B. LA POLITIQUE DE L'EMPLOI ET LE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE : UNE CONFUSION DANGEREUSE
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 est, pour une bonne part, " hors sujet ". Le " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales " dont la création est proposée à l'article 2 est, en effet, la synthèse monstrueuse de deux promesses électorales : la réforme des cotisations patronales et les 35 heures.
1. Le Gouvernement a échoué dans sa volonté de réformer l'assiette des cotisations patronales
a) De la réforme du financement à la baisse des charges sociales : l'enlisement des diagnostics
"
Nous modifierons progressivement l'assiette d'une
partie
des cotisations patronales, en les faisant reposer sur l'ensemble de la
richesse produite par les entreprises et non sur le seul
travail
" ; la brochure
" Changeons d'avenir, changeons
de majorité "
, diffusée à plusieurs centaines de
milliers d'exemplaires par le Parti socialiste avant les élections
législatives, avait l'avantage de la clarté. La réforme
des cotisations patronales fait partie des thèmes du programme
économique du PS depuis 1996.
Le rapport Chadelat, commandé par M. Alain Juppé, a
été remis en juin 1997 à M. Lionel Jospin. Ce rapport
préconisait d'instaurer soit une nouvelle assiette centrée sur la
valeur ajoutée, soit une modulation des cotisations par des
paramètres valeur ajoutée
29(
*
)
.
Le Gouvernement n'a pas souhaité amorcer la réforme des
cotisations patronales lors de la discussion de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998.
Un rapport complémentaire a été demandé à M.
Jean-François Chadelat. Mais ce nouveau report, comme ce nouveau
rapport, ne signifiaient pas pour autant abandon. Un amendement, introduit par
l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Augustin Bonrepaux,
alors rapporteur pour avis au nom de la commission des Finances, a permis
d'inscrire dans la loi de financement (art. 6) qu'un rapport serait
déposé sur le bureau des Assemblées par le Gouvernement
avant le 1
er
août 1998,
" précisant les effets,
notamment sur l'emploi, d'une extension de l'assiette des cotisations
patronales à la valeur ajoutée "
. Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité, affirmait devant le
Sénat le 13 novembre 1997 :
" Nous souhaitons en
effet -je l'ai dit à plusieurs reprises- modifier l'assiette des
cotisations patronales, en espérant pouvoir, dès l'année
prochaine, en faire une première étape. Il conviendra de
travailler sur la notion de valeur ajoutée. "
Dans l'esprit des rédacteurs de cet amendement, il ne s'agissait pas de
renoncer à la réforme de l'assiette des cotisations patronales,
mais -bien au contraire- d'annoncer que cette réforme aurait lieu,
grâce à une date impérative, celle de la remise d'un
rapport.
Le 6 avril 1998, une lettre de mission signée par M. Lionel Jospin,
Premier ministre, a confié à M. Edmond Malinvaud, dans le cadre
du Conseil d'analyse économique, un nouveau rapport.
Ce rapport a
été rendu public le 3 août 1998 et transmis au
Parlement à la même date, sous couvert de l'article 6
précité de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998.
Du rapport Chadelat au rapport Malinvaud : le glissement
La
lettre de mission du Premier ministre à M. Edmond Malinvaud,
datée du 6 avril 1998, change la problématique puisqu'elle
met l'accent, dès son premier paragraphe, sur les
" salaires les
plus bas "
et sur
" le développement de
l'emploi ".
Elle ne fait pas mention explicite du rapport Chadelat. Elle souligne que
" parmi les options possibles ",
une attention
particulière sera accordée
" aux avantages et aux
inconvénients d'un élargissement de l'assiette des cotisations
à la valeur ajoutée ".
Le glissement sur le fond (de la réforme du financement de la
sécurité sociale à la politique de l'emploi) est
accompagné d'un glissement sur la forme : la lettre de mission ne
fait pas mention de l'obligation découlant de l'article 6 de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998.
Pour M. Malinvaud, l'introduction assiette valeur ajoutée aurait pour
effet une baisse du coût réel du travail et une hausse du
coût réel de l'utilisation du capital. L'effet positif sur
l'emploi à travers les substitutions se révélerait
limité. Une modification de l'assiette des cotisations patronales serait
un pari risqué.
En revanche, M. Malinvaud indiquait sa préférence pour une baisse
permanente, stable et durable des charges sur les bas salaires.
Deux rapports, rendus à moins d'un an d'écart, étaient
ainsi contradictoires.
b) Une promesse réitérée par la loi de financement pour 1999
Le 8
septembre 1998, le Premier ministre a chargé Mme Martine Aubry
d'engager au plus vite des concertations bilatérales avec le patronat et
les syndicats
" dans la perspective d'une réforme des
cotisations patronales ".
Le système proposé de manière tout à fait
informelle aux partenaires sociaux
30(
*
)
semble avoir été le
suivant :
- allégement des charges sur les salaires (jusqu'à 16.000
francs) ;
- surcotisation sur les salaires supérieurs à 20.000 francs.
Cette surcotisation n'étant pas suffisante pour financer la
réduction des charges, il était proposé la création
d'une cotisation sur la valeur ajoutée à un taux de 0,5 %.
Ces concertations n'ont pas abouti. De plus, le ministre de l'économie
et des finances a " doublé " son collègue de l'emploi
et de la solidarité dans sa volonté d'alléger les charges
sur les entreprises, puisqu'une des mesures du projet de loi de finances pour
1999 concerne la réforme de la taxe professionnelle.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 s'est
contentée d'un engagement, retracé au rapport
annexé :
" Le Gouvernement souhaite engager une telle
réforme (...) La concertation avec les organisations d'employeurs et de
salariés sera poursuivie en vue de fixer les orientations et les
modalités précises avec l'objectif d'aboutir à un projet
de loi au premier semestre 1999 "
.
" Le fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales ", dont la création est proposée à
l'article 2 du projet de loi de financement pour 2000 est-il la
concrétisation tant attendue d'une réforme de
l'assiette
des cotisations patronales ?
2. Le " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales " est la synthèse monstrueuse de deux promesses électorales
La
réforme proposée par le Gouvernement correspond, en fait,
à la nécessité de " financer " les 35 heures,
par la juxtaposition d'un mécanisme d'allégement de charges
supplémentaires et de prélèvements nouveaux sur les
entreprises.
En aucun cas, il ne s'agit d'une réforme de
" l'assiette des
cotisations patronales "
. Le calcul des cotisations patronales n'est
pas affecté par la prise en compte d'un élément
" valeur ajoutée ", d'un élément
" bénéfices " ou d'un élément
" pollution ". Le Gouvernement ajoute aux cotisations sociales quatre
prélèvements nouveaux (tabacs, alcools, contribution sociale sur
les bénéfices, taxe générale sur les
activités polluantes).
En effet, le fonds de financement ne permet pas de sous affecter des recettes
à des dépenses. Il regroupe une série de dépenses
(ristourne sur les bas salaires existante, extension de cette ristourne,
allégements 35 heures) et une série de recettes (tabacs, alcools,
contribution sociale sur les bénéfices, taxe
générale sur les activités polluantes, contribution
budgétaire) toutes fongibles.
Toute recette peut financer toute dépense.
La contribution de l'Etat prend la forme d'une dotation budgétaire, qui
devra être inscrite chaque année, selon le principe de
l'annualité budgétaire, en loi de finances.
Pour 2000, le Gouvernement a inscrit 4,3 milliards de francs en loi de
finances, dotation sur laquelle devra se prononcer le Parlement. Rien ne peut
assurer le maintien de cette contribution pour les années suivantes.
Faudra-t-il alors accroître les prélèvements sur les
entreprises ?
a) La confusion entre la réforme des cotisations patronales et le financement des 35 heures par la création d'un " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales "
Le financement des allégements de charges et des aides pérennes aurait dû, à législation inchangée, prendre la forme d'une dotation budgétaire. Le Gouvernement a préféré opérer une débudgétisation, en créant un " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale " 31( * ) , défini par l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 auquel se référait l'article 11 (paragraphe XVI) du projet de loi sur la réduction négociée du temps de travail, voté sans modification par l'Assemblée nationale en première lecture, mais supprimé au Sénat à l'initiative conjointe de M. Louis Souvet, rapporteur au nom de la commission des Affaires sociales, ... et du Gouvernement.
(1) Le mécanisme de financement du fonds : une usine à gaz
Ce fonds
est alimenté par des recettes d'origines très diverses. Il
bénéficie, dans la version du projet adoptée par
l'Assemblée nationale, d'une fiscalité affectée (pas moins
de quatre prélèvements : droits sur les tabacs, contribution
sociale sur les bénéfices, taxe générale
sur les activités
polluantes, droits sur les alcools) et d'une contribution de l'Etat.
Selon la présentation retenue par le Gouvernement, pour
" financer " la ristourne sur les bas salaires actuelle, 85,5 %
des droits sur les tabacs seraient affectés au fonds de financement dans
la limite de 39,5 milliards de francs. On observera que les crédits
budgétaires étaient de 42,7 milliards de francs en loi de
finances initiale pour 1999, contre 39,5 milliards de francs de tabac pour
2000, soit une différence de 3,2 milliards de francs.
L'extension de la ristourne Juppé serait " financée "
par le conglomérat improbable de la taxe générale sur les
activités polluantes (3,2 milliards de francs) et de la
contribution sociale sur les bénéfices des sociétés
(4,3 milliards de francs).
La contribution prévue
dans les comptes tendanciels du régime
général
n'ayant plus lieu d'être, le Gouvernement a
choisi d'affecter une fraction des " droits 403 " (droits de
consommation sur les alcools) au " fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales ".
Cette fraction correspond à 47 % des " droits 403 ",
répartis depuis la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant
création de la couverture maladie universelle entre le Fonds de
solidarité vieillesse (FSV) (55 %), la CNAMTS (5 %) et les
régimes d'assurance maladie (40 %).
Ces droits transférés intégralement au FSV par la loi du
22 juillet 1993 connaissent également une affectation à
géométrie variable :
L'affectation des " droits 403 " sur les alcools
|
Loi du 22 juillet 1993 |
LFSS 1997 |
Loi du 27 juillet 1999 portant création de la CMU |
PLFSS 2000 |
FSV |
100 % |
60 % |
55 % |
8 % |
Régimes d'assurance maladie |
|
40 % |
40 % |
|
CNAMTS |
|
|
5 % |
45 % |
Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales |
|
|
|
47 % |
Total |
100 % |
100 % |
100 % |
100 % |
Le solde
comptable 2000 du FSV devait atteindre 8,5 milliards de francs. Il
était prévu d'affecter une partie de ces excédents au
fonds de réserve pour les retraites. L'excédent sera
désormais de moins 3 milliards de francs.
En privilégiant le financement des allégements des charges et
la réduction du temps de travail au financement futur des retraites, le
Gouvernement contredit lui-même sa
priorité
de
" sauvegarder les régimes de retraite par
répartition "
par l'intermédiaire du fonds de
réserve.
Le financement du " fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales " en 2000 n'est pas complètement
bouclé :
Nouveau plan de financement du fonds de financement
de la
réforme des cotisations patronales en 2000
(au 29 octobre 1999)
Recettes |
Montant |
Dépenses |
Montant |
FISCALITE AFFECTEE |
|
BAISSE CHARGES SOCIALES |
|
Droits sur les tabacs |
39.500 |
Ristourne Juppé actuelle |
39.500 |
Taxe générale sur les activités polluantes |
3.250 |
Extension de la ristourne Juppé |
7.500 |
Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés |
4.250 |
|
|
Droits sur les alcools |
5.600 |
|
|
I- Total fiscalité affectée |
52.600 |
I- Total baisse charges sociales |
47.000 |
CONCOURS DES FINANCES PUBLIQUES |
|
FINANCEMENT DIRECT DES 35 HEURES |
|
Etat |
4.300 |
Aides 35 heures loi 13 juin 1998 (incitatives) |
11.500 |
|
|
Aides 35 heures 2ème loi RTT (aide structurelle) |
6.000 |
II- Total concours finances publiques |
4.300 |
II- Total financement direct des 35 heures |
17.500 |
TOTAL RECETTES I+II |
56.900 |
TOTAL DEPENSES I+II |
64.500 |
Taxe heures supplémentaires |
6.000/9.000 |
|
|
Sources : PLF 2000, rapport économique, social et financier du PLF 2000, PLFSS 2000.
A terme,
le FSV perdrait la totalité des " droits 403 ", ce qui
représenterait une perte de 12 milliards de francs.
Son financement est ainsi menacé. Faudra-t-il augmenter, dans quelques
années, le taux de CSG qui lui est affecté (1,3 %) afin de faire
face à un déficit né du financement des trente-cinq
heures ?
Pour 2000, le financement des 35 heures n'est pas assuré à
hauteur de 8 milliards de francs. A terme, le plan de financement montre
un " trou " d'une vingtaine de milliards de francs.
La taxation des heures supplémentaires est prévue à
l'article 2 du projet de loi relatif à la réduction
négociée du temps de travail (nouvel article L. 212-5 du
code du travail). Elle est due par les entreprises dont la durée
collective du travail n'est pas fixée à 35 heures, sur les seules
quatre heures supplémentaires comprises entre 35 et 39 heures. Cette
contribution de 10 % est assise sur le salaire et l'ensemble des
éléments complémentaires de rémunération
versés en contrepartie directe du travail fourni (assiette des
cotisations sociales). Elle est recouvrée par les URSSAF selon les
règles et garanties définies pour la contribution sociale
généralisée sur les revenus d'activité et les
revenus de remplacement.
Les URSSAF se voient reconnaître, là encore, une charge
supplémentaire. Les modalités de calcul de cette taxe sont, en
effet, loin d'être évidentes.
Son rendement fait l'objet d'estimations bien différentes :
La taxation des heures supplémentaires : des évaluations différentes
Source |
Evaluation |
Etude d'impact |
9.000 |
Rapport n°1826 (XI ème législature) Assemblée nationale, p. 232 |
5.400 |
Rapport économique, social et financier du PLF 2000, p. 246 |
6.000 |
Martine Aubry (JO débats AN, p. 7033) |
7.500 |
En
effet, elle dépend d'un autre facteur ; l'entreprise peut y
échapper lorsque le paiement d'une heure et de sa bonification est
remplacé par 125 % de repos compensateur.
Cette contribution serait affectée au fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales non pas " en
trésorerie " comme l'indiquait la version initiale de l'article 2
du projet de loi, mais de manière " comptable ".
Le financement annuel du fonds " à terme " est encore moins
défini, le concept " à terme " étant
lui-même vague
32(
*
)
.
L'exposé des motifs de l'article 2 du projet de loi de financement
de la sécurité sociale indique que
" les dépenses
seraient de l'ordre de 100 à 110 milliards de francs par
an "
. Le coût proprement dit des 35 heures atteindrait alors 40
milliards de francs, l'extension de la " ristourne Juppé "
25 milliards de francs.
Le nouveau plan de financement " à terme "
(au 26 octobre 1999)
Recettes |
Montant |
Dépenses |
Montant |
FISCALITE AFFECTEE |
|
BAISSE CHARGES SOCIALES |
|
Droits sur les tabacs |
40.000 |
Ristourne Juppé actuelle |
40.000 |
Taxe générale sur les activités polluantes |
12.500 |
Extension de la ristourne Juppé |
25.000 |
Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés |
12.500 |
|
|
Droit sur les alcools |
12.500 |
|
|
Total fiscalité affectée (I) |
77.500 |
Total baisse charges sociales (I) |
65.000 |
CONCOURS DES FINANCES PUBLIQUES |
|
FINANCEMENT DIRECT DES 35 HEURES |
|
Etat |
7.200 |
Aides 35 heures |
40.000 |
Total concours finances publiques (II) |
7.200 |
Total financement direct des 35 heures (II) |
40.000 |
TOTAL RECETTES (I+II) |
84.700 |
TOTAL DEPENSES (I+II) |
105.000 |
Taxe heures supplémentaires |
? |
|
|
Source : déclarations de Mme Martine Aubry
à
l'Assemblée nationale + Livre blanc TGAP.
Ce financement " à terme " est construit sur
l'hypothèse d'une " ristourne Juppé " restant au niveau
d'environ 40 milliards de francs, ce qui repose sur une hypothèse d'une
stabilité des emplois.
L'hypothèse d'un rendement stable des droits sur les tabacs est tout
à fait recevable ; en revanche, l'hypothèse d'une ristourne
bas salaires " égale " semble bien pessimiste. Il est à
espérer que l'emploi progressera plus rapidement en France que la
consommation de tabac.
L'ensemble constitué par la taxe générale sur les
activités polluantes et la contribution sociale sur les
bénéfices de sociétés représenterait
25 milliards de francs.
b) Les sources d'alimentation du fonds : les prélèvements inacceptables
(1) L'assiette des cotisations patronales doit-elle s'élargir à l'alcool et aux tabacs ?
Votre
commission est favorable à ce que l'on procède, de manière
progressive, à l'affectation des droits sur les tabacs à
l'assurance maladie. Dans son esprit, et elle note que le rapport de M. Alfred
Recours, remis très récemment à M. le Premier
ministre, plaide dans le même sens, il s'agit de compenser l'assurance
maladie des dépenses occasionnées par la consommation de tabac.
Votre rapporteur précisait en juin 1999
33(
*
)
:
" Il est clair que pour
l'assurance maladie cette recette compense le coût du tabagisme et qu'au
nom des impératifs de santé publique, il serait souhaitable que
disparaissent à la fois la dépense et la recette ; a
contrario les droits sur les tabacs perçus au profit du budget de l'Etat
constituent un " impératif de finances publiques " "
L'affectation des droits sur les tabacs à un fonds de financement
mélangeant allégements de charge et aides pérennes au
passage aux 35 heures ne répond en rien à un
impératif de santé publique.
(2) Les prélèvements sur les entreprises proposés par le projet de loi sont inacceptables
La
contribution sociale sur les bénéfices des
sociétés, dont l'affectation au fonds de financement est
proposée à l'article 3 du projet de loi du financement de la
sécurité sociale, est, en fait, une majoration
déguisée de l'impôt sur les sociétés. Elle
est égale à 3,3 % de l'impôt sur les
sociétés calculé sur les résultats imposables au
taux de 33,3 % et 19 %.
La logique d'une affectation à la sécurité sociale d'une
partie de l'impôt sur les sociétés révolutionne pour
le moins la conception du financement de la sécurité sociale.
Cette affectation est contraire aux objectifs de simplification et de
lisibilité des finances sociales.
Rapportant 4,3 milliards de francs en 2000, son montant est estimé
" à terme " à 12,5 milliards de francs. Il suffira
au Gouvernement de proposer un relèvement du taux de cette contribution
s'il ne parvient pas à financer la réduction du temps de travail
et les nouveaux allégements de charges.
C'est d'ailleurs la conclusion de la commission des Finances de
l'Assemblée nationale, qui, sentant le " danger " venir d'un
dérapage budgétaire
34(
*
)
, avait adopté un amendement au
projet de loi de financement de la sécurité sociale
prévoyant de relever le taux de cette taxe en cas de surcroît des
dépenses par rapport aux recettes.
L'affectation de la taxe générale sur les activités
polluantes au fonds de financement doit faire l'objet des mêmes critiques.
Une fiscalité écologique est censée, au nom du principe
" pollueur-payeur " réparer les dégradations
apportées à l'environnement ; financer les
allégements de charges sociales est, en revanche, tout à fait
arbitraire. La TGAP, créée par la loi de finances pour 1999
à partir de cinq taxes préexistantes affectées à
l'ADEME, voit, par l'article 4 du projet de loi de financement, son
assiette élargie. Elle rapporterait 3,2 milliards de francs en 2000
et 12,5 milliards de francs " à terme ". Là aussi,
en cas de dérapage du financement du fonds, en cas
d'impossibilité pour l'Etat de prendre en charge le coût des
mesures décidées par le Gouvernement, il suffira d'étendre
à l'infini l'assiette de la TGAP et de relever chaque année les
quotités pour assurer un meilleur financement.
La présentation effectuée par le Gouvernement d'une baisse des
charges pour les entreprises est tout à fait fallacieuse :
Impact sur les entreprises en 2000 des mesures prises dans le cadre de la RTT
Aides forfaitaires par salarié |
- 17,5 |
Extension de la ristourne |
- 7,5 |
Création de la CSB |
+ 4,3 |
Augmentation de la TGAP |
+ 1,1 |
Taxes sur les heures supplémentaires |
+ 7,5 |
Solde |
- 12,1 |
Source : rapport économique, social et
financier du
projet de loi de finances 2000, p. 246 + déclarations de Mme Martine
Aubry.
Elle ne prend pas en compte, en effet, le fait que les aides forfaitaires et
l'extension de la ristourne sont nécessaires pour
" compenser " le coût des 35 heures pour les entreprises.
S'agissant d'un dispositif obligatoire, les aides incitatives auraient dû
disparaître.
L'extension de la ristourne Juppé et les aides
forfaitaires correspondent au chiffrage implicite par le Gouvernement du
surcoût pour les entreprises des 35 heures : 25 milliards de
francs en 2000, puis 65 milliards de francs par an.
L'accroissement de la charge globale sur les entreprises en 2000 est bien
davantage de l'ordre de 10 milliards de francs.
Cette estimation repose sur
l'hypothèse que le passage aux 35 heures s'avère neutre pour
les entreprises, l'extension de la ristourne Juppé, la modération
salariale et l'évolution de la productivité du travail annulant
la hausse du coût salarial horaire de 11,4 %.
L'institut REXECODE dément cette " annulation " : les
mesures d'accompagnement ne représenteraient qu'une faible part, de
l'ordre de 20 à 30 %, du surcoût salarial.
c) Un fonds de financement contraire dans sa version initiale à la loi organique du 22 juillet 1996
Dans la
version du texte déposé à l'Assemblée nationale,
les recettes du " fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales " n'apparaissent ni en loi de finances
35(
*
)
, ni clairement en loi de financement.
En effet, le Gouvernement avait choisi de maintenir la " doctrine "
existante, consistant à faire apparaître dans les
" cotisations effectives "... des cotisations qui n'ont jamais
été effectives, mais qui sont remboursées ex post par
l'Etat aux organismes de sécurité sociale.
Or, l'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale dispose
dans son paragraphe I-2° que
" la loi de financement
prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des
régimes obligatoires de base et des organismes créés pour
concourir à leur financement "
. L'expression
" d'organismes créés pour concourir à leur
financement " avait été choisie par le législateur
organique pour inclure le Fonds de solidarité vieillesse, dont les
recettes apparaissent dans les catégories de recettes de la loi de
financement, mais également des organismes de même nature, au cas
où ils seraient créés.
Les différents prélèvements nouveaux affectés (taxe
générale sur les activités polluantes, contribution
sociale sur les bénéfices des sociétés)
n'apparaissaient pas dans la ligne " Impôts et taxes " des
prévisions de recettes par catégorie.
Cette absence d'inscription n'était pas sincère du point de
vue comptable.
Comme l'a noté M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de
la commission des Finances, le fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales et le fonds de solidarité vieillesse sont
" des établissements publics administratifs, assis sur des
ressources fiscales (...) et visant notamment à prendre en charge des
cotisations sociales (exclusivement pour le fonds de financement, partiellement
pour le FSV) "
36(
*
)
.
Le projet initial du Gouvernement ne respectait pas la loi organique du 22
juillet 1996.