II. DES PROPOSITIONS POUR MIEUX ORIENTER LA POLITIQUE DE LA RECHERCHE
Votre rapporteur considère que les orientations données au BCRD par le projet de loi de finances pour 1998 ne permettent pas de répondre de manière claire aux priorités essentielles qui s'imposent aujourd'hui à la recherche.
A. PREMIÈRE PRIORITÉ : L'ENTRÉE DE LA FRANCE COMME LEADER DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION
L'année dernière, votre rapporteur soulignait
que "
tant qu'il n'y aura pas des programmes d'une ampleur
comparable
au programme nucléaire et au programme spatial, programme
intégrant la sensibilisation des usagers et le financement massif des
expérimentations, la France ne pourra prendre le leadership auquel la
pratique du Minitel lui permet de prétendre
". Le
succès de l'entrée de la France
dans la
société de l'information constitue la clé de la
croissance économique des années à venir
. Rappelons,
en effet, que le marché mondial des technologies de l'information et de
la communication croît de 10 % par an.
L'exemple américain est, en ce domaine, particulièrement
éclairant. Les États-Unis connaissent en effet une période
de croissance soutenue qui semble être durable et dont tous les analystes
situent la principale origine dans l'essor des technologies de l'information et
de la communication, qui sont à l'origine du tiers des nouveaux emplois
créés de façon directe et sans doute d'une part notable
des autres emplois. Les entreprises, de taille variable, qui se
développent dans ce secteur, ont un point commun : elles
entretiennent des liens étroits avec les laboratoires publics de
recherche. L'effet multiplicateur de la dépense publique
consacrée aux technologies de l'information et de la communication a
été très bien compris par le gouvernement
fédéral : la recherche publique bénéficie dans
ce domaine d'une augmentation de ses crédits de l'ordre de 10 %
dans le projet de budget fédéral pour 1998.
Malgré des progrès importants notamment en matière d'usage
de la télématique dans les écoles, lycées et
collèges, les moyens mis en oeuvre pour préparer la France
à entrer dans la société de l'information restent
aujourd'hui disséminés et insuffisants.
·
La recherche en électronique
La recherche en micro-électrique présente un caractère
stratégique évident. Elle reste déterminée
essentiellement par les besoins des industries du secteur, ce qui explique que
la recherche industrielle occupe en ce domaine une place prédominante.
Le secteur industriel national est dominé par les groupes SGS/Thomson,
Alcatel, SAGEM et Matra... Philips et Siemens au niveau européen, NEC,
Hitachi et autres japonais, Intel, Motorola et autres américains au
niveau international sont des concurrents puissants.
Un effort important a été engagé afin de combler
l'écart avec les principaux compétiteurs que sont les
États-Unis et le Japon.
Le financement de la recherche dans ce secteur est à la fois national et
européen.
Les crédits nationaux sont principalement inscrits au budget du
ministère de l'industrie et, pour l'essentiel, consacrés à
des contrats pluriannuels de recherche et développement. Ces contrats
sont suivis par des comités interministériels
1(
*
)
.
Le financement total est de l'ordre de 1,3 milliard de francs en 1997. Les
études (en forte diminution) passées par le ministère de
la défense ne sont pas incluses dans ce chiffre.
Les crédits européens proviennent surtout des programmes
Eurêka, en particulier dans le cadre du programme MEDEA. A ce titre, il
importe de noter que Eurêka a compris l'enjeu que représentent les
nouvelles technologies de l'information. En effet, avec 10 projets, soit
plus du quart des nouveaux projets à participation française
annoncés à la conférence ministérielle de Londres
du 19 juin 1997, elles arrivent largement en tête des secteurs
soutenus. Si on ajoute les trois projets relevant de la communication, qui font
appel à des technologies de même nature, ce domaine est le plus
dynamique tant en nombre de projets qu'en montant investi en recherche et
développement.
La recherche publique passe pour une grande partie par le Commissariat à
l'énergie atomique (CEA) et France Télécom (CNET).
Pour
1998, la situation n'est pas claire. Le budget de la recherche -qui est aussi
celui de la technologie- est assez peu explicite
. Le CNET, qui
dépensait 2,7 milliards en recherche, ne poursuivra pas son soutien
à l'industrie des composants et des équipements, et se
concentrera sur les logiciels et les services. Quant au CEA, ses moyens lui
permettront-ils de suivre ?
Le CNRS dispose d'équipes de qualité. Ainsi, le centre
d'hétéro-épitaxie (CREAH) de Sophia-Antipolis
développe des recherches innovantes dans les semi-conducteurs à
large bande dont les applications pourront être spectaculaires à
condition qu'une industrialisation suive.
·
La recherche en informatique
Parmi les organismes qui concourent à la recherche dans ce secteur, il
importe de souligner le rôle déterminant joué par
l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA).
Les moyens de fonctionnement de cet organisme s'établissent pour 1998
à 321,57 millions de francs, en progression de 4,41 %. Les
subventions d'investissement s'élèvent en crédits de
paiement à 158,69 millions de francs, soit + 0,54 % et en
autorisations de programme à 163,46 millions de francs, soit
+ 5,5 %. Au sein des subventions d'équipement,
80,36 millions de francs sont prévus au titre des soutiens de
programme.
La qualité des activités de recherche de l'INRIA
est
internationalement reconnue. Ainsi l'INRIA - Sophia-Antipolis - a
été choisie par l'Internet Society pour constituer le pôle
du vieux continent en matière de prospective et de gestion de l'avenir
d'Internet. Pour les Amériques, le pendant est le Massachussets
Institute of Technology (MIT).
Au-delà de ses activités de recherche,
l'INRIA joue un
rôle déterminant dans l'aide au transfert de technologie, en
particulier vers les petites et moyennes entreprises du secteur des
technologies de l'information
et de la communication
. Dans ce
secteur, qui connaît une croissance remarquable, la création
d'entreprises apparaît comme le meilleur moyen d'expérimenter les
technologies et de faire naître de nouveaux marchés. Aux
États-Unis, à côté des grands industriels, les
"
start up
", petites entreprises à croissance
souvent
très rapide, développent une dynamique extraordinaire, notamment
dans les zones où se forment des communautés réactives,
les
" smart communities ".
En France comme en
Europe, quelques
grands partenaires -parfois leaders mondiaux- dominent le marché. Les
difficultés qu'ont les petites et moyennes entreprises à
croître aussi vite sont préoccupantes. L'INRIA a mené une
politique réussie d'essaimage, en soutenant et en accompagnant la
création de 25 sociétés de technologie (dont 20 sont
toujours en activité) qui représentent plus de 850 emplois et un
chiffre d'affaires de 600 millions de francs.
Cette démarche apparaît à votre rapporteur
particulièrement adaptée car elle allie activité de
recherche et essaimage, qui apparaissent comme les deux conditions
nécessaires au succès d'une action incitative de l'Etat en ce
domaine.
Il serait souhaitable que tous les organismes de recherche, et en particulier
le CNRS, suivent cette démarche. Une filiale du CNRS d'appui à la
création d'entreprise serait la bienvenue dès 1998.
C'est sans doute le seul moyen efficace -et tout compte fait peu
onéreux- de développer l'emploi scientifique et la
création de richesses.
·
La recherche en télécommunications et leurs
applications
Dans ses précédents rapports et dans ses relations avec les
ministres successifs chargés des télécommunications et de
l'espace, votre rapporteur s'était inquiété de l'avenir du
Centre national d'études en télécommunications (CNET).
Compte tenu de l'évolution des télécommunications dans le
monde, les recherches effectuées au sein de l'opérateur
historique s'orienteront vers la seule satisfaction des besoins propres de
France Télécom.
Il estime nécessaire la création d'une agence chargée
d'orienter la recherche fondamentale en télécommunications, de
coordonner les actions menées en ce domaine par les différents
partenaires que sont les établissements publics, les écoles
d'ingénieurs, les universités et les écoles
spécialisées dans l'enseignement des
télécommunications et d'assurer le financement de ces
activités de recherche par des moyens budgétaires ou
contractuels. Cette structure légère pourrait assurer une veille
scientifique et socio-économique afin de faciliter l'identification des
priorités, qui comportent des aspects scientifiques et techniques mais
intéressent aussi les domaines des sciences humaines et sociales.
Le rapport intitulé " La recherche et développement,
clé d'un nouvel essor des télécommunications en
France " rédigé par M. Lombard, directeur
général des stratégies industrielles et M. Kahn,
directeur scientifique de l'INRIA, s'appuyant sur une analyse comparable,
propose :
- de coordonner les différents pôles de compétence
nationaux de la recherche en télécommunications au sein du
Réseau national de recherche en télécommunications
(RNRT) ;
- et de créer pour cinq ans un comité d'orientation de la
recherche en télécommunications regroupant l'ensemble des acteurs
concernés.
Votre rapporteur s'interroge sur l'efficacité d'un comité pour
gérer effectivement une telle priorité. Il continue à
prôner la création d'une agence. La capacité d'un
comité (et d'un réseau aux contours et à la composition
difficile à cerner) pour piloter de façon continue une action qui
soit à la fois décisive, importante et efficace est difficile
à admettre. Il faut être présent et pugnace pour
récupérer les sommes immenses qui sont en jeu. La dilution des
responsabilités fait disparaître les
responsabilités ...
·
Les recherches connexes en sciences humaines et sociales
Le ministère chargé de la recherche ne peut dans le domaine des
nouvelles technologies de l'information et de la communication se contenter
d'une action limitée au seul secteur des
télécommunications, de l'informatique et de la
micro-électrique
.
En effet, doit être menée, en ce domaine, une action transversale
qui, en favorisant les réflexions interdisciplinaires aux
frontières des sciences de l'ingénieur et des sciences humaines,
soutienne l'action des ministères et des organismes qui oeuvrent au
développement des technologies de base et à leur transfert vers
le monde industriel. Le CNRS, les écoles d'ingénieurs et de
gestion ainsi que les universités doivent être incités
à développer des actions en la matière.