Rapport n° 313 - Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière civile entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil
M. Hubert DURAND-CHASTEL
Commission des Affaires étrangères de la défense et des forces armées - Rapport n° 313 - 1997-1998
Table des matières
- I. LE BRÉSIL SUR LA VOIE DU RENOUVEAU
- II. LA RELANCE DES RELATIONS FRANCO-BRÉSILIENNES
- III. L'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE CIVILE ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROJET DE LOI
-
ANNEXE
ETUDE D'IMPACT22 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires
N° 313
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 février 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d' entraide judiciaire en matière civile entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil,
Par M. Hubert DURAND-CHASTEL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Xavier
de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet,
François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Marcel
Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert
Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette
Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard
Plasait, André Rouvière, André Vallet.
Voir le numéro
:
Sénat
:
204
(1997-1998).
|
Traités et conventions. |
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'approbation de la
convention d'entraide judiciaire en matière civile entre la France et le
Brésil signée à Paris le 28 mai 1996.
La France et le Brésil avaient déjà signé, le 30
janvier 1981, une convention d'entraide judiciaire qui est entrée en
vigueur en 1985 mais qui a immédiatement soulevé des
difficultés d'application, particulièrement sur la question de la
traduction des actes transmis et sur l'interprétation, divergente entre
les deux parties, de la notion de commission rogatoire. Par ailleurs, la
convention de 1981 comportait des lacunes dans le domaine de la protection des
mineurs.
La nécessité d'un nouveau texte, plus clair et plus complet, a
donc entraîné la reprise de négociations bilatérales
dès 1989. Celles-ci n'ont abouti qu'en 1996, avec la signature de la
convention d'entraide judiciaire annexée au présent projet de loi.
Avant de détailler les principales dispositions de cette convention, et
surtout les améliorations qu'elle apporte par rapport à la
convention de 1981, votre rapporteur souhaite rapidement évoquer
l'évolution récente du Brésil sur le plan politique et
économique, ainsi que l'état de ses relations avec la France.
I. LE BRÉSIL SUR LA VOIE DU RENOUVEAU
Après plus de vingt années de régime militaire, le Brésil a renoué avec la démocratie dans le cadre d'institutions nouvelles qui, malgré certaines secousses, lui ont permis de retrouver la stabilité. Sur le plan économique, le plan de stabilisation mis en oeuvre en 1994 a amorcé une profonde mutation, qui a déjà donné certains résultats tout en se heurtant à de réelles difficultés. Enfin, le Brésil entend s'affirmer sur la scène internationale, en tout premier lieu en jouant un rôle moteur dans l'intégration économique en Amérique du Sud.
A. UNE DÉMOCRATIE STABILISÉE
La nouvelle constitution adoptée en 1988 lors de la
période de transition qui a suivi la fin du régime militaire a
confirmé l'orientation démocratique du Brésil, dans le
cadre d'institutions largement décentralisées.
Le Brésil a fait le choix d'un
régime présidentiel
,
avec un Président de la République élu pour quatre ans au
suffrage universel et un Parlement bicaméral composé d'une
Chambre des députés fédéraux, élue pour
quatre ans au scrutin proportionnel, et d'un Sénat où
siègent 3 sénateurs par Etat fédéré,
élus au scrutin majoritaire pour 8 ans.
La nouvelle constitution a défini pour chacun des niveaux
d'administration, c'est-à-dire l'Etat fédéral, les Etats
fédérés et les communes, des compétences exclusives
et des compétences communes, l'Etat fédéral ayant en
charge les principales fonctions régaliennes ainsi que la politique
économique, alors que les Etats fédérés, en vertu
d'un principe de subsidiarité, peuvent agir dans tous les domaines qui
ne leur sont pas explicitement interdits par la Constitution. Chaque Etat
fédéré élit pour quatre ans un Gouverneur et une
Assemblée législative.
La solidité de ces nouvelles institutions a été mise
à l'épreuve lors de la procédure de destitution pour
corruption conduite contre le Président Collor de Mello en 1992, qui a
entraîné un intérim du vice-président Itamar Franco
jusqu'en 1994.
Largement élu en 1994, le
Président Cardoso
a obtenu du
Parlement en juin 1997 le vote d'un amendement constitutionnel lui permettant
de
briguer un second mandat en 1998.
L'actuel mandat présidentiel aura été marqué par la
poursuite et l'amplification des
profondes réformes
engagées par M. Cardoso alors qu'il n'était que ministre des
finances de M. Franco, et notamment la défense de la nouvelle monnaie,
le real, et la lutte contre l'inflation, l'ouverture de l'économie
brésilienne aux produits et aux investissements étrangers et la
privatisation de grandes entreprises d'Etat.
Toutefois,
l'absence de large majorité au Congrès
, au sein
duquel son parti, le parti social démocrate, reste très
minoritaire, a obligé le Président Cardoso à composer avec
les diverses forces politiques pour faire accepter certaines réformes,
quitte à devoir céder à des exigences
particulières. Par ailleurs, les conséquences sociales de sa
politique de lutte contre l'inflation et de la défense de la monnaie
pèsent dans le débat politique, dans un pays fortement
marqué par de profondes inégalités sociales et
régionales.
L'année 1998 sera pour le Brésil très importante sur le
plan politique puisque la quasi totalité des fonctions politiques
électives nationales et régionales seront renouvelées au
mois d'octobre. Outre
l'élection présidentielle
, à
laquelle M. Cardoso sera à nouveau candidat, les Brésiliens
renouvelleront la chambre des députés fédéraux et
le tiers du Sénat (les deux autres tiers ont été
renouvelés en 1994). Chaque Etat fédéré
renouvellera également son gouverneur et son assemblée
législative.
B. LES DIFFICULTÉS DU REDRESSEMENT ÉCONOMIQUE
Sous l'impulsion de M. Cardoso, en qualité de ministre des finances puis de chef de l'Etat, le Brésil, alors en proie à une hyper-inflation et à la montée du chômage et des inégalités, a mené une profonde mutation économique comportant un double volet :
-
· un
plan de stabilisation
, dit "plan Real", axé sur
l'instauration d'une nouvelle monnaie, le real, remplaçant le cruzeiro
et indexé sur le dollar américain ;
· des réformes de structures visant à libéraliser l'économie , à la fois par une ouverture aux échanges et aux capitaux internationaux et par une réduction du rôle de l'Etat dans l'économie.
Bénéficiant d'une plus grande stabilité économique, le Brésil a su attirer un flux d'investissement étranger en plein essor , supérieur à 10 milliards de dollars par an, motivé par les perspectives de développement du marché brésilien.
La politique de privatisation , ou de mise en concession, a été engagée, essentiellement dans les secteurs de l'énergie, des télécommunications et des infrastructures, alors que les monopoles de la distribution du gaz et des télécommunications ont été supprimés. On estime que les privatisations permettraient à l'Etat d'engranger près de 20 milliards de dollars d'ici 1999.
L' ouverture au commerce international s'est concrétisée par une baisse conséquente des droits de douane et nombre de restrictions aux investissements étrangers ont été levées.
Malgré des résultats très significatifs, la politique de redressement économique est désormais entrée dans une phase plus difficile.
La défense du real, jugé par certains observateurs surévalué de 25 %, entraîne une politique de taux d'intérêts élevés qui freine l'activité économique. La croissance économique est passée de 5,7 % en 1994 à 4,2 % en 1995 et 3 % en 1996, alors qu'une légère remontée, avec un taux de 3,5 %, est attendue en 1997.
La fin de la période d'hyper-inflation a provoqué une crise du secteur bancaire , dont la restructuration s'avère longue et coûteuse.
Les finances publiques , excédentaires en 1994, se sont brutalement détériorées sous l'effet du ralentissement conjoncturel, de la dérive des comptes de plusieurs Etats fédérés et de la difficulté de mise en oeuvre de réformes qui devaient alléger les charges de l'Etat. Le Président Cardoso a annoncé, dans cette perspective, un sévère plan de réduction du déficit public qui inclut notamment des relèvements d'impôts et la suppression de 30.000 postes de fonctionnaires. Le Congrès a par ailleurs entamé au mois de février l'examen de deux réformes majeures, l'une du système de retraite, l'autre du statut général des fonctionnaires.
Enfin, l'ouverture au commerce international et la surévaluation du real se sont conjuguées pour creuser dans des proportions inquiétantes le déficit commercial , qui atteignait 5,5 milliards de dollars en 1996 et pourrait atteindre 15 milliards de dollars en 1997.
C. LE RÔLE MAJEUR DU BRÉSIL DANS L'INTÉGRATION RÉGIONALE
Fort de ses 160 millions d'habitants et de son immense
superficie, la cinquième du monde, le Brésil entend jouer un
rôle clef sur la scène internationale, comme en témoigne
son souhait de siéger en qualité de membre permanent au Conseil
de Sécurité des Nations-Unies, si celui-ci venait à
être réformé.
Dans l'immédiat, c'est essentiellement sur le terrain régional
que le Brésil a fait porter ses efforts.
L'intégration économique de l'Amérique du sud, au travers
du Marché commun du cône sud,
le MERCOSUR, demeure la
priorité de la politique étrangère brésilienne.
Créé en 1991 par le Brésil, l'Argentine, le Paraguay
et l'Uruguay, alors que le Chili et la Bolivie s'y sont associés par la
suite, le MERCOSUR forme entre les quatre pays fondateurs une union
douanière qui représente le 4e marché mondial,
derrière les Etats-Unis, l'Union européenne et le Japon.
Très attaché au MERCOSUR, le Brésil a pris ses distances
avec le projet américain de zone de libre-échange des
Amériques (ALCA) et a favorisé la conclusion avec l'Union
européenne en 1995 d'un accord inter régional de
coopération économique et commerciale, premier pas vers une
libéralisation ultérieure des échanges entre les ensembles
économiques européen et sud-américain.
Dans le même esprit, le Brésil a accueilli très
favorablement la proposition émise par le Président Chirac lors
de son déplacement en Amérique latine, d'un sommet
euro-latino-américain qui pourrait avoir lieu en 1999.
II. LA RELANCE DES RELATIONS FRANCO-BRÉSILIENNES
Si le Brésil a toujours constitué pour la France un partenaire important en matière de coopération culturelle, scientifique et technique, nos relations politiques n'ont pas été, durant plusieurs années, à la hauteur du poids de ce pays en Amérique latine. Celles-ci ont été fortement relancées à partir de 1996. On peut espérer que ce regain d'intérêt favorisera un développement des relations économiques.
A. UNE IMPULSION NOUVELLE POUR LES RELATIONS POLITIQUES
Les relations politiques bilatérales ont connu une
intensification notable à partir de 1996, avec les visites au
Brésil des ministres du commerce extérieur et de
l'équipement, mais surtout à l'occasion de la venue en France, en
mai 1996, du Président Cardoso, puis de la visite d'Etat du
président Chirac au Brésil en mars 1997.
Ces contacts au plus haut niveau ont débouché sur des
décisions concrètes, telles la levée de l'obligation de
visa de court séjour, alors que les deux ministres des affaires
étrangères ont signé un
nouvel accord cadre de
coopération
créant une
commission générale
franco-brésilienne
. Appelée à succéder à
la commission mixte qui ne s'était pas réunie durant 16 ans,
cette commission générale se réunira tous les deux ans
sous la présidence effective des ministres. La première session
s'est tenue à Paris, les 27 et 28 novembre 1997, et a
été l'occasion de la signature d'un accord intergouvernemental en
matière de coopération spatiale.
Par ailleurs, l'accord cadre de coopération accorde une mention
spéciale à la
coopération transfrontalière
autour de la Guyane française. C'est en effet avec le Brésil que
la France dispose de sa plus longue frontière terrestre (650
kilomètres). Amorcée dans certains domaines (santé,
patrouilles militaires communes), la coopération transfrontalière
pourrait être appelée à connaître de nouveaux
développements, alors que les problèmes liés à
l'émigration brésilienne vers la Guyane ont diminué
d'intensité et que les Etats fédérés frontaliers
(Amapa et Para) souhaitent une coopération décentralisée
dans des domaines tels que la santé, l'aide aux programmes de
développement durable, l'éducation ou l'environnement. Les
premières consultations à ce sujet sont intervenues en septembre
1997.
B. UNE COOPÉRATION CULTURELLE ANCIENNE
Le Brésil constitue le 7e partenaire de la France -le
premier en Amérique latine- pour la coopération culturelle,
scientifique et technique, dont l'enveloppe se monte à 53 millions
de Francs, dont 28,5 millions de Francs de crédits d'intervention.
Encore faut-il ajouter à ces moyens, ceux de l'Agence pour
l'enseignement français à l'étranger (31 millions de
Francs) et ceux mis en oeuvre par de nombreux organismes de recherche
français tels que l'ORSTOM, le CNRS, l'INRA, le CIRAD, l'INSERM ou le
CNES.
Les deux-tiers des crédits de coopération culturelle,
scientifique et technique vont à l'
action en faveur du
français.
Les trois lycées français de Sao Paulo, Rio de Janeiro et
Brasilia scolarisent 2 150 élèves, dont 1 000
Français. Le Brésil dispose d'un réseau très dense
et très ancien d'Alliances françaises, réparti sur 52
villes et 74 implantations, qui accueille 30 000 élèves.
Ce dispositif important ne suffit pas à enrayer un certain recul du
français, face à l'anglais mais aussi à l'espagnol, dont
la place est appelée à progresser avec la poursuite de
l'intégration au sein du MERCOSUR.
La coopération scientifique et technique couvre à la fois des
partenariats de très haut niveau entre organismes de recherche des deux
pays, à l'image du réseau Santos Dumont, créé en
1994, qui regroupe près de 60 universités françaises et
brésiliennes, et des domaines plus proches de l'aide au
développement en matière agricole, dans le secteur de la
santé, de l'environnement, des problèmes urbains ou de
l'administration publique.
C. DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES APPELÉS À SE DÉVELOPPER
Malgré son poids économique en Amérique
du Sud, le Brésil reste un partenaire de deuxième plan pour la
France, dont il est le 34e client et le 20e fournisseur.
Traditionnellement déficitaires, les
échanges avec le
Brésil
ont cependant connu une amélioration notable depuis
1994 et en 1996, la balance commerciale n'étant plus déficitaire
que de 1,4 milliard de francs en notre défaveur. Nos importations
portent surtout sur des produits agroalimentaires (huiles, café, cacao,
fruits tropicaux) alors que nos exportations sont dominées par
l'automobile et les produits de la chimie organique de synthèse.
Après avoir enregistré un certain fléchissement, les
investissements français
au Brésil ont connu un net regain
de vigueur puisque la France s'est placée au premier rang des
investissements étrangers en 1996 et que de nouvelles perspectives
pourraient s'ouvrir avec l'entrée en vigueur, dès qu'il aura
été ratifié par la partie brésilienne, de l'accord
d'encouragement et de protection réciproques des investissements de
1995. Ces perspectives pourraient notamment être liées aux
privatisations ou aux mises en concession actuellement mises en oeuvre par
l'Etat fédéral ou les Etats fédérés, bien
qu'en ce domaine, la concurrence avec les grands groupes internationaux soit
extrêmement sévère.
Parmi les investissements français les plus récents, on peut
citer, dans le secteur automobile, les constructions d'usines engagées
par Renault (3,8 milliards de francs sur la période 1996-1999,
auquel pourrait s'ajouter dans un second temps 1,2 milliard de francs) et par
Peugeot S.A. (3,5 milliards de francs), la prise de contrôle par EDF de
la compagnie de distribution d'électricité de Rio dans le cadre
de sa privatisation, ou encore le rachat par la BNP de la Banco comercial de
Sao Paulo.
III. L'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE CIVILE ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL
Instruments classiques dans le droit international, les
conventions bilatérales d'entraide judiciaire ont pour objet de
faciliter l'action de la justice et l'application de ses décisions en
surmontant autant que possible l'obstacle formé par les
frontières. Elles prévoient notamment les conditions de
notification des actes judiciaires, les modalités d'obtention de
preuves, l'exécution des décisions judiciaires ou encore les
dispenses de légalisation dont bénéficient les actes
publics, lorsqu'une affaire met en cause la justice de l'une des parties et un
justiciable de l'autre partie.
Les nombreuses difficultés d'application soulevées par la
convention de coopération judiciaire en matière civile,
commerciale, sociale et administrative signée le 30 janvier 1981 entre
la France et le Brésil ont imposé la négociation d'un
nouvel instrument.
A. LES DIFFICULTÉS D'APPLICATION DE LA CONVENTION DE 1981
Signée à Paris le 30 janvier 1981, la convention
de coopération judiciaire en matière civile, commerciale, sociale
et administrative entre la France et le Brésil n'est entrée en
vigueur que quatre années plus tard, le 2 avril 1985.
Ses difficultés d'application et certaines de ses lacunes sont
rapidement apparues.
En ce qui concerne la
notification des actes judiciaires et extra
judiciaires
tout d'abord, la convention de 1981 retenait le principe de
leur transmission de ministère de la justice à ministère
de la justice, tout en ouvrant la possibilité aux parquets ou aux
officiers ministériels de l'Etat d'origine de s'adresser directement au
ministère de la justice de l'Etat requis. Rédigées sur des
imprimés bilingues, les demandes de signification ou de notification
devaient être rédigées dans la langue de l'Etat
requérant, tout comme l'acte lui-même. L'acte n'était
traduit dans la langue de l'Etat requis qu'à titre exceptionnel,
à la demande du destinataire.
Ce système s'est heurté à des difficultés
pratiques, notamment liées à l'absence de moyens matériels
de traduction au Brésil, si bien que la partie brésilienne s'est
trouvée dans l'incapacité d'appliquer les dispositions relatives
à la transmission des actes.
Par ailleurs, les parties ont interprété de manière
divergente les dispositions concernant les
commissions rogatoires
,
c'est-à-dire les actes par lesquels une autorité judiciaire donne
mandat à une autorité judiciaire d'un autre ressort en vue de
procéder, à sa place, à un acte d'instruction.
Pour la France, ces commissions rogatoires ne devaient se limiter qu'à
l'obtention de preuves dans le cadre des procédures prévues,
conformément au principe retenu par le droit international en
application de la convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l'obtention de
preuves en matière civile et commerciale. La partie brésilienne,
pour sa part, utilisait la transmission de commissions rogatoires, sous couvert
de recherche de preuves, pour procéder à la remise d'actes
judiciaires ou à l'exécution de jugements brésiliens en
France.
Autre sujet de contestation, l'article 30 de la convention de 1981 donnait une
définition extrêmement large des actes établis dans l'un
des Etats et
dispensés de
légalisation
dans l'autre
Etat, puisque cette dispense s'appliquait aux
"documents qui émanent
des autorités judiciaires ou d'autres autorités, ainsi que les
documents dont elles attestent la certitude et la date, la
véracité de la signature ou la conformité à
l'original"
. L'imprécision de cette définition pouvait donner
lieu à des fraudes.
En ce qui concerne le domaine très important de la
protection des
mineurs,
la convention de 1981 s'est révélée
inefficace et inadaptée. Elle ne définit pas avec suffisamment de
précision les cas dans lesquels, à la demande de l'une des
parties, l'autre partie doit rechercher un mineur déplacé en
méconnaissance du droit de garde en vue de sa remise au parent qui
dispose de la garde. D'autre part, le fait qu'une décision contentieuse
rendue dans l'un des Etats ne soit pas exécutoire dans l'autre si, dans
ce dernier, un litige entre les mêmes parties est déjà
pendant devant une juridiction, a permis de faire obstacle à l'exequatur
d'une décision rendue par les juridictions de la résidence
habituelle de l'enfant, dès lors que l'auteur du déplacement
illicite de l'enfant a pris les devants en saisissant le premier une
juridiction.
B. LA CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE CIVILE DE 1996
Les négociations en vue de la conclusion d'un nouvel
instrument plus opérationnel ont démarré très
rapidement après l'entrée en vigueur de la convention de 1981 et,
dès le mois de juin 1989, un premier texte était mis au point.
Restée au "point mort" durant plusieurs années, la
procédure a été reprise pour aboutir à un accord en
novembre 1994. La nouvelle convention n'a finalement été
signée qu'en mai 1996.
La convention d'entraide judiciaire en matière civile entre la France et
le Brésil du 28 mai 1996
abroge la convention du 30 janvier 1981
(article 26). Elle en reprend certaines dispositions, apporte des modifications
substantielles sur les points qui soulevaient des difficultés et, d'une
manière plus générale, actualise la rédaction en la
rendant plus conforme aux accords de même nature négociés
depuis une dizaine d'années. Ce nouveau texte se veut donc plus clair et
plus lisible que le précédent.
Le
chapitre premier
comporte des
dispositions générales
assez voisines de celles de la convention de 1981. L'article premier
définit la matière civile, qui comprend le droit civil, le droit
de la famille, le droit commercial et le droit du travail. Le principe selon
lequel l'exécution des demandes d'entraide peut être
refusée si elle va à l'encontre de l'ordre public de l'Etat
requis est posé par l'article 2. L'article 3 reprend des dispositions
voisines de celles de l'article 32 de la convention de 1981 et prévoit
la communication sur demande par les ministères de la justice de toutes
informations sur la législation et la jurisprudence en vigueur dans leur
Etat, ainsi que des expéditions de décisions judiciaires.
Les dispositions relatives à l'
accès à la justice
et à l'
aide judiciaire
sont clairement individualisées
au sein du chapitre II. Elles reprennent pour l'essentiel les principes des
articles 34 à 36 de la convention de 1981 : libre accès à
la justice, sans obligation de dépôt ou de cautionnement
préalable, accès à l'assistance judiciaire dans les
mêmes conditions que les nationaux. L'article 9 de la convention de 1996
introduit cependant une nouveauté : l'exécution gratuite, sur
demande du ministère de la justice, des décisions de condamnation
aux frais et dépens du procès prononcées contre une
personne dispensée de caution ou de dépôt.
L'une des modifications principales apportées par la nouvelle convention
concerne les
modalités de transmission et de remise des actes
,
définies au chapitre III. L'article 11 pose le
principe de la
traduction des actes
: ceux-ci sont adressés en double exemplaire et
accompagnés d'une traduction dans la langue de l'Etat requis.
Le chapitre IV, relatif à l'
obtention de preuves
, remplace et
simplifie les dispositions du chapitre II de la convention de 1981 relatives
aux commissions rogatoires.
Le terme de
commission rogatoire
, interprété
différemment par les autorités brésiliennes et
françaises,
est abandonné
au profit de la
notion
d'obtention de preuves
, conformément au souhait de la partie
française. L'article 13 précise ainsi que
"l'autorité
judiciaire de l'un des deux Etats peut demander à l'autorité
judiciaire de l'autre Etat de procéder aux mesures d'instruction qu'elle
estime nécessaires dans le cadre de la procédure dont elle est
saisie".
Le même article énumère les indications que
doivent contenir les demandes d'obtention de preuves. Celles-ci doivent
être accompagnées d'une traduction dans la langue de l'Etat
requis, comme cela était déjà le cas
précédemment.
Le chapitre V concerne la
reconnaissance et l'exécution des
décisions judiciaires.
Il reprend très largement, en les
actualisant, les règles énoncées par la convention de
1981. Toutefois, l'article 18, qui cite les différentes conditions
nécessaires pour qu'une décision rendue dans l'un des Etats soit
déclarée exécutoire dans l'autre, apporte une
précision importante, et dérogatoire, pour les
décisions relatives à la garde des mineurs
. Comme nous
l'avons indiqué plus haut, le fait qu'un litige soit pendant ou, a
fortiori, ait été jugé, dans l'un des Etats, fait obstacle
à l'exequatur d'une décision rendue postérieurement dans
l'autre Etat. Il suffit ainsi que le parent qui a procédé au
déplacement illicite de l'enfant saisisse une juridiction de son pays
avant que l'autre parent en fasse de même dans son propre pays pour
éviter l'application des décisions de justice rendues dans ce
dernier. Afin de remédier à cet inconvénient, le dernier
alinéa de l'article 18 de la convention de 1996 précise que
lorsqu'il s'agit d'une
décision relative à la garde d'un
mineur
, les dispositions concernant le refus d'exécution
fondé sur l'existence d'un litige pendant ou d'une décision
déjà rendue dans l'Etat requis
"ne peuvent s'appliquer que
s'il s'est écoulé un délai d'un an entre le départ
du mineur de l'Etat d'origine sur le territoire duquel il avait sa
résidence habituelle et la date d'introduction de la procédure
d'exequatur de l'Etat requis."
Par ailleurs, les dispositions
relatives à la protection des
mineurs
, figurant au chapitre VI sont remaniées. L'article 21 se
réfère notamment à la
convention de La Haye du
25 octobre 1980
relative aux aspects civils de l'enlèvement
international d'enfant. Cette convention a été ratifiée
par la France mais pas par le Brésil. Dans l'hypothèse où
ce dernier ratifierait la convention de La Haye, les parties pourraient opter
soit pour l'application de cette dernière, soit pour l'application de la
convention bilatérale.
Au chapitre VII, relatif à la
dispense de légalisation
, la
convention de 1996 met en place une
définition beaucoup plus
précise
que précédemment des actes établis dans
l'un des Etats et dispensés de légalisation ou de toute autre
formalité analogue lorsqu'ils doivent être produits sur le
territoire de l'autre Etat. L'article 30 de la convention de 1981 visait les
documents émanant des autorités judiciaires ou d'autres
autorités, ainsi que le document dont elles attestaient la
véracité. La nouvelle convention prévoit un dispositif
plus précis. L'article 23 limite la dispense de légalisation aux
actes publics
et les définit comme les documents qui
émanent d'un tribunal, du ministère public, d'un greffier ou d'un
huissier de justice, les actes d'Etat civil, les actes notariés, les
attestations officielles telles que mentions d'enregistrement, visa pour date
certaine et certifications de signature apposées sur un acte sous seing
privé. Afin de
limiter les risques de fraude
, l'article 24 permet
aux autorités de l'Etat où l'acte est produit de demander des
informations à celles de l'Etat d'origine, lorsqu'elles ont
"des
doutes graves et fondés sur la véracité de la signature,
sur la qualité sous laquelle le signataire de l'acte a agi ou sur
l'identité du sceau ou du timbre."
Le chapitre VIII, relatif à l'
état civil
, reprend les
dispositions de l'article 38 de la convention de 1981 prévoyant la
communication sans frais par chaque Etat des actes et expéditions de
décisions judiciaires concernant l'état civil.
Le chapitre IX, intitulé "Dispositions finales", stipule que
la
nouvelle convention abroge la convention de 1981
(article 26). L'article 27
fixe les modalités d'entrée en vigueur et l'article 28
précise que la convention est conclue pour une durée
illimitée mais que chacun des deux Etats pourra à tout moment
dénoncer avec un préavis de 6 mois.
CONCLUSION
Alors que la France entend intensifier ses relations avec le
Brésil, il paraît indispensable de permettre l'entrée en
vigueur rapide de cette nouvelle convention d'entraide judiciaire en
matière civile et l'on ne peut que déplorer le délai
considérable qui s'est écoulé entre les premières
négociations, il y a près de dix ans, suivies de la mise au point
d'un texte, et l'engagement du processus de ratification, alors même que
la convention d'entraide judiciaire actuellement en vigueur ne donne pas
satisfaction et se révèle en pratique inapplicable sur de
nombreux points.
La convention du 28 mai 1996 apporte des améliorations notables
puisqu'elle pose clairement le principe de traduction des actes transmis,
qu'elle clarifie, en le limitant à l'obtention de preuves, le champ de
la transmission des commissions rogatoires et qu'elle met en place des
modalités plus appropriées d'application de l'exequatur dans le
domaine de la garde des mineurs.
Pour cet ensemble de raisons, votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées vous
invite à adopter le présent projet de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des Affaires étrangères, de la
Défense et des Forces armées a examiné le présent
rapport lors de sa réunion du mercredi 25 février 1998.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin,
président, a souligné le fort ralentissement de la croissance
économique au Brésil, lié à la politique de taux
d'intérêt élevés, mais aussi aux conséquences
de la crise asiatique. Il a évoqué les répercussions
possibles de ces difficultés économiques sur la situation
politique et sociale du Brésil.
La commission, suivant l'avis de son rapporteur, a alors approuvé le
projet de loi qui lui était soumis.
PROJET DE LOI
(Texte présenté par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière civile entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil, signée à Paris le 28 mai 1996, et dont le texte est année à la présente loi 1( * ) .
ANNEXE
ETUDE D'IMPACT2(
*
)
Etat de droit et situation de fait existants et leurs
insuffisances
Depuis 1981, la France est liée avec le Brésil par une convention
d'entraide judiciaire en matière civile, commerciale et administrative.
Des difficultés sont apparues dès sa mise en application tenant,
notamment, à la définition du terme même de commission
rogatoire, à la traduction des actes transmis et aux dispositions
incomplètes sur le droit de garde des enfants mineurs et le droit de
visite.
Des négociations ont été ouvertes en 1989 et un texte a pu
être paraphé le ler décembre 1994 qui a été
signé le 28 mai 1996.
Bénéfices escomptés en matière :
- d'emploi
:
sans objet ;
-
d'intérêt général
: la convention tend
à éliminer les sources de difficultés d'application de la
convention de 1981, et à participer à une administration plus
efficace et meilleure de la justice en matière civile ;
-
financière
:
l'application des articles 6, 7 et 21-3 est
susceptible d'avoir des incidences budgétaires ;
-
de simplification des formalités administratives
: la
convention doit rendre plus rapides et aisées les transmissions de
demandes d'enquête et l'exécution des décisions relatives
au droit de garde des enfants mineurs et au droit de visite ;
-
de complexité de l'ordonnancement juridique
: l'accord vient
remplacer un texte qui présentait des difficultés d'application.
1
Voir le texte annexé au document
Sénat n° 204.
2
Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des
parlementaires