N° 421
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 6 mai 1998 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l' exploration et de l'utilisation de l'espace à des fins pacifiques (ensemble une annexe),
Par M. Claude ESTIER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin , président ; Yvon Bourges, Guy Penne, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, Charles-Henri de Cossé-Brissac , vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet. |
Voir le numéro :
Sénat : |
398 (1997-1998) |
Traités et conventions. |
Mesdames. Messieurs,
Le présent projet de loi vise à autoriser l'approbation d'un accord conclu, le 26 novembre 1996, entre la France et la Fédération de Russie, afin de mettre à jour les fondements juridiques de la coopération spatiale entre les deux pays. Il s'agit désormais pour l'essentiel, en effet, de prendre en compte les applications industrielles et commerciales d'une coopération bilatérale considérée depuis son origine, en 1966, comme exemplaire, et aujourd'hui confrontée aux défis de la période postsoviétique .
A travers ce texte, au contenu essentiellement technique, se font jour les enjeux internationaux de l'utilisation de l'espace à des fins pacifiques, dans laquelle les considérations stratégiques et de prestige ont toujours exercé une influence décisive.
Selon les informations transmises à votre rapporteur, l'entrée en vigueur du présent accord relève des procédures internes définies par l' article 53 de la Constitution : son approbation est donc subordonnée à l 'autorisation du législateur , en raison d'une stipulation relative à l' exemption de droits et taxes de marchandises importées de Russie "pour un lancement effectué dans l'espace extra-atmosphérique à partir de pas de tir utilisés par la République française".
Le fait que cette clause porte sur une matière législative justifierait l'application du premier alinéa de l'article 53 de la Constitution. Notons que la Russie avait, dès octobre 1997, accompli les procédures internes nécessaires à l'entrée en vigueur du présent accord. Il importe donc que la France fasse de même au plus vite, sans plus retarder l'entrée en vigueur de l'accord du 26 novembre 1996, et qu'elle confirme ainsi l'intérêt qu'elle porte à la coopération spatiale franco-russe.
Votre rapporteur fera précéder son analyse du présent accord d'un rappel historique des orientations de la coopération spatiale franco-soviétique et des modifications dues aux changements intervenus en Russie.
A. LA COOPERATION SPATIALE FRANCO-SOVIETIQUE : UN ÉLÉMENT EXEMPLAIRE DE RELA TIONS BILATÉRALES TRADITIONNELLEMENT DYNAMIQUES
La coopération spatiale entre la France et l'URSS eut pour point de départ historique la visite en Union soviétique du Général de Gaulle, en 1966. Cet aspect de la coopération franco-soviétique était très profondément encouragé, à l'origine, par le souci du chef de l'Etat français de conduire une diplomatie indépendante, dans laquelle devait s'inscrire l'instauration d'une politique spatiale autonome . La coopération spatiale franco-soviétique a incontestablement induit de substantiels avantages pour notre pays, auquel elle a permis de mettre en oeuvre une politique spatiale autonome , puis de contribuer à l' émergence d'un pôle spatial européen important .
Vue du côté soviétique, la coopération spatiale avec la France permettait de contrebalancer la prééminence américaine dans un domaine où les enjeux de puissance jouent un rôle traditionnellement déterminant, et dont a témoigné la longue rivalité américano-soviétique dans le domaine de la maîtrise de l'espace.
Le préambule de l' accord franco-soviétique du 30 juillet 1966 sur une coopération pour l'étude et l'exploration de l'espace à des fins pacifiques est, à cet égard, très éclairant.
Les Parties se réfèrent, en effet, non seulement à " l'esprit d'amitié traditionnelle entre le peuple français et le peuple soviétique ", mais aussi au "pas important vers la mise en oeuvre d'une coopération scientifique et technique européenne" que permettra !a coopération spatiale franco-soviétique.
Les orientations de cette coopération, telles que les a définies l'accord de 1966, concernent :
--le lancement, par l'URSS, d'un satellite français en vue de contribuer à l'étude de l'espace ;
- la météorologie spatiale et les télécommunications,
- l'accomplissement d'expérimentations communes dans le domaine télévisuel,
- les échanges scientifiques bilatéraux (informations, stagiaires. délégations scientifiques, conférences ...),
Si le domaine des sciences de l'univers a été prédominant pendant les vingt premières années de cette coopération, celle-ci s'est élargie progressivement vers d'autres aspects de l'activité spatiale et, plus particulièrement, vers les sciences de la Terre. Dès 1967, des actions conjointes ont concerné l'étude du champ magnétique de la Terre à l'aide de fusées-sondes. Puis ces recherches ont été poursuivies grâce à des instruments placés sur des satellites (étude de l'interaction entre le vent solaire et la magnétosphère terrestre : expérience ARCADE de 1973).
La coopération spatiale franco-soviétique a incontestablement fait bénéficier la communauté scientifique française de conditions inégalées pour participer à des missions spatiales de premier plan .
Ainsi l' association au programme lunaire soviétique a-t-elle permis aux laboratoires français de travailler, dès 1970, sur des échantillons de roche rapportés sur la Terre (une sonde soviétique avait été équipée, pour la première fois, de réflecteurs lasers occidentaux pour réaliser des mesures entre la Lune et la Terre).
En 1972, un premier satellite français (SRET 1) a été lancé par une fusée soviétique. L'expérience française SIGNE, la même année, installée sur un satellite soviétique, enregistre pour la première fois une émission gamma solaire lors d'une éruption. Ainsi a débuté une longue coopération dans le domaine de l' astronomie , où la France a acquis un rayonnement international .
De même la possibilité, pour nos scientifiques, de bénéficier de l'énorme potentiel soviétique, s'est-elle poursuivie dans le domaine de la planétologie , avec la participation aux missions VEGA d'étude de Vénus et de la comète de Halley.
En 1982, le cosmonaute français Jean-Loup Chrétien sera le premier cosmonaute occidental à voler avec un équipage soviétique à bord de la station Salyout 7.
Dès lors les vols habités (missions PVH en 1982, ARAGATS en 1988, ANTARES en 1992, ALTAIR en 1993, CASSIOPEE en 1996, PEGASE en 1998) sont devenus un élément essentiel de la coopération spatiale franco-soviétique. Leur connotation politique , dans le contexte de l'ouverture croissante de l'URSS depuis la fin de l'ère Brejnev, mérite d'être soulignée.
Cette dimension ressort très nettement du protocole additionnel à l'accord de 1996 , conclu le 4 juillet 1989 en marge du sommet Mitterrand-Gorbatchev de Paris. Ce texte, qui rappelle le caractère "mutuellement profitable" de la coopération spatiale bilatérale, a principalement pour objet la participation de cosmonautes français à un programme commun de coopération scientifique et technique à bord des stations orbitales soviétiques . Ce programme comprend l'installation d'instruments français à bord de stations spatiales soviétiques, et la "visite périodique d'un cosmonaute français" pour la réalisation d'expériences qui concerneront essentiellement l'étude et l'utilisation de la microgravité.
Les autres dimensions de la coopération spatiale franco-soviétique évoquées par le protocole de 1989 sont :
- les véhicules spatiaux type "navette",
- l'aéronomie,
-la médecine et la biologie spatiales,
- l'étude des composants minoritaires de l'atmosphère (en particulier l'ozone), l'étude du bilan radiatif de la Terre, et l'étude de la planète Mars.
Outre la diversification des domaines de recherche concernés par la coopération spatiale franco-soviétique, le protocole de 1989 vise expressément les incidences juridiques de celui-ci. Ainsi prévoit-il la conclusion de contrats sur des bases commerciales entre organismes et industriels des deux pays, et invite-t-il les deux Parties à faciliter l'entrée et le séjour, sur leur territoire, de "personnes habilitées pour l'accomplissement des tâches communes".
Il est donc incontestable que la France a tiré un profit évident, sur les plans scientifique et diplomatique, de la coopération spatiale conduite avec l'URSS, dont elle était, à la fin des années 1980, le premier partenaire occidental dans un domaine décisif pour son rayonnement international .
Ainsi les vols successifs de cosmonautes français dans le cadre des missions réalisées avec les Russes ont permis aux équipes françaises de développer des compétences appréciées et utilisées par la NASA dans la perspective de la station spatiale internationale. De même la communauté scientifique française a-t-elle acquis une réputation internationale dans le domaine de la physiologie cardio-vasculaire et des neurosciences grâce à la participation de cosmonautes français à des vols habités.