AVIS n° 327 - Projet de loi adopté par l'Assemblée nationale instituant une commission consultative du secret de la défense nationale


Jean-Paul AMOUDRY, Sénateur


Commission des Lois constitutionnelle, de législation, du suffrage universel et d'administration générale - Rapport n° 327 - 1997-1998

Table des matières






N° 327

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 mars 1998

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, instituant une commission consultative du secret de la défense nationale ,

Par M. Jean-Paul AMOUDRY,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 593 , 679 , 684 et T.A . 84 .

Sénat : 297 (1997-1998)

 
Défense .

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 4 mars 1998 sous la présidence de M. Pierre Fauchon, vice-président, la commission des Lois a procédé, sur le rapport de M. Jean-Paul Amoudry, à l'examen pour avis du projet de loi instituant une commission consultative du secret de la défense nationale.

Ce texte, présenté par M. Alain Richard, ministre de la Défense, et dont la commission des Affaires étrangères est saisie au fond, institue une commission consultative du secret de la défense nationale, présidée par le président de la Commission nationale des interceptions de sécurité et comportant deux membres issus du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des Comptes, un député et un sénateur.

Cette commission serait saisie par l'autorité ayant procédé à la classification chaque fois qu'une juridiction française demanderait la déclassification ou la communication d'une information classée comme relative au secret de la défense nationale.

Il lui appartiendrait de donner un avis, dans un délai de deux mois, sur la déclassification ou la communication, le sens de cet avis (favorable, défavorable ou favorable à une déclassification partielle) étant publié au Journal officiel. L'autorité administrative disposerait alors de quinze jours pour notifier à la juridiction sa décision sur la déclassification.

La commission des Lois a émis un avis favorable sur ce projet de loi sur lequel elle a adopté une dizaine d'amendements prévoyant notamment :

- de réduire de cinq à trois le nombre de membres de la commission consultative du secret de la défense nationale en supprimant la participation de parlementaires ajoutée par l'Assemblée nationale ;

- d'étendre l'intervention de cette commission aux demandes de déclassification présentée par les commissions parlementaires d'enquête.

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi instituant une Commission consultative du secret de la défense nationale, aujourd'hui soumis à notre examen, est la traduction d'un engagement pris par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997 : " La mise en oeuvre de la loi de 1991 permettant le contrôle des interceptions de sécurité des télécommunications ne doit pas être compromise par une utilisation abusive du " secret-défense ". Je proposerai qu'une autorité indépendante puisse être saisie et se prononcer dans ces situations. "

Ce projet de loi a cependant un objet plus large que celui évoqué par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, puisque cette commission pourrait donner des avis sur la déclassification de certaines informations, sans que sa saisine soit liée à la volonté de contrôler des interceptions de sécurité des télécommunications. Dans l'exposé des motifs du projet de loi, le Gouvernement estime que le secret demeure indispensable, mais qu'il ne doit pas être détourné de sa finalité qui est la préservation des intérêts fondamentaux de la Nation.

Compte tenu du caractère éminemment juridique de ce texte, présenté, au nom du Premier ministre, par M. Alain Richard, ministre de la défense, et qui s'inscrit dans le cadre de procédures juridictionnelles, votre commission des Lois a souhaité se saisir pour avis, étant précisé que l'examen au fond relève de la compétence de votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, qui a désigné rapporteur notre excellent collègue Nicolas About.

I. LE CONTEXTE JURIDIQUE DU PROJET DE LOI

A. LA NOTION DE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE

1. La définition donnée par le code pénal

Le secret de la défense nationale est évoqué dans le Livre IV du code pénal relatif aux " crimes et délits contre la Nation, l'Etat et la paix publique ". L'article 413-9 du code pénal définit de manière formelle les informations concernées par le secret de la défense nationale : " présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion. Peuvent faire l'objet de telles mesures les renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale. Les niveaux de classification des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d'État ".

2. La classification des informations concernant la défense nationale

La classification des informations est régie par le décret n° 81-514 du 13 mai 1981 relatif à l'organisation de la protection des secrets et informations concernant la défense nationale et la sûreté de l'Etat. Ce texte prévoit trois niveaux de protection :

- la mention " très secret défense ", réservée aux informations dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale et à la sûreté de l'Etat et qui concernent les priorités gouvernementales en matière de défense ;

- la mention " secret défense ", réservée aux informations dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale et à la sûreté de l'Etat ;

- la mention " confidentiel défense ", réservée aux informations qui ne présentent pas en elles-mêmes un caractère secret, mais dont la connaissance, la réunion ou l'exploitation peuvent conduire à la divulgation d'un secret intéressant la défense nationale et la sûreté de l'Etat.

Les décisions d'admission sont prises par le Premier ministre pour les informations " Très secret défense " et par chaque ministre pour les informations " Secret défense " et " Confidentiel défense ".

B. LA PROTECTION DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE

1. Le secret à l'égard des particuliers

a) L'absence de droit à communication d'une information couverte par le secret défense

Le souci qu'a eu le législateur, depuis la fin des années 1970, d'améliorer la " transparence administrative " n'est pas allé jusqu'à conférer aux particuliers un droit d'accès, même conditionné, aux informations couvertes par le secret de la défense nationale.

Ainsi l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public permet à l'administration de " refuser de laisser consulter ou de communiquer un document administratif dont la consultation ou la communication porterait atteinte (...) au secret de la défense nationale ".

De même, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, qui exige notamment la motivation des décisions refusant une autorisation, exclut de cette obligation les documents visés par ledit article 6.

b) L'interdiction de porter à la connaissance du public un document couvert par le secret défense

Les articles 413-10 et 413-11 du code pénal définissent les sanctions applicables à l'encontre des personnes ayant porté atteinte au secret de la défense nationale.

Les sanctions prévues sont plus graves lorsqu'une personne dépositaire, par état ou par profession, d'informations ayant un caractère de secret de la défense nationale, a diffusé des informations au public ou à des personnes non qualifiées : sept ans d'emprisonnement et 700.000 F d'amende. Lorsque l'atteinte est le fait d'une autre personne, les peines sont de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 F d'amende.

L'article 413-12 incrimine la simple tentative.

On observera que l'atteinte au secret de la défense nationale est constituée lorsque le document concerné est porté à la connaissance du public ou d'une " personne non qualifiée ". Cette dernière notion renvoie directement à l'article 7 du décret du 12 mai 1981 relatif à l'organisation de la protection des secrets et des informations concernant la défense nationale, selon lequel " nul n'est qualifié pour connaître des informations protégées " s'il ne remplit pas une double condition :

- avoir reçu une autorisation préalable laquelle, selon l'article 8 dudit décret, doit préciser le niveau de protection des informations auxquelles le titulaire peut avoir accès (très secret-défense, secret-défense, confidentiel défense). L'autorisation est donnée par le Premier ministre pour les informations très secret-défense et par chaque ministre pour les informations secret-défense et confidentiel défense ;

- et avoir besoin de connaître ces informations pour l'accomplissement de sa fonction ou de sa mission.

2. Le secret à l'égard du juge

L'interdiction de porter atteinte au secret de la défense nationale est même opposée au juge .

Dans les arrêts qu'il a rendus sur ce sujet, le Conseil d'État a estimé que le secret était opposable au juge administratif, mais que celui-ci avait cependant toujours la possibilité de demander les motifs d'un refus de communiquer des renseignements et d'en tirer les conséquences.

Dans un avis en date du 19 juillet 1974, le Conseil d'État a clairement indiqué que " quiconque est détenteur d'un secret de la défense nationale ne peut le divulguer . Cette obligation doit être opposée même à la juridiction . " Il a estimé que le juge pouvait néanmoins s'assurer auprès du ministre compétent de la légitimité de son refus de communiquer certains renseignements et statuer en conséquence.

En ce qui concerne le juge judiciaire, le juge pénal est souvent conduit, lorsqu'il y a eu violation du secret, à vérifier si le caractère secret était ou non justifié. Lorsqu'il n'y a eu que tentative de divulgation, il importe donc pour le juge d'avoir accès à des informations encore secrètes (puisque, si le délit est consommé, le juge a par hypothèse connaissance des informations révélées). Or, la pratique du Gouvernement a été de refuser l'accès aux informations. La décision de la chambre d'accusation de Paris relative à l'affaire des micros du Canard Enchaîné a confirmé l'impossibilité pour le juge de contester le secret invoqué.

3. Le secret à l'égard des parlementaires

Actuellement, les pouvoirs d'enquête et de contrôle des parlementaires sont limités pour tenir compte des nécessités du secret de la défense nationale.

L'article 6-II de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit que les rapporteurs des commissions d'enquête " sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat ".

Les compétences des rapporteurs budgétaires et de ceux de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et de l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques sont limitées par des dispositions similaires.

II. LE CONTENU DU PROJET DE LOI

Composé de dix articles (dont le dernier prévoit son application dans les territoires d'outre-mer et à Mayotte), le projet de loi recherche, selon son exposé des motifs, un nouvel équilibre des institutions républicaines. A cette fin, il propose la création d'une Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), autorité administrative indépendante appelée à se prononcer lorsqu'une procédure juridictionnelle se heurte au secret de la défense nationale.

A. LE RÔLE DE LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE (ARTICLE PREMIER)

Instituée par l'article premier, la Commission du secret de la défense nationale est expressément qualifiée, comme la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), d'autorité administrative indépendante.

Elle serait chargée de donner un avis sur la déclassification et la communication d'informations lorsque cette déclassification serait demandée par une juridiction française.

B. LA COMPOSITION DE LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE (ARTICLES 2 ET 3)

L'article 2 prévoit que la CCSDN est présidée de droit par le président de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité et qu'elle comprend, en outre, deux personnalités choisies par le Président de la République sur une liste de six membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. Ces personnes seraient nommées pour six ans.

L'Assemblée nationale a porté le nombre de membres de la commission de trois à cinq en prévoyant la participation d'un député, désigné par le président de l'Assemblée nationale pour la durée de la législature, et d'un sénateur, désigné par le Président du Sénat après chaque renouvellement partiel.

Le mandat des membres de la commission ne serait pas renouvelable. Il ne pourrait être mis fin aux fonctions de membre de la commission qu'en cas d'empêchement constaté par celle-ci.

L'article 9 prévoit un étalement de la fin du premier mandat des membres de la commission autres que les parlementaires ; ainsi, le mandat du président s'achèverait le 30 septembre 2003, mais le mandat des deux autres membres s'achèverait pour l'un le 30 septembre 2001, pour l'autre le 30 septembre 2005.

C. LE FONCTIONNEMENT DE LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE (ARTICLES 3 À 7)

1. La saisine de la commission (article 4)

Selon l'article 4, l'autorité administrative saisit sans délai la commission de toute demande d'accès à des informations classifiées présentée par une juridiction française. Les demandes d'accès doivent être motivées.

L'autorité administrative sera celle qui aura procédé à la classification. En effet, conformément au parallélisme des formes, cette autorité décidera ou non de déclassifier.

2. Les moyens de la commission (articles 3, 5, 6)

a) L'information de la commission (article 5)

L'article 5 permet au Président de la commission de mener toutes investigations utiles.

Il ouvre le droit pour les membres de la commission de connaître de toute information classifiée dans le cadre de leur mission. Parallèlement, il les soumet au respect du secret de la défense nationale pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leurs fonctions.

Contrairement à ce que prévoit la loi de 1991 pour les membres de la CNCIS, le projet de loi n'astreint pas expressément les membres de la CCSDN au respect du secret professionnel. Il va en effet sans dire que ces personnes y seront néanmoins théoriquement astreintes en application de l'article 226-13 du code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende " la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire (...) en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ". Cette précision n'a cependant qu'un intérêt purement théorique car, en pratique, on imagine mal comment les membres de la CCSDN pourraient être dépositaires d'un secret qui ne relèverait pas du secret défense.

L'article 6 prévoit que les ministres, les autorités publiques et les agents publics ne peuvent s'opposer à l'action de la commission et doivent prendre toutes mesures utiles pour la faciliter. Aucune sanction n'est cependant prévue en cas d'opposition à l'exercice de sa mission par la commission.

b) Les crédits de la commission (article 3)

L'article 3 prévoit l'inscription des crédits nécessaires à la commission pour l'accomplissement de sa mission au budget des services du Premier ministre. Il tend en outre à faire du président de la commission l'ordonnateur des dépenses de celle-ci.

c) L'avis de la commission (article 7)

L'article 7 prévoit que la commission émet un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Cet avis pourrait être soit favorable, soit favorable à une déclassification partielle, soit défavorable. Selon les termes du projet de loi, l'avis devrait prendre en considération " l'accomplissement des missions incombant au service public de la justice, le respect des engagements internationaux de la France ainsi que la nécessité de préserver les capacités de défense et la sécurité des personnels ". Le sens de l'avis serait rendu public.

D. LA DÉCISION DE L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE APRÈS AVIS DE LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE (ARTICLE 8)

L'article 8 donne un délai de quinze jours à l'autorité administrative, à compter de la réception de l'avis, pour notifier sa décision à la juridiction qui l'a saisie.

Elle n'est juridiquement pas liée par l'avis de la CCSDN même si, en pratique, on peut imaginer que l'autorité administrative s'efforcera le plus souvent de le suivre.

III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

Tout en approuvant le projet de loi dans son principe, votre commission des Lois vous propose dix amendements. Outre la suppression d'une redondance à l'article premier, ces amendements concernent :

- l'articulation entre l'intervention de la CCSDN et la décision de l'autorité administrative ;

- l'extension des compétences de la CCSDN aux demandes de déclassification ou de communication présentées par une commission parlementaire d'enquête ;

- la composition de la CCSDN, votre commission des Lois vous proposant de la réduire de cinq à trois membres en supprimant la participation de parlementaires ajoutée par l'Assemblée nationale ;

- les éléments que la CCSDN devra prendre en considération dans son avis.

A. UNE MEILLEURE ARTICULATION ENTRE L'INTERVENTION DE LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE ET LA DÉCISION DE L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE

Votre commission des Lois constate tout d'abord que, à la différence de la plupart des autorités administratives indépendantes, la CCSDN ne disposera d'aucun pouvoir de décision. Aussi lui parait-il plus approprié de la qualifier de commission administrative indépendante que d'autorité administrative indépendante. Elle vous propose donc un amendement à l'article premier afin d'opérer cette modification terminologique.

En second lieu, elle constate que le projet de loi ne précise pas les conséquences à tirer d'un défaut d'avis dans le délai de deux mois. L'avis doit-il alors être réputé favorable, défavorable ...? Selon votre commission des Lois, l'esprit du projet de loi est, dans cette hypothèse (dont on peut légitimement espérer qu'elle sera exceptionnelle, voire inexistante), de permettre à l'autorité administrative de se prononcer nonobstant l'absence d'avis. C'est pourquoi, dans le souci d'éviter toute ambiguïté, elle vous propose un amendement à l'article 8 précisant que, à défaut d'avis, l'autorité administrative statuera dans les quinze jours suivant l'expiration du délai de deux mois.

B. UNE EXTENSION DES COMPÉTENCES DE LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE

Le secret de la défense nationale est opposable aux organes parlementaires chargés d'une mission d'enquête, de contrôle ou d'évaluation, à savoir :

- les commissions spéciales ou permanentes, lorsqu'elles estiment nécessaire d'entendre une personne (article 5 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958) ;

- les rapporteurs des commissions d'enquête (article 6) ou des commissions permanentes ou spéciales investies de pouvoirs d'enquête (article 5 ter ) ;

- l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (article 6 ter , paragraphe VI) ;

- l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques (article 6 quinquies , paragraphe IV).

Votre commission des Lois ne conteste nullement cette faculté pour le Gouvernement d'opposer le secret de la défense nationale à ces organes parlementaires.

Elle considère toutefois que l'affirmation de l'exposé des motifs du projet de loi selon laquelle il n'est pas acceptable de permettre au pouvoir exécutif de limiter, sans aucun contrôle, l'action de l'autorité judiciaire peut également s'appliquer à l'action du Parlement : il paraît en effet difficilement acceptable que le contrôle du Parlement sur le Gouvernement, qui constitue l'un des piliers de notre État de droit au même titre que le bon fonctionnement de la justice, puisse être entravé, sans aucun contrôle, par une utilisation abusive du secret défense.

On observera par ailleurs que, dans son rapport public de 1995 (auquel se réfère l'exposé des motifs), le Conseil d'État avait préconisé la création d'une commission nationale du secret défense " pour satisfaire à la règle d'accès indirect aux données couvertes par le secret défense, quelles que soient les circonstances où se trouve posé un problème touchant à celui-ci " (le Conseil d'État ajoutant : " y compris en cas de litige devant la juridiction administrative ou judiciaire ", ce qui démontre clairement que, dans son esprit, la compétence de la nouvelle commission ne devait pas être limitée aux procédures devant une juridiction).

Aussi votre commission des Lois vous propose-t-elle un amendement insérant un nouvel alinéa à l'article premier afin d'étendre la compétence de la CCSDN aux demandes de déclassification ou d'information présentées par les commissions parlementaires.

Par coordination, elle vous propose deux autres amendements aux articles premier et 4.

C. LA COMPOSITION DE LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE

Votre commission des Lois s'est longuement interrogée sur l'opportunité de prévoir que deux parlementaires appartiendraient à la CCSDN.

Elle constate en effet que cette nouvelle commission n'aura aucunement en charge de veiller au respect de dispositions législatives, contrairement à d'autres autorités administratives indépendantes comprenant des parlementaires comme la CNCIS (article 13 de la loi de 1991), la commission nationale de l'informatique et des libertés (article 6 de la loi du 6 janvier 1978), ou la commission d'accès aux documents administratifs (article 5 de la loi du 17 juillet 1978). Dans tous ces cas, le législateur a en effet expressément assigné pour tâche à l'autorité compétente de " veiller au respect de " dispositions législatives . Or, en l'espèce, l'article premier de la loi se limite à charger la CCSDN à " donner un avis " sur des demandes de déclassification -la classification relevant de la seule autorité réglementaire-.

En d'autres termes, la CCSDN aura un rôle doublement circonscrit :

- un rôle d'aide à la décision plus que de contrôle . Or, le Parlement n'est pas le conseiller du Gouvernement ;

- un rôle limité à une matière exclusivement réglementaire .

Dans ces conditions, on ne saurait fixer la composition de la CCSDN par référence à ce qui est déjà prévu pour d'autres autorités administratives indépendantes. Il semble même qu'une application rigoureuse du principe de la séparation des pouvoirs conduise à exclure l'intervention du Parlement préalablement à des décisions prises dans une matière relevant de la seule compétence du Gouvernement.

Votre commission des Lois vous propose en conséquence un amendement à l'article 2 limitant la composition de la CCSDN à trois membres, appartenant au Conseil d'État, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes ainsi qu'un amendement de coordination à l'article 9.

D. LES ÉLÉMENTS PRIS EN CONSIDÉRATION PAR LA COMMISSION CONSULTATIVE DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE DANS SON AVIS

Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, l'article 7 prévoit que l'avis de la CCSDN prendra notamment en considération :

- l'accomplissement des missions incombant au service public de la justice ;

- la nécessité de préserver la sécurité des personnels.

Votre commission des Lois vous propose deux amendements sur ces points.

Le premier amendement substitue la notion de " missions incombant à la juridiction " à celle de " missions incombant au service public de la justice ". Il conduira la CCSDN à se prononcer véritablement in concreto, en fonction de chaque affaire, plutôt que par une référence abstraite aux missions de la justice.

Le second amendement , suggéré par M. Pierre Fauchon, élargit à la sécurité des personnes, et non des seuls personnels, les éléments à prendre en considération. Il s'agit de tenir compte du fait que, dans certaines hypothèses, la déclassification pourra avoir des conséquences non seulement pour les personnels mais aussi pour des tiers.

*

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi dont la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, est saisie au fond.

ANNEXE :
AMENDEMENTS ADOPTÉS
PAR LA COMMISSION DES LOIS

Article premier

I. Supprimer la deuxième phrase de cet article.

II. Au début de la troisième phrase, remplacer le mot :

Elle

par les mots :

Cette commission administrative indépendante

Article premier

Dans la troisième phrase de cet article, supprimer les mots :

, à la suite de la demande d'une juridiction française,

Article premier

Dans la troisième phrase de cet article, supprimer les mots :

relatives au secret de la défense nationale

Article premier

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

" L'avis de la commission consultative du secret de la défense nationale est rendu à la suite de la demande d'une juridiction française ou d'une commission parlementaire exerçant sa mission dans les conditions fixées par les articles 5 bis, 5 ter ou 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. "

Article 2

Modifier comme suit cet article :

I - Dans le premier alinéa, remplacer le mot :

cinq

par le mot :

trois

II - Supprimer les troisième, quatrième et cinquième alinéas.

III - Dans le septième alinéa, remplacer les mots :

des personnalités qualifiées

par les mots :

des membres

IV - Dans la dernière phrase du dernier alinéa, remplacer les mots :

au sixième alinéa

par les mots :

au troisième alinéa

Article 4

Dans le premier alinéa de cet article, après les mots :

juridiction française

insérer les mots :

ou une commission parlementaire dans les conditions fixées à l'article premier

Article 7

Rédiger comme suit le début du premier alinéa de cet article :

Dans le délai de deux mois à compter de sa saisine, la commission émet un avis qui prend en considération les missions incombant à la juridiction, le respect de la présomption d'innocence....

Article 7

A la fin du premier alinéa de cet article, remplacer le mot :

personnels

par le mot :

personnes

Article 8

A la fin de cet article, après le mot :

commission

insérer les mots :

ou de l'expiration du délai de deux mois mentionné à l'article 7

Article 9

Dans cet article, supprimer les mots :

et les parlementaires

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