pas nécessaire de prévoir son applicabilité
aux autres collectivités.
Quant à l'article 3, relatif aux inéligibilités des
conseillers municipaux, son application à Wallis-et-Futuna,
dépourvu de communes, n'est pas utile.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter les conclusions qu'elle vous soumet pour cette proposition de loi et qui sont reproduites ci-après.
TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION
Proposition de loi permettant au juge des
tutelles
d'autoriser
un majeur en tutelle à être inscrit sur une liste électorale
Article 1
er
L'article L. 5 du code électoral est complété, in fine , par les mots : " , à moins qu'ils ne soient autorisés par le juge des tutelles à exercer seuls le droit de vote selon la procédure définie à l'article 501 du code civil ".
Article 2
I. -
Dans le texte de l'article L. 199 du code précité, la
référence : " L. 5, " est supprimée.
II. - L'article L. 200 du code précité est ainsi
rédigé :
"
Art L. 200.-
Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont
inéligibles ".
Article 3
Le
troisième alinéa (2°) de l'article L. 230 du code
précité est ainsi rédigé :
" 2° - les majeurs en tutelle ou en curatelle ".
Article 4
La
présente loi est applicable à Mayotte.
Les articles 1
er
et 3 sont applicables en
Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
L'article 1
er
est applicable dans le territoire des îles
Wallis-et-Futuna.
ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF
Loi
n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection
du
Président de la République au suffrage universel
Art. 3
- L'ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi
organique relative à l'élection du Président de la
République est remplacée par les dispositions suivantes ayant
valeur organique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
II Les opérations électorales sont organisées selon
les règles fixées par les articles L 1er, L 2, L 5 à L 7,
L 9 à L 21, L 23, L 25, L 27 à L 45, L 47 à L 52-2, L 52-4
à L 52-11, L 52-12, L 52-16, L 53 à L 55, L 57 à L 78, L
85-1 à L 111, L 113 à L 114, L 116, L 117, L 199, L 200, L
202 et L 203 du code électoral dans leur rédaction en vigueur
à la date de publication de la loi organique n° 95-72 du 20 janvier
1995 relative au financement de la campagne en vue de l'élection du
Président de la République, sous réserve des dispositions
suivantes.
Le plafond des dépenses électorales prévu par
l'article L 52-11 est fixé à 90 millions de francs pour un
candidat à l'élection du Président de la
République. Il est porté à 120 millions de francs pour
chacun des candidats présents au second tour.
Le compte de campagne et ses annexes sont adressés au Conseil
constitutionnel dans les deux mois qui suivent le tour de scrutin où
l'élection a été acquise. Le Conseil constitutionnel
dispose des pouvoirs prévus au premier, au quatrième et au
dernier alinéas de l'article L 52-15 et à l'article L 52-17 du
code électoral.
Le solde positif éventuel des comptes des associations
électorales et mandataires financiers des candidats est dévolu
à la Fondation de France.
Le montant de l'avance prévue au deuxième alinéa du
paragraphe V du présent article doit figurer dans les recettes
retracées dans le compte de campagne.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
Proposition de réforme INT 93-04
du 21
juillet 1993 relative à la participation des majeurs sous tutelle.
2
Les conclusions de la commission des Lois sur la proposition de
loi organique, concernant uniquement les inéligibilités de nature
organique, font l'objet du rapport n° 67 (1999-2000).
3
n°423 (1992-1993)
4
Rapport n° 147 (1993-1994)
5
Voir rapport n° 67 (1999-2000).