AVIS N° 163 - PROPOSITION DE RESOLUTION DE MM. BLIN, de RAINCOURT, de ROHAN, SOUVET et ARTHUIS TENDANT A CREER UNE COMMISSION D'ENQUETE SUR LES CONSEQUENCES POUR L'ECONOMIE FRANCAISE DE LA REDUCTION DE LA DUREE DU TRAVAIL A 35 HEURES HEBDOMADAIRES
M. André BOHL, Sénateur
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LEGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU REGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GENERALE - AVIS N° 163 - 1997/1998
Table des matières
N° 163
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 décembre 1997.
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) en application de l'article 11, alinéa 1, du Règlement, sur la proposition de résolution de MM. Maurice BLIN, Henri de RAINCOURT, Josselin de ROHAN, Louis SOUVET et Jean ARTHUIS tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ,
Par M. André BOHL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir les numéros
:
Sénat
:
75
et
159
(1997-1998).
Travail.
Mesdames, Messieurs,
L'article 11 du Règlement du Sénat prévoit que lorsqu'elle
n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création
d'une commission d'enquête, la commission des Lois est appelée
à émettre un avis sur la conformité de cette proposition
avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17
novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires.
C'est dans ce cadre que votre commission des Lois doit émettre un avis
sur la proposition de résolution tendant à créer une
commission d'enquête sur les conséquences pour
l'économie française de la réduction de la durée du
travail à trente-cinq heures hebdomadaires présentée par
MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et
Jean Arthuis.
La compétence de la commission des Lois se limite à un examen
juridique de conformité, l'opportunité de la constitution de la
commission d'enquête relevant de l'appréciation de la commission
saisie au fond, en l'occurrence la commission des Finances, puis,
naturellement, du Sénat lui-même
.
· A titre liminaire, il n'est pas inutile de rappeler que la loi
n° 91-698 du 20 juillet 1991 a modifié sur plusieurs points
l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée en
regroupant les commissions d'enquête et les commissions de contrôle
sous la dénomination commune de commissions d'enquête.
Pour autant, cette modification d'ordre terminologique n'a pas gommé la
dualité entre les commissions d'enquête proprement dites et celles
chargées de contrôler le fonctionnement d'une entreprise ou d'un
service public, ainsi que le confirme la rédaction de la loi de juillet
1991 pour les deuxième et troisième alinéas de l'article 6
de l'ordonnance de 1958 :
"
Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir
des éléments d'information,
soit
sur des faits
déterminés,
soit
sur la gestion des services publics ou
des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à
l'assemblée qui les a créées.
" Il ne peut être créé de commission d'enquête
sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et
aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a
déjà été créée, sa mission prend fin
dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur
lesquels elle est chargée d'enquêter. "
Il en résulte que, pour examiner la conformité à ces
dispositions d'une proposition de résolution tendant à la
création d'une commission d'enquête, la commission des Lois doit
répondre à deux questions :
- s'agirait-il d'enquêter sur des faits déterminés, ce qui
amènerait à consulter le Garde des Sceaux pour vérifier si
ces faits font l'objet de poursuites judiciaires ?
- les éléments d'information à recueillir porteraient-ils
sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ?
1. La commission d'enquête porterait-elle sur des faits déterminés qui justifieraient une interrogation sur d'éventuelles poursuites judiciaires ?
En cas de réponse positive à cette question, la
pratique traditionnellement suivie pour les commissions d'enquête
stricto sensu
continue d'être observée, à savoir que
le Président de la commission des Lois demande à M. le
Président du Sénat de bien vouloir interroger le Garde des Sceaux
sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les
faits en cause.
Dans le cas d'espèce, si l'on se réfère à
l'exposé des motifs de la proposition de résolution, nos
collègues souhaitent la constitution d'une commission d'enquête
afin "
d'évaluer précisément les
conséquences économiques, financières et
budgétaires du passage aux trente-cinq heures
".
Il ne s'agirait nullement d'enquêter sur des faits
déterminés, d'autant que la commission s'intéresserait aux
conséquences d'une réforme qui, à ce jour, n'est pas
encore mise en oeuvre.
La commission des Lois constate donc qu'au cas présent, la
procédure de consultation du Gouvernement sur l'existence
éventuelle de procédures judiciaires
est sans objet
.
2. La commission d'enquête concernerait-elle la gestion des services publics ou des entreprises nationales ?
· L'exposé des motifs de la proposition de
résolution énumère les conséquences à
examiner de la réduction de la durée hebdomadaire de travail de
trente-neuf à trente-cinq heures.
Parmi ces conséquences, la commission d'enquête étudierait
l'impact de la réduction du temps de travail pour la fonction publique
de l'Etat, pour la fonction publique territoriale, pour le secteur hospitalier,
pour les entreprises nationales et, d'une manière plus
générale, pour les services publics, ainsi que l'incidence
budgétaire et financière de cette réforme tant pour l'Etat
que pour les collectivités locales.
Il ne fait pas de doute que ces matières relèvent bien d'une
commission d'enquête.
Pour le reste, la commission d'enquête aurait aussi à
s'interroger, selon l'exposé des motifs de la proposition de
résolution, sur la sensible détérioration de la
compétitivité des entreprises, le risque accru de
délocalisation de certaines d'entr'elles et son incidence sur
l'économie de proximité, la baisse d'attractivité de la
France en temps que terre d'accueil des investissements étrangers,
l'éventuelle aggravation du chômage et le possible encouragement
au travail clandestin.
Force est de reconnaître que ces matières ne touchent pas,
à proprement parler, à la gestion des services publics ou des
entreprises nationales au sens de l'article 6 de l'ordonnance du
17 novembre 1958 précitée.
Mais il est vrai qu'elles pourraient avoir une incidence directe ou indirecte
sur cette gestion.
· Cela étant, la commission des Lois souhaite rappeler que les
commission permanentes constituent la première instance naturelle du
contrôle parlementaire dans le cadre de la session unique.
Elles peuvent, en particulier, procéder à des auditions,
créer des missions d'information -en leur sein ou communes à
plusieurs commissions, selon les cas- et user, s'il y a lieu, des pouvoirs qui
leur sont désormais reconnus par les articles 5
bis
et
5
ter
de l'ordonnance du 17 novembre 1958, tels qu'ils
résultent de la loi n° 96-517 du 14 juin 1996
(possibilité de convoquer toute personne dont la commission estime
l'audition nécessaire, le fait de ne pas répondre à la
convocation étant sanctionné pénalement ;
faculté de demander à l'assemblée de lui conférer
les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour
une mission déterminée).
Les rapporteurs spéciaux de la commission des Finances -qui disposent de
pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place- les rapporteurs pour
avis des autres commissions et, pour ce qui les concerne, les rapporteurs de la
commission des Affaires sociales sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale -également dotés de pouvoirs de
contrôle sur pièces et sur place- participent également
à l'information des commissions permanentes et, à travers elles,
du Sénat.
Les commissions permanentes disposent aussi de la possibilité de saisir
l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.
Aussi pourrait-on considérer que les commissions d'enquête
devraient être réservées à des sujets cadrant au
plus près avec l'article 6 de l'ordonnance de 1958 et pour lesquels
la solennité de l'enquête parlementaire et le recours aux moyens
de contrôle renforcés prévus par ce texte se
révéleraient indispensables.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des Lois estime que la proposition de résolution n° 75 (1997-1998) ne paraît pas contraire à l'ordonnance du 17 novembre 1958.