III. SEANCE DU MERCREDI 14 JANVIER 1998
A. AUDITION DE M. PIERRE CABANES, PRÉSIDENT DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'EMPLOI, DES REVENUS ET DES COÛTS (CSERC)
M. Alain GOURNAC, président - Chers collègues,
nous allons auditionner M. Cabanes, président du CSERC. J'ai
mentionné tout à l'heure, et je vais vous le faire distribuer, le
rapport qu'il a publié sur l'aménagement et la réduction
du temps de travail.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Pierre Cabanes.
Notre organisation est : dix minutes pour vous exprimer. Ensuite, je passerai
la parole à notre rapporteur qui m'a dit avoir des questions à
vous poser. Vous lui répondrez directement et mes collègues
poseront les questions qu'ils souhaiteront.
M. Pierre CABANES - Merci de votre accueil, Monsieur le président. Je
vais commencer par trois observations préliminaires. Tout d'abord, je ne
suis pas un spécialiste des questions de durée du travail. Ce
pays en compte peu d'ailleurs, tellement aujourd'hui ce droit est devenu
complexe.
Je ne suis pas non plus économiste, je ne suis pas
économètre. C'est dire que j'accepte d'avance de vous tous les
reproches d'incompétence. Je souhaiterais seulement qu'on ne mette pas
ma bonne foi en doute.
Deuxième observation : j'ai assumé des fonctions au
ministère du Travail pendant six ans. Depuis 16 ans, je travaille dans
un groupe qui relève complètement, en ce qui concerne le droit du
travail, du droit privé, et j'y assume notamment les
responsabilités des affaires sociales.
Comme vous avez bien voulu le faire observer tout à l'heure, je
préside le CSERC qui a récemment publié un rapport sur les
minima sociaux, qui, à la fois, n'est pas complètement en dehors
de l'actualité ni d'ailleurs complètement hors du sujet qui nous
occupe ce matin.
Troisième observation : le projet de loi sur lequel vous m'invitez
à m'exprimer.
M. Alain GOURNAC, président - Je voudrais vous arrêter une seconde
pour observer que nous discuterons prochainement du projet de loi devant la
Commission des Affaires Sociales. C'est plutôt votre réaction que
nous voulons entendre à la suite de la décision du Gouvernement
qui a voté en Conseil des ministres cette réduction du temps de
travail et des crédits, qui sont maintenant connus, pour accompagner
cette réduction du temps de travail. Si nous parlions de la loi
elle-même, nous ne serions pas dans le contexte de notre Commission
d'enquête.
M. Pierre CABANES - Merci de cette clarification. Je n'ai pas l'intention
devant vous de commenter ligne à ligne le projet de loi. Je m'en tiens
bien à l'interprétation de la question que vous me posez. Je veux
simplement indiquer que ce texte est une mesure parmi d'autres que le
présent Gouvernement prend. Et il ne viendrait à l'idée de
personne d'élever la moindre critique qu'un Gouvernement utilise tous
les moyens disponibles pour contribuer à régler, même le
moindrement, ce colossal drame qu'est le chômage dans notre pays.
D'autre part, j'ai lu ce qui est connu de ce projet de loi et le présent
Gouvernement n'affirme pas qu'il en résultera monts et merveilles. Il me
semble qu'il y a là une preuve de grande honnêteté.
J'en viens à votre question : quelles sont les conséquences
aujourd'hui de la décision d'abaisser dans deux ans la durée
légale hebdomadaire du travail, notamment sans dire ce que sera alors le
régime des heures supplémentaires ?
Question très délicate, il m'aurait fallu plus de temps et
sûrement plus de compétence pour prétendre vous apporter
quelque lumière sur ce sujet.
Ces conséquences sont, à mes yeux, triples. La première
est que l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 est, du fait de
cette décision, tenu pour mort.
Deuxième conséquence : cette décision me paraît
focaliser l'attention générale sur une question qui me
paraît secondaire, par une procédure qui me paraît
inadaptée.
Troisième conséquence : je crains que ne se trouve ainsi
différé l'examen de deux questions qui, à mes yeux,
apparaissent fondamentales.
Première conséquence, que j'appellerai une occasion perdue. Il
faudrait plusieurs séances et beaucoup d'attention de votre part pour
que je relate devant vous les occasions manquées sur la question qui
nous occupe depuis qu'est intervenue l'ordonnance de 1982 qui a
libéralisé la répartition de la durée du travail.
Comme vous ne m'avez pas invité à faire devant vous de
l'histoire, je me bornerai à un des derniers épisodes qui m'a
valu justement de faire le rapport dont vous avez parlé et j'ai le
sentiment, même si cette Commission comporte beaucoup de gens
compétents, que l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995
échappe à l'attention d'un certain nombre de personnes, et je le
regrette.
Cet accord a mis en France un terme, me semble-t-il, à trois
débats théoriques ou idéologiques qui faisaient rage
depuis 20 ans. Cet accord a été signé par tous les
partenaires sociaux, sauf un. Avec cette signature a été
enterré le débat religieux entre ceux qui disent que la solution
du problème du chômage est dans la création d'emplois et
ceux qui disent que la solution est dans le partage du travail. Les partenaires
sociaux, le 31 octobre 1995, avaient reconnu que ce débat était
devenu inactuel.
Deuxièmement : les partenaires sociaux avaient enterré un
deuxième sujet de conflit idéologique entre ceux qui
étaient partisans d'une baisse de la durée du travail à
condition qu'il y ait une compensation salariale intégrale, et ceux qui
disaient qu'il ne peut pas y avoir une telle compensation intégrale, que
cette compensation doit être limitée. Les partenaires sociaux, ce
jour-là, ont enterré ce deuxième débat
théorique.
Troisièmement : jusqu'à ce moment-là, le travail à
temps partiel était considéré dans notre pratique comme
pestiféré. C'était une forme de travail qui ne
méritait le respect de personne et qui ne pouvait intéresser que
des catégories particulières et dévalorisées de la
population. Ce jour-là, les partenaires sociaux unanimes, sauf un, ont
considéré que ce débat était devenu inactuel.
C'est ce qui les a conduits, cette fois-là en positif, après
avoir enterré ces trois débats qui avaient interdit tout
progrès dans notre pays pendant une vingtaine d'années, à
affirmer solennellement trois propositions qui me sont apparues à
l'époque comme vraiment révolutionnaires, mais je crois avoir
été un des rares à qualifier cet accord de cette
façon.
Première idée : dans notre pratique sociale, c'était la
première fois que je lisais que l'objectif commun des partenaires
sociaux est l'accroissement de la compétitivité des entreprises.
Deuxièmement : ce résultat passe, ajoutaient-ils, par une
organisation plus souple de l'entreprise. La flexibilité n'était
pas encore à l'ordre du jour, mais avouez que quand on parle de plus
souple, on n'en est pas loin, et que cette souplesse devait notamment trouver
à s'appliquer en matière de durée du travail.
Troisièmement : parmi les différents types d'organisation du
travail et parmi les multiples types de répartition d'une durée
donnée de travail, les partenaires sociaux convenaient de
privilégier ceux qui étaient les plus créateurs d'emplois.
Sagement, les partenaires sociaux, le 31 octobre 1995, ont dit : nous nous
attelons là à un travail colossal et de longue haleine. Ce
pourquoi ils étaient convenus de reprendre l'écheveau de cette
négociation au plan national tous les trois ans. Et d'autre part, marque
de grand réalisme, ils convenaient de créer un observatoire
paritaire des conséquences sur l'emploi des mesures
décidées plus haut et qui renvoyaient à des
négociations de branche.
C'était reconnaître par la pratique une chose qui aujourd'hui doit
faire à peu près l'unanimité, à savoir qu'il
n'existe pas de solution simple, qu'il n'existe que des solutions
ajustées au cas de chaque entreprise, voire de chaque partie
d'entreprise.
La première conséquence de la décision du Gouvernement me
paraît être que ce texte du 31 octobre 1995 est
écarté et considéré comme nul et non avenu.
Penchons-nous une seconde sur les raisons qui ont conduit à cela et
rappelez-vous, s'il vous plaît, que je ne prétends donner de
leçon à personne. Moins d'un an après,
31 octobre 95 - juillet 96, un sommet sur la durée du travail
est organisé. On me demande de préparer le rapport que vous
connaissez. Je crois qu'il y avait là une première erreur. Quand
on s'attaque à un sujet aussi complexe on ne peut pas, moins d'un an
après la signature, réunir les partenaires sociaux en pensant que
moins d'un an après il peut y avoir des résultats concrets.
Deuxième proposition : quelques jours avant ce sommet social sur la
durée du travail, est votée ce qu'on appelle communément
la loi " de Robien ". Je ne me hasarde pas à critiquer le
fond
de ce texte. J'attire l'attention cependant de cette Commission sur l'effet que
peut avoir sur des partenaires sociaux, qui sont convenus de se réunir
autour du 12 ou 13 juillet, un texte voté rapidement et, à ma
connaissance, sans que les partenaires sociaux aient été
invités à se prononcer, et qui interfère peut-être
d'ailleurs efficacement avec le sujet traité.
On ne doit pas être, dans ces conditions, étonné que ce
sommet social, sûrement mal préparé par le rapport dont je
suis l'auteur, ait donné peu de résultats et qu'aujourd'hui les
partenaires sociaux signataires de cet accord assistent à sa mise
à l'écart sans aucune protestation.
Deuxième conséquence, en essayant d'être mesuré dans
mes propos et en renouvelant ce que j'ai dit liminairement : je
considère à titre personnel, et je n'engage que moi, que la
décision que je commente révèle un choix de méthode
discutable. La méthode est discutable parce que son point d'application
me paraît hypothétique et que la procédure qui l'entoure me
paraît inadaptée.
Le point d'application me paraît hypothétique. Ici il faudrait
longuement parler des différentes facettes de la question de la
durée du travail.
Résumons-les : un problème considérable est celui de la
durée de vie au travail qui renvoie à des questions
fondamentales, sociologiques, d'entrée dans le monde du travail et de
sortie du travail, c'est-à-dire celle de l'âge de la retraite.
Deuxième type de question relative à la durée du travail :
la batterie des durées maximales du travail, incontestables, qu'elles
soient quotidiennes, hebdomadaires. Nous avons là des
considérations de sécurité et il est normal que sur ce
sujet il n'y ait pas de changements.
Troisième question : celle de la durée du travail effectif. Cela,
c'est un vrai sujet, mais qui ne relève pas de l'initiative du
législateur. Si bien que le point d'application est : quel effet
peut-on attendre d'une annonce aujourd'hui de ce que dans deux ans la
durée légale hebdomadaire du travail sera abaissée ? Ce
qui, pour être très précis, porte et ne porte que sur le
coût du travail. Cela revient à faire commencer les heures
supplémentaires et le repos compensateur à partir de la
36
ème
heure.
Est-ce qu'en prenant ce point d'application on tient un bon levier ? J'en doute
et je ne suis pas le seul. Car nous avons un précédent qui est
celui de l'abaissement de la même durée légale de 40
à 39 heures. A ma connaissance, aujourd'hui en 1998, les
spécialistes, au nombre desquels je ne suis pas, mais que je m'efforce
de lire, se trouvent tout à fait incapables de chiffrer les effets
emplois d'une telle mesure. Et les estimations se situent dans une fourchette
entre 70.000 et 300.000 emplois, ce qui est une fourchette considérable.
Je me pose la question de savoir si ce bras de levier était le bon.
Autre question : est-ce que la procédure annoncée se trouve
adaptée à la matière ?
Sans vouloir distribuer des bons points, je crois pouvoir me hasarder à
dire que le sommet qui a conduit à l'annonce de cette décision a
eu des résultats mitigés. Ayant, à ma connaissance, pour
objet de marquer un consensus sur une question tout à fait
considérable, j'ai le sentiment que ce premier résultat n'a pas
été atteint. Et je trouve qu'autour de cette décision
règne une atmosphère électrique qui me paraît peu
propice à une avancée du sujet.
Deuxièmement, et je veux mesurer mes propos et je prierai qu'on y mette
des guillemets : est-ce un comportement tout à fait adapté que
d'utiliser une " menace législative " ?
Troisième question de procédure : fait-on progresser le
débat en y ajoutant des subventions ?
S'il est établi que ce qu'on fait est dans la ligne de l'accroissement
de la productivité des entreprises, que va faire l'argent public
là ?
Ces trois éléments, et chacun d'entre vous notera certaines
références à des expériences passées, me
paraissent peu propices à une négociation dans l'intervalle de
temps qui séparera le vote de la loi de la date butoir qu'elle fixera.
Je ne crois pas, je le dis avec modestie, qu'on négocie sur ordre.
Troisième conséquence : je crains que ce faisant, l'attention
générale soit détournée de deux questions qui me
paraissent basiques. La première, que je me pose depuis longtemps :
comment se fait-il que dans notre pays la négociation ne soit pas le
mode normal de résolution des problèmes sociaux à tous
niveaux, le législateur se bornant à intervenir dans le cadre qui
lui est imparti par l'article 34 et, qui est limité aux principes
fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ?
Qui, de bonne foi, peut aujourd'hui prétendre maîtriser la partie
législative du code du travail et dire que là ne figurent que des
principes fondamentaux du droit du travail ?
Pour avoir jeté et pour jeter quotidiennement quelques coups d'oeil
à ce qui se passe dans des pays voisins tels que l'Autriche, le
Danemark, les Pays-Bas, j'y constate, chacun avec sa spécificité,
des mécanismes sociaux normaux, non exclusifs de bagarres,
d'éclats, de lutte, mais ces pays me semblent avoir, mieux que le
nôtre, une pratique de la vraie négociation, c'est-à-dire
d'un débat long, difficile, appliqué à une matière
qui est en train de changer complètement. Et c'est ma deuxième
question.
Accroché au concept de durée légale hebdomadaire du
travail, je me pose la question de savoir si nos débats sociaux n'ont
pas du retard par rapport à l'évolution des choses.
Je cite un auteur qui fait observer qu'en 1990 la population active consacre
14 % de son temps éveillé au travail. Les bases de calcul
sont : un individu entrant autour de 20 ans sur le marché du travail,
travaillant en moyenne 1.500 heures par an sans discontinuer pendant
40 années, (cela représente 60.000 heures), et disposant
d'une espérance de vie de 75 ans, soit 438.000 heures de vie
éveillée. Pour être honnête, l'auteur lui-même
reconnaît que le chiffre doit être manié avec beaucoup de
précaution.
Ce que je veux dire et ce que j'expérimente dans l'entreprise où
je travaille, c'est qu'il fut un temps où le travail était le
principe de la vie en société et la quantité de travail
était la mesure de tout. C'était le temps béni où
il n'y avait pas de chômeurs, où tout le monde travaillait sur la
base d'un contrat à durée indéterminée et une
durée supérieure à 40 heures par semaine.
Je crois, je lis, que notre problème de l'heure est que nous ne sommes
plus dans cette situation alors que nos représentations sociales
continuent à être calées sur une situation
dépassée. La quantité de travail n'est plus la mesure des
choses. Je crois qu'il faut prendre en considération que nous ne
connaîtrons plus le plein emploi d'hier, et d'ailleurs cela me
préoccupe de voir ceux qui préconisent une croissance
économique : car qui dit croissance économique dit gain de
productivité, qui dit gain de productivité dit, sauf si un
élément m'échappe, diminution du nombre des heures
travaillées.
Dès lors, je crois que les événements qui font
l'actualité aujourd'hui présentent un caractère tout
à fait historique. Les manifestations des demandeurs d'emplois me
paraissent mériter une analyse très profonde car vous avez
noté que, au contraire de leurs revendications passées, celles-ci
deviennent publiques et ne sont plus exclusivement calées sur l'ambition
d'avoir un emploi. Et progressivement la question se déplace sur la
notion de revenu minimum.
Et là se trouve, à mon avis, un problème très
important et dont je crains qu'il soit différé : comment, dans un
pays qui connaît la croissance et qui depuis 1973 l'a connue année
après année, sauf une, donc dans un pays dont le PIB croît,
tandis que le nombre d'heures à travailler décroît, comment
répartir la richesse ? C'est, me semble-t-il, la question que nous
posent les mouvements d'aujourd'hui.
Je me demande donc, pour me résumer sur ce deuxième point, sur
ces deux questions : comment progresser dans la voie d'une vraie
négociation dans notre pays ? Comment rendre cohérent un PIB
en croissance et un nombre d'heures décroissant en raison d'une
activité économique toujours plus productive ? Comment combiner
ces deux éléments ?
Je crains donc que ces débats soient, dans notre pays,
différés.
M. Alain GOURNAC, président - Merci, Monsieur le président. Nous
vous avons écouté avec beaucoup d'attention et maintenant je vais
demander à notre rapporteur de poser des questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Merci, Monsieur le président. A mon tour,
je voudrais remercier M. Cabanes pour son témoignage et la force de
ses convictions et de ses interrogations. Je ne me méprends pas si,
d'une certaine façon, Monsieur le président, vous vous
étonnez et vous déplorez une sorte d'ingérence du
législateur dans la négociation, avec ces moments d'impatience.
Vous faites référence aux accords d'octobre 1995 et c'est une
espèce de fébrilité politique. Finalement, on voit bien
que l'alternance la révèle comme une constante et la sagesse
serait de faire confiance aux partenaires sociaux et de tenir à
l'écart ce qui met en péril les progressions quand elles sont
constatées, comme vous avez pu le faire au 31 octobre 1995. C'est bien
cela ?
M. Pierre CABANES - Monsieur le ministre, Monsieur le président, un
citoyen ne doit pas utiliser la notion d'ingérence appliquée au
législateur. Ceci étant, ma conviction profonde, en effet, est
que, et là je fais aussi parler une partie de mon expérience
puisque j'ai été fonctionnaire, le service public sait mal
inciter à la négociation collective. Et je crois effectivement
que dans notre pratique, faute de savoir comment aider à la
négociation les partenaires sociaux, exercice très
compliqué sur lequel je pourrai m'étendre dans une seconde, nous
ne savons pas le faire. Dans ces conditions, les problèmes augmentent,
s'enflent, à un point que je comprends très bien qu'un
Gouvernement sollicité d'agir sollicite lui-même le Parlement pour
essayer de trouver une voie législative.
Je crois que beaucoup est à faire. Entre-temps, j'ai vécu une
petite parenthèse d'examen d'un cas très particulier, mais
très révélateur, qui est celui des intermittents du
spectacle où le phénomène que je décris atteint
alors son paroxysme. Je crois que nous avons beaucoup de progrès
à faire dans l'investissement des services publics, dans l'aide à
la négociation collective dans ce pays.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est aussi la réforme de la vie politique
et du fonctionnement des services relevant de la puissance publique qui est en
cause. C'est l'art de gouverner en quelque sorte.
Cela étant dit, Monsieur le président, vous êtes dans un
groupe qui participe à l'économie mondiale, à la
globalisation. Dans les stratégies de votre groupe, que vous inspirent
les positionnements des autorités locales dans vos choix de
développement ? C'est ma première question.
La deuxième concerne la durée du temps de travail. S'il doit y
avoir une réduction autoritaire du temps de travail, peut-on imaginer
qu'elle s'inscrive dans une logique d'annualisation et non pas de durée
hebdomadaire ?
De votre point de vue, y aurait-il alors nécessité d'en inscrire
le principe et sans doute pas les modalités ? Sinon, l'article 34 de la
Constitution, une fois encore, serait violé.
Enfin, je voudrais vous interroger sur le positionnement des cadres. Il se dit
que les inspections du travail font preuve d'un zèle tout particulier
auprès des grands groupes, en essayant de faire entrer les cadres dans
la durée hebdomadaire du temps de travail. Comment cela est-il
vécu dans un groupe comme le vôtre, et y a-t-il une
présomption de corrélation entre ce zèle des inspections
du travail et le levier que pourra constituer demain la nouvelle loi pour
réduire le temps de travail ? Et enfin, peut-être votre propre
réflexion sur la compatibilité entre des fonctions de cadres et
le temps de travail.
M. Pierre CABANES - Je commencerai par le dernier aspect de votre question car,
Monsieur le ministre, je considère que vos trois questions sont trois
facettes d'une même question, révélant bien d'ailleurs la
difficulté du sujet.
Sur le positionnement des cadres, le groupe dans lequel je travaille a une
filiale dont le PDG s'est vu dresser 1.200 procès-verbaux pour violation
de la durée du travail des cadres.
Ceci soulève beaucoup de problèmes. Le groupe dans lequel je
travaille est en effet de plus en plus international, non pas seulement par son
chiffre d'affaires, mais par ses implantations industrielles. On peut, à
peu de choses près, bien comparer des unités
étrangères et des unités françaises et regarder
comment les choses s'y passent, et constater que dans le même temps
où à 19 heures, à 20 heures, les bureaux français
étaient encore allumés, ceux d'une filiale comparable en Hollande
étaient éteints et fermés à partir de
17 heures.
Les comparaisons de productivité sont extrêmement difficiles
à faire parce que la direction du groupe peut répartir entre ces
deux filiales telle commande, tel marché ou telle partie de
marché. Donc, on n'est pas dans une situation pure.
Il n'empêche qu'on s'en approche assez et qu'il y a d'un
côté, dans le groupe dans lequel je travaille, des cadres qui
travaillent et ne reçoivent aucune rémunération au titre
des heures supplémentaires, bien au-delà de 39 heures, sans
le revendiquer, et de l'autre des cadres qui travaillent moins de 39 heures et
le résultat final n'est pas économiquement radicalement
différent. C'est dire la difficulté de cette question. C'est sur
des considérations de ce type que j'appuyais le troisième point
traité plus haut. Nous avons à affronter des
considérations sociologiques, et la sociologie française et la
sociologie hollandaise aboutissent effectivement à ces
résultats-là.
Sauf erreur, le pourcentage du nombre de personnes travaillant à temps
partiel doit être à peu près le double en Hollande qu'en
France, car la société de ce pays et les partenaires sociaux ont
considéré qu'il y avait là un mécanisme
adapté à l'évolution des choses, bien avant la date du
31 octobre 95.
Deuxième observation : Monsieur le ministre, pour rester de bonne foi,
je ne sais pas complètement répondre à la question de
savoir comment régler ce problème. Car notre conception du cadre
n'implique pas une quantité de travail limitée. Il y a dans notre
pratique cette idée que plus on s'élève dans la
hiérarchie et plus on doit être présent sur le lieu de
travail.
Le journal Le Monde contenait hier un article tout à fait
intéressant sur ce sujet. Ces réflexions nous conduisent à
revoir assez fondamentalement les questions de rémunération. Dans
l'immédiat, ayant fait l'objet de procès-verbaux, nous avons
rétabli l'horloge pointeuse. Je ne suis pas heureux de ce
phénomène. C'est ce que je considère comme devant
être fait par le chef d'entreprise, mais vous voyez à quelle
extrémité nous sommes arrivés.
Comment rémunérer ? Allons-nous chronométrer les heures
supplémentaires de notre commerçant qui est à Bangkok ?
Nous avons en permanence 20 % de la population salariée qui voyage
dans les différents pays du monde. Allons-nous devoir leur mettre des
chronomètres en main pour savoir combien d'heures ils travaillent
réellement ?
Je suis incapable de combiner la norme légale et la pratique des choses.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - N'y a-t-il pas dans un groupe international,
à partir d'un certain stade, la tentation d'aller créer des
entités juridiques ailleurs que sur le territoire national pour y
appliquer d'autres dispositions légales ?
M. Pierre CABANES - Monsieur le ministre, notre groupe a parfois
légèrement dans le passé, et s'appuyant sur des
circonstances, tenté des délocalisations dans ce but. Notre
groupe en est revenu car la démonstration est aujourd'hui faite, du
moins chez nous, que ce pays a une main-d'oeuvre d'une qualité tout
à fait extraordinaire et que s'il est possible de délocaliser des
travaux répétitifs, cela n'est pas opportun pour nos types de
métiers qui font de plus en plus appel à l'initiative, à
l'intelligence, à la liberté. Ce pays a des richesses tout
à fait extraordinaires. Cela signifie que l'évolution de ce
groupe étant à une intellectualisation toujours plus grande de sa
production, nous ne délocaliserons plus pour des motifs sommaires du
type coût facial de la main-d'oeuvre. Nous ne sommes pas
ébranlés par la circonstance que la main-d'oeuvre, en Inde ou
ailleurs, est facialement très inférieure. Car quand on regarde
le produit fini, notre pays garde des atouts tout à fait
extraordinaires, du moins pour le groupe dans lequel je travaille.
Donc, là je n'ai pas de doute. Par contre, compte tenu du métier
du groupe auquel j'appartiens, nous sommes parfois contraints d'acheter
in
situ
des entreprises car assez légitimement, s'agissant
d'électronique professionnelle et d'électronique de
défense, les Etats souhaitent avoir sous leur contrôle des
entreprises complètes et non pas seulement des entreprises de pure
fabrication. Quand nous avons acheté à Philips son secteur
armement, une des conditions posées par le Gouvernement hollandais
était de ne pas toucher aux productions locales.
J'en reviens à la question posée par vous, Monsieur le ministre.
Il convient que nous revoyions assez fondamentalement nos pratiques de travail
et nos modes de rémunération. C'est sur ce point que le
dispositif actuel de convention collective, d'augmentation
générale, que nous avons beaucoup aménagé et
supprimé pour les cadres, mérite d'être revu dans un
dispositif de différenciation des sources de revenu des
intéressés, qui ne repose plus sur l'exclusive quantité de
travail prestée.
C'est dire qu'il faut solliciter tous les dispositifs d'intéressement,
de participation, de stock options que vous avez très justement
limitées, Monsieur le ministre, et je ne m'en plains pas. Et
peut-être plus fondamentalement encore voir dans quelle mesure, et
c'était le sens de l'article du Monde d'hier, on peut lier une partie de
la rémunération des personnels, cadres ou non-cadres, à la
vraie valeur ajoutée de l'entreprise, c'est-à-dire au rendement
du capital investi. C'est techniquement une question tout à fait
fondamentale.
La façon dont je vous livre ces difficultés est
révélatrice de l'extraordinaire complexité du sujet qui
nous réunit et vient en soutien de la thèse suivant laquelle tout
ce qui ne résultera pas d'une négociation locale va à
l'échec. Ceci étant, et ce ne sera pas pour vous une
révélation, une vraie négociation c'est un exercice
écrasant, lourd, c'est une véritable ascèse quand on
l'entreprend de bonne foi.
Dernier aspect de ma réponse : oui, sans hésiter, oui je crois
que l'annualisation du temps de travail me paraît un minimum
adapté à la nature des choses, qui vient de ce qu'aujourd'hui les
entreprises, quelle que soit leur taille et compte tenu de l'extraordinaire
fluidité de l'information, doivent être capables de
répondre à des stimuli quotidiens et s'adapter quotidiennement
à un marché mondial toujours plus en mouvement.
M. Alain GOURNAC, président - Merci, Monsieur le président.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas d'autres questions. Je vais passer la
parole à nos collègues.
M. Marc MASSION - M. Cabanes, comme d'autres intervenants dans notre
commission, a parlé beaucoup de dialogue social, disant que le dialogue
social devrait suffire et que l'intervention législative devrait
être inutile pour régler un certain nombre de problèmes.
Or, dans ce pays, toutes les grandes avancées sociales ont
été obtenues par la rue, suivies de décisions
législatives, ou directement par des décisions
législatives. Même au temps où les syndicats étaient
beaucoup plus puissants que maintenant, il y a toujours eu déficit du
dialogue social.
Je voudrais demander à M. Cabanes comment il situe les
responsabilités de ce déficit.
Je reste sur la question du dialogue social, et moi j'aime bien
concrétiser ce que l'on dit.
Le dialogue social, si je prends l'exemple d'une grande surface qui est
implantée dans ma commune, où il y a plusieurs centaines
d'emplois, en particulier de femmes à temps partiel, où est le
dialogue social lorsqu'il n'est pas interdit de monter des syndicats, mais il
est fortement peu recommandé de le faire ? Où ces gens sont
corvéables à merci ? C'est du temps partiel imposé, qui
varie d'une semaine à l'autre, donc imposé et souvent à
des femmes seules en difficulté. Où est le dialogue social ? Pour
ce genre de situation, moi je souhaite fortement l'intervention
législative.
Vous avez beaucoup vanté l'accord interprofessionnel d'octobre 1995 et
vous avez dit que ce qui allait se passer maintenant allait tuer cet
accord-là. Comment expliquez-vous que les signataires de cet accord
semblent d'accord pour les 35 heures et soient d'accord pour tuer ce qu'ils ont
signé en 1995 ? A mon avis, cela prouve que c'était nettement
insuffisant.
M. André JOURDAIN - Je voudrais remercier M. Cabanes pour la vigueur et
la clarté de ses propos. J'ai beaucoup apprécié son
analyse, mais je voudrais lui demander s'il ne pourrait pas aller un peu plus
loin dans la prospective. Est-ce que votre organisme a fait des études
sur l'évolution de la durée de temps de travail vers les
années 2000-2005 ?
On constate dans le projet de loi qu'il va y avoir un durcissement à
l'égard de la pratique du temps partiel. Et d'un autre
côté, on réduit de 39 à 35 heures. Cela ne vous
paraît-il pas contradictoire ?
M. Pierre CABANES - Je partage l'analyse qui soutient vos questions, Monsieur
le sénateur. Je veux dire par là qu'il serait indécent de
ma part de prétendre qu'il n'y a pas des abus dans la pratique du droit
du travail dans notre pays et, à ce titre, les dispositions du projet de
loi tendant à policer, au bon sens du terme, le temps partiel, je ne
peux qu'y applaudir cent fois, car je n'aurais pas le front de prétendre
effectivement que le droit du travail règne à son plein dans la
population féminine de tous les supermarchés de ce pays.
Oui, Monsieur le sénateur, beaucoup d'avancées sociales de ce
pays se sont d'abord concrétisées par la rue, et loin de moi
l'idée de l'oublier. Ma question est simplement que je comprends cela
tant que les choses étaient simples. Aujourd'hui, nous sommes devant une
complexification extraordinaire des choses et une manifestation dans la rue ne
peut trouver un point d'application adapté à une
réalité toujours plus complexe. Heureusement, le droit de
manifestation existe dans notre pays et je ne prétends pas proscrire que
demain, comme hier, quand les salariés sont insatisfaits, ils aient
recours à ce moyen de pression. Ce que je déplore à titre
personnel, c'est que la négociation n'est pas sociologiquement un des
éléments de notre comportement social.
En ce qui concerne votre question malicieuse, j'ai déclaré que
l'accord du 31 octobre 1995 était mort, mais vous faites
observer que vous n'entendez pas de cris de la part des signataires de
l'époque. En cela, vous avez effectivement marqué un point. Il ne
m'appartient pas de me prononcer sur le point de savoir pourquoi ils ne crient
pas. Peut-être considèrent-ils tout simplement que cet accord est
encore vivant. On verra bien la suite des choses.
Le CSERC a mis cette question de la durée du travail à son ordre
du jour, est en train de l'étudier et publiera un rapport au mois de
mars.
Le CSERC est une toute petite structure et n'est pas une structure
d'étude. Nous faisons notre miel des différentes études de
l'INSEE, de la direction de la prévision, de la DARES et d'autres,
quitte à les impulser, et à ce jour nous n'avons sollicité
des différents services d'étude de ce pays aucune étude
prospective, tant il nous semble que le mouvement dont je parlais tout à
l'heure, qui est un mouvement d'augmentation de la productivité
générant une baisse du nombre d'heures de travail presté,
nous paraît irréversible.
S'agissant enfin de la dernière question, dès lors que la
durée légale du travail baisse, je considère que ceci
aura, par effet de choc, à diminuer la durée maximale du temps
partiel. Sur ce sujet, M. Balmary, ancien délégué
à l'Emploi, a publié dans Le Monde du mois d'octobre un article
tout à fait important, court mais impeccable. C'est un homme qui a une
très longue expérience de ces questions. Un des effets
bénéfiques du vote du projet de loi sera peut-être, en
rapprochant le temps partiel du temps normal de travail, de faire accepter
mieux le travail à temps partiel dans notre pays si le
législateur, qui là est tout à fait dans son rôle,
en évite les excès.
M. Alain GOURNAC, président - Monsieur le président, je vous
remercie de la vigueur de vos propos, de cette présentation.
B. AUDITION DE M. BERNARD BRUNHES, PRÉSIDENT DE BERNARD BRUNHES CONSULTANT
M. Alain GOURNAC, président - Nous recevons M. Brunhes,
Président de Bernard Brunhes Consultant.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bernard
Brunhes
.
Attention, Monsieur le président, il ne s'agit pas de revenir sur les
termes de la loi, mais d'avoir votre position sur les conséquences de
cette loi.
M. Bernard BRUNHES - Je voudrais d'abord dire des choses qui sont
peut-être, pour vous, banales maintenant, mais qui doivent être
dites clairement. Si on se réfère au projet de loi tel qu'il
existe, plusieurs choses sont de nature un peu différente et sur
lesquelles on peut avoir des opinions différentes. Il y a d'une part la
proposition d'une réduction de la durée hebdomadaire
légale du travail à 35 heures. J'ai été un peu
surpris d'ailleurs de voir que votre Commission d'enquête parle de la
réduction de la durée hebdomadaire du travail alors que la loi
porte sur la durée hebdomadaire légale. La durée
réelle effective va de 24 heures pour certains agents des services
publics de transports jusqu'à 45 heures ou 48 heures pour d'autres.
Donc, première question : quel serait l'effet d'une réduction de
la durée légale du travail à 35 heures ?
Deuxième élément qui est dans ce projet de loi, c'est une
partie d'incitation, c'est-à-dire le remplacement de la loi " de
Robien " par un nouveau texte, qui en diffère d'ailleurs assez peu.
Troisièmement, l'ouverture de négociations et de discussions avec
les partenaires sociaux, qui pourraient aboutir à la préparation
d'un nouveau texte fin 1999. C'est bien de cela dont nous parlons ?
M. Alain GOURNAC, président - Tout à fait.
M. Bernard BRUNHES - Tout d'abord il y a dans notre économie deux choses
qui sont aujourd'hui nécessaires, c'est d'une part qu'il y ait une
réduction de la durée moyenne du travail et d'autre part qu'il y
ait une flexibilisation du temps de travail.
Réduction de la durée moyenne du travail : je rappelle que la
durée moyenne du travail a baissé en France depuis 1955 où
elle était à 48 heures jusqu'en 1967, elle est descendue jusqu'en
1983 et, depuis, elle est restée au même niveau de 39 heures. Il
n'y a plus de baisse du temps de travail en France depuis maintenant presque 20
ans. A un moment où nous avons à la fois de fortes et
nécessaires croissances de productivité, des taux de croissance
qui, quoi qu'on fasse, ne peuvent pas être les taux de croissance
chinois, et seront forcément modestes, (nous n'allons plus faire les
6 % des belles années) et enfin une croissance forte de la
population en âge de travailler. (elle augmente en France de 150.000
personnes par an, alors qu'elle baisse en Allemagne, qu'elle est stable en
Angleterre). Nous devons faire face à une contrainte : il y a de moins
en moins d'heures de travail par personne d'âge actif : comment peut-on
traiter cela ? soit multiplier les préretraites, retarder
l'entrée des jeunes sur le marché du travail et laisser
croître le chômage, soit réduire le temps de travail pour
que, en moyenne, chacun travaille moins.
Il me semble évident que, comme c'est d'ailleurs l'évolution
séculaire, (il y a un siècle nous travaillions deux fois plus que
maintenant par an), cette baisse de la durée du travail doit avoir lieu.
Sinon il y aura de plus en plus de chômeurs, de
préretraités ou de jeunes qui ne peuvent pas entrer sur le
marché du travail.
La vraie question, à mon sens, n'est pas de savoir s'il faut baisser la
durée du travail, mais de savoir comment faire. On cite souvent
l'exemple hollandais dans lequel on le fait par une multiplication des temps
partiels.
Comment faire pour que la durée du travail baisse ? C'est cela la vraie
question. Je crois que tous les économistes sont d'accord : il faut
qu'elle baisse. Ils sont en désaccord sur les moyens.
Deuxième élément : nous avons besoin de plus de
flexibilité. Nous avons besoin d'avoir une annualisation du temps de
travail dans beaucoup de cas d'un assouplissement dans tous les cas. Il faut
que cela soit organisé. Je ne vois pas comment les secteurs
économiques nouveaux peuvent vivre avec un système
complètement ficelé de tant d'heures par semaine avec des
horaires fixes.
Ces deux éléments -réduction et assouplissement- me
paraissent devoir être conduits de concert.
Pour dire les choses de façon simpliste : les patrons veulent de la
flexibilité, les salariés veulent de la réduction du temps
de travail. Ils ne savent pas très bien négocier ensemble.
Comment faire pour qu'ils négocient quand même ?
Le point auquel j'arrive, c'est qu'il faut qu'il se passe quelque chose puisque
la baisse de la durée du travail ne se fait plus et la
flexibilité se fait n'importe comment. C'est la base qui, pour moi, est
une quasi-évidence.
Ensuite, comment faut-il faire ?
Nous sommes un pays dans lequel le dialogue social se passe mal. C'est mon
métier d'organiser le dialogue social. J'ai été
amené, au cours des dernières semaines, à expliquer
à des investisseurs américains comment cela marchait en France et
j'ai beaucoup souffert pour leur décrire comment fonctionnaient nos
syndicats et comment s'appliquait le code du travail.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Comment réagissent-ils ?
M. Bernard BRUNHES - Ils ne comprennent pas mais ensuite ils ont quand
même envie d'investir dans le pays. Ils investissent quand même. A
propos de Toyota, la DATAR a demandé à mon cabinet d'expliquer
aux dirigeants de Toyota, juste après le 10 octobre, qu'ils pouvaient
quand même s'installer à Valenciennes et qu'il n'y avait pas trop
de risques. Contrairement à ce que la presse avait dit à la suite
de la virulente sortie du CNPF, à savoir que " tout le monde va
passer sous la toise des 35 heures, cela va être une catastrophe ",
en fait il a suffi d'expliquer la réalité aux dirigeants de
Toyota pour les rassurer.
Le dialogue social ne fonctionne pas et que, contrairement à ce qui
s'est passé dans la plupart des pays voisins au cours des
dernières années, le patronat, en tant que structure syndicale,
n'est pas actif dans ces négociations et discussions sur les
thèmes du temps de travail. Heureusement, en revanche, les entreprises,
elles, bougent.
Une partie des syndicats français de salariés sont
bloqués. Par rapport à ce qui s'est passé en Allemagne,
dans les pays du nord, en Hollande et même en Italie depuis quelques
années, on constate qu'une partie des organisations syndicales refusent
de discuter flexibilité et la plus grande partie du patronat refuse de
parler de réduction de la durée du temps de travail.
L'intervention des pouvoirs publics, du Parlement, du Gouvernement, pour
relancer cette réduction du temps de travail me paraît, de ce
fait, nécessaire.
Faut-il le faire comme le Gouvernement le propose et selon son calendrier
actuel ? La bonne solution était-elle de dire le 10 octobre que le
Gouvernement va proposer une réduction du temps de travail
légal ?
C'est un élément de discussion que je suis prêt à
aborder avec vous si vous le souhaitez. Mais il est évident qu'il faut
faciliter le dialogue social. Beaucoup de chefs d'entreprise me disent que le
Gouvernement a fait le contraire en imposant la date du 1er janvier 2000 pour
la réduction de la durée légale du travail : il aurait au
contraire bloqué la négociation. Je ne sais pas qui a
bloqué. Est-ce M. Jospin ? Est-ce M. Gandois ou
M. Seillière ? Je ne sais pas, mais en tout cas le dialogue est
bloqué et il faut que cela se débloque. Mais il faut en effet que
nous ayons simultanément une réduction de la durée du
travail et un aménagement, une flexibilisation du temps de travail.
Voilà ce que je voulais dire en introduction.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Nous étions d'ailleurs tout
à fait intéressés par votre vue sur la négociation
qui a eu lieu avec Toyota et la réaction de Toyota. Toyota avait
décidé d'effectuer son investissement avant que le Gouvernement
décide de réduire le temps de travail à 35 heures et
Toyota a quand même été affolé par l'approche
médiatique des choses.
M. Bernard BRUNHES - Il y a encore deux jours j'ai entendu un Parlementaire
important, responsable d'un grand parti politique, dans une émission
très populaire de radio, parler de la réduction autoritaire et
générale du temps de travail. C'est le fait de dire cela qui
inquiète les étrangers. Il ne s'agit pas d'une réduction
autoritaire et générale du temps de travail, mais d'une
modification de la durée légale.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. Je vais passer la parole à
notre rapporteur.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Je voudrais remercier M. Brunhes pour son
propos et les indications qu'il nous a apportées.
Il est vrai que ce n'est pas une réduction autoritaire du temps de
travail, mais on ne peut pas dire à ceux qui s'interrogent sur une
implantation en France ou qui ont un projet que ce qui s'accomplit là
est indifférent sur les coûts du travail et sur les repos
compensateurs. Vous avez évoqué Toyota, mais ce qui nous
préoccupe ici ce ne sont pas seulement les industries dont le coût
de main-d'oeuvre doit représenter, chez Toyota, à peu près
10 %. Alors, quand on est à 10 % du chiffre d'affaires, on ne
se soucie pas beaucoup des contraintes qui pèsent sur le temps de
travail, pour peu que l'Etat qui accueille soit suffisamment
généreux. On arrive à trouver des accords, la
mondialisation pèse de tout son poids et la concurrence est à
l'heure.
Mais quand on a en face de soi des industries, je pense à des secteurs
traditionnels comme la confection, le chômage dans ces secteurs n'est pas
négligeable. Il est vrai qu'il vaudrait mieux avoir une France avec des
ingénieurs et de la haute technologie, mais la cohésion sociale
se fait aussi avec des emplois extrêmement modestes. Et quand vous nous
dites que la baisse du temps de travail fait moins de chômage, ne faut-il
pas aussi avoir une appréciation sur l'ensemble du monde ? Il y a
beaucoup de volatilité aujourd'hui.
Puisque vous êtes conseiller des entreprises, en matière de cadres
par exemple, que constatez-vous ? On dit beaucoup que les cadres trouvent des
arrangements maintenant pour se faire rémunérer en partie
à l'étranger. Est-ce une fiction ou est-ce que cela devient une
réalité ? Ceci tient compte des avantages comparés des
législations locales.
Vous nous avez dit que l'annualisation était un élément
très important de la négociation. Pensez-vous qu'il faudrait
prévoir les modalités de l'annualisation dans la loi, si elle
doit être votée, comme l'une des contreparties de la
réduction de la durée légale du temps de travail ?
Je voudrais vous demander si, avec l'expérience que vous avez des
partenaires sociaux, vous les sentez prêts aujourd'hui à entrer
dans des négociations qui auront des conséquences sur la
réduction légale du temps de travail, et seraient-ils prêts
à geler les salaires et dans certains cas à diminuer le niveau
des salaires ? Les économistes que nous avons consultés nous ont
mis en garde contre l'échec qu'on risquerait de subir si la
réduction de la durée légale du temps de travail
n'était pas assortie d'un gel ou d'une baisse des
rémunérations.
Dans cette hypothèse-là, il est peu probable qu'il y ait
création d'emplois.
Et puis je voudrais vous demander si vous avez le sentiment que, au-delà
des propos institutionnels du patronat et des syndicats de salariés, il
y a sur le terrain des gens qui sont prêts à négocier et
à donner corps à ces différentes orientations.
M. Bernard BRUNHES - Vous avez parlé de l'annualisation. Il est clair
que l'annualisation et les autres formes de flexibilisation sont une
nécessité à terme. Dans les nouveaux métiers qui se
créent ainsi que dans toutes les industries qui sont en pleine
concurrence, on a absolument besoin de flexibiliser. C'est une
nécessité absolue et il est dommage que tout le monde ne le
comprenne pas.
En conséquence, il me semble personnellement qu'il faudra en tout cas
que dans la loi finale, puisqu'il y a deux lois successives, le mot
annualisation soit prononcé et qu'on dise au minimum ce que le Premier
ministre a dit le 10 octobre, c'est-à-dire qu'il est nécessaire
de moduler et de flexibiliser.
Je reconnais que là-dessus, ce qui a été dit
n'était pas très clair encore.
Nous sommes devant une question complexe qui est une question de calendrier. Je
crois qu'il y a une contradiction interne dans les propositions du
Gouvernement, entre deux volontés différentes : l'une est que les
entreprises jouent le jeu et que le dialogue social commence tout de suite, et
l'autre qui est qu'on établisse la loi de façon définitive
une fois qu'on aura négocié. Aujourd'hui, toutes les entreprises
avec lesquelles mon cabinet travaille, toutes nous disent : comment voulez-vous
qu'on négocie quelque chose puisqu'on ne connaît pas les
règles du jeu ? Quelles seront-elles dans deux ans, au moins sur
l'annualisation, puis sur le jeu des heures supplémentaires, et le
niveau du SMIC ?
Les chefs d'entreprise nous disent : tant que nous ne saurons pas quelle sera
la politique du SMIC, la politique de l'annualisation, et les textes en
matière d'heures supplémentaires, nous ne savons pas comment
négocier. Ils le disent et ils n'ont pas tout à fait tort.
D'autre part, la position qui a été prise par le Gouvernement le
10 octobre consistait à dire : ce genre de chose n'est pas
décidé par l'Etat, il faut que cela remonte de la
négociation, et on ne prendra la décision qu'à la fin de
1999. Il y a là en effet une contradiction.
C'est le principal problème que nous avons. En ce qui me concerne,
j'aurais préféré qu'on dise que la durée du travail
passera à 35 heures mais que plus tard, en fixant une autre date,
j'aurais dit 2001 ou 2002, et que l'on prendrait le temps, entre la
remontée des négociations et la décision, pour permettre
au Gouvernement et au Parlement de sortir une bonne loi dans le courant de
l'année 1999 et en laissant encore le temps derrière pour
négocier concrètement.
Voilà ce que je pense personnellement. Je ne sais pas comment on va se
sortir de cette contradiction qui est très importante.
Les partenaires disent : nous ne négocierons que quand nous
connaîtrons les règles du jeu, et l'Etat répond : je ne
fixerai les règles du jeu que quand vous aurez négocié car
je ne veux pas décider tout seul.
Ceci me paraît l'élément le plus difficile.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Est-ce que l'une des difficultés n'est pas
liée au fait qu'il y a de la part du législateur et de
l'exécutif une certaine fébrilité ? On n'arrête pas
de modifier les règles et ceci met en difficulté les acteurs
sociaux dans leurs négociations. Il n'y a pas si longtemps, dans le
secteur des assurances, les conventions collectives étaient
renégociées et chaque entreprise trouvait des dispositions
réduisant le temps de travail, annualisant, des démarches assez
originales, et puis vient un texte législatif qui remet
complètement en cause le fruit des négociations. Alors comment
peut-on en France faire prévaloir un autre cadre pour que les
partenaires sociaux et le dialogue existent véritablement ?
C'est comme le chef d'entreprise qui court-circuite régulièrement
ses cadres. Les relations qu'ils peuvent avoir avec l'encadrement se passent
toujours très mal si les salariés des ateliers ont le sentiment
qu'ils pourront aller voir le PDG et régler avec lui telle disposition.
Comment peut-on faire évoluer cela ?
M. Bernard BRUNHES - Vous allez me faire entrer dans un domaine qui n'est pas
le mien, mais le vôtre en tant qu'ancien ministre. J'ai vu passer des
Gouvernements de droite et de gauche disant qu'il fallait aller vite parce
qu'ils pensaient que dans deux ans ils ne seraient plus là. Et à
chaque fois je me dis qu'il faut prendre son temps. Au moment où le
Gouvernement a fait cette conférence, je pense qu'il aurait dû
commencer par faire travailler les partenaires et les acteurs localement. De
même que j'avais pensé au temps du plan Juppé que, avant de
faire la proposition de réforme de la sécurité sociale que
je trouvais bonne sur le fond, il aurait dû faire réfléchir
l'ensemble de la nation à travers ses corps intermédiaires. Deux
Gouvernements qui finalement veulent aller trop vite.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - L'alternance démontre que dans leur
diversité les Gouvernements ont les mêmes réactions
fébriles. Ce qui est en cause, c'est l'art de gouverner et la relation
entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. Je ne crois pas que vous
vous éleviez au-dessus de votre condition si, en tant que praticien des
négociations, vous protestez un moment pour aider le Parlement et le
Gouvernement à faire preuve d'une plus grande sagesse.
M. Bernard BRUNHES - D'autant que je crois que les partenaires sociaux sont
assez sages, sur le plan du temps. Eux, ils ont le temps. Ils ne sont pas
soumis à renouvellement à chaque élection et ils sont
manifestement moins pressés. Il est dommage qu'on n'utilise pas plus les
capacités de discussion dans le pays.
Le problème aussi est que les partenaires sociaux français sont
ce qu'ils sont. La division syndicale rend très difficile une vraie
négociation. On sait bien que dans ce qui va se passer là, la
CFDT et la CGT ont des positions différentes et que le dialogue social,
quand en face du patronat il y a cinq centrales syndicales avec des opinions
différentes, c'est un débat difficile.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Est-ce que le hiatus ne vient pas du fait que les
syndicats ont plutôt une culture de fonction publique ?
M. Bernard BRUNHES - Je ne suis pas tout à fait de cet avis. C'est vrai
pour certains, mais pas pour tous. Aujourd'hui on considère qu'entre 8
et 9 % des salariés français sont syndiqués.
Là-dessus, il est clair qu'il y en a beaucoup dans la fonction publique
et pas du tout dans les PME. En effet, en termes d'adhésion de cotisants
et de présence physique, il y a plus de fonctionnaires. Mais je ne crois
pas que dans la manière de s'exprimer et dans la manière d'agir,
les syndicats soient tellement fonction publique. Aujourd'hui, ce qu'exprime la
CFDT sur les sujets dont nous parlons aujourd'hui, ce n'est pas fonction
publique.
Pour reprendre les autres éléments dont vous avez parlé,
sur le gel des salaires, objectivement, soit en utilisant la loi " de
Robien ", soit sans loi " de Robien ", la
réduction du
temps de travail dans une entreprise, si elle est progressive, peut se faire
sans blocage des salaires mais avec un ralentissement. La vraie question est
que les macroéconomistes vous disent des choses trop globales. Il est
clair qu'il y a des situations très différentes. Une petite
entreprise de travaux publics ou une entreprise d'ingénierie, c'est tout
à fait différent et on ne peut pas fixer des règles
générales.
Il ne faut pas que cette loi aille au-delà de la durée
légale et de modifications du code du travail. Il ne faut pas qu'elle
rentre dans la situation des entreprises.
Certaines entreprises peuvent très bien abaisser la durée du
travail tout en continuant à augmenter les salaires, mais à
condition que la flexibilisation, l'annualisation et une réorganisation
du travail leur permettent de retrouver une productivité et une
capacité de réaction au marché, qu'elles n'avaient pas
avant.
Pour d'autres, au contraire, et vous citez l'industrie textile, ce sera plus
difficile. En effet, une petite entreprise textile avec du personnel de bas
niveau de qualification, et qui est bien gérée, aura du mal.
Concernant le problème des cadres, je voudrais dire ceci : nous venons
de lancer, avec plusieurs entreprises françaises, une étude sur
la durée du travail des cadres à l'étranger. Nous avons
analysé la situation aux Etats-Unis et dans certains pays
européens pour voir comment on traitait le problème de ce que
nous appelons, nous, le temps de travail de ceux qui ne le comptent pas.
Nous constatons que dans la plupart de ces grands pays industriels, les cadres
ne travaillent pas plus que les salariés. Nous avons une vision en
France dans laquelle le cadre doit rester normalement jusqu'à 20 heures
du soir sinon il est mal vu par son patron. Mais c'est vraiment une vision
latine.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est aussi le cas dans les ministères
cela, du moins pour la haute administration.
M. Bernard BRUNHES - C'est vrai dans l'entreprise aussi. J'ai travaillé
pendant un certain temps aux Etats-Unis, il y a une vingtaine d'années,
et quand je suis arrivé je me faisais gourmander par mon patron qui me
disait : mais comment se fait-il que vous soyez encore là après
17 heures ? Vous êtes vraiment mal organisé.
Nous avons vraiment une vision sur le temps de travail des cadres qui est une
vision latine et sur laquelle il faut réfléchir.
Je trouve bizarre qu'on n'arrête pas de dire que les cadres partent
à l'étranger, comme si ce n'était pas une
conséquence pure et simple du fait que l'Union européenne
favorise le mouvement. Beaucoup d'Anglais travaillent en France. Il faut faire
attention de ne pas trop généraliser. Il y a peut-être un
phénomène, mais je trouve qu'on a là-dessus
peut-être une vision un peu simpliste.
Le véritable problème du temps de travail se pose
réellement et fortement pour les petits salaires. D'autant que les
salariés à petits salaires ne veulent pas travailler moins parce
qu'ils ne veulent pas gagner moins. Je ne sais pas ce que le Gouvernement va
décider en matière de SMIC, mais c'est très
compliqué. Un SMIC mensuel ? Personnellement, je serais pour un SMIC
annuel. Dans l'industrie textile dont vous parlez, c'est très
compliqué.
Concernant les cadres, je dirais que je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes.
M. Alain GOURNAC, président - Je vais maintenant passer la parole
à nos collègues.
M. André JOURDAIN - C'est simplement une remarque par rapport à
la grande diversité des entreprises. Vous parliez tout à l'heure
de Toyota avec une masse salariale qui représente entre 10 et 15 % du
coût de production. Je pense aux lunetiers jurassiens pour qui la masse
salariale représente entre 50 et 60 % du coût de production,
et les effets qu'ils craignent de l'application des 35 heures les conduisent
à avoir deux réactions possibles : ou délocalisation comme
ils ont tenté de le faire il y a quelques années et ils semblent
être un peu revenus sur cette idée, surtout avec ce qui se passe
en Asie ; ou de pousser à fond l'automatisation et par conséquent
ne pas créer d'emplois de remplacement, mais même
éventuellement supprimer des emplois existants. Que pensez-vous de ces
conséquences possibles sur un exemple précis ?
M. Daniel PERCHERON - Je pense que Monsieur le Rapporteur a quand même
exploré tout l'aspect d'ingénierie sociale que pose la loi des
35 heures. De M. Soubie à M. Brunhes, hormis M. Kessler,
malgré ce qu'a dit M. Jourdain, il n'y a pas de démonstration
très convaincante d'un éventuel contresens économique,
d'un danger mortel pour l'économie française du passage aux 35
heures.
Et le constat que vous venez de faire : croissance de productivité
évidente, croissance globale à 3 %, croissance
démographique spécifiquement française, et heureusement
pourrait-on dire ne serait-ce qu'en pensant au régime des retraites,
stagnation de la réduction du temps de travail, donc initiative de
l'Etat, ce constat montre qu'effectivement la décision sur les 35 heures
peut être tout à fait heureuse. J'ajoute qu'il y a deux
éléments qui reviennent sans cesse. Il y a quand même le
fait que le pays s'est prononcé sur les 35 heures à l'occasion
des législatives. Il ne faut pas surestimer le rôle des 35 heures
dans une victoire électorale de la gauche, mais le pays s'est
prononcé pour la volonté, pour le volontarisme dans
l'élection présidentielle. Ceux qui ont voulu tutoyer
apparemment, même modestement, le modèle libéral ont
été impitoyablement écartés.
Cette Commission d'enquête me paraît faire apparaître, et je
pose la question très directement, au fond l'aspect tout à fait
politique de la réduction des 35 heures.
Ce que vous nous avez dit peut amener à considérer que la France
n'étant pas un pays social démocrate, n'étant pas un pays
du nord, la méthode choisie est la plus difficile qui soit.
Décision de l'Etat, maîtrise apparente du calendrier et mise
éventuelle en dynamique des partenaires sociaux, dont vous nous avez dit
qu'ils avaient le temps, hors décision de l'Etat le cas
échéant, dont vous nous dites qu'ils veulent connaître
absolument les règles du jeu et dont tout le monde nous a dit ici que
s'ils n'étaient pas, au niveau de l'entreprise, les décideurs
définitifs, l'échec était évident. L'Etat cette
fois n'a pas les moyens comme en 1981, puisque vous avez été
concernés par cette grande flambée volontariste sociale, l'Etat
n'a pas les moyens de régler le problème.
M. Raymond SOUBIE nous a dit : 35 heures, pourquoi pas ?
Vous nous dites que 35 heures, c'est nécessaire. Mais quelle que soit la
justesse, quelle que soit la légitimité de la décision
prise, les acteurs sociaux en France sont incapables de mener la
négociation à terme, et donc M. Soubie nous a dit que cela
échouera parce que les négociateurs ne sont pas capables de la
faire réussir. Partagez-vous ce pronostic qui en quelque sorte est
très préoccupant ? Si cela est vrai, cela veut dire que le
discours de M. Kessler ou le discours protestataire ou le discours radical
à gauche au lendemain d'un échec de 35 heures auront de fortes
chances de s'imposer. Ou le modèle dérégulation absolue :
ne vous mêlez pas d'économie. Ou la quête de
l'impossible : que l'Etat réussisse dans les moindres
détails et qu'on revienne à une forme de dirigisme ou de
volontarisme politique conforme à notre histoire.
M. Bernard BRUNHES - Si en effet la loi devait aboutir à ce que de
façon obligatoire le 1er janvier 2000 l'entreprise de lunetterie de
Morez doit passer de 39 heures à 35 heures en payant 39 heures, je
crois que vous avez raison. La vraie question est : comment faire, et c'est
là que je dis qu'il faut peut-être un peu plus de temps, pour
qu'en effet cela ne se passe pas ainsi ?
Il y a plusieurs possibilités. D'abord, le fait qu'elle pourra
peut-être rester à 39 heures en payant seulement des heures
supplémentaires, d'où l'importance de la négociation
salariale et l'importance de la décision prise en matière de
SMIC. Passer de 39 à 35 heures revient à 39 heures
payées 40.
Les heures qui étaient normales deviennent des heures
supplémentaires. Donc, cela fait 0,25 par heure et cela revient à
payer une heure de plus. Ce sont donc 39 heures payées 40.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Cela fait 2,5 %. Ce sont 35 heures qui sont
payées.
M. Bernard BRUNHES - Les heures 36, 37, 38 et 39 sont payées
1,25 chacune. Cela fait, en fait, 39 heures payées 40.
La première question est : quel sera le nouveau salaire ?
La décision qui sera prise par les pouvoirs publics en matière de
SMIC est fondamentale. On ne peut pas ne pas dire très rapidement ce
qu'on fera en matière de SMIC. Cela devient compliqué car
dès qu'on touche aux salaires, on touche au coeur des contradictions
sociales, et si cela plaît à la CGT, cela ne plaira pas au CNPF,
et réciproquement. C'est là qu'on est dans le problème de
calendrier, mais il faut que le Gouvernement dise quelque chose.
Dans la plupart des entreprises il y a dans ce pays un effort
considérable à faire en matière d'organisation, et
là on peut y gagner, notamment de l'organisation en termes de
productivité ou de l'organisation en termes de réactivité.
Beaucoup d'entreprises françaises ont des difficultés à
l'international parce qu'elles ne sont pas assez réactives. Elles ne
réagissent pas assez vite au marché. La réactivité
implique de nouvelles organisations du travail. Je crois, par
expérience, que dans beaucoup d'entreprises on pourra passer sans
difficulté aux 35 heures, à condition que sur les salaires on ne
fasse pas n'importe quoi, mais qu'on fasse de la flexibilité, de la
réactivité et que l'on ait une nouvelle organisation.
Il y a des cas où il y a risque, des cas où cela sera mieux. Il y
a une énorme variété.
Je ne sais pas quelle est la situation des lunetiers, mais j'aimerais bien
aller voir l'entreprise et dire : on peut ou on ne peut pas. Je suis
allé voir les Cristalleries d'Arques, il est vrai qu'elles auront du mal
et il faut trouver des solutions spécifiques. Par contre, ailleurs il y
a beaucoup à gagner.
Pour répondre à M. Percheron je dirai qu'en effet le
problème du dialogue est d'autant plus complexe que c'est
nécessairement un dialogue local.
Je ne suis pas d'accord avec M. Soubie sur ce qu'il vous a dit. Nous nous
rencontrons souvent, nous sommes d'accord sur beaucoup de choses, mais pas
là-dessus. Je trouve que M. Soubie a une vision uniquement du
dialogue social global. Il est vrai que les prises de position des leaders des
grandes centrales syndicales rendent les choses très difficiles au
niveau central. Aujourd'hui, la CGT et la CFDT ne sont pas d'accord, sans
parler de FO, et c'est difficile. Peut-être que M. Soubie pense plus
à la situation au niveau central.
Mais en revanche, je peux témoigner que dans les entreprises ce n'est
pas pareil. Et alors que la CGT prend, au niveau national, des positions assez
fermes sur la flexibilité en la refusant, j'ai assisté et j'ai
même négocié je ne sais pas combien d'accords dans le cadre
de la loi " de Robien ", signés par la CGT au niveau local.
Ils n'en font pas trop de publicité parce qu'ils ont peur d'avoir des
problèmes avec leur confédération, mais ils en signent
beaucoup.
Autrement dit, le dialogue social risque de se bloquer à propos de ce
projet de loi, mais au niveau local il se passe beaucoup de choses. Il y a un
écart évident entre le discours public du patronat et la
volonté de beaucoup de chefs d'entreprise d'avancer, de même qu'il
y a un écart entre le discours public de la CGT et ce que font les
syndicalistes CGT à la base.
Ma différence avec M. Soubie, c'est que je ne crois pas, moi, que ce
sera nécessairement un échec, à condition qu'on
réfléchisse bien au calendrier et qu'on laisse émerger
cette espèce de négociation permanente qui a lieu à la
base.
M. Alain GOURNAC, président - Merci. J'ai plusieurs questions à
vous poser.
Pensez-vous que la notion de temps de travail hebdomadaire a encore un sens
aujourd'hui et ne devrait-on pas aller plus vers une forme de temps choisi ?
Je voudrais aussi vous demander quelle a été votre
réaction quand la loi " de Robien " est sortie. Pensez-vous
que c'était une attente de la part non pas des entreprises, mais des
salariés, et que c'était une attente prioritaire ?
Je voudrais aussi vous demander rapidement votre approche sur les effets de
seuil. Je sais que cela touche les petites entreprises, mais globalement
aujourd'hui, quand on entend les spécialistes, ils nous disent qu'il y a
des possibilités de trouver des emplois beaucoup plus dans les petites
structures que dans les grandes.
Quelle est votre approche sur cette histoire de 10 ou 20 et sur cet effet de
seuil ?
Enfin, pourquoi sommes-nous parmi les pays qui travaillent le moins ?
Pourquoi les choses n'évoluent-elles pas autour de nous ?
M. Bernard BRUNHES - Sur le temps de travail hebdomadaire et le temps choisi,
la loi " de Robien " avait introduit l'idée que le temps de
travail pouvait être apprécié sur la semaine, le mois ou
l'année. Je pense que cette formulation est bonne, c'est-à-dire
que c'est un temps de travail hebdomadaire, mais qu'on puisse apprécier
le temps de travail hebdomadaire sur l'année, cela veut dire
annualisation mais en conservant le critère de base. Je pense qu'il
faudrait reprendre l'expression temps de travail hebdomadaire qui peut
être apprécié sur des durées différentes.
Concernant le temps choisi, on est toujours dans cette situation qui est
délicate et qui résulte de la différence
considérable entre les anciennes et les nouvelles activités. Nous
sommes dans une période extrêmement vivace de l'évolution
économique. Les Etats-Unis créent des millions d'emplois chaque
année dans un domaine de nouvelles activités, mais nous avons
quand même encore des activités anciennes. Il y a encore des gens
qui fabriquent des lunettes à Morez, mais ce n'est pas cela l'avenir.
L'avenir c'est l'informatique, les services, les services aux personnes. Les
manipulateurs de symboles, comme dit Robert Reich, l'ancien ministre du travail
américain. C'est cela qui va faire l'enrichissement de notre
société.
D'un côté, les fabricants de lunettes de Morez, cela a un sens de
leur parler de durée hebdomadaire du travail, cela a un sens aussi pour
les conducteurs du métro et il faut conserver ce sens pour eux, sinon il
n'y a plus de discussions possibles et il n'y a plus de défense des
travailleurs face aux employeurs. Cela a donc un sens précis pour une
partie encore majoritaire de la population. Mais il faut faire attention parce
que les activités qui se développent sont des activités
pour lesquelles la durée hebdomadaire n'a pas de sens. La durée
du travail d'une assistante sociale, qu'est-ce que cela veut dire ? Il faut
savoir combien de familles elle voit dans la journée. La durée du
travail d'un informaticien quand il est chercheur, cela n'a pas de sens.
Ce qu'il faut imaginer, c'est respecter à la fois ce besoin d'une
durée hebdomadaire du travail stricte pour des catégories
d'ouvriers, salariés ou employés qui ont besoin de cela, sinon
ils ne sont plus protégés, et qu'on laisse se développer
une forme beaucoup plus ouverte et choisie du travail pour d'autres
catégories. Ce que je trouve toujours un peu angoissant dans nos
débats, c'est qu'on mélange à chaque fois les deux, mais
ce sont des métiers différents. Il est vrai que dans mon
métier de consultant, je vais essayer d'appliquer les 35 heures chez
moi, je vais leur donner des jours de congé, sinon je ne sais pas
très bien ce que cela veut dire. Par contre, les gardiens de l'immeuble
où je suis ont besoin d'un horaire de travail. Pour eux cela a un sens.
Et même les secrétaires qui travaillent dans mon équipe
veulent partir à 6 heures pour aller s'occuper de leurs enfants et elles
ont besoin d'un horaire.
C'est pour cela qu'il faut pouvoir négocier localement et c'est pour
cela que les grands discours un peu généraux masquent une
réalité très complexe. Mais il serait tout à fait
dommage de ne pas laisser se développer ces activités qui sont
les activités de l'avenir, et elles ne se développeront pas si on
enferme les informaticiens dans des horaires stricts.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Vous citez le ministre américain, mais il
dit bien qu'avec la mondialisation c'est une épreuve sans
précédent pour les états nationaux et que leurs
instruments traditionnels, la loi, la réglementation, ont de moins en
moins prise sur les comportements économiques. Vous avez des
régulations nationales et un marché qui est mondial. On veut la
sécurité sociale à la française et on veut faire
ses courses un peu partout dans le monde. Alors, pour les manipulateurs de
symboles c'est formidable, ils empochent toute la mise sans aucune
régulation. Vous venez de dire qu'il y a des cas très divers et
notre problème dans nos départements, c'est de voir celui qui
travaille dans une fabrique de lunettes ou qui fait de la confection. Les
problèmes de chômage ou de misère sont là. Ce sont
des femmes qui ont 40 ans et quand l'atelier ferme, pour elles c'est fini. Et
il n'y a pas de solution pour ces gens-là.
Les politiques devraient être modestes face à ces situations, si
demain on applique un cas unique pour tout le monde.
M. Bernard BRUNHES - Je suis tout à fait d'accord avec vous. Le fait de
dire que la durée légale est de 35 heures ne contraint pas tout
le monde dans un cadre strict.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Si les lunettes coûtent 2,5 % de plus parce
qu'il faudra tenir compte du repos compensateur...
M. Bernard BRUNHES - Pour répondre à cela il faut aller voir les
lunetiers.
M. André JOURDAIN - Vous êtes invité à venir.
M. Bernard BRUNHES - Concernant la loi " de Robien ", à la
demande de M. Mehaignerie en tant que Président de la commission
des Finances, nous avons fait une étude et nous avons répondu que
chaque fois que l'Etat met de l'argent dans une aide à l'emploi, ce
n'est en général pas très efficace. Il y a même de
vraies catastrophes.
Par rapport à tout cela, l'aide la plus efficace qu'on ait eue depuis
longtemps, c'était la loi " de Robien " en termes d'emplois
créés divisés par le nombre de francs mis là-dedans.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est très cher.
M. Bernard BRUNHES - Oui, mais beaucoup moins que le contrat initiative-emplois.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Oui, mais au bout de deux ans, l'entreprise peut
remercier ses collaborateurs et cela coûte à l'Etat pendant encore
cinq ans.
M. Bernard BRUNHES - Je suis d'accord avec vous. Nous avons fait un calcul
à partir de cas précis et après on a
généralisé. En comptant les sept ans, notre conclusion
était clairement que finalement c'était la mesure la plus
efficace en termes de coût par emploi créé.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est mieux que les préretraites.
M. Bernard BRUNHES - C'est mieux que tout ce qu'on a fait en termes d'aide de
l'Etat.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est ce qu'il y a de moins mal.
M. Bernard BRUNHES - Mais la loi " de Robien " a eu un gros
inconvénient, elle a cassé le mouvement en cours, qui avait
été lancé par M. Gandois, de négociations dans
les branches.
L'autre question était celle des effets de seuil. Je trouve qu'on prend
un risque dans certains secteurs avec le report à deux ans, à
2002, de l'application.
Je crois à l'effet psychologique des seuils mais on leur donne trop
d'importance. Pourtant, l'effet de seuil du report à 2 ans pose en effet
problème. Les entreprises de bâtiments et travaux publics ont un
problème. En effet, pendant deux ans il y aura un écart entre les
petites et les moyennes entreprises.
Ce que m'ont dit au passage les interlocuteurs de ce secteur, c'est qu'on
devrait avoir une souplesse. Au lieu que l'Etat fixe la barre à 20,
peut-on laisser à la négociation le soin de fixer une date ?
Je ne suis pas sûr que ce soit juridiquement possible, mais il y a
peut-être quelque chose à analyser en termes de possibilité
de dérogation dans l'espace entre 2000 et 2002.
Pourrait-il y avoir des possibilités d'adaptations conventionnelles avec
signature des syndicats et des fédérations de branches à
l'intérieur de la période 2000 à 2002 ?
Enfin, concernant votre dernier point, j'ai un croquis qui montre que vous
n'avez peut-être pas raison. La durée moyenne du travail, si je
prends les salariés à temps complet dans les pays de l'Europe des
15 : Grande-Bretagne : 43,9 Portugal : 41,2 Espagne : 40,7 France : 39,9
Allemagne : 39,7 Hollande : 39,5.
En termes de durée hebdomadaire, certes la Grande-Bretagne travaille
plus que nous. Le Portugal et l'Espagne (mais les statistiques dans ces
pays...) travaillent plus que nous. En revanche, l'Allemagne, la Hollande, le
Danemark et la Belgique travaillent moins.
M. Alain GOURNAC, président - Cela donne une moyenne pour l'Europe de
40,3 et nous c'est 39,9.
M. Bernard BRUNHES - Si on inclut les salariés à temps partiel,
la Grande-Bretagne descend rapidement. Portugal : 40, 4 Espagne : 39 Italie :
37,6 Grande-Bretagne : 37,5.
Ce sont ceux qui travaillent plus que nous.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Et la durée de la vie
professionnelle ?
M. Bernard BRUNHES - Nous sommes, nous, à 37 heures. Allemagne : 36,4
Belgique : 35,7 Danemark : 34,5 Hollande : 31,7.
En durée annuelle, ce n'est pas tout à fait le même ordre,
mais nous sommes au milieu. Effectivement, sur la durée de la vie, comme
nous avons d'une part retardé plus en France qu'ailleurs l'entrée
des jeunes sur le marché du travail et d'autre part avancé les
préretraites, il vaudrait mieux nous répartir, collectivement, le
travail autrement.
M. Alain GOURNAC, président - Je vous remercie beaucoup de votre propos
préliminaire et de la clarté des réponses apportées
aux questions.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - Une dernière question : dans votre tableau
vous faites apparaître que nous avons une durée hebdomadaire qui
est relativement faible. Nous sommes parmi les pays qui ont le plus de
chômage. Y a-t-il une corrélation ?
M. Bernard BRUNHES - Beaucoup d'analyses très fines sont faites.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - La Grande-Bretagne est au-dessus de nous et elle
a beaucoup moins de chômage.
M. Bernard BRUNHES - Oui, mais elle a une caractéristique forte qui est
qu'il n'y a plus d'augmentation de la population active. J'ai fait l'exercice
suivant : on prend la Grande-Bretagne il y a dix ans, on lui met plus 150.000
arrivants sur le marché de l'emploi par an que nous avons, nous, en
termes d'augmentation de la population en âge de travailler et, au
boût du compte, son chômage est plus fort que le nôtre.
Un autre phénomène joue : en Grande-Bretagne, la statistique du
chômage montre que le taux de chômage des hommes est le même
qu'en France et le taux de chômage des femmes est très faible.
C'est ce qui explique la différence. Pourquoi ? Parce que les femmes ne
s'inscrivent pas. Les statistiques parlent des découragés qui
n'ont pas d'intérêt à se déclarer demandeur
d'emploi. Elles ont moins d'allocations, dans les entreprises on ne les prend
pas.
Si on prend la Hollande, c'est un pays dans lequel il y a beaucoup de temps
partiel, surtout chez les femmes : 55 %. Puis, un autre phénomène
commence à apparaître, il y a beaucoup de handicapés en
Hollande. On classe très facilement en handicapés des
chômeurs de longue durée.
M. Jean ARTHUIS, rapporteur - C'est le traitement statistique du chômage.
M. Bernard BRUNHES - Je me méfie un peu de ces comparaisons. Il est vrai
que l'Angleterre marche bien actuellement. C'est un pays qui a repris un fort
développement et qui a du dynamisme. Mais la recherche des
corrélations directes demanderait des analyses plus fines.