IV. SÉANCE DU JEUDI 15 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. MICHEL FREYCHE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES BANQUES (AFB), DE M. PATRICE CAHART, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL, ET DE M. OLIVIER ROBERT DE MASSY, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES
M. Marcel-Pierre CLEACH, président
- Chers
collègues, nous allons tout d'abord entendre M. Michel Freyche,
président de l'Association française des banques (AFB),
accompagné de M. Patrice Cahart, délégué
général et de M. Olivier Robert de Massy, directeur des
Affaires sociales.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Michel
Freyche, président de l'Association française des banques (AFB),
M. Patrice Cahart, délégué général et M.
Olivier Robert de Massy, directeur des Affaires sociales.
M. Michel FREYCHE
-
Monsieur le président, cette audition fait
suite à de nombreuses autres auxquelles vous avez procédé
au cours de la semaine écoulée. Aussi ai-je cru bon de limiter
mon propos à ce qui est spécifique à notre profession. Je
n'aborderai pas la discussion de principe sur les 35 heures mais je
voudrais attirer votre attention sur des points qui nous sont propres et qui
nous paraissent très importants.
La banque constitue l'une des principales professions de main-d'oeuvre en
France. Les banques AFB ne représentent qu'une partie du secteur
financier, l'AFB ne comprenant pas les banques mutualistes, la Caisse
d'Epargne, le Crédit Agricole et les Banques Populaires. Les banques AFB
comptent environ 210.000 personnes, chiffre important. Les coûts de la
main-d'oeuvre y représentent une part très importante des charges
globales d'exploitation, atteignant plus de 50 % 60 % dans certains
cas pour l'ensemble des établissements.
Autre particularité, notre profession est engagée dans un effort
extrêmement important pour maintenir son indépendance, sa
pérennité et assurer sa survie, tout au moins au niveau des
centres des contrôles nationaux. Pour des raisons historiques, cette
profession longtemps sous-capitalisée est aujourd'hui menacée en
raison de ses résultats d'exploitation infiniment moindres que ceux de
tous ses concurrents étrangers. Avec l'ouverture des frontières,
elle est exposée à des opérations de rachat par des
entreprises beaucoup plus riches dont les centres de décisions sont
situés à l'étranger.
C'est pourquoi la profession est extrêmement vigilante depuis plusieurs
années dans tout ce qui pèse sur ses coûts d'exploitation,
dont la main-d'oeuvre. C'est pourquoi nous avons été
amenés à suivre de près le projet de loi sur les
35 heures et à diverses reprises d'exprimer notre sentiment sur
telle ou telle disposition.
D'autres particularités de la profession doivent également
être soulignées. Au-delà de la loi, la profession a conclu
une convention collective et des accords d'entreprise sur la durée du
travail proprement dite. Dans le contrat de travail individuel, la durée
légale du travail porte sur 39 heures hebdomadaires.
Au-delà, la convention collective prévoit des avantages
supplémentaires aux avantages légaux ramenant, si l'on retient le
calcul de la durée effective du travail sur une base annuelle, à
une durée du travail de l'ordre de 37,5 heures. En effet, il y a
deux jours de congé supplémentaires
généralisés et quatre jours flottants qui font partie de
vieilles traditions dans la profession. Le tout sans tenir compte de la
durée légale des congés.
Ramené à une durée hebdomadaire, cela ramène
à 37,5 heures la durée moyenne de travail hebdomadaire effectif
sur l'année. Ce calcul pourrait encore être modifié si l'on
tenait compte de l'absentéisme pour rester réalistes et proches
du terrain. Pour des raisons diverses, en particulier l'importance de la
main-d'oeuvre féminine, notre profession connaît un
absentéisme relativement plus élevé que dans d'autres
professions ou activités de services, et que l'on peut chiffrer à
2 heures par semaine et par employé.
La durée effective du travail est donc en fait très proche des
35 heures que vise le projet de loi tel qu'il est actuellement soumis au
Parlement. Voilà quelque considération préliminaires.
D'autres considérations touchent à l'organisation même de
notre travail. Contrairement à ce que beaucoup pensent, nous sommes une
juxtaposition de petites et moyennes entreprises. L'unité de travail de
base dans la banque est petite : c'est l'agence de quartier, l'agence de
bourg, l'agence de campagne. Or, 75 % de ces agences comptent moins de
dix personnes, et 90 % d'entre elles, comportent moins de vingt
personnes.
Les travaux préparatoires à la loi et l'exposé des motifs
signalent les problèmes particuliers qui se posent dans des
unités de petite taille. Nous avons été informés de
ce que le seuil de vingt personnes pour l'application différée de
la loi était actuellement envisagé pour tenir compte des
problèmes d'adaptation particulière que cela pose. Je ne sais si
ce seuil sera retenu pour la profession, ces unités de travail
effectives n'ayant pas de " personnalité " administrative.
Enfin, si la durée du travail est réduite à
35 heures, il s'agira de savoir ce que nous ferons dans ces agences qui
comptent six ou sept personnes et dont l'activité sera partiellement
compromise par la réduction de la durée du travail. Il est hors
de question de recruter du personnel supplémentaire. De toute
façon, même si nous envisagions de le faire, nous ne saurions pas
qui ou quoi recruter : un caissier ? un juriste ? un
chargé de clientèle ? Il faudrait qu'il soit totalement
polyvalent. Cela ne peut pas se passer ainsi.
Je ne peux pas préjuger de ce qui sera fait dans ces agences, mais je
peux dire qu'il n'y aura pas de recrutement supplémentaire. La
probabilité sera, contrairement à ce que nous souhaitions, que
les horaires de l'agence, au lieu d'être augmentés pour
répondre aux besoins de la clientèle notamment après
l'adoption du décret 1997 sur l'organisation du travail seront
diminués, ou bien plus grave et plus probable qu'une partie des ces
agences seront fermées.
Un certain nombre de ces agences sont à la limite de la
rentabilité et la question se posait dès aujourd'hui de savoir
s'il était économique et judicieux, même en tenant compte
des impératifs politiques ou de clientèle, d'assumer un
surcoût, quel qu'il soit, même limité à 2,5 ou 2,6 ou
5 % selon les chiffres avancés dans certaines hypothèses de
calcul en fonction des dispositions qui seront contenues dans la loi.
Près de dix à quinze pour-cent des ces agences tomberaient
en-dessous du seuil de rentabilité et les directions
générales envisageraient très sérieusement de les
fermer.
La densité d'agences bancaires, notamment en ville, pourrait
probablement être réduite sans que cela porte atteinte au fonds de
commerce lui-même. La probabilité serait que nombre de ces petites
agences pourraient être fermées, posant ainsi le problème
de l'affectation de leurs personnels et accentuant la pression pour une
réduction plus rapide des effectifs.
En effet, autre caractéristique de la profession : le texte dont nous
débattons intervient à un moment où la profession est
manifestement en sureffectif important. Cette situation, constatée
depuis une dizaine d'années, résulte d'une politique de
recrutement quelque peu aventureuse remontant à la fin des années
60 - début des années 70. A l'époque, on voyait fleurir
des agences bancaires à tous les rez-de-chaussée bien
situés.
Depuis, les révolutions technologiques ont fait qu'un bon nombre du
personnel recruté a dû être reconverti, est apparu
excédentaire ou difficilement utilisable dans d'autres fonctions. Depuis
une quinzaine d'années, tous les établissements mènent une
politique raisonnable, responsable. Politique qui, dans d'autres pays aurait
été menée beaucoup plus rapidement et brutalement,
notamment à l'occasion du rapprochement de réseaux ou de
plusieurs établissements.
En France, pour des raisons diverses liées à la
responsabilité citoyenne des chefs d'entreprises mais aussi aux
obstacles et aux difficultés que créée une
législation sociale protectrice des intérêts des
travailleurs, cela n'est intervenu que progressivement. Pour les dix
dernières années, les effectifs de nos banques ont diminué
en moyenne de 2 % par an pour atteindre un chiffre proche de 3 %
depuis deux ou trois ans.
Si, à la suite des fermeture d'agences, il apparaissait que le personnel
excédentaire sans possibilité de reclassement était encore
plus nombreux, ce rythme pourrait s'accélérer.
Pour les banques françaises, il s'agit d'une opération de survie
sachant qu'elles ne peuvent agir qu'au niveau de leurs frais
généraux avec quelques difficultés. Par contre, leurs
moyens d'action sur leurs recettes sont très limités du fait que
la plupart de leurs revendications visant à obtenir la suppression des
distorsions de concurrence qui les pénalisent vis-à-vis d'autres
réseaux n'ont pas été satisfaites à ce jour, ou du
fait des lois et pratiques fiscales discriminatoires et pénalisantes au
niveau de l'emploi.
En matière fiscale, nous sommes le seul pays au monde où existe
une taxe spécifique sur les salaires. En outre, une taxe sur les frais
généraux des banques a été instituée il y a
une vingtaine d'années en compensation d'un avantage fiscal donné
à des épargnants, Contribution des banques et des institutions
financières ; taxe supplémentaire qui porte sur les frais
généraux mais en réalité à 80 % sur les
salaires. Cela uniquement pour des raisons d'échanges de bons
procédés et d'équilibre d'un budget
déterminé. C'était l'époque des 5.000 francs
Monory, compensés budgétairement par cette taxe
supplémentaire qui n'a d'autre justification que d'assurer
l'équilibre d'un budget d'une année déterminée, et
qui depuis perdure dans notre secteur.
Nous sommes ainsi le seul secteur en France à être
pénalisé sur le poste de l'emploi que l'on cherche à
défendre. Nous l'avons signalé depuis de longues années
à nos autorités, sans succès, tout comme dans la
rectification des situations créées par les privilèges
accordés à certains réseaux.
Dès lors que l'on n'a pas la maîtrise de ses ressources, on essaie
d'avoir celle de ses dépenses. Bien évidemment, une grande
vigilance sera de mise quant à l'évolution de ses dépenses
et aux conséquences d'une nouvelle législation qui pourrait
encore accroître ses dépenses et qui, loin de conduire, comme
l'espèrent leurs auteurs, à des recrutements
supplémentaires, inévitablement je prends mes
responsabilités et inéluctablement conduiront dans notre
profession à des suppressions d'emplois supplémentaires ou plus
rapides que celles qui seraient intervenues. Voilà ce que je voulais
dire pour introduire le débat. Mes collègues et moi-même
sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je vous remercie,
c'était tout à fait lumineux. Nous connaissons les
spécificités de la profession, notamment des banques qui sont
membres de l'AFB.
La parole est à M. Jean Arthuis, rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
A mon tour, je voudrais remercier le
président Freyche et la délégation de l'AFB qui
l'accompagne pour cette audition. Monsieur le président, vous avez dit
qu'il y a aujourd'hui près de 210.000 agents dans les différents
réseaux des banques AFB. Un rapport sénatorial qui fait
autorité aujourd'hui avait constaté que les banques
françaises avaient amorcé le reflux des effectifs avec un
décalage par rapport à la concurrence étrangère.
On a constaté aussi que la renégociation de la convention
collective a été freinée, alors que dans des secteurs
proches du vôtre, le pas a été franchi. Quels ont
été les facteurs d'inertie qui ont pesé et qui,
aujourd'hui, peuvent mettre les banques en difficulté, au moment
où l'on s'apprête à passer à l'euro, au moment
où la crise en Asie suscite des interrogations ?
Pourriez-vous nous dire sur l'euro ce qu'il en coûte pour
s'adapter ? Quelles sont vos craintes par rapport à la crise en
Asie, la sensibilité et la réactivité de vos
établissements par rapport à un texte qui rendrait obligatoire le
passage de la durée légale du travail à 35 heures par
semaine ?
Quand vous évoquez 210.000 agents aujourd'hui et un reflux de 3 %
par an, jusqu'où avez-vous prévu d'aller ? Si vous deviez
mettre en place des établissements aujourd'hui, quel serait l'effectif
dont vous estimez avoir besoin ?
J'ai bien noté votre crainte de voir s'accélérer le
processus de reflux du fait des 35 heures dans la mesure où
75 % de vos établissements comptent moins de dix personnes, et
90 % comptent moins de vingt personnes. Que représentent les
75 % par rapport à l'effectif global des banques.
M. Michel FREYCHE - Environ 70 % des effectifs globaux travaillent dans
des unités de taille inférieure à vingt personnes,
75 % de nos agences se composent d'unités de moins de dix
personnes, et 90 % des unités comptent vingt personnes. Cela par
rapport au nombre d'agences et aux effectifs concernés.
M. Patrice CAHART - 60 % des unités comptent moins de vingt
personnes ; 40 % des unités comptent moins de dix personnes.
M. Michel FREYCHE - Cela concerne donc bien les effectifs des réseaux.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Un mot sur l'encadrement. Il y a
aujourd'hui de la part des inspections du travail une attitude
extrêmement déterminée pour traquer des heures
supplémentaires indues effectuées par des cadres. Avez-vous pu
constater cela dans vos propres établissements ? Autre observation
sur la notion de temps de travail : le temps de travail a-t-il encore une
signification, notamment quand il s'agit des cadres ?
Enfin, seriez-vous disposés à signer des accords et à
quelles conditions ? Cela implique-t-il le gel, voire la réduction
des salaires ? Pensez-vous que les représentants des
salariés sont prêts à entrer dans de telles
conventions ? Vous avez commencé la négociation d'une
nouvelle convention collective. Les 35 heures figurent-elles au coeur du
débat ?
Dans cette perspective de réduction du temps de travail, pensez-vous que
l'annualisation peut être la contrepartie de la réduction du temps
de travail ? Dans cette hypothèse, estimeriez-vous judicieux de
prévoir des dispositions dans le projet de loi si celui-ci devait
être voté ?
Ne craignez-vous pas que la réduction du temps de travail vienne
resserrer les assiettes des cotisations de retraite et mettre en
difficulté les caisses de retraite ? Pourriez-vous également
nous préciser si les banques sont à jour dans la concertation de
leurs dates de retraite à l'égard de leurs cadres
salariés ?
M. Michel FREYCHE - Vos questions sont particulièrement nombreuses,
monsieur le ministre. Je vous demanderai de me les rappeler si je n'avais pas
répondu à l'une ou l'autre d'entre elles au terme de ma
réponse.
En effet, j'aurais dû mentionner le problème des cadres comme
condition d'exercice tout à fait particulier à la profession. A
l'intérieur des professions de service, la nôtre compte
près de 30 % de cadres. Dans certaines unités, voire
certaines banques d'affaires, d'investissements de trésorerie ou autres,
ce pourcentage peut atteindre 60 à 70 % soutenus par quelques
personnels d'exécution.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Puisque nous sommes sur le registre des
cadres, y a-t-il chez vous des phénomènes de
délocalisation ? Certaines fonctions du secteur bancaire sont-elle
délocalisées à Londres et dans quelles proportions ?
M. Michel FREYCHE - Bien sûr. C'est variable selon le type
d'activité et selon les établissements. L'une des très
grandes banques d'affaires françaises a actuellement davantage de
salariés à Londres qu'à Paris. Je ne voudrais pas la citer
pour ne pas la trahir, mais vous pourrez l'identifier aisément. Cela
résulte d'un mouvement qui s'est déroulé sur les
années récentes et non pas de l'organisation initiale de la
banque.
Tous les établissements français ont été
amenés à renforcer considérablement leurs effectifs
expatriés pour des raisons de coût et d'efficacité. Il est
trois fois moins cher d'utiliser un cadre supérieur à Londres
qu'à Paris tout bien considéré si l'on veut servir la
même rémunération nette après impôts auxdits
cadres. Par conséquent, oui, ce mouvement est important. Il se poursuit
et se poursuivra tant que nous n'aurons pas rapproché les conditions
d'exercice de nos professions et notre législation fiscale de celles qui
sont applicables dans les pays les plus favorables à nos
activités.
Cela a également touché d'autres délocalisations, comme
l'étude, la mise au point ou les contrôles des logiciels. Comme
les traitements de masse qui se font dans certains établissements
à distance, que ce soit en Irlande ou en Extrême-orient. Les
progrès des communications permettent aujourd'hui des
délocalisations rapides et fiables, entraînant des gains
importants pour tous les établissements qui les utilisent.
La réponse est donc affirmative. Nous n'avons pas de chiffres
précis à citer mais le mouvement est indéniable. On
constate d'ailleurs une forte demande d'expatriation des jeunes cadres, alors
qu'il y a quelques années, il était quelquefois difficile
d'envoyer des cadres à l'étranger.
Notre proportion de cadres est très importante, beaucoup plus que dans
la plupart des autres activités, y compris les services. Dans certains
établissements, elle est même écrasante. Ces cadres sont en
quelque sorte en exagérant à peine en autogestion. L'horaire
n'est pas imposé aux cadres par la direction, il est
déterminé par les cadres eux-mêmes dans des limites
compatibles avec leurs activités. Ces horaires, dans l'immense
majorité des cas, sont supérieurs aux 39 heures ; non
pas que la direction le demande, mais la conscience professionnelle et les
nécessités d'atteindre un résultat des unités de
service font que ces cadres travaillent plus de 39 heures, comme dans
d'autres entreprises d'ailleurs.
A titre d'anecdote, dirigeant un établissement bancaire à une
époque où les marchés étaient chahutés,
j'étais venu un 11 novembre récupérer un papier au bureau.
La salle des marchés était éclairée. Les personnels
présents m'ont expliqué qu'en raison des circonstances, ils
voulaient être présents. Personne ne leur avait rien
demandé ; ils avaient organisé le tout entre eux, sans en
référer à la direction générale. Ils
veillaient au grain pour préserver les intérêts de leur
maison. C'est toujours le cas aujourd'hui : lors des crises sur les
marchés financiers, pour les banques qui n'ont pas forcément un
système de veille de leurs positions sur l'ensemble des places
financières, certains viennent très tôt dans la nuit pour
surveiller les marchés financiers de Tokyo ou Singapour et restent
très tard le soir pour surveiller les marchés à la
clôture de New-York ; le tout sans compter la moindre heure
supplémentaire... C'est une longue tradition française. J'y
faisais allusion lors du dîner annuel.
C'est vrai pour les banques mais aussi pour d'autres services. Lorsque
j'étais à la direction des relations économiques
extérieures dans l'administration, plusieurs de nos cadres voyageaient
sans cesse à l'étranger, notamment dans les pays arabes où
ils étaient convoqués fréquemment le samedi ou le
dimanche. Ils estimaient normal d'aller à Ryad ou à Alger le
week-end pour une négociation et arrivaient peut-être un peu plus
tard le lundi matin après leur retour. Personne n'a jamais trouvé
cela contestable ; cela faisait partie du contrat moral qui liait le haut
fonctionnaire en l'occurrence, qui n'était nullement
intéressé au résultat de la négociation. Il
accompagnait l'industriel ou le banquier. C'est ce qui fait la noblesse du
travail des cadres auquel ils sont attachés. Ils prendraient très
mal qu'on les oblige à pointer. Des tentatives ont été
faites quand certains établissements ont voulu généraliser
les horaires variables. Cela n'a pas duré parce que les cadres s'y sont
opposés pour des raisons de principe. Cela fait partie des
caractéristiques de l'économie libérale.
A l'inverse, dans les kolkhozes ukrainiens où j'ai eu l'occasion de
passer quelques jours à une époque, les horaires de travail
étaient fixés de 7 h 30 à 17 h 30. A
une époque où la récolte était mûre et que la
pluie était annoncée, les moissonneuses-batteuses rentraient
invariablement au hangar à 17 h 30. C'était la
règle, la conception de leur réglementation, de
l'égalité etc.
Il faut donc savoir si l'on vit dans un système collectiviste ou
différent. J'ose à peine parler de système libéral
puisque le libéralisme n'a pas bonne presse aujourd'hui. Même
parmi les tenants du libéralisme, certains n'osent pas l'avouer. On l'a
vu récemment lorsque certains engagements pris par un gouvernement de
droite sont passés aux oubliettes après la victoire de
l'opposition précédente, notamment concernant notre secteur. Non
seulement concernant les impôts mais aussi sur l'organisation. Je pense
à l'incident avec l'un de vos collègues concernant la Caisse des
Dépôts lors d'un déjeuner où l'on demandait si M.
Balladur avait l'intention de respecter l'engagement qu'il avait pris sur la
Caisse des Dépôts durant sa campagne électorale. Cela a
été considéré comme une atteinte personnelle et
l'un de nos grands présidents de banque a été mis à
l'index pendant quelque temps pour avoir posé la question. C'est quand
même une approche très différente de la situation.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Il avait modifié la
réglementation de 1937.A petits pas ! Bercy n'est pas resté
insensible !
M. Michel FREYCHE - Tout cela pour dire que nous vivons actuellement dans monde
en pleine effervescence. Le ministre vient de le rappeler en faisant allusion
aux nombreuses crises, dont la crise asiatique, que nous avons
traversées. Si nous voulons apporter un réponse étatique
et collectiviste à ce type de crise, nous irons droit dans le mur !
A un moment où précisément nous rejoignons un ensemble
qui, qu'on le veuille ou non, est d'inspiration libérale.
Le marché unique en Europe est une organisation d'inspiration
libérale qui appelle des réponses libérales. Les
35 heures pour tous décidées par la loi, et applicables
à une date déterminée sans contrepartie définie,
n'existent nulle part au monde ! Je suis prêt à discuter avec
des contradicteurs des expériences étrangères, notamment
hollandaises, danoises ou autres qui n'ont rien à voir avec la
caricature de ces expériences que l'on nous présente le plus
souvent. Ceux qui s'en sont sortis sont ceux qui, dans tous les domaines de
l'activité économique, ont introduit les souplesses
nécessaires pour s'adapter au monde qui nous entoure.
Je me souviens d'une discussion avec le gouverneur de la Banque de France en
1993 lorsque je lui faisais valoir que ce n'était pas une politique du
franc fort qu'il suivait mais purement et simplement une politique de
parité fixe avec le mark allemand, avec toutes les conséquences
dramatiques que cela a pu avoir pour l'économie française.
Prenant la Grande-Bretagne comme contre-exemple, il prédisait les pires
catastrophes pour ce pays, notamment au niveau monétaire et des
parités. Je constate que la livre britannique est plus forte que le
franc français ; elle est revenue à un niveau
supérieur à celui qui était le sien en 1993. De
même, même si on querelle les Anglais sur leurs méthodes
statistiques, le chômage est trois fois moindre en Grande-Bretagne qu'en
France, même si l'on veut ajuster quelques centaines de milliers par ci
par là.
Cela montre à l'évidence que les rigidités, les dogmes
conduisent des nos jours à des catastrophes.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
- Vous avez dit qu'il y avait aujourd'hui
une forte demande d'expatriation des cadres. Pourriez-vous nous en dire
plus ? S'agit-il d'expatriations pour exercer le métier ailleurs
parce que le marché est ailleurs ou s'agit-il de démarches
personnelles qui viseraient à optimiser la situation fiscale et sociale,
et qui seraient l'expression d'un souhait des cadres qui, pour continuer
à exercer leur métier avec le champ d'activité qu'ils
pouvaient avoir préfèrent aller voir ailleurs ?
M. Michel FREYCHE - Il y a les deux. Il y a ceux qui estiment qu'il est
indispensable aujourd'hui d'avoir l'expérience de l'exercice d'un
métier, quel qu'il soit, dans des pays autres que le pays d'origine et
qui pensent que c'est un nouveau type de " compagnonnage ".
Passer
quelques années en Afrique, en Asie, aux Etats-Unis ou en
Grande-Bretagne comme expatrié est indispensable à leur cursus.
C'est une révolution très forte. Tous les jeunes
considèrent qu'il est impensable d'entrer dans une entreprise et d'y
faire carrière. A leurs yeux, c'est contreproductif, non seulement pour
eux mais aussi pour l'entreprise. Le bon CV n'est pas celui qui montre une
instabilité accentuée mais celui qui prouve que le jeune a assez
de dynamisme pour accepter, à échéances
régulières et raisonnables, des changements d'employeur ou de
situation. Cela est très différent de ce qui prévalait il
y a quelques années.
Il y a aussi chez les cadres plus âgés, le désir
d'échapper à la rigueur extrême de la fiscalité
française, et d'avoir un revenu net après impôt plus
important que celui qui est le leur actuellement, sans que cela coûte
davantage à l'entreprise et même avec un moindre coût pour
l'entreprise. Les deux types de situations existent.
En France, parmi les cadres et salariés des entreprises, la plupart ne
souhaite pas utiliser des procédures de dissimulation. Il y a encore des
réactions de bon citoyen qui cherchent comment, lorsqu'une loi plus
favorable peut leur être appliquée, ils peuvent en
bénéficier.
Cela étant dit, les cadres ne sont absolument pas demandeurs de
réduction du temps de travail. Je ne crois pas qu'on impose au cadre des
heures supplémentaires, il se les impose spontanément. Pour nos
salariés en général, cette revendication de
réduction du temps de travail vient très loin dans leurs
priorités. Nous essayons d'être à l'écoute de ce que
souhaitent nos gens. La première de leurs priorités est la
stabilité de l'emploi ; la seconde priorité est de pouvoir
disposer de plus de liberté, soit de manière globale avec un ou
deux jours de congé supplémentaire, soit en application
d'horaires souples ou de jours de congés pris en fonction de
nécessités familiales. Encore une fois, travailler moins n'est
pas leur premier souci.
Si vous dites à quelqu'un qui travaille 39 heures qu'il en prestera
dorénavant 35 et sera payé 39, qui dira non ? Mais cela n'a
pas été assumé en tant que revendication. Ce slogan de
35 heures payées 39 a fait beaucoup de tort. Il paraît que
cela ne correspond plus tout à fait à la volonté du
Gouvernement. Sa volonté serait 35 heures sans perte de
salaire ; j'aimerais que l'on m'explique comment.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Dans votre négociation avec
les syndicats, vous tentiez de revenir sur un aspect de la convention
collective portant sur l'ouverture le samedi matin pour certains
établissements. Pouvez-vous dire où vous en êtes sur le
sujet et si la perspective des 35 heures ne contrarie pas cette
démarche ?
M. Michel FREYCHE -
Cela a été résolu par les
dispositions contenues dans le décret de 1997. Nous n'avions pas la
possibilité de travailler par roulement ni par équipe, ce qui
conjugué aux deux jours de congé consécutifs obligatoires
nous bloquait dans nos horaires. Une certaine liberté nous a
été rendue par le décret de 1997 en contrepartie de
laquelle nous avions fait déjà quelques concessions sur la
durée du travail. En matière d'amplitude, les salariés qui
travaillent avant 8 h 30 et après 20 heures
bénéficient d'un décompte du temps de travail d'environ
20 % et par là même bénéficient d'une
réduction de la durée du travail.
Cela constitue donc un progrès significatif que nous attendions depuis
quelque temps. Nous en sommes reconnaissants à ceux qui l'ont permis,
notamment au ministre. Mais cela sera gêné par la réduction
de la durée du temps de travail à 35 heures. La souplesse
que nous avions retrouvée dans ce domaine se trouvera compromise par
l'application des 35 heures telle que nous la concevons actuellement.
Je peux ajouter que dans nos contacts avec nos syndicats et notre personnel,
nous avons la conviction que toute réduction salariale est
extrêmement difficile pour ne pas dire impossible. Nous n'avons pas
trouvé d'interlocuteur qui soit prêt, même en contrepartie
d'une réduction du temps de travail, à accepter une
réduction de salaire. Le maintien des salaires était,
après le maintien de l'emploi une préoccupation prioritaire de
notre personnel. Je pense qu'il y a peu de chance, sauf cas isolé et
précis, d'obtenir quoi que ce soit dans ce domaine. Même le
blocage des salaires qui était érigé en système
pourrait poser quelques problèmes.
Par contre, le fait de différencier fortement les salaires entre
entreprises bien portantes et entreprises qui se portent mal est, sinon
accepté, du moins bien compris des salariés. Ils comprennent de
mieux en mieux qu'il n'est pas toujours possible dans un régime
collectiviste d'avoir le même salaire pour tout le monde. Ils comprennent
que les efforts et les résultats individuels puissent être pris en
considération. Ils comprennent aussi que cela peut dépendre de la
bonne santé et des résultats de l'entreprise elle même.
M. Olivier Robert de MASSY - Deux précisions sur l'expatriation dont
personne n'a le chiffre. On peut dire que rien qu'à Londres, plusieurs
milliers de cadres français travaillent actuellement dans le secteur de
la banque.
La seconde précision répond à une autre question de M. le
rapporteur...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Cela veut-il dire que plusieurs milliers
de collaborateurs de banques françaises vont travailler à Londres
pour accomplir le travail qu'ils effectuaient hier pour les banques
françaises ?
M. Olivier Robert de MASSY - Non, je ne pourrais pas être aussi
précis. On peut dire en tout cas que plusieurs milliers de cadres de
nationalité française, venus de France, travaillent aujourd'hui
dans la
City
londonienne. Certains n'ont peut-être jamais
travaillé dans une banque française à Paris. Nous ne
pouvons pas entrer dans cette finesse, mais l'effectif est aujourd'hui de
plusieurs milliers.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cela ne répond pas à ma question.
Les banques françaises ont-elles cessé de créer des
emplois à Paris pour en créer à Londres ?
M. Olivier Robert de MASSY - C'est certainement vrai pour certaines d'entre
elles, notamment dans le secteur des salles des marchés.
Monsieur le rapporteur, vous demandiez pourquoi les banques françaises
avaient entamé leurs réductions d'effectifs plus tard que dans
d'autres pays. En fait, les trois grands réseaux français ont
commencé à réduire leurs effectifs plus tôt. Ils ont
senti venir la crise et ont commencé il y a plus de vingt ans. Ces trois
réseaux ont diminué chaque année d'environ 1 % leurs
effectifs. Cela ne s'est pas ressenti dans les statistiques globales du fait
que ces réductions ont été compensées
c'étaient les années " faciles " et prospères
par la création de nombreuses banques de marchés et de filiales
ou succursales de banques étrangères à Paris.
Statistiquement, l'un a compensé l'autre. Quand on examine les chiffres
des effectifs employés, on a une illusion de stabilité AFB
pendant un certain temps.
Puis sont arrivées les années de vaches maigres ; les grands
réseaux ont continué à diminuer leurs effectifs et
finalement la compensation a cessé de jouer. Les banques de
marché ont cessé de se créer, les banques
étrangères ont cessé de venir s'installer et ont
même parfois replié bagage. C'est là que le
phénomène de diminution est apparu dans les statistiques. On a
donc l'illusion d'un réflexe tardif. En réalité, il est
ancien et les grandes banques françaises ont commencé bien avant
les banques britanniques ou allemandes qui ne bougeaient pas. Les banques
britanniques se sont réveillées il y a seulement quatre ou cinq
ans, mais avec une brutalité totalement inconcevable en France.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Quelles sont les perspectives à
cinq ans pour les effectifs des banques AFB, qui sont actuellement de 210.000 ?
M. Patrice CAHART - On avait pensé à une réduction
des effectifs de l'ordre de 30.000 à l'horizon des cinq ans.
M. Michel FREYCHE - Ce qui correspond à l'ordre de 3 % par an.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Du côté des rapports
de conjoncture que vous pouvez avoir avec les banques adhérentes, et au
plan de la délocalisation des entreprises, avez-vous des informations
des entreprises clientes ? Ce mouvement qui a été
amorcé se poursuit-il de manière importante et
significative ? Avez-vous été éveillé à
ce propos ?
M. Michel FREYCHE - Ce mouvement est engagé depuis longtemps et il se
poursuit. Je ne pense pas qu'il se soit accéléré
récemment. Nous n'avons pas eu d'exemple de gens qui aient
déclaré partir (..?).
Il est clair néanmoins qu'il
y a une tendance à des délocalisations supplémentaires. La
délocalisation a été amorcée par les plus grandes
entreprises françaises. Nous sommes quelque peu
" amusés " quand on rencontre tel ou tel patron de grande
entreprise disant : " les 35 heures, pourquoi
pas ? ",
alors même que plus de la moitié de ses effectifs est
délocalisée à l'étranger !
En revanche, dans une entreprise industrielle, la flexibilité
apportée par l'utilisation maximale des machines vingt-quatre heures sur
vingt-quatre ou la flexibilité qui pourrait résulter ou portant
sur les pointes d'activités dans les industries saisonnières
constituent des contreparties réelles de l'abaissement éventuel
de la durée du travail. Certaines économies se fondent sur ces
situations. Dans des entreprises de services comme les nôtres où
au niveau de l'aménagement du temps de travail au fil de l'année,
nous n'avons pas grande contrepartie à espérer.
Pour répondre à la question sur la réaction de nos
partenaires sociaux et l'état de nos négociations, l'une des
critiques au projet gouvernemental est qu'il met pratiquement fin aux
négociations que nous avions ouvertes depuis dix-huit mois dans notre
profession avec les partenaires sociaux sur le thème de
l'aménagement et de la réduction du temps de travail. Il faut
savoir que ce n'est pas la réduction du temps de travail en soi qui nous
effraie. Ce n'est pas un tabou. Depuis 1996, nous avions engagé avec nos
syndicats une négociation qui a été rendue plus difficile
au fil des mois en raison de la perspective et puis de la certitude de cette
loi sur les 35 heures. Lorsqu'on annonce aux partenaires sociaux qu'ils
auront les 35 heures quoi qu'il arrive, au 1er janvier 2000, comment
voulez-vous être bien placés pour négocier quelque
contrepartie que ce soit ? C'est malheureusement la situation dans
laquelle nous nous trouvons actuellement.
Nous leur avions proposé des textes qui leur apportent vraiment quelque
chose, non seulement à l'entreprise mais au salarié, et qui
collent très exactement au fond même de leurs revendications. Nous
avions proposé un projet d'accord sur l'organisation du temps partiel,
un projet sur la préretraite progressive, un projet d'accord sur le
compte épargne-temps, un projet d'accord rédigé sur
l'annualisation - réduction temps de travail, et un projet d'accord sur
les conditions d'application de la loi de Robien à notre secteur
d'activité.
Tout cela apportait des réponses réelles positives à des
problèmes réels que se posaient nos salariés. Tout cela a
été mis sous le boisseau ; pour les contreparties, on
verra. Pour l'instant, les contreparties, c'est zéro ! Pourquoi
voulez-vous négocier quelque chose que l'on vous a donné ?
M. André JOURDAIN - Le président Freyche nous a fait part des
problèmes spécifiques à la profession en tant que
représentant des banques de son association de l'AFB. Je suppose que les
problèmes sont les mêmes dans les autres banques. Est-ce dans les
mêmes proportions ? Je pense aux sureffectifs.
Deuxième question : j'ai été très sensible quand
vous avez dit que l'application des 35 heures vous conduirait certainement
à réduire les heures d'ouverture ou à fermer des agences.
Représentant d'un département rural, sensible à
l'aménagement du territoire, je crains que les agences soient
fermées en commençant par les endroits les plus reculés.
Tout le monde comprend ce que cela signifie.
M. Michel FREYCHE - S'agissant des autres réseaux, je suis mal
placé pour vous exposer leurs situations. Je suppose qu'ils ont des
problèmes proches des nôtres, encore que certains qui
bénéficiaient d'avantages concurrentiels importants, aient pu
passer des accords favorables avec leurs salariés, y compris dans ce
domaine. Je ne connais pas le temps de travail à la Caisse
d'épargne, mais si on en juge par l'ancien régime de retraite, il
doit être plus favorable que ce qu'il est chez nous. J'en ai eu un autre
exemple récemment. Il y a eu la fusion entre la BFCE et le Crédit
national. Comme la BFCE est mon ancien établissement, j'ai
demandé comment cela se passait pour le temps de travail. On m'a
répondu qu'il y avait un petit problème parce que le
Crédit national, avec la prospérité que l'on sait, avait
un horaire officiel de 36 heures. La BFCE devait donc passer à
l'horaire des 36 heures appliqué au Crédit national. Passer
de 36 à 35 heures n'est pas dramatique. Pourquoi ? Parce que
le Crédit national, le Crédit Foncier comme toutes ces
institutions financières spécialisées, comme la BFCE
à un certain moment d'ailleurs, bénéficiaient de
privilèges tels qu'ils pouvaient faire n'importe quoi. C'était le
contribuable qui payait. C'est la même chose dans les mairies. Je vois
des maires de grandes villes qui disent qu'ils passent aux 35 heures. Je
ne citerai pas de nom. Combien cela coûte-t-il ? 20 millions. Qui
paie ? Le contribuable. C'est facile. Certains le font.
M. Yann GAILLARD -
Je voulais revenir sur cette affaire des
cadres expatriés. A-t-on fait une enquête précise sur les
motivations ? Existe-t-il des sondages ? Ce serait assez facile de le
faire. Il faudrait faire la part des choses entre la force que
représente la place financière de Londres où beaucoup de
choses ne peuvent se passer que là, les expatriations individuelles pour
raisons de salaire et les expatriations décidées par la banque
française pour diminuer ses coûts. Ce serait très
intéressant, voire même très troublant. Il faut avancer sur
ce terrain. La profession pourrait-elle envisager une enquête de ce genre
?
M. Michel FREYCHE - Non, je ne crois pas qu'elle ait été faite,
mais nous pourrions l'envisager. Mon témoignage est que cet état
d'esprit, malheureusement, se retrouve chez les jeunes les plus dynamiques. Je
suis président d'une société de
capital-développement (Sofinindex) et d'une société de
capital-risque de hautes technologies (Galiléo) qui toutes deux
obtiennent de bons résultats et qui me permettent d'être en
contact avec de jeunes entrepreneurs ou créateurs d'entreprises.
Dans la " high tech ", nous avons le plus grand mal à
retenir
ces créateurs d'entreprise en France et à faire en sorte qu'ils y
établissent leur siège social. Tous ne rêvent que de
Jersey, de Londres ou du Kent, des Etats-Unis. Tous ne rêvent que du
NASDAQ (National association of securities dealers by automated quotations) ou
de DISNAQ et non pas du nouveau marché en France. Nous avons
réussi à en conserver certains, parce qu'ils sont
français, qu'ils viennent trouver des capitalistes français pour
les aider à démarrer. Nous les persuadons que dans ce domaine, il
existe une législation plus favorable en France mais la tendance
spontanée est de s'expatrier soit à Londres, soit dans les
îles anglo-normandes, soit aux Etats-Unis pour échapper aux
contraintes administratives et sociales insupportables qu'ils estiment devoir
supporter et pour bénéficier de régimes fiscaux plus
avantageux. Au moment de la création d'entreprise, chez ces jeunes gens
pointus, dynamiques, " high tech " le fait d'avoir des
dizaines
d'imprimés déclaratifs à remplir est quelque chose
d'épouvantable.
Etant retraité, j'ai créé une société de
conseil me permettant de recevoir en toute légalité quelque
rémunération ici ou là. J'ai fait l'expérience de
ce que c'était. C'est épouvantable. Je me perds dans les
documents des URSSAF, et autres caisses de ceci pour la formation etc...et je
n'ai pas de salarié ! Nous avons suggéré des
simplifications administratives efficaces pour retenir ces jeunes gens
dynamiques en France, mais pas du type de celles qui ont été
récemment présentées.
Elles représentent un progrès, largement insuffisant, de
simplification dans le domaine social. Par exemple, le chèque-emploi
était une remarquable idée qui a été très
positivement reçue. S'il était possible, nous l'avons dit au
ministre en exercice, d'utiliser le chèque-emploi pour les nouveaux
recrutés dans des entreprises de moins de dix ou vingt salariés,
cela apaiserait les craintes de nombreux employeurs. Les procédures de
séparation d'un salarié posant des problèmes dramatiques
qui empêchent de dormir ceux qui envisagent de s'étendre, s'il
était possible de faire dans le secteur privé ce que le
Gouvernement fait dans le secteur public, c'est-à-dire des contrats
à durée déterminée de cinq ans pour les
emplois-jeunes, on proposerait à nos chefs d'entreprise des contrats
à durée déterminée de cinq ans, sachant
qu'après, il n'y a aucune procédure à suivre. S'ils sont
satisfaits, il peuvent renouveler le contrat et peut-être le transformer
en contrat à durée indéterminée. En revanche, s'ils
ne sont pas satisfaits, le contrat s'éteint. Cela débloquerait
des centaines de milliers d'emplois.
Pour beaucoup, la conjoncture n'est pas mauvaise. Il auraient besoin d'un
emploi supplémentaire mais s'ils recrutent quelqu'un et que cela ne va
pas comme ils l'espèrent, ils vont l'avoir " sur le dos " et
ne pourront pas le mettre à la porte. Il faut des idées simples
comme l'extension du chèque emploi-service au secteur privé,
notamment aux PME, de la procédure pour une ou deux personnes. Il ne
s'agit pas de recruter des centaines de personnes sur cette technique, mais
l'extension au secteur privé de la possibilité pour les artisans
et PME d'envisager des CDD de l'ordre de cinq ans aurait une action effective
sur l'emploi. Cela répond aux craintes et aux besoins.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - J'abonde dans ce que vous
indiquez à propos de la loi sur les 35 heures ; nous en
attendons un second volet pour le privé. Mais les contrats à
durée déterminée comportent des pièges. Sauf faute
grave, il est très difficile dans le privé de se séparer
d'un collaborateur insuffisant embauché en CDD. La jurisprudence
contraint l'employeur à payer le traitement jusqu'à la fin du
contrat sauf faute grave. Il y a donc là aussi quelque chose à
revoir.
Enfin, je voudrais apporter un bémol à ce vous disiez tout
à l'heure sur l'expérience personnelle de créateur
d'entreprises : il y aussi un phénomène de frilosité
des banques pour les jeunes créateurs.
M. Michel FREYCHE - C'est un autre sujet dont je vous reparlerai en tête
à tête. En deux mots, les banques ne sont pas faites pour financer
les créations d'entreprises. Nulle part au monde, ni aux Etats-Unis, ni
en Grande-Bretagne, ni ailleurs, les banques ne financent la création
d'entreprise. Cela n'existe pas. Ce sont des fonds, des annexes de banques de
type Banexi mais ce ne sont pas les banques.
Le déchet est tel dans la création d'entreprise qu'il faudrait
appliquer des taux d'intérêt de 250 % par an aux sommes
prêtées pour avoir un espoir de retrouver les sommes investies.
C'est un métier totalement différent mais ce n'est pas celui des
banques.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je parlais des
institutions financières en général.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Sur les formalités administratives,
je partage votre point de vue. Mais avez-vous eu un jour en main une
déclaration d'impôts sur le revenu américain. Je vous
encourage à le faire. Vous constaterez que c'est pire qu'en France. Il
faut sur ces questions des simplification absolues, mettre un bémol.
Dans la plupart des formalités que les employeurs doivent assumer, elles
le sont par des décisions paritaires. Le patronat et les syndicats ont
créé des institutions, des formalités. Vous avez dit que
l'Etat faisait trop. Mais, à un certain moment, les partenaires sociaux
n'ont-ils pas une dérive étatique de leur
côté ? La révolution culturelle doit affecter tous les
acteurs.
M. Michel FREYCHE - Certainement !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
C'est ce que je crois profondément.
M. Olivier Robert de MASSY -
Votre commission étant
particulièrement attentive aux questions de délocalisation, je
ferai quelques brèves remarques sur les localisations, car cela
fonctionne dans les deux sens. En tant que responsable des ressources humaines,
j'ai vu des entreprises étrangères s'interroger sur leur
localisation de l'emploi en France. Une grande banque américaine a
cherché où placer en Europe son back-office titres euro de 1.000
personnes. Elle était très intéressée par la
France, pays accueillant, sympathique et la place de Paris est tout à
fait valable techniquement. Elle y a finalement renoncé. D'autres
entreprises étrangères ont indiqué que le décret
de1997 allait dans le bon sens et que cela jouait positivement en faveur de
leur examen de la localisation de leurs emplois futurs. On a donc les deux
aspects.
Deuxième remarque : c'est un sujet dont l'importance va
s'accroître avec la technologie mais aussi avec l'euro qui sera la
matière première tangible d'une vaste zone. Les groupes bancaires
seront de plus en plus européens. Ils localiseront ici ou là
telle ou telle activité. Cela ne se limitera pas aux seules
activités de marchés dont on a beaucoup parlé et à
Londres. Il pourra y avoir des services administratifs en Irlande ou en
Belgique.
Troisième remarque : on sous-estime les effets de ces
phénomènes sur l'emploi. Or, il y a à la fois des effets
indirects et induits. Indirects, les emplois qui sont directement liés
au fait que l'emploi est ici ou là. Une étude de la London
Business School a montré que pour les 300.000 employés du secteur
financier au sens large de la place de Londres, 600.000 emplois étaient
concernés (avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes,
sociétés de conseil, personnel de ces sociétés).
Voilà pour le premier cercle d'emplois indirects.
Le deuxième cercle : les emplois induits. Si ces gens ne sont pas
ailleurs, c'est à l'endroit où ils résident qu'ils
consomment, qu'ils se logent. Les effets de levier peuvent être
très importants. Pour un cadre de haut niveau chez Microsoft, l'effet de
levier est de 1 à 7. Il serait de 1 à 3 ou 4 en permanence pour
un cadre moyen, que cela ne m'étonnerait pas. Cela mérite
réflexion et beaucoup d'attention dans les années qui viennent.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment expliquez-vous que la banque n'a pas
entrepris plus tôt la renégociation de la convention
collective ?
M. Michel FREYCHE - A l'époque où le problème a
été sérieusement posé, la quasi-totalité des
établissements étaient encore sous le contrôle de l'Etat.
Plus précisément, sur instruction du ministre de
l'économie et des finances de l'époque, lors de la réunion
décisive, un chef d'établissement a dit que ce n'était pas
possible, qu'il s'y opposait. Il a fait savoir que les plus hautes
autorités politiques s'y opposaient.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
C'était le président du
Lyonnais.
M. Michel FREYCHE - C'était à l'époque, le
président du Lyonnais. Il y a eu peut-être un certain manque de
courage de la profession, mais nous négocions depuis 96. Nous
n'avançons pas et nous négocions de manière très
précise sur les principaux aspects de la rénovation de cette
convention. Cette négociation est complètement pervertie par le
fait que nos interlocuteurs défendent leurs responsabilités au
niveau de la France alors que nous décentralisons au maximum.
En second lieu, nos interlocuteurs espèrent tout de l'Etat, y compris
les 35 heures payées 39. Nous sommes pessimistes. Pour des raisons
psychologiques, et comme le souhaitait le Gouvernement, nous avions voulu ne
pas dénoncer formellement la convention collective pour ne pas donner
l'impression à nos interlocuteurs de les contraindre à
négocier avec le couteau sous la gorge. Nous allons, probablement assez
vite, devoir franchir ce pas de la dénonciation effective pour
être pris au sérieux et avoir, pour eux, l'obligation de
négocier.
Une période de dix-huit mois qui s'ouvre. Si dans ce délai, nous
n'avons pas réussi à nous mettre d'accord, nous appliquerons le
code du travail, purement et simplement. Celui-ci est nettement moins favorable
que notre convention collective. Ce serait un puissant moyen pour les amener
à négocier sérieusement et je crains fort que nous soyons
contraints, dans les semaines qui viennent, à l'utiliser pour permettre
une véritable négociation équilibrée.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Je retire deux enseignements. La banque
est une industrie de main-d'oeuvre. C'est sans doute un des secteurs les plus
sensibles au dispositif à l'étude actuellement. Une alerte vive
met en cause, comme disait M. Jourdain, l'aménagement du territoire.
S'il est vrai que les banques sont dans l'obligation de revoir leurs effectifs,
il peut y avoir un facteur d'accélération tendant à
supprimer un certain nombre d'agences sur le territoire national.
M. Michel FREYCHE - Ce que nous souhaitons, ce n'est pas du tout qu'il n'y ait
aucun espoir de réduction de la durée du travail. Pourquoi pas
35 heures ? Nous demandons de nous laisser négocier
établissement par établissement. C'est là que les choses
doivent se passer et à l'intérieur des établissements
bancaires, site par site, l'éventuelle application de dispositions
réduisant la durée du travail. Nous avons déjà,
dans certaines banques et établissements, réduit la durée
du travail à 35 heures. C'est ce qu'on ne manquera pas de vous
dire, mais pour obtenir en contrepartie des avantages tels que les
équilibres soient satisfaisants, que la banque s'y retrouve et que le
salarié ait une contrepartie qui l'intéresse également.
La Société Générale qui n'a pas la
réputation d'être à la pointe du progrès social -
à tort peut-être - est à 35 heures dans certains
établissements. Ce n'est pas tant les 35 heures que le fait de nous
imposer à tous, à une date prédéterminée et
sans contrepartie, les 35 heures, et même de nous empêcher
d'avoir des contreparties puisque plus rien n'est négociable.
Laissez-nous faire comme cela s'est fait dans tous les autres pays où
partiellement, certains sont à 35 heures. Ne croyez pas qu'en
Hollande par exemple, tout le monde est à 35 heures. Une
majorité des personnels dans les banques travaillent plus de
35 heures, sans heure supplémentaire d'ailleurs. Par avancement,
par accord au niveau de chacun des établissements. A l'intérieur
même des établissements, certains services, comme à l'AMRO
Bank, la banque avec qui j'en ai discuté, sont à 35 heures,
d'autres sont à 37, d'autres à 38,5 heures.
C'est cela que nous souhaitons : un minimum de liberté et la
restauration de véritables négociations sous la
responsabilité de ceux qui ont en charge le compte d'exploitation,
c'est-à-dire les entreprises.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président -
Vous avez vu
l'intérêt que soulevait votre audition. Je tiens à vous
remercier ainsi que MM. de Massy et Cahart.
B. AUDITION DE MM. CLAUDE COCHONNEAU, ADMINISTRATEUR DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES (FNSEA) ET DE M. ARNOLD BRUM, CHEF DU SERVICE DES AFFAIRES SOCIALES
MM. Claude Cochonneau, Arnold Brum et Mme Nadine Normand
sont introduits dans la salle
Le président lit la note sur le protocole de publicité des
travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à
MM. Claude Cochonneau, administrateur de la Fédération nationale
des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Arnold Brum, chef de service, et
Mme Nadine Normand.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président -
L'organisation du travail
que nous vous proposons est la suivante. Nous disposons d'une heure. Vous
introduisez le débat par votre exposé. Ensuite, je passerai la
parole à M. Arthuis rapporteur et à tous les
collègues qui souhaiteront vous poser des questions.
M. Claude COCHONNEAU - Monsieur le président, messieurs les
sénateurs, je vous remercie, même si nous sommes convoqués,
de nous donner l'occasion de nous exprimer sur le problème particulier
des 35 heures. L'agriculture n'est pas un secteur très connu pour
l'emploi qu'il génère. Malgré tout, près de un
million de personnes travaillent dans l'agriculture dont près de 300.000
équivalents temps plein, qui comprennent les permanents et les
saisonniers. C'est un emploi qui n'est pas inexistant et qui plus est, a
l'avantage particulier d'être réparti de manière assez
harmonieuse sur le territoire, ce qui n'est pas nuisible à
l'aménagement du territoire.
Sans entrer dans le détail des aspects techniques, je polariserai mon
intervention sur les particularités que nous y voyons, dans
l'application de la loi au niveau de l'agriculture. Première remarque,
une bonne partie de nos produits sont confrontés à des
marchés assez ouverts, notamment le secteur fruits et légumes qui
n'est pas contingenté. Le secteur fruits et légumes est
confronté à d'autres bassins de production dans le monde,
notamment dans l'hémisphère sud qui n'ont pas les mêmes
contraintes en matière de main-d'oeuvre. En matière de
compétitivité, nous sommes très sensibles à
l'augmentation des charges de travail dans ce domaine.
Dans le prix de revient d'un kilo de fruits ou de légumes, il y a 50
à 60 % de main-d'oeuvre. Toute évolution de cette charge a un
effet important sur la compétitivité des entreprises. Ce qui se
passe en matière de délocalisation est très significatif
de cette réalité. Les légumiers qui font les
légumes au Maroc, ce n'est pas uniquement pour le plaisir de faire
travailler les Marocains.
Seconde remarque sur les incitations dans le cadre de cette loi d'orientation
et sur l'accord offensif où un exploitant est obligé de
réduire la durée de travail et d'embaucher pour
l'équivalent. C'est très délicat pour des entreprises
où il n'y a que quelques salariés. Quand vous n'avez que deux
salariés, il est difficile de réduire la durée du travail
de 10 % et d'embaucher 6 % d'équivalents temps plein. C'est un
problème qui nous paraît techniquement difficile à
résoudre sauf, peut-être, dans le cadre des groupements
d'employeurs. Là, c'est un système idéal dont on
rêve, qui est de pouvoir compenser cette réduction du temps de
travail par l'embauche d'un morceau de salarié dans le cadre d'un emploi
partagé. C'est une solution qui n'est pas encore
développée à grande échelle.
Autre remarque sur les niveaux de salaires : dans le texte de loi et dans
les propos du ministre, on a remarqué certaines incohérences, un
certain flou artistique ou involontaire, notamment sur l'avenir du SMIC et son
évolution.
Aujourd'hui, on appréhende les choses différemment selon que l'on
évoque les 35 heures payées 35 ou les 35 heures
payées 39. 11 % au lieu de 4 % d'augmentation ne nous
réjouissent pas pour les raisons que nous avons évoquées
plus haut. Les branches agricoles des syndicats de salariés n'ont pas
plus d'explications que nous. Nous avons rencontré les conseillers de
Mme Aubry à ce sujet ; leur réponse est que la loi ne
prévoit rien et que l'on compte sur la négociation pour
résoudre le problème. A priori, on partirait sur 35 heures
payées 35, et c'est la négociation qui ferait qu'il n'y aurait
pas de réduction des salaires pour les salariés. Cela fait quand
même une augmentation importante. Le fait de ne pas avoir
d'éléments plus clairs sur le SMIC nous inquiète. On a le
souvenir de ce qui s'est passé en 1982 avec une hausse brutale du SMIC.
Cela avait traumatisé les gens que nous représentons.
Autre point sur le SMIC : le fait d'aboutir à un double SMIC nous
paraît très difficile à appliquer. C'est une forme de
ségrégation par rapport à la date d'embauche et nous
voyons très mal comment dire aux anciens qu'ils ont un SMIC et aux
nouveaux embauchés un autre SMIC. On voit assez mal comment faire
travailler les gens dans ces conditions dans la mesure où beaucoup de
travaux se font en équipe et où les gens ont pris l'habitude de
communiquer dans le cadre de leur travail.
Quatrième remarque sur les heures supplémentaires, là non
plus, nous n'avons pas de solution. Un surcoût serait induit avec la
36
ème
heure comptée comme heure supplémentaire.
On estime le surcoût à 5 % ou 6 %, uniquement sur ce
problème d'heures supplémentaires, même si le
problème du plafond ne nous concerne que modérément.
Pour conclure, le fait que l'on émette des réserves sur les
35 heures ne veut pas dire que nous nesoyons pas sensibles au
problème du chômage et surtout au chômage des jeunes. Il
touche aussi les familles des agriculteurs ou le milieu rural. On a d'ailleurs
faisant allusion à ce que l'on a fait dans la profession et en
matière de répartition des droits à produire et des
structures dans les années 60 et des droits à produire maintenant
une forme de partage du travail. Quand on décide aujourd'hui de
plafonner des redistributions de quotas laitiers, c'est la possibilité
donnée à d'autres personnes d'accéder au métier
d'agriculteur et par conséquent, à un emploi.
On ne peut pas nous taxer de ne pas être favorables au dialogue social.
En agriculture, on a l'habitude du fonctionnement paritaire. On a des
structures locales paritaires au sein desquelles on discute des
problèmes de salaires mais aussi du développement de l'emploi,
des aspects de formation. On ne peut pas nous taxer de ne pas être
favorables à ce type de fonctionnement.
Enfin, on a même une expérience en matière de
réduction du temps de travail, puisque l'agriculture est l'un des
premiers secteurs à avoir passé un accord de réduction par
l'annualisation. En échange de l'annualisation et d'une certaine
flexibilité, on avait accepté l'accord des 37,5 heures
payées 39. Cet accord est signé.
Or, on voit arriver une loi qui remet en cause l'accord que nous avions
réussi à passer malgré tout. C'est bien dans cet esprit
là qu'on a signé le communiqué du CLIDE que vous avez
dû voir et qui a peut-être paru quelque peu radical ou
réactionnaire à certains d'entre vous. L'esprit de ce
communiqué signé avec les partenaires employeurs était
bien de resituer le problème des 35 heures dans le contexte
économique général.
On ne peut pas demander à l'agriculture de rentrer dans une
économie libérale la tendance de la Communauté
européenne est de réduire les aides et de rapprocher les
coûts des prix du marché mondial et nous imposer des contraintes
supplémentaires que n'auraient pas les autres pays avec lesquels on nous
met en concurrence. Notre réaction va dans ce sens. Je tenais à
le préciser. Car nous ne sommes pas contre les 35 heures par
principe et de manière systématique.
Si l'on est contre la réduction du temps de travail telle qu'elle nous
est proposée, c'est qu'elle nous paraît difficilement applicable
aux entreprises agricoles et dans le contexte économique actuel. Cela
nous paraît difficile à supporter surtout pour les secteurs
très gourmands en main-d'oeuvre que sont les fruits et légumes,
qui sont les plus confrontés à l'ouverture des marchés.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Compte tenu de ce que vous
venez de nous indiquer, seriez-vous prêts à encourager des accords
vous l'avez déjà fait pratiquement dans la mesure où des
engagements seraient pris en contrepartie de gel ou de modération des
salaires.
M. Claude COCHONNEAU - Il est vrai qu'au moment de l'accord d'annualisation, on
s'était posé les mêmes questions. Nous avions pris le
risque en passant cet accord de ne pas bloquer l'augmentation du SMIC. C'est un
accord de branche. On n'avait pas le pouvoir de négocier l'augmentation
du SMIC. Cela étant, on a pris le risque mais en échange de
l'annualisation, on a eu la souplesse.
Pour l'agriculture, du fait des productions liées aux saisons, la
souplesse nous a permis d'inciter nos mandants à regarder de plus
près cet accord sur l'annualisation. Aujourd'hui, si on avait des
engagements fermes sur la non-évolution ou sur une évolution
raisonnée du SMIC, on appréhenderait les choses de manière
différente, notre objectif étant de ne pas laisser filer la masse
salariale. A présent un producteur de fruits doit faire appel à
200 ou à 100 personnes pour cueillir ses pommes, cela ne change pas
grand chose. Par contre, pour moi qui ai un porcher, si je dois réduire
son temps de travail de 10 %, j'aurai du mal à trouver par annonce
6 % d'un porcher. Déjà 100 % d'un porcher, ce n'est pas
facile à trouver, alors 6 % !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Je remercie M. Cochonneau pour la
clarté de son propos. Votre confédération est-elle
prête à signer des accords je pense que c'est le cas puisque vous
en avez fait la démonstration portant annualisation du temps de
travail ? Est-ce une voie qu'une loi pourrait explorer à condition
de prévoir des modalités de cette annualisation ? C'est une
orientation qui est à valider. Dans le cadre des GE (groupements
d'employeurs) y a-t-il une réponse possible au fractionnement du temps
de travail ?
M. Claude COCHONNEAU - Sur l'annualisation, nous y sommes favorables. Pour
l'agriculture, cela permet de coller mieux aux réalités de la
production. Sur les groupements d'employeurs nous avons une
fédération des groupements d'employeurs et nous incitons le
développement de ces groupements cette formule a un intérêt
majeur qui est d'adapter, de faire coller l'emploi aux besoins en
main-d'oeuvre. On a très peu d'employés dans nos entreprises. On
n'a pas besoin d'un salarié supplémentaire. Parfois, certains ont
besoin d'un demi ou quart de salarié pour des tâches bien
précises.
Le groupement d'employeurs a cet intérêt de permettre à des
agriculteurs d'un même secteur d'embaucher à plusieurs et d'avoir,
sur un quart temps ou un tiers temps, une personne qui a les mêmes
compétences qu'un temps plein parce qu'elle fait le même travail
par ailleurs. Mais ce n'est pas la solution miracle. On a maintenant
développé la formule. Tout le monde a regardé cela de
très près. Nous conseillons même les gens dans ce domaine.
Dans un certain nombre de cas, nous sommes amenés à conseiller
aux agriculteurs de ne pas faire un groupement d'employeurs mais d'engager une
personne. On n'encourage pas forcément à faire des groupements
d'employeurs si c'est seulement pour bénéficier d'aides pendant
deux ans. Pour ces aides, cela ne présente pas d'intérêt
à moyen terme.
Par contre, dans un certain nombre d'autres cas, on conseille aux agriculteurs
de le faire car cela permet de faire coller la main-d'oeuvre aux besoins de
l'entreprise et d'éviter de faire grossir leur entreprise. Ce sont deux
choses complètement différentes. J'insiste sur ce point car il
faut savoir que l'on est sur une multitude d'entreprises comptant très
peu de salariés. Ce n'est pas comme Renault qui embauche 50 personnes
d'un coup quand ils ont un problème de salariés. On est sur un
même problème, mais pas sur la même échelle.
M. Arnold BRUM -
Je voudrais compléter la réponse. Vos
deux questions concernent deux catégories d'employeurs agricoles. D'une
part, il y a les productions spécialisées végétales
fruits et légumes, horticulture, viticulture qui subissent fortement la
contrainte des travaux saisonniers. Pour ceux-là, l'annualisation est
une solution. Il y a un an, nous avons signé un avenant à un
accord national qui permet l'annualisation sur la base des 38 heures
payées 39 heures ou 37,5 heures payées 39 heures.
Il y a des solutions alternatives.
L'originalité de l'accord est qu'il précise que l'employeur
décide unilatéralement de la mise en oeuvre de l'une des formules
d'annualisation prévues, étant donné que la conclusion
d'accords d'entreprises est illusoire en agriculture où il n'y a
pratiquement pas de délégués syndicaux pour des
entreprises de dix ou quinze salariés, et encore moins de un ou deux
salariés.
Ces accords précisent que si l'employeur décide telle formule, il
doit respecter telles règles. Cela existe donc déjà. Par
exemple, quand on fait 37,5 heures de moyenne dans l'année, on a
droit à un maximum de 250 heures en plus des 37,5 heures
à certaines périodes de l'année, compensées par un
maximum de 250 heures en moins, et le salarié est payé toute
l'année sur la base de 39 heures. La majoration des heures
supplémentaires qui aurait été due pour les prestations
d'heures supplémentaires n'est pas payée mais est
compensée par le fait que le salarié est payé
39 heures pour 37,5 heures en moyenne. Voilà pour la
première formule.
L'autre formule des groupements d'employeurs concerne plutôt les
entreprises qui auraient deux salariés, ou a priori pas de
salarié du tout. Le développement des groupements d'employeurs
est fondé sur le fait que deux ou trois exploitants agricoles, notamment
dans l'élevage, qui ont des charges importantes de travail toute
l'année et pas seulement saisonnières, mais pas assez cependant
pour embaucher un salarié, se mettent ensemble pour embaucher un
salarié. Il faut savoir que ces professions nécessitent des
salariés qualifiés.
Or, trouver un travailleur qualifié pour un mi-temps ou un quart temps
n'est pas possible. Un travailleur qualifié veut se voir offrir un plein
temps. Il faut donc lui offrir ce plein temps sous forme des groupements
d'employeurs. On peut donc imaginer que celui qui a déjà un
salarié, qui doit réduire sa durée hebdomadaire du travail
à 35 heures, s'il veut bénéficier des incitations
financières, doit embaucher 6 % de personnel en plus. Ce n'est pas
possible.
Comment imaginer qu'un groupement d'employeurs puisse le faire ? A ce
moment-là, ce ne sont plus deux ou trois exploitants mais sept ou huit
qui doivent s'unir pour l'embauche. Or, le gros problème pour
l'employeur, c'est l'entente entre les membres du groupement
d'employeurs ; ce sont plus des problèmes de relations entre
agriculteurs que des problèmes d'ordre juridique. Cela peut être
une solution, mais elle serait alors une solution d'élite.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Sur 300.000 emplois, quelle est la
proportion de salariés dans des organisations professionnelles ?
M. Arnold BRUM -
On n'a parlé là que des exploitations. En
production : 180 à 190.000 permanents.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Combien de salariés y a-t-il dans les
organisations professionnelles agricoles ?
M. Arnold BRUM - 30.000 dans la mutualité, 70.000 au Crédit
Agricole et 130.000 dans la coopération et quelques milliers dans les
syndicats, associations etc.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Dans ces secteurs des organisations
professionnelles, comment voit-on le projet ?
M. Claude COCHONNEAU - La coopération a tendance à regarder de
très près ces accords. Ils avaient été sensibles
à la loi de Robien. Cela signifie que le problème est
évoqué et qu'ils sont engagés dans ce processus. Cela dit,
ce n'est pas sans poser de questions. J'ai posé la question en interne
à la FNSEA en commission employeurs en leur disant de se méfier.
On regarde et on explique pourquoi on est plutôt contre du fait que cela
nous paraît difficilement applicable. Or, c'est en train de se passer
dans certaines entreprises. Essayons d'avoir une certaine cohérence.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Il y a quand même un risque de
contradiction à ce niveau-là. La coopération est de toute
façon la formule la plus achevée. Dans ce cas-là, les
coopérateurs assument-ils vraiment la problématique du passage
à 35 heures ? Je me suis parfois demandé si la
transparence était un principe quotidien.
M. Claude COCHONNEAU - Monsieur le sénateur, vous posez la question et
vous donnez la réponse.
Il est vrai que l'on se pose ce genre d'interrogation, mais le débat est
la question posée aujourd'hui. Cela dit, entre le statut de la
coopération, et ce que l'on fait au niveau de la coopération et
du mutualisme par rapport à l'idée généreuse de
base, il y a un certain déphasage. Ce qui n'est pas sans nous poser
quelques problèmes.
La coopération a un comportement parce que les adhérents le lui
demandent d'entreprise privée parfois. Ce n'est pas le cas de toutes les
coopératives, mais cette espèce de fuite en avant, de
grossissement des coopératives on a des outils coopératifs quel
que soit le milieu dans le domaine céréalier finissent par
devenir des groupements monstrueux. C'est vrai que pour les professionnels qui
y sont se pose le problème de la gestion d'outils de cette taille. Ce
n'est pas sans nous préoccuper.
Sur les 35 heures, les coopératives sont intéressées.
Pour une coopérative, c'est comme pour une entreprise, c'est plus facile
à mettre en oeuvre que pour une exploitation. Avec les aides actuelles,
ce n'est pas forcément un mauvais choix en termes de gestion
d'entreprise pour une coopérative que d'avoir fait appliquer la loi de
Robien ou d'essayer d'appliquer la loi des 35 heures et de
bénéficier des aides.
On ne peut pas reprocher aux gens qui ont la gestion économique des
coopératives de faire ce choix s'il est jugé rentable au moment
où ils le font.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Dernière question :
pensez-vous que ce projet de loi portant la durée légale
hebdomadaire de travail à 35 heures est de nature à
créer des emplois dans le secteur dont vous avez la charge ?
M. Claude COCHONNEAU -
Nous pensons que, non seulement, cela ne sera pas
de nature à développer des emplois, mais nous y voyons un autre
risque contre lequel on essaie de lutter péniblement,
c'est-à-dire le développement du travail au noir, pour les
raisons qu'on a évoquées plus haut. L'agriculteur devra
réduire de 4 heures son temps de travail. De par la nature des
produits et des tractations, l'agriculture est déjà un milieu
" à risque " pour ce genre de pratique. Même si on les
dénonce, on sait qu'on n'est pas complètement clairs sur le
sujet. C'est vrai qu'il y a là un risque majeur.
Quant à développer des emplois, l'agriculture est
également confrontée aux gains de productivité liés
à la mécanisation et à l'automatisation.
L'évolution de la robotique dans notre métier n'est pas non plus
de nature à créer des emplois. On peut donc s'inquiéter,
même si sur le fond, philosophiquement, par rapport à ce que l'on
voit dans les rues aujourd'hui et les mouvements des chômeurs, on ne peut
rester indifférents par rapport à l'emploi.
On sait bien que, sauf une croissance exponentielle, ce qui n'est pas vraiment
ce qui nous est annoncé, surtout ces derniers temps, si on veut
résorber le chômage, il y a bien un problème de partage,
non seulement de l'emploi mais aussi de la richesse, qui va avec l'emploi.
C'est un problème qui dépasse largement l'agriculture. Mais dans
l'agriculture, une majorité des salariés saisonniers a un revenu
assez proche du SMIC. Aujourd'hui, annoncer au saisonnier qu'on va
réduire son travail mais aussi son salaire nous paraît difficile.
Ce n'est sans doute pas une réponse très tranchée.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Avez-vous ressenti une attente des
salarié quant à la réduction du temps de travail dans les
secteurs agricoles ?
M. Arnold BRUM - Le temps de travail est assez secondaire, monsieur le
président. On n'a pas de déplacements. Les heures
supplémentaires, cela veut dire rentrer le soir à 18 heures
au lieu de 17 heures.
M. André JOURDAIN - M. Cochonneau a évoqué les groupements
d'employeurs, mais aussi le multisalariat. Pense-t-il qu'il y a des
développements possibles dans d'autres secteurs d'activités pour
le multisalariat dans le sens d'une personne travaillant quelques heures chez
l'un, quelques heures chez l'autre etc. Est-il possible de développer
cela ? Y-a-t-il des choses à faire pour créer des emplois
par cette opportunité du multisalariat.
M. Claude COCHONNEAU - C'est vrai que le développement des groupements
d'employeurs est bien fondé sur cette approche, sous certaines
réserves. On a mis en place une charte de qualité pour les
groupements d'employeurs.
Les groupements d'employeurs qui respectent cette charte de qualité qui
prévoit de plafonner le nombre d'employeurs devraient être
aidés. Car il ne faut pas non plus tomber dans l'agence
d'intérim. On considère que dans la mesure où il y a peu
de distance et de frais de déplacements d'un poste à l'autre, un
salarié peut avoir deux à trois employeurs. Ce n'est pas
irréaliste. Si l'on va au-delà, on tombe dans la
société de service, ce qui est complètement
différent. Dans certaines régions se développent
même certaines complémentarités entre secteurs. En
Poitou-Charentes, il y a par exemple un groupement d'employeurs entre
agriculteurs-artisans, agriculteurs-commerçants. Dans certaines zones de
montagne, on trouve le développement du groupement d'employeurs entre
agriculteurs et collectivités locales. C'est dans le même esprit.
Cela permet à la collectivité ou à l'agriculteur d'avoir
le " morceau " de salariat qui lui manque pour le bon
fonctionnement
de l'entreprise. Idem pour certaines communes qui n'ont pas toujours besoin
d'un permanent pour entretenir la voirie.
Cela relève plus de solutions locales. On peut difficilement songer
à un développement massif de ce genre de fonctionnement.
M. André JOURDAIN - Faut il obligatoirement passer par les groupements
d'employeurs ?
M. Claude COCHONNEAU - Non. On peut penser qu'un salarié ait deux
employeurs sans passer par le groupement d'employeurs. Un groupement
d'employeurs permet de faire tampon entre la personne qui cherche à
avoir un salarié et le salarié lui-même. Mais il a les
mêmes responsabilités que dans un groupement d'employeurs.
M. Arnold BRUM - On peut imaginer que le salarié a deux ou trois
contrats à temps partiel avec deux ou trois employeurs. Encore faut-il
que chaque employeur ait son horaire bien prédéterminé
etc. D'autre part, si un employeur licencie, l'autre n'est pas obligé de
le faire etc. C'est relativement difficile à organiser, et il n'y a pas
de garantie pour le salarié.
En outre, comme il faut des salariés qualifiés que l'on ne trouve
pas ou peu, dès que l'on en trouve un, il faut donc lui offrir un
contrat solide. Par conséquent, on ne peut pas lui demander de prendre
deux ou trois contrats à temps partiel. C'est la raison pour laquelle la
solution du groupement d'employeurs est intéressante.
M. Daniel PERCHERON - Monsieur Cochonneau, à mon avis, vous avez
mieux terminé que vous n'aviez commencé votre remarquable
exposé. Vous avez notamment dit " qu'il ne faudrait pas que l'on
croie... ". Si, monsieur Cochonneau, on croit qu'en rejoignant la
croisade
de ceux qui sont contre les 35 heures, vous avez fait votre pas politique
de la radicalisation contre cette mesure.
C'est sur le fond que je voudrais vous poser la question car vous l'avez
évoqué à la fin de votre exposé. Ne craignez-vous
pas que si la démarche volontariste des 35 heures vous avez
parlé du chômage en milieu rural échoue ; si la
société française se bloque, l'autre solution s'impose
finalement de toute évidence. C'est-à-dire le modèle
totalement libéral, et que le capitalisme social renonce finalement en
France à s'affirmer à travers un certain type d'économie
mixte.
Or, puisque vous avez la chance, à la FNSEA formidable lobby agricole
d'être le fleuron de l'économie mixte, puisque vous avez la chance
de ne pas être sur le marché mondial, de voir toute la classe
politique courageuse ou prudente se féliciter de vous faire
échapper au marché mondial et adjurer Renault de conquérir
des parts extérieures sans un sou de subvention, voter sans discuter les
budgets qui vous permettront de toucher les subventions à l'exportation
pour vos produits ce dont je me réjouis n'avez-vous pas peur que, dans
cette croisade que vous menez au bénéfice du modèle
libéral, la PAC (politique agricole commune) soit un jour
emportée ?
Vous avez fait allusion à la réforme de la PAC. La main invisible
du marché peut un jour se sentir suffisamment forte pour que
l'agriculture européenne et notamment l'agriculture française,
dépende totalement d'elle. Voilà ce que je voulais vous dire et
ce que je pense sincèrement.
Car les 150 milliards francs lourds directement ou indirectement, au travers du
budget européen ou du budget français c'est-à-dire
l'effort des contribuables français de plus en plus conscients en faveur
de leur agriculture se justifient par le fait que vous aménagez et que
vous nourrissez l'un des plus beaux, sinon le plus beau pays du monde, et que
vous remplissez un rôle irremplaçable pour notre pays.
Sur les 35 heures, je vous invite, même si vous êtes
croisé, à plus de nuance et à plus de prudence, au nom de
mon amour de l'agriculture française et de ses agriculteurs !
M. Claude COCHONNEAU - S'il n'y avait eu que des croisés comme nous, je
crois que l'histoire n'aurait sans doute pas été la même.
Je considère qu'on n'est pas en croisade sur ce sujet, d'autant que pour
les raisons évoquées plus haut, on fait preuve en agriculture
d'un dialogue social que certains secteurs nous envient et peuvent nous envier
à juste titre d'ailleurs.
Sur vos remarques concernant le marché mondial et le risque de
radicalisation, je vous signale que les secteurs les plus employeurs de
main-d'oeuvre sont confrontés au marché mondial. Aujourd'hui, les
fruits et légumes, avec les pommes qui viennent du Chili, ne sont pas du
tout concernés par la PAC. Ce qui est paradoxal car les secteurs
où se développe l'emploi sont justement les secteurs non
encadrés.
Je ne milite pas pour autant pour un libéralisme à tout crin. Il
y a des à coups dans ce secteur qui font que quand le prix du porc
diminue de moitié, passant de 12 à 6 ou 7 francs pour 1998,
il est très difficile de gérer les entreprises dans un tel
contexte.
Aujourd'hui, vous avez évoqué le problème des
contribuables et de la PAC, il faut savoir que la PAC est en train
d'évoluer. C'est pourquoi je disais d'entrée de jeu que l'on nous
engage vers une économie plus libérale.
M. Daniel PERCHERON -
C'est certain !
M. Claude COCHONNEAU - Mais je n'ai pas cru comprendre que le Gouvernement
français, actuel ou précédent d'ailleurs, ait vraiment
freiné la commission européenne sur ce sujet. Nous
considérons en tout cas que les gouvernements successifs n'ont pas
freiné la Commission (européenne)
M. Daniel PERCHERON - Ils ont freiné des quatre fers ! Ils n'ont
fait que freiner. Vous pouvez les remercier les uns et les autres.
M. Claude COCHONNEAU - Vous nous entraînez sur un terrain glissant. C'est
vrai que certaines évolutions n'ont pas abouti à ce que
souhaitait la Commission (européenne).
Cela dit, le problème de la relation de la France avec l'Europe et la
PAC est que la France est le seul pays concerné par un territoire aussi
important. Les autres pays ont des analyses différentes en raison des
choix qu'ils ont faits pour leur agriculture, et surtout des choix
différents d'aménagement du territoire. La France aujourd'hui a
un territoire encore à peu près équilibré,
même si on a déploré ici ou là certains
problèmes, que l'on connaît bien pour être sur le terrain.
Malgré tout, cela pourrait être pire.
Néanmoins, je ne suis pas persuadé que les 35 heures
permettent de résoudre ce problème spécifique.
Aujourd'hui, on vous apporte quelques éléments mais ce n'est pas
l'agriculture qui bloquerait une évolution quelconque sur cette question
des 35 heures. De toute façon, on sera beaucoup plus favorable
à une politique incitative sur le sujet qu'à une loi
contraignante. C'est-à-dire que l'on envisagerait plus facilement que
ceux qui passent aux 35 heures bénéficient d'une aide
particulière, mais que celui qui reste à 39 heures pour des
raisons de choix ou d'entreprise, n'ait pas des contraintes
supplémentaires.
A cet égard, je vous rassure, on n'est pas bloqués. A la
commission employeur de la FNSEA, même s'il y a des gens de secteurs
très divers, la synthèse que l'on en fait est justement de ne pas
avoir de position radicale, de ne pas être figé par rapport
à ce problème. Néanmoins, il y a des
réalités économiques que l'on ne peut pas nier.
M. Daniel PERCHERON - Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté
concernant la PAC, la décision prise par le général de
Gaulle d'exiger la PAC au moment où l'Europe se mettait place est l'une
de ces décisions qui façonne un pays et qui a été
une décision extraordinairement positive pour la France. A tous points
de vue : économique, aménagement du territoire, et j'ajouterai
même pour l'âme du pays.
Mesurez quand même bien que l'évolution européenne est
aujourd'hui à la croisée des chemins. Cette commission qui
travaille avec un commissaire social-démocrate, M. Karel Van Miert,
ancien député et ancien député européen, qui
surveille la France comme le lait sur le feu à propos des subventions
d'Etat, qui va loin dans la contrainte vis-à-vis d'une compagnie comme
Air France, est susceptible, un jour, d'avoir une majorité
qualifiée dans une Europe plus politique ; majorité
susceptible de sacrifier un jour l'essentiel de la PAC, alors que
paradoxalement, un pays ultralibéral comme les Etats-Unis fait les
efforts financiers nécessaires pour son agriculture.
Voilà ce que je voulais vous dire à partir du communiqué
signé par la FNSEA, que personnellement, en tant que patron de la FNSEA
si je l'avais jamais été un jour, je n'aurais jamais signé.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Nous avons bien compris que
vous avez transmis le message à l'occasion de cette commission à
la FNSEA.
M. Daniel PERCHERON - Le dialogue est intéressant. Je sais que vous ne
prendrez pas les préfectures d'assaut sur les 35 heures ?
(
non
) C'est l'essentiel.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
On ne va pas ouvrir un débat avec
M. Percheron, mais j'ai compris que les secteurs qui sont soumis à
la logique de marché ne sont pas ceux qui sont les moins actifs...
M. Daniel PERCHERON -
Au contraire !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - ...que les agriculteurs français sont
devenus des professionnels du plus haut niveau, qu'ils affrontent une
concurrence internationale et que ce sont les secteurs où l'on
crée le plus d'emplois. Dans certaines régions de l'ouest de la
France, qu'il s'agisse du porc ou de la volaille, la valeur ajoutée est
considérable. Il ne faut pas non plus imaginer que la logique de
marché est nécessairement destructrice d'aménagement du
territoire et de cohésion sociale.
M. Daniel PERCHERON - Il a dit le contraire. Il a bien dit que c'était
le secteur qui recrutait.
M. Claude COCHONNEAU -
C'est une région dynamique mais on compte
aussi, du fait du non-encadrement, des entreprises fragiles, même avec
des chiffrages considérables. Elles sont d'autant plus fragiles qu'elles
sont soumises aux fluctuations qui peuvent ne pas être gênantes,
mais qui sont parfois insupportables.
Elles sont d'autant plus dynamiques que dans le secteur du maraîchage,
comme l'horticulture par exemple entreprise qui demande des investissements
colossaux quand on compare le niveau d'investissement au revenu moyen
dégagé par ces gens, même lissé, en
écrêtant les bonnes et mauvaises années, on peut dire que
les gens sont entreprenants et aiment leur métier pour investir autant
d'argent et être soumis à des pressions aussi fortes. Cela
correspond aussi en partie à des secteurs où la demande mondiale
est en croissance.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - J'ai bien noté qu'il y avait un double
risque de délocalisation du fait de contraintes plus fortes sur le
coût du travail. C'est ce qui résulterait de la loi sur les
35 heures. D'autres part, ces deux motifs de délocalisations
pourraient être aussi bien les placements des légumiers au Maroc
ou ailleurs, ou encore le passage dans la clandestinité.
Avez-vous une opinion dans ce domaine sur ce que pourrait représenter,
si cela existait, le travail au noir dans l'agriculture.
M. Arnold BRUM - A ce propos, le développement du travail clandestin se
fait aussi bien avec des travailleurs français ou présents sur le
territoire qu'avec des travailleurs venant de l'étranger. Le
phénomène se développe avec les Polonais notamment.
L'office des migrations internationales a introduit officiellement 3.000
saisonniers polonais. Il y en a plus que dix fois plus. Personne ne
pénalise, il n'y a pas de procès-verbal, ils ne sont pas
payés au SMIC. On ne respecte ni les 35 heures ni les
39 heures, parce qu'il s'agit soi-disant d'une oeuvre humanitaire !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est de l'esclavagisme ! Est-ce une valeur
de gauche ?
M. Daniel PERCHERON - Non, c'est un constat.
M. Arnold BRUM - Deuxièmement, il y a la prestation de service
officielle au niveau européen. Une directive sur le détachement
des travailleurs permet de détacher des travailleurs d'entreprises
européennes au sein de l'Union européenne en les gardant au
régime de sécurité sociale de leur pays d'origine. Le
résultat est que certaines entreprises anglaises et portugaises sont
organisées par les maraîchers - horticulteurs - producteurs de
fruits français qui embauchent là-bas un directeur pour une
société qui embauche des Anglais et des Portugais pour les
envoyer en France faire les vendanges, les récoltes de pommes.
En Angleterre, il n'y a pas de cotisations sociales et donc pas de cotisations
patronales. Au Portugal, les cotisations sont très faibles. Tout cela
est légal et se développe à la vitesse
" V " !
Notre commentaire est de dire qu'il faudrait changer, notamment le
règlement sur la sécurité sociale. Mais dès lors
que l'on accroît les contraintes des employeurs français la loi
sur les 35 heures en est un exemple cela ne peut que développer ce
genre de recours à ces formules puisque ces gens ne sont
contrôlés par personne, ne reçoivent pas de P.V., ni rien
du tout. Le danger est donc dans le développement du travail au noir
légal ...
M. Daniel PERCHERON - ...communautaire.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - C'est très sensible
aussi dans le secteur du tourisme où les tours-opérateurs,
notamment britanniques, embauchent des jeunes Français et Hollandais
pour les envoyer dans les entreprises françaises. C'est un secteur que
je connais bien. L'Inspection du travail a tenté de réagir
très fortement. Mais contre ces différences économiques,
trop d'impôts et trop de charges, on crée des appels d'air.
Y-a-t-il d'autres questions ? (
non)
Messieurs, je vous remercie
infiniment. Nous étions très fortement représentés
pour l'ouest.
M. Daniel PERCHERON - C'est pourquoi je disais que les gouvernements avaient
freiné des quatre fers. Je suis du Pas-de-Calais où les
céréaliers ont obtenu les meilleurs rendements mondiaux en 1996.
Il n'y a pas que les corons dans le Pas-de-Calais, il y a une formidable
agriculture !
M. Marcel-Pierre CLEACH, président
-
Je vous remercie messieurs.
C. AUDITION DE M. JEAN CATHERINE, REPRÉSENTANT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES DIRECTEURS ET CADRES DE LA FONCTION PERSONNEL (ANDCP)
M. Jean Catherine est introduit dans la salle
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la
commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean
Catherine, représentant de l'Association nationale des directeurs et
cadres de la fonction personnel (ANDCP).
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je vous donne la parole. La
procédure retenue est que vous introduisiez le débat par un
exposé et qu'ensuite, M. Arthuis, rapporteur, vous pose des questions.
Les collègues présents vous poseront également des
questions auxquelles vous répondrez lors d'un échange très
libre.
La parole est à M. Catherine.
M. Jean CATHERINE -
Monsieur le président, l'ANDCP (Association
nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel) est une
association qui vient de fêter son cinquantenaire et regroupe 4.000 DRH
(directeurs des relations humaines), personnes qui assurent la fonction des
ressources humaines dans l'entreprise dans l'ensemble de la France. Je vous ai
apporté une documentation sur l'association elle-même,
réalisée à l'occasion de notre cinquantenaire, et deux
publications qui portent justement sur l'aménagement et la
réduction du temps de travail, datant de décembre 1997.
Je n'ai ni révélations à faire ni ne détiens la
vérité, mais nous avons un certain nombre d'informations en
provenance de tous nos collègues qui pourront peut-être vous
être utiles. Notre association est apolitique. Je me bornerai donc
à des questions factuelles.
Je crois savoir que vous souhaitez aborder trois sujets : les
conséquences financières, économiques et sociales. Sur les
conséquences financières, un calcul simpliste consiste à
dire qu'on va passer de 39 heures à 35 heures sans
réduction de salaire, ce qui représente une augmentation du
coût salarial de 11,4 %.
Ce calcul est simpliste car, en réalité, le projet de loi
prévoit pour le moment une réduction de la durée
légale du travail. La durée légale n'est pas la
durée réelle. L'incidence que l'on peut en calculer est que
4 heures seront majorées de 25 %, c'est-à-dire que l'on
abaisse le niveau au-delà duquel intervient une majoration pour heures
supplémentaires. Dès lors, si l'on procède au petit calcul
suivant : [(35 x 100) + (4 x 125)]/39, le
coût est de 2,6 % si l'entreprise reste à 39 heures.
Bien entendu, elle peut également changer son horaire. Le coût
peut alors être soit supérieur soit inférieur.
Pourquoi peut-il être différent ? Parce qu'il peut y avoir
des aménagements ou des compensations. Tout d'abord, il peut y avoir
gel, voire réduction des salaires. Il n'y a pas dans les entreprises un
calendrier prédéterminé qui précise qu'à
telle date les salaires seront augmentés de X % etc. Il est donc
très difficile de savoir si cela coûtera 2,6 % aux
entreprises parce qu'on ne sait pas ce qu'elles auraient fait dans un autre
contexte. Elles auraient peut-être augmenté les salaires, ou
peut-être pas.
En tout cas, il est certain qu'à partir du moment où l'on change
les données de la gestion d'une entreprise, on met tout sur la table et
on aura tendance à retarder les augmentations de salaires, ce qui
viendra compenser en partie le coût des majorations pour heures
supplémentaires. Il peut même y avoir des cas où les
salariés ou leurs représentants acceptent une
légère baisse des salaires. Ceci est une des dispositions qui
peut figurer dans la négociation.
Qu'est-ce qui peut diminuer le coûts pour les entreprises ? C'est
l'aide de l'Etat, soit des abattements sur les charges sociales, soit des
subventions. Les entreprises sont assez friandes je dirai même
exagérément friandes de ces aides de l'Etat. Beaucoup
d'entreprises ont des besoins de recrutement, et les aides de l'Etat sont
quelquefois une aubaine. Elles auraient recruté quand même, mais
comme on peut avoir une petite subvention ou bénéficier d'un
petit abattement des charges au passage, on en profite. On ne saura jamais ce
qui se serait passé car il n'y a pas d'effectif idéal, pas
d'horaire de travail idéal, pas de barème de salaires
idéal. Mais cela entre dans la négociation.
Autre compensation possible : la réorganisation de l'entreprise.
Nous avons fait des études dans de petites et grandes entreprises et
avons essayé, non pas de faire des statistiques rapides, mais d'aller
voir sur place et d'analyser les problèmes tels qu'ils ont
été traités dans les entreprises. Nous avons
constaté malheureusement que de nombreuses entreprises étaient
sensibles à l'effet de mode qui consiste à faire des cercles de
qualité, des fonds des pensions, la réduction du temps de
travail ; on fait donc comme tout le monde et on prend des mesures, mais
sans remettre en cause la gestion de l'entreprise.
Or, avec un problème comme la durée du travail, c'est toute la
vie de l'entreprise qui est en cause. La durée du travail touche les
clients, les fournisseurs, le personnel bien sûr, les rapports avec le
monde entier du fait des fuseaux horaires etc. Bref, de nombreux
éléments sont liés à la durée du travail.
Cette durée n'est pas un élément linéaire, mais un
élément variable. Les possibilités d'aménagement du
temps de travail sont donc diverses et il convient de profiter de l'occasion
pour essayer de jouer une partie où tout le monde gagne.
J'en arrive au problème économique, car ce n'est pas seulement un
problème financier ou un problème social. Il est de bon ton de
dire qu'il faut s'inspirer de ce que font certains pays ou certaines
entreprises pour faire du "
benchmarking
", du
"
reengeneering
" ; soit pour parler français,
essayer d'optimiser l'organisation des résultats de l'entreprise en
travaillant le mieux possible.
L'une des solutions consiste à améliorer la flexibilité.
Le code du travail contient déjà de nombreuses
flexibilités quoi qu'on en dise, mais les entreprises n'ont pas une trop
grande propension à les utiliser. C'est souvent un alibi de dire que
c'est compliqué, qu'il y a trop de lois, que c'est trop rigide. En
réalité, les possibilités sont nombreuses mais peu
utilisées.
Quand on remet à plat l'activité de l'entreprise concernant tous
les secteurs d'activités, y compris le personnel, il serait bon de
revoir par exemple le temps partiel, le travail en équipe posté.
En effet, l'un des moyens de gagner en compétitivité peut
consister à augmenter la durée d'utilisation des
équipements. Il est simple d'avoir un équipement avec une
personne devant. Il y a donc une égalité de temps de travail de
l'équipement et de temps de travail du personnel.
On peut par exemple faire travailler deux personnes sur le même
équipement, ce qui améliore la compétitivité. On
peut aussi en mettre trois, quatre ou cinq par roulement. Ce que je vous
explique peut se faire, et se fait dans certaines branches, pas dans toutes.
Il y a aussi à tenir compte des évolutions culturelles et des
comportements. On ne travaille pas aujourd'hui comme il y a cinquante ans,
pendant le week-end, le soir ou la nuit, en continu ou pas. Dans les banques
par exemple, il n'est pas nécessaire d'ouvrir les guichets tout le temps
pour retirer de l'argent ; il y a des distributeurs automatiques. Il y a des
périodes de pointe où la clientèle est plus importante,
mais le code du travail interdit les équipes chevauchantes. Or, on
pourrait très bien voir un caissier de plus à la banque quand les
gens font la queue pour faire leurs opérations à l'heure du
déjeuner.
Il faut tenir compte de plusieurs éléments. On peut
aménager les polyvalences, les astreintes. Il y a aussi ce
phénomène extraordinaire des portables. Pour les gens, l'heure de
travail ne signifie plus grand chose car on peut les joindre, non seulement
à leur bureau, mais aussi au domicile, en vacances ou ailleurs. Il y a
aussi les variations du marché, la saisonnalité. Il est donc
très difficile de travailler toujours de la même façon.
Avec le projet de loi sur les 35 heures apparaît une
opportunité de remettre en place une réorganisation et d'essayer,
non pas de travailler plus ou de travailler moins -encore faut-il savoir que
l'on peut travailler plus globalement et que chacun travaille moins mais
surtout de travailler mieux et plus efficacement.
Comme je vous le disais, les entreprises n'ont pas toujours saisi les
opportunités. On peut même dire qu'elles n'ont même pas
respecté la loi dans la mesure où, depuis près de vingt
ans, elles sont obligées de négocier chaque année la
durée du travail. Il faut bien dire qu'elles ne mettent pas un
enthousiasme délirant à le faire.
Cette loi nous paraît donc une loi incitative, dynamique, qui peut
contribuer, non seulement à changer certaines règles et certains
coûts, mais aussi à une réduction réelle des
horaires au bénéfice de tout le monde. Il n'y a qu'à voir
comment beaucoup d'entreprises se sont précipitées sur la loi de
Robien. C'est sur le terrain, au niveau de l'entreprise qu'on peut trouver les
problèmes à résoudre et les solutions à y apporter.
Troisième point : sur le plan social, on pratique actuellement des
horaires et des heures supplémentaires excessifs, et ce, de plus en
plus. Cela concerne l'ensemble du personnel, y compris les cadres. Les cadres
s'en plaignent amèrement, quelquefois avec un humour un peu noir, disant
que les 35 heures leur plaisent tellement qu'ils en font le double et en
profitent ainsi deux fois ! En effet, des horaires de 70 heures ne
sont pas rares ; 50 et 60 heures sont même très
fréquentes. Cela amène beaucoup de contrôles.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment calcule-t-on le temps de travail des
cadres ?
M. Jean CATHERINE - C'est très difficile. Thomson vient de restaurer le
pointage des cadres. Dans la plupart des entreprises, on ne calcule pas le
temps de travail des cadres ; eux le sentent, le savent. Ils voient fort
bien à quelle heure ils arrivent le matin et partent le soir, même
s'ils ne pointent pas, qu'on les appelle le samedi ou le dimanche. Il est en
tout cas admis que ces horaires sont réels bien qu'ils ne soient pas
constatés mathématiquement à l'horloge. On constate aussi
que les cadres s'en plaignent.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous représentez les directeurs des
ressources humaines qui sont là pour faire en sorte que les ressources
soient bien gérées. Avez-vous le sentiment que c'est bien
géré ?
M. Jean CATHERINE - Non, j'ai le sentiment que c'est mal géré
parce que les cadres ont perdu une grande partie de leurs
spécificités. On considérait encore ces dernières
années que les cadres avaient une mission à remplir, une
responsabilité qui excluait toute idée d'horaire de travail. J'ai
suffisamment pratiqué pour pouvoir affirmer qu'à la limite, il
n'y a pas de dimanche, pas de nuit ; si quelque chose est important, on
paie de sa personne. Cela se traduisait par la notion de forfait, en
particulier pour la paie. On avait tant par mois. Mais tout est question de
mesure et de conscience. Ces dernières années, on a
exagéré. Il a été décrété que
si les cadres étaient payés au forfait, ils étaient
taillables et corvéables à merci. On en a profité.
La situation sociale s'étant gravement détériorée,
les salaires des cadres -salaire brut mais aussi salaire net du fait de
l'augmentation des charges ont baissé, et continuent encore de baisser
d'ailleurs.
Enfin, le problème hallucinant du chômage fait que les cadres, qui
s'estimaient comme faisant partie des meubles de l'entreprise, qui
représentaient l'entreprise, qui se sentaient responsables, se sont vus
traiter comme le reste du personnel et licencier comme tout le monde,
après un préavis un peu plus long. Par conséquent, les
cadres qui étaient très attachés à leur entreprise
commencent à se détacher. Depuis vingt-cinq ans environ, il y
avait eu un nouveau mariage d'amour entre le personnel et les entreprises
où les salariés reconnaissaient qu'ils étaient assis sur
une branche qu'il ne fallait pas casser et qu'il n'y avait pas vraiment de
lutte entre salariés et employeurs mais un intérêt commun.
Aujourd'hui, nous assistons à un divorce de plus en plus net
d'année en année.
Nous avons réalisé une enquête avec la SOFRES qui a
été publiée en décembre 1997, notamment dans Les
Echos - L'Expansion. On a interrogé les salariés dans les pays
européens (Angleterre - Espagne - France) et les Etats-Unis. Quels en
sont les résultats ? Malheureusement, nous sommes toujours
pratiquement les derniers. La plus grande honte de tout Français.
Les résultats sont les suivants : 66 % des Français estiment
que leur entreprise n'attache pas d'importance à leur devenir ;
- le désengagement : "
le personnel ne veut plus sacrifier
sa vie personnelle pour sa carrière "
. Il se désengage.
Ce n'est pas la même chose en Allemagne ou en Espagne.
" Les
salariés se considèrent délaissés par leur
entreprise "
"
Un travail intéressant mais trop
prenant "
. "
Le chômage fait peur "
.
La hantise du chômage fait que l'on accepte des horaires
exagérés, car on sait que beaucoup de gens sont à la porte
et que si on ne plaît plus, on peut aller se faire
" pendre "
ailleurs. Mon propos n'est pas de stigmatiser les entreprises, les DRH doivent
être loyaux vis-à-vis de l'entreprise, mais je me dois
d'être loyal aussi vis-à-vis de vous et vous faire part de ce que
nous sentons et de ce que nous ne pouvons pas toujours dire.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cela ne traduit-il pas un autre problème,
à savoir qu'il n'y a pas de culture d'entreprise, pas de
transparence ?
M. Jean CATHERINE -
Non !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Mais vous, en tant que DRH, le dites-vous
aux entreprises ?
M. Jean CATHERINE - Oui, bien sûr !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur
-
Comment cela se passe-t-il.
M. Jean CATHERINE -
On le dit avec diplomatie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous êtes trop diplomates alors !
M. Jean CATHERINE - Non, parce que si on ne l'est pas assez, on se retrouve
avec les collègues qui ont été licenciés la semaine
précédente. Il faut savoir que le
turnover
chez les DRH
est très important, avec près de 30 % par an. Ils sont comme
les autres et il est normal que dans une entreprise, le chef d'entreprise ait
des pouvoirs.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous êtes vous-même DRH ?
M. Jean CATHERINE - Je l'ai été trente ans. Je suis au
comité directeur de l'ANDCP, mais étant à la retraite
depuis peu, je jouis donc d'une plus grande liberté. En tout cas, je ne
traduis pas ici mes idées personnelles. Je suis particulièrement
les études qui se font à l'ANDCP et j'ai procédé
à un certain nombre de sondages dans ce domaine.
Les DRH sont dans une position très délicate vis-à-vis de
leur entreprise. Certes, ce tableau est un peu noir mais il ne faut pas
généraliser. Beaucoup d'entreprises comprennent les choses et
essaient même d'être citoyennes, encore que beaucoup d'autres
viennent dire que la citoyenneté n'est pas leur problème. Leur
problème est de faire du
business.
A mon sens l'un
n'empêche pas l'autre.
Cela dit, on constate un développement du stress, confirmé
d'ailleurs par les médecins du travail qui constatent que beaucoup de
maladies découlent de cette hantise du chômage, de ces heures
supplémentaires, de cette insécurité. Même chez les
cadres, il y a également une évolution culturelle, et un besoin
de liberté. Le divorce dont je parlais n'est pas complètement
négatif pour la nation car on sent un besoin de se désengager
tout en étant loyal vis-à-vis de l'entreprise, de travailler dans
des limites normales et même souples. Besoin de liberté pour
s'occuper de la cité, de la famille, pour participer aux
activités locales, aux associations etc. Ce besoin va dans le sens de la
réduction du temps de travail. On me citait l'autre jour le cas d'une
femme cadre qui emmenait sa petite fille au supermarché pour faire ses
courses et qui lui confiait le portable parce qu'on pouvait l'appeler le samedi
après-midi de son entreprise. Le portable vient là encore
apporter des sujétions particulières alors que les gens cherchent
un peu plus de liberté.
Si ce besoin de liberté, de se détacher quelque peu de son
entreprise tout en lui restant loyal, se traduit par une amélioration
des conditions de vie et de travail, cela pourrait entraîner une
amélioration de la motivation du personnel. Il ne faut pas trop
exagérer les horaires etc.
Si donc cette loi change le calcul des heures supplémentaires, cela n'en
modifiera peut-être pas le nombre, mais on peut espérer que cela
se traduira par une réduction de la durée réelle du
travail, qui pourrait donc ne pas coûter cher si on négocie bien
les modalités d'application, si l'entreprise y trouve son compte, comme
le personnel, comme la clientèle et comme la cité en
général. Cela pourrait améliorer la vie des
salariés, et peut-être même leur productivité. C'est
donc probablement une opportunité à saisir.
Le mouvement est en marche. La loi de Robien a connu un très grand
succès. Actuellement, beaucoup de gens s'intéressent à la
loi. J'ai procédé personnellement à un sondage à
l'occasion de l'une des nos réunions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est très rentable ?
M. Jean CATHERINE - Oui. J'y ai posé les questions suivantes pour
lesquelles j'ai également les réponses, le tout n'étant
pas publié : il s'agit d'un sondage pour l'ensemble de la France.
- " Vos effectifs vont-ils augmenter ? " Un tiers
répond
" oui " ;
- " Vos effectifs vont-ils rester stables ? " Un tiers
répond " oui " ;
- " Vos effectifs vont-ils diminuer ? " Un tiers répond
" oui ".
On peut dire qu'il y a un équilibre, mais avec du mouvement.
- " Avez-vous des difficultés à recruter ? " Un
quart répond " Oui ". C'est assez extraordinaire de
constater
que le commissariat au plan donne le chiffre de 7 millions de personnes
concernées par le chômage. Or, chaque année, c'est la
même chose : un quart des personnes interrogées affirment qu'elles
n'arrivent pas à recruter. Il y a donc là un problème de
communication ou de formation.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Le chômage est aussi en partie lié
au fait qu'on ne trouve pas les collaborations, les motivations en termes de
compétences.
M. Jean CATHERINE - Il y a plusieurs problèmes en réalité.
Tout d'abord, les chômeurs sont dans une situation épouvantable.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Avez-vous le sentiment qu'il n'y a pas
suffisamment d'écart entre ce que perçoit une personne qui n'a
pas d'emploi et ce qu'il percevrait...ce que l'on a appelé au G7 de
Lille les " pièges à chômage " ? On le voit
bien sur le terrain. Les personnes font leurs comptes et constatent que si
elles travaillaient, leur revenu net serait inférieur.
M. Jean CATHERINE - Tout à fait. D'un autre côté, il est
difficile de dire que les minima sont trop élevés. Cela dit, le
problème de cet écart réduit existe.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous l'avez constaté. Les DRH que vous
représentez vous ont-ils signalé que s'il n'y avait pas cette
particularité, ils auraient peut-être plus de facilité
à recruter ?
M. Jean CATHERINE - Oui, on se rend compte du problème, pour une partie.
Mais ce n'est pas valable pour l'ensemble de l'économie.
Je reviens aux résultats du sondage :
- " Vos heures supplémentaires ont-elles augmenté depuis un
an ? " Oui, pour un dixième.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Vous qui avez été DRH,
n'avez-vous pas le sentiment que les contraintes qui pèsent sur les
modalités de licenciements peuvent être un facteur de
rigidité ?
M. Jean CATHERINE - Non. Les employeurs licencient très facilement. Il y
a un problème dans la mesure où certaines lois ne sont pas
très claires en matière de licenciement économique pour
consulter le comité d'entreprise, les expertises etc. Tout cela se
mélange. Il y aurait certainement beaucoup à faire pour
simplifier. Le principe est normal, il faut consulter les représentants
du personnel avant de faire une opération de réorganisation, et
à plus forte raison, de réduction des effectifs.
Cela dit, quand on voit toutes les réunions qui se succèdent, qui
se renvoient la balle, que plusieurs lois se mélangent et ne sont pas
claires, tout cela crée une difficulté. Pour les gens
recrutés à durée déterminée, cela ne pose
pas de problème. Les CDI (contrats à durée
indéterminée) prévoient un préavis qui ne
présente pas vraiment de difficultés. Les procédures sont
longues, mais c'est très différent..
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
N'est-ce pas le cas de
sociétés importantes qui, à un moment de leur existence se
sont trouvées en sureffectif et qui compte tenu de leur situation ont
été empêchées de procéder aux licenciements
parce les services administratifs considéraient qu'elles avaient assez
d'argent pour faire face.
L'enseignement qu'elles en ont tiré j'en connais plusieurs pour ne plus
être confrontées à de telles situations, a
été de recourir à l'intérim. Je suis quand
même frappé par l'importance du travail intérimaire.
M. Jean CATHERINE - Oui, on a trop tendance à utiliser les
intérimaires et les contrats à durée
déterminée, bref le travail précaire. Il n'y a plus
d'autorisation administrative de licenciement, mais il peut y avoir des
procès, ce qui n'est pas forcément mieux. Le dossier de La
Samaritaine est là pour en attester. Il y a là un problème
juridique aussi très important à régler.
Cela dit, les entreprises n'ont pas vraiment ce problème.
A la question suivante : " Envisagez-vous de réduire la
durée du travail ? ", un quart répond
" oui ", mais 50 % sont intéressés. Un quart a
l'intention de la réduire et un quart a l'intention de commencer
maintenant la négociation pour aboutir à la réduction.
C'est pourquoi je disais que le train est en marche.
" Subissez-vous des contraintes de contrôle des heures
supplémentaires par l'Inspection du travail, en particulier pour les
cadres ? ". Un tiers répond " oui ".
- " Le temps partiel se développe-t-il pour les
hommes ? ". Réponse : " Oui, faiblement ".
Pour les
femmes ? Même chose.
- " Y a-t-il des revendications salariales ? " Réponse
:
" Oui ". Un quart : " en progression "
- " Avez-vous l'intention de créer un plan d'épargne
retraite ? ". Un dixième a l'intention de créer un plan
d'épargne à long terme.
J'ai profité de réunir un certain nombre de collègues pour
leur poser ce genre de questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Peut-on avoir copie de ce sondage ?
M. Jean CATHERINE - Certainement. Je n'ai ici que quelques notes manuscrites
que j'ai transmises à mon secrétariat pour intégrer ce
sondage au procès-verbal de notre conseil, mais je peux vous en faire
envoyer un exemplaire. Il s'agit là de sondages approximatifs qui
donnent néanmoins les tendances.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur -
Vous préciserez
l'échantillon.
M. Jean CATHERINE - L'échantillon porte sur toute la France. Nous
réunissons des présidents des 80 groupes de notre association.
Une cinquantaine étaient présents, ce qui est
représentatif pour la tendance mais je ne chipoterai pas sur les
chiffres.
Voilà donc quelques indications issues de raisonnements, de calculs,
d'autres informations. C'est la matière première que nous
recueillons quotidiennement, malheureusement toujours dans le même sens,
la tendance actuelle n'étant pas à l'optimisme.
Cela étant dit, à notre avis, il y a une opportunité
à saisir où tout le monde peut être gagnant. Sera-ce une
contribution pour régler le problème du chômage ?
Modeste peut-être mais ce n'est pas la seule solution. On peut
certainement satisfaire des besoins sociaux, humains ; on peut
améliorer la compétitivité de l'entreprise, et ceci
à faible coût, voire à coût nul.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - On peut retenir de ce que vous
dites, argumenté par les sondages et votre connaissance du terrain,
qu'il y a une forte aspiration chez les cadres à une réduction
du temps de travail.
M. Jean CATHERINE -
Et du reste du personnel aussi.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je suis assez surpris pour les
cadres.
M. Jean CATHERINE - Oui, cela paraît étonnant de prime abord.
D'ailleurs, Le Monde écrivait hier : " Les cadres se
rebiffent ".
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Il est clair que la presse s'en
fait l'écho depuis quelque temps. C'est même la première
indication. Seconde indication : vous considérez, à la
lumière des contacts que vous avez en permanence, qu'il faut profiter de
ce projet de loi pour aller dans ce sens, avec des compensations.
M. Jean CATHERINE - En négociant et en essayant de tirer le meilleur
parti. Si on a une machine et que l'on peut mettre deux personnes pour
travailler sur cette machine, on peut peut-être recruter une personne ou
une demi-personne.
D'autre part, pour les cadres, il y a toujours eu un problème de saisie
de leur durée du travail. Elle était déjà difficile
à 40 ou à 39 heures, elle reste difficile quel que soit
l'horaire, les cadres étant amenés à se déplacer et
à travailler de façon différente. Cela dit, ce n'est pas
une difficulté qui interdit de bouger. Elle existe et perdurera.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je vous remercie pour votre communication et
votre témoignage. J'aurai deux questions à poser. On sent qu'il y
a une aspiration aux changements, aux réformes, à la
compétitivité et qu'il faut une place équilibrée
entre l'engagement professionnel et la vie personnelle.
Qu'est-ce qui empêche aujourd'hui d'y parvenir ? Comment se fait-il
que la participation à l'intéressement ne soit pas plus
développée ? Qu'est-ce qui bloque ? Qu'est-ce qui fait
que les négociations ne peuvent pas se dérouler en
entreprise ?
Vous représentiez les catalyseurs du dialogue au sein de l'entreprise,
et vous dites qu'il est difficile de négocier. Il vous faudrait
pratiquement une loi, dites-vous. Mais justement, la loi n'est-elle pas en
train de tuer l'espérance de dialogue ? Cette espèce
d'ingérence permanente de l'Etat dans la relation entre les
salariés et l'entreprise n'est-elle pas un facteur destructeur du
dialogue social qui vous place dans des situations difficiles dans la mesure
où vous présenterez une proposition à votre entreprise,
mais sur une base juridique très instable.
Vous pouvez conduire une négociation extrêmement délicate
et être rattrapé le lendemain par la loi qui met en péril
vos initiatives. Cette espèce de cogestion entre le politique et les
partenaires sociaux du droit social n'est-elle pas une rude épreuve pour
les responsables des relations humaines dans les entreprises ?
Dernière question : la loi nous permet-elle d'espérer de
l'emploi. Vous dites que quand il y a des machines, il serait
intéressant de les faire travailler vingt quatre heures sur vingt
quatre, sept jours sur sept. Mais on s'aperçoit que ce sont souvent des
entreprises où le facteur travail représente 10 ou 15 %
du chiffre d'affaires. Si vous étiez DRH dans un atelier de confection
dans la Mayenne, la perspective d'avoir à appliquer ce texte vous
amènerait peut-être à dire à votre hiérarchie
que c'est l'entreprise qui est en péril. Dans ces conditions, la loi
laisse-t-elle espérer des créations d'emplois ou pas ? Car
c'est la grande question qui nous est posée.
M. Jean CATHERINE - Sur le premier point, j'ai personnellement beaucoup
négocié et même conclu de nombreux accords. Je crois donc
qu'il faut négocier, poursuivre l'évolution et trouver les
meilleures adaptations possibles.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous étiez dans un groupe important.
M. Jean CATHERINE - Oui, chez Rhône-Poulenc ainsi qu'à la Caisse
des Dépôts et dans l'édition. J'ai fait presque toute ma
carrière comme DRH.
Pourquoi n'y arrive-t-on pas ? La première difficulté est
que les cadres et le niveau au-dessous sont un frein considérable. Tout
d'abord parce qu'ils sont stressés et qu'on leur demande beaucoup. Ils
ont déjà du mal à étaler leur activité.
Quand on leur demande maintenant de changer, d'étudier ou de modifier,
ils ne savent plus, ne sont pas d'accord. Ensuite, ils le disent ou non mais
ils freinent. Le frein le plus considérable au changement est
l'encadrement, dans ce domaine comme dans les autres.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est très intéressant et
surprenant à la fois. Cette notion de cadre a-t-elle encore un sens,
hors le fait de définir les catégories sociales pour puiser les
ressources pour l'équilibre des régimes particuliers ?
M. Jean CATHERINE - De moins en moins. On arrivait à caractériser
les cadres par le fait qu'ils étaient affiliés à des
caisses de retraite spécifiques. On est en train de fusionner les
caisses et de rapprocher les régimes. Il y avait deux catégories
de cadres : les cadres de commandement et les experts qui apportaient un
savoir, en matière fiscale, personnel et autres. De plus en plus, on
évolue vers une organisation de la société à
l'italienne, à l'allemande, ou à l'anglaise ; à
savoir qu'il y a le grand management, c'est-à-dire les
propriétaires de l'entreprise et les autres...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - ...et les propriétaires des stocks
options...
M. Jean CATHERINE - ...et puis les autres qui sont de plus en plus des
employés supérieurs payés comme les autres. Ils ont des
problèmes sur les horaires parce qu'ils ont des conditions de travail
différentes. Ils sont payés un peu plus cher, mais la loi du
marché jouant là aussi, on les paie de moins en moins cher.
En outre, ce qui a fait chavirer les choses est ce problème de l'emploi,
des licenciements, des plans sociaux. Il y a une quinzaine d'années, les
cadres considéraient qu'ils faisaient partie de l'entreprise ; le
licenciement, c'était pour les autres, pas pour eux. Comme ils
représentaient l'entreprise, il n'était pas question qu'on leur
applique des règles de ce genre.
Plus avant encore, il faut se souvenir que les ouvriers étaient
payés à l'heure. Il a fallu attendre M. Pompidou pour
généraliser la mensualisation. Le fait d'être payé
à l'heure représentait la précarité, et le fait de
pouvoir être licencié est aussi de la précarité.
Néanmoins, cela ne s'appliquait pas aux cadres. Aujourd'hui, cela
s'applique aussi aux cadres. On se demande donc si les cadres existent encore.
Une revue parlait la semaine dernière de " feu la CGC " en
évoquant la disparition de la CGC, le syndicat des cadres. Il y a donc
un problème extrêmement grave.
Les cadres sont donc un frein. Je le dis en toute indépendance et sans
mérite car les entreprises n'ont pas mis d'enthousiasme à
gérer le changement. On sent que les entreprises évoluent vers un
mode de gestion anglo-saxon, avec une sorte de "
corporate
government "
où l'actionnaire a largement pris le pas sur le
personnel.
Le DRH a connu de beaux moment après 1968, mais petit à petit,
c'est le contrôleur de gestion et le directeur financier qui ont pris le
commandement. Par ailleurs, on gère à six mois avec obligation de
résultats et pas d'écart avec les objectifs sinon des mesures
désagréables sont prises.
Ce n'est pas la loi qui gène les entreprises. De nombreuses entreprises
sont d'ailleurs déjà à 35 heures, voire moins. La loi
ne va pas les gêner. La loi de Robien est venue les aider. Dans de
nombreux cas, elle leur a apporté ce que l'on appelle " l'effet
d'aubaine ", mais pas toujours. Il y a des cas où cela favorisait
les embauches.
La loi ne me paraît pas du tout un frein à des initiatives. Elle
me paraît plutôt incitative car elle a le mérite de lancer
un mouvement. Maintenant, dans la tête des gens, il est certain qu'on va
diminuer la durée du travail.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous êtes DRH en entreprise, une loi est
votée maintenant qui vous précise que si vous réduisez la
durée du travail dans telles proportions, et que vous recrutez des
collaborateurs dans les mêmes proportions, vous recevrez en contrepartie
des avantages financiers. Vous irez convaincre vos directeurs financier et de
gestion. Puisque cela n'affecte pas le compte de résultat, et qu'au
surplus cela améliore la productivité, on y va.
Mais une deuxième loi est annoncée dont vous ne savez pas ce
qu'elle contiendra. Elle arrivera à la fin de l'année 1999 pour
être applicable au 1er janvier 2000. Elle peut remettre en cause certains
aspects de votre négociation. Le directeur financier vous en fait la
remarque. En tant que DRH, cela ne vous déstabilise-t-il pas quelque
peu ?
M. Jean CATHERINE - Non. C'est comme les lois fiscales. On ne sait pas combien
on paiera d'impôt sur les sociétés ; ce qui n'empêche
pas de vivre quand même.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La différence est que, par
définition, on ne paie l'impôt sur les sociétés que
s'il y a bénéfices.
M. Jean CATHERINE - Techniquement, si on votait une loi qui ferait que les
entreprises seraient en déficit, cela n'arrangerait pas le
problème de l'emploi. J'ai toujours espéré que les lois
étaient, sont et seront sages. Même pour la prochaine que nous ne
connaissons pas, nous comptons sur vous pour que vous fassiez de bonnes lois.
Cela dit, il faut avoir du bon sens. Si on suit les traditions de la
République, la loi a essentiellement à traiter du problème
de la durée légale et de la majoration pour heures
supplémentaires, de repos compensateur etc. Il me semblerait absurde que
l'on puisse traiter au niveau national et légal l'horaire réel de
travail. Nous sommes convaincus que c'est sur le terrain, à
l'échelon de l'entreprise, de l'usine, de l'atelier que l'on peut
traiter ces problèmes. Car si l'on peut faire tous ces ajustements, ces
compensations et ces réorganisations, il est impossible que cela se
fasse à l'échelle nationale. Même si on le voulait, on ne
le pourrait pas.
M. Daniel PERCHERON - Je remercie M. Catherine de ses déclarations
à la fois précises et spontanées.
M. Jean CATHERINE - Excusez ma franchise.
M. Daniel PERCHERON - Au contraire, c'est très bien. Je résumerai
brièvement ce que vous avez dit. Premièrement, depuis quelques
années, le rapport de force est plutôt
déséquilibré, au détriment des cadres et du
personnel. Cela explique, d'après vous, la lenteur parfois l'absence de
négociations et paradoxalement à cause du personnel d'encadrement
qui se sent sur la défensive, si j'ai bien compris. (
assentiment de
M. Catherine)
Deuxièmement, vous semblez considérer que ce rendez-vous social
et économique initié par la loi, est au fond une chance pour les
entreprises s'il aboutit à des accords équilibrés.
(assentiment de M. Catherine).
Vous êtes donc favorable à
la démarche qui permet à la loi de plonger des entreprises dans
une négociation qui n'a pas de précédent.
M. Jean CATHERINE - Faute de mieux, puisqu'il n'y a pas de
précédent.
M. Daniel PERCHERON - Je veux dire aussi complexe, aussi
décentralisée, aussi incertaine, globale et particulière
et aussi longue ; il n'y a pas de précédent.
(assentiment de
M. Catherine)
Votre pronostic : plutôt optimiste ou plutôt
pessimiste ?
M. Jean CATHERINE - Optimiste dans un sens en pensant que le mouvement est en
marche, que la loi est peu contraignante et incitative, qu'il va se passer des
choses et que les entreprises, comme elles l'ont fait avec la loi de Robien,
passeront un certain nombre d'accords. Mais sur le plan du chômage, je
suis plus qu'inquiet.
M. Daniel PERCHERON - En tant que DRH, disant de cette loi qu'elle sera peu
contraignante, par rapport à vos contacts, à votre
expérience, comment expliquez-vous ce blocage absolu, cette thèse
du patronat français, au moins en son syndicat, qui considère que
c'est un monument de contraintes ?
M. Jean CATHERINE - Je pense beaucoup de choses, mais c'est délicat
à dire.
M. Daniel PERCHERON - Pourquoi le patronat français, au niveau de ses
instances, considère-t-il qu'il y a là une agression
vis-à-vis des entreprises qu'il possède ou qu'il dirige ?
Rarement dans notre vie sociale depuis 1936, l'attitude du patronat,
essentielle pour la société française, n'a
été aussi catégorique. Elle est catégorique.
(assentiment de M. Catherine)
Prenons Rhône-Poulenc par exemple. Pensez-vous que le patronat de cette
entreprise puisse partager cette analyse ? Par rapport à ce que
vous avez connu, aux négociations, par rapport à la politique
sociale de Rhône-Poulenc qui est installé dans mon
département ? Politique sociale qui est loin d'être
médiocre, qui paraît même séduisante par certains
côtés.
M. Jean CATHERINE - Je vous remercie dans la mesure où j'en suis en
partie responsable. C'est un problème assez délicat car le
syndicalisme est en crise, non seulement dans le syndicalisme salarial, mais
aussi dans le syndicalisme patronal. On l'a vu récemment avec les remous
à la tête du CNPF. L'analyse est beaucoup plus complexe que celle
qui en a été donnée par les médias. Il y
quantité de mouvements violents et contradictoires au sein des syndicats
patronaux, ce qui explique un certain nombre de choses.
Traditionnellement, les employeurs ont voulu un CNPF faible. C'est une
volonté délibérée ; le CNPF n'est pas un syndicat
mais une association loi 1901 ce n'est pas par hasard et ce sont les grandes
fédérations qui portent le message patronal.
M. Daniel PERCHERON - L'UIMM notamment.
M. Jean CATHERINE - Exactement ! C'est donc déjà assez
complexe. Suivant les périodes, des négociations ont
été menées, des initiatives ont été prises
qui ont pu être bonnes. Par exemple, la création du régime
de chômage et des régimes de retraite complémentaire, la
mensualisation ; beaucoup de choses.
Actuellement, un élément paraît séduire certains :
cette gestion des entreprises qui nous vient du monde anglo-saxon, qui me
paraît excessive et qui risque de nous conduire à de graves
difficultés sociales. On le voit avec les associations de
chômeurs. C'est donc une question de conviction.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Quel est le lien entre les associations de
chômeurs et la gestion anglo-saxonne ?
M. Jean CATHERINE - La gestion anglo-saxonne, c'est en quelque sorte le
"
corporate government "
qui se traduit par la
recherche d'un
résultat rapide et profitable aux actionnaires, toutes autres
considérations mises à part.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est pas seulement cela, le
" corporate government ",
c'est aussi une plus grande
transparence dans la procédure de prise de décision, ne serait-ce
que d'indiquer les rémunérations des dirigeants..
M. Jean CATHERINE - Cela a bien vingt-cinq ans !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Et, quand on peut les prendre en
stock option,
le client en est le bénéficiaire. C'est aussi un cabinet
d'audit pour éviter des opérations cosmétiques. Car vous
pouvez avoir toutes les ambitions sociales en tant que DRH, si vous n'avez pas
de résultats, tout cela restera vain. (
assentiment de M.Catherine)
Par conséquent, je ne suis pas sûr que le milieu anglo-saxon
souffre particulièrement en termes de chômage aujourd'hui.
M. Jean CATHERINE
-
Les Britanniques ont une façon de
comptabiliser les chômeurs de manière originale : on ne prend
pas en compte les gens qui ne bénéficient plus de subventions.
Les exclus ne figurent donc pas dans les statistiques. Nous aussi, on pourrait
avoir des chiffres meilleurs.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Sur les tendances, on pourrait constater que cela
marche mieux aux Etats-Unis qu'en Europe.
M. Jean CATHERINE - Probablement oui. Là, je suis assez d'accord. J'ai
toujours considéré, pour en avoir connu plusieurs, que le chef
d'entreprise a un rôle noble et extrêmement important à
jouer plus encore qu'on ne le croit. L'idée qu'il se fait des choses
donne une tournure complètement différente aux entreprises.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Avec une irradiation sur les
hommes.
M. Jean CATHERINE
-
Exactement. Pour ma part, j'ai vu des hommes prendre
des entreprises dans des états lamentables, réussir à
souder toutes les équipes, à les mobiliser et à
réussir très vite, par un ascendant personnel et par des mesures
pas tellement coûteuses mais plutôt généreuses et
intelligentes. D'autres à l'inverse se braquent.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Ce n'est donc pas la loi.
M. Jean CATHERINE
-
Non, ce sont les hommes.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Il faut peut-être plus de transparence,
plus d'indicateurs pour évaluer les choses. Sur le chômage, on ne
peut sans doute pas laisser dire que la situation est la même en
Grande-Bretagne et en France. Je sais qu'il y a une autojustification pour
expliquer que c'est bien pire que chez nous. Pour ma part, je constate que de
mois en mois, la situation a tendance à s'arranger.
Il y a quand même des choses à modifier chez nous. Et il y a des
moments où l'on peut se demander si ce n'est pas une
hyper-administration avec un interventionnisme de l'Etat à tous les
niveaux. Par exemple, ce qu'ont coûté les crédits
alloués au FNE, quand on a envoyé en retraite des populations
très nombreuses à la retraite, c'est l'exemple même de
l'incapacité à s'adapter aux situations. C'est un gâchis
humain incroyable.
M. Jean CATHERINE
-
Sur ce point particulier de la retraite à
60 ans, une personne sur deux seulement part à la retraite. Car
nous sommes le pays où les gens travaillent le moins de 55 à 65
ans. Une fois sur deux, ils partent en licenciement. Il y a quelques
années, ils partaient dans de bonnes conditions, avec de grosses
indemnités de licenciement du fait des conventions collectives, que les
entreprises majoraient. Je peux vous dire que Rhône Poulenc l'a beaucoup
pratiqué.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'était un étrange
"
corporate government
" entre nous soit dit
puisque
cela consistait à faire payer l'Etat. La morosité était
forte entre le haut encadrement de ces groupes et l'Etat et on trouvait donc
des solutions pour faire payer l'Etat. Je n'ai pas de nostalgie de ces
pratiques.
M. Jean CATHERINE
-
En échange, on attendait une certaine paix
sociale. Maintenant, cela déborde.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - On la paie encore maintenant et très cher.
M. Jean CATHERINE - Il y a un problème. L'Etat a commencé
à intervenir dans la sidérurgie, ensuite dans la chimie, le
textile etc. Au début, les gens ont mal pris la chose. Quand ils ont
fait leurs comptes, ils ont trouvé que ce n'était pas si mal.
Cela a bien marché et on a eu la paix sociale.
Aujourd'hui, c'est différent. Si on regarde les responsabilités
respectives de l'Etat, de l'administration et des chefs d'entreprises, pourquoi
en arrive-t-on à une curée des inspecteurs du travail pour
constater les dépassements d'heures des cadres en particulier ?
Parce que les employeurs ont exagéré.
Je ne défends pas les employeurs, je défends une fonction dans
l'entreprise. Il n'est pas normal que les gens fassent en permanence 70 heures
par semaine. Finalement, l'Etat est intervenu pour mettre fin à des
abus.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si vous avez des cadres à 70 heures,
j'aimerais en avoir connaissance. Les indications que j'ai reçues sur
les contrôles exercés par l'Inspection du travail signalent que
c'est à la demande de certains syndicats de cadres. J'aimerais que l'on
prenne les cadres un par un. J'aimerais voir cela de plus près. Quand on
travaille trop, c'est effectivement qu'on est mal organisé.
M. Jean CATHERINE - Mal organisé ou que l'on tire un peu trop sur la
ficelle. A la longue, on est fatigué, on n'a pas le même
rendement. Quand on fait 70 heures, il est faux de croire qu'on est aussi
efficace et que l'on fait le même travail qu'en deux fois 35 heures.
On n'a donc pas le même rendement. Il faut admettre qu'il y a des abus.
Je me mets à la place de ces pauvres gens qui courbent la tête. Si
à 55 ans, vous dites que vous êtes fatigué, que vous
n'en pouvez plus, on vous montre la sortie.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Pourquoi en France les cadres ne
créent-ils pas plus souvent leur propre entreprise ?
M. Daniel PERCHERON - Parce qu'ils sont français, monsieur
Arthuis !
M. Jean CATHERINE - Il faut savoir que dans les deux ans, la moitié est
en faillite. Quand la situation et le climat général ne sont
déjà pas très sûrs, d'une part, et que l'on a
atteint la cinquantaine il est rare qu'à 30 ans on ait suffisamment
d'expérience pour créer une entreprise ...
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Pourquoi pas ?
M. Daniel PERCHERON - Parce qu'ils sont français !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La France paie cher de grands
établissements pour former une élite qui n'aurait de tropisme que
pour la sécurité et l'Etat probablement !
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Elle est trop intelligente.
M. Jean CATHERINE
-
On trouve la même chose en Allemagne et dans
les autres pays européens.
A l'époque des Trente glorieuses, quand il y avait un
développement général et une situation favorable, les gens
pouvaient espérer avoir de bonnes chances de réussir, mais quand
la situation n'est plus favorable, on prend tous les risques. Qui peut vous
rattraper ensuite si vous échouez ? En tout cas aujourd'hui, une
entreprise sur deux disparaît dans les deux ans.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Il y disparition des jeunes
entrepreneurs ou de moins jeunes créateurs d'entreprises. Je crois aussi
pouvoir dire que dans les très grandes entreprises, nous n'avons plus de
grands patrons qui soient de vrais entrepreneurs.
M. Daniel PERCHERON - Je suis toujours profondément surpris et
intéressé d'écouter notre rapporteur. Il y a des
éléments globaux qui sont rarement repris dans les questions
très incisives que vous posez dans cette quête de
l'efficacité économique et de l'adaptation de la France au monde
actuel.
Premièrement, ce pays, dans le cadre de la Nation et de l'Etat-nation,
à partir de 1976 l'arrivée de Raymond Barre puis à partir
de 1981, a accepté le défi du grand large, et le capitalisme
français à accepté de se moderniser, au point
d'être, dans les années 1991, le principal investisseur aux
Etats-Unis par exemple, avec 130 milliards de francs aux Etats-Unis. Une
vraie révolution des mentalités françaises, aussi bien
étatique, que salariale ou entrepreneuriale. Voilà pour le
premier point. Nous ne devons jamais l'ignorer.
Deuxièmement, à la faveur des alternances successives, les
salariés français ont fait preuve d'une discipline que vous
sous-estimez. Je suis du seul département de France où toutes les
contraintes, toutes les disciplines, toutes les mutations on été
à l'ordre du jour, depuis les quotas laitiers -quatrième
département laitier de France- jusqu'au charbon, la sidérurgie,
le textile, l'Europe bleue et la pêche.
Vous parliez FNE tout à l'heure ; les salariés français
ont fait preuve d'une discipline extraordinaire dans mon département
pour changer de monde et dans des souffrances considérables. Je
rappelais que la part des salaires dans la valeur ajoutée a
diminué de 10 points sous la gauche et sous la droite. C'est
considérable.
Aujourd'hui, toujours dans le cadre de l'Etat-nation, les salariés
français, dans leurs forces vives, et l'ensemble de la Nation souhaitent
garder un Etat-providence qui soit compatible avec la compétition
internationale, sachant que dans des régions d'activités
traditionnelles, l'activité ne renaît pratiquement jamais à
l'identique, et parfois même ne renaît pas.
La main invisible du marché est incapable, dans ma région, sur
dix ans, de recréer les emplois de service quand le monde de l'industrie
du XIX
ème
a disparu.
La société française doit accompagner, notamment à
travers l'Etat et la négociation, cette mutation que, personnellement,
je ne pensais pas possible. En tant que professeur d'histoire, je ne pensais
pas que le capitalisme français pourrait se redéployer, s'adapter
aussi remarquablement sur le marché mondial.
L'enjeu actuel est que si nous ne transposons pas le cadre de
sécurité de l'Etat-nation qui, sur cinquante ans, s'est
bâti à coups de suffrage universel conflictuel mais finalement
cohérent, au niveau d'une Europe providence adaptée, qui
donnerait la même possibilité à nos citoyens de choisir le
modèle de société qui est à peu près le
nôtre aujourd'hui, en l'infléchissant soit vers plus de protection
sociale, soit vers plus de (libéralisme?), nous aurons alors une
société française qui se décomposera sous nos yeux.
Vous parliez FNE. Si vous n'avez pas ces filets de sécurité fort
coûteux au milieu de ce que j'appellerai la culture ouvrière la
classe ouvrière existe toujours, ne l'oubliez pas. La mémoire
ouvrière est à 40 % celle de notre population alors vous
aurez une progression du vote protestataire et irresponsable vers le Front
national que vous ne pourrez absolument pas endiguer. C'est pourquoi, le
modèle anglo-saxon est à manier avec d'infinies
précautions dans le plus vieil Etat-nation du monde.
Nous ne sommes pas les héritiers de la conquête vers l'Ouest.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - L'appui que nous prenons sur l'Etat-providence ne
devient-il pas ce que j'appellerai une opacité, un état
illusoire. Si nous voulons que l'ensemble de nos compatriotes comprennent
l'exigence et l'urgence de la transformation, encore faut-il que nous les
respections suffisamment pour leur dire la vérité.
(assentiment de M. Percheron)
Il m'arrive de penser que notre Etat est
mensonger. C'est contre ces illusions qu'il faut se prémunir.
M. Daniel PERCHERON - M. Juppé a dit la vérité au pays.
Voyez le prix qu'il en a payé. Je ne parle pas des injustices qu'il
commet lui-même personnellement !
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - D'autres ont dit qu'il fallait rendre la
vérité aimable.
M. Marcel-Pierre CLEACH, président - Je remercie M. Catherine
d'être venu nous éclairer.