DEUXIÈME PARTIE
LES CONSÉQUENCES INCERTAINES DE
LA
" CROISSANCE RAISONNÉE " DES EFFECTIFS
Le malheur a voulu que l'accélération à
partir de 1993 de la croissance des effectifs de l'enseignement technique
agricole ait coïncidé avec la prise de conscience de la
nécessité -au demeurant incontestable- de la maîtrise des
dépenses publiques.
Sans cette coïncidence, cette accélération n'aurait sans
doute soulevé aucune émotion particulière. On se serait
avisé qu'elle n'amorçait pas un processus incontrôlable de
croissance exponentielle de l'enseignement agricole, mais qu'elle correspondait
simplement aux résultats concomitants de trois évolutions
parfaitement prévisibles et en elles-mêmes très
positives : une montée en puissance, un peu tardive, des
filières longues, le succès des formations courtes
rénovées et le développement des poursuites
d'études.
Dans un contexte d'austérité budgétaire, elle a
suscité une profonde inquiétude et un réflexe qu'il faut
bien qualifier de malthusien : il fallait, pour préserver les
autres dépenses d'intervention du budget de l'agriculture, freiner
immédiatement la croissance des dépenses d'enseignement, et donc
la croissance des effectifs.
On a donc décrété un taux de croissance raisonnée
des effectifs de l'enseignement technique de 2 % par an sous forme d'une
obligation de résultat dont la justification restait à trouver,
les conditions de réalisation à inventer, et les
conséquences à explorer. Cet objectif demeure, même s'il
est désormais prévu de l'atteindre en trois étapes et en
trois rentrées : 3 % en 1997, 2,5 % en 1998, 2 % en
1999.
Pour l'enseignement supérieur, les flux d'entrée sont et restent
évidemment contrôlables par le biais des concours d'entrée.
Votre rapporteur n'a pas changé d'opinion sur ce singulier
système de contingentement.
Il reste en effet fermement partisan, conformément aux principes des
lois de 1984, d'un ajustement des formations, des niveaux de qualification et
des flux de diplômés en fonction de l'évolution des
métiers et du marché de l'emploi agricole et rural. Ce qui n'a
rien à voir avec des quotas dont les conséquences mal
maîtrisées risquent au contraire de contrarier la réussite
d'un véritable effort de gestion prévisionnelle de l'enseignement
agricole, et d'affaiblir la réactivité de cet enseignement aux
besoins de l'économie agricole et rurale.
I. LES EFFECTIFS ET LES RÉSULTATS DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
A. LES EFFECTIFS
1. L'enseignement technique
La rentrée 1997 apparaît comme un
" succès " de l'effort de ralentissement de la croissance
des
effectifs, encore qu'il soit difficile de mesurer l'ampleur de ce
succès, le premier effet du contingentement étant de masquer
l'évolution spontanée de la demande de formation.
Il est probable que cette évolution spontanée s'est un peu
ralentie : même si l'enseignement agricole est, bien sûr,
beaucoup plus indépendant que l'éducation nationale des
mouvements démographiques, ces derniers jouent cependant un rôle,
même marginal, sur les fluctuations d'effectifs. Il est certain aussi que
l'on a observé à cette rentrée non seulement les effets de
l'imposition du quota de 3 %, mais aussi ceux de la tendance, bien
antérieure, à une certaine " fermeture " de
l'enseignement agricole, imposée, notamment dans l'enseignement public,
par un manque de moyens qui ne date hélas pas d'aujourd'hui, et qui
s'était déjà traduite lors des rentrées
précédentes par de nombreux refus d'inscription.
Quoi qu'il en soit, et quelles qu'en soient les causes, la
décélération est incontestable.
Les effectifs recensés au 16 septembre 1997, soit 174.966
élèves, frôlant donc le seuil des 175.000, ne font
apparaître qu'une progression de 3,6 %
(6.183 élèves) par rapport au chiffre de 1997
(168.783 élèves).
Le ministère de l'agriculture escompte même que le taux de
croissance définitif, qui sera établi au vu des effectifs
scolarisés à la fin du premier trimestre de l'année
scolaire 1997-1998, sera inférieur et se rapprochera encore de
l'objectif du taux de croissance de 3 % affiché pour la
rentrée 1997.
L'évolution des effectifs de rentrée est donc la suivante depuis
1993 :
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
|
Taux de progression des effectifs scolarisés dans l'enseignement agricole technique (en %) |
6 |
6,9 |
4,66 |
5,5 |
3,66
|
(1) Estimation au 16 septembre 1997
A la rentrée 1997, les évolutions par niveau de scolarisation ont
été les suivantes :
- les formations courtes (formations de niveau V ; CAPA, BEPA, 4e et 3e
technologiques) connaissent un taux de progression moindre que celui
enregistré les années précédentes ; elles
accueillent 2 434 nouveaux élèves, soit une augmentation de
2,58 %, inférieure à celle constatée pour l'ensemble
de l'enseignement agricole technique ;
- les effectifs des formations de niveau IV (BTA, baccalauréats)
poursuivent leur progression à un rythme légèrement
inférieur mais comparable à celui des années
précédentes (+4,66 % soit 2.512 élèves
supplémentaires). En ce qui concerne certaines d'entre elles, on
constate une tendance à la stabilisation ;
- enfin, le cycle supérieur court (BTSA) progresse fortement
(+6,01 % soit 1.237 élèves supplémentaires), le
redressement significatif intervenu en 1997 se trouvant ainsi confirmé.
Le ralentissement des inscriptions en début de scolarité ou de
cycle court est certainement essentiellement lié à l'effort de
limitation de la progression des inscriptions consenti par les
établissements pour " rentrer " dans le quota.
Le ralentissement du taux de croissance des effectifs est en effet, à ce
niveau, plus important que celui imposé par le quota, et permet de
" compenser " la progression plus rapide des formations de
niveau IV,
qui s'explique notamment par les ouvertures de terminales des nouveaux
baccalauréats professionnels, et plus généralement par la
poursuite de la montée en puissance du niveau
" baccalauréat ",
On peut craindre que ce mouvement ne fasse à terme apparaître deux
effets pervers :
*
un " effet cumulatif " des quotas
qui se
manifestera de deux
façons :
- d'une part, dans certains établissements, par exemple ceux qui sont en
train de développer des formations de niveaux IV ou III et qui devront,
pour compenser l'augmentation d'effectifs correspondante, restreindre plus
énergiquement les flux d'entrée, on risque d'assister assez vite
à une stagnation, voire un recul des nouveaux inscrits qui pourrait
aller beaucoup plus loin que l'effet recherché ;
- d'autre part, ce " refroidissement " s'amplifiera à mesure
que les cohortes sortant du système éducatif seront
progressivement remplacées par des classes " sous quota ",
ce
qui aura pour effet à terme soit une réduction globale des
effectifs, soit une évolution " en dents de scie " des
effectifs accueillis d'une promotion à l'autre, selon que
l'établissement pourra accueillir plus ou moins de nouveaux inscrits en
restant dans le quota.
Au total, ces mouvements erratiques engendrés par une logique purement
comptable n'auront que bien peu de chances de correspondre tant à
l'évolution de la demande de formation qu'à celle des
débouchés.
*
Une sélection accrue des candidats à l'entrée dans
l'enseignement agricole en quatrième et en troisième ou en
filière courte
. Cette sélection, peu conciliable avec les
principes d'organisation du service public de l'enseignement (imagine-t-on
d'instaurer un "
numerus clausus
" à l'entrée en
quatrième ou en CAPA ?), affaiblira en outre grandement la
capacité de promotion de l'enseignement agricole et, pour reprendre les
propos prononcés par le ministre devant votre commission, "
le
caractère exemplaire d'un enseignement qui accueille en
4e technologique des élèves momentanément en
difficulté pour les conduire, dans certains cas, jusqu'à
l'enseignement supérieur court
". L'enseignement agricole
s'enorgueillit, à très juste titre, que 15 % des
élèves de BTSA soient issus des filières BEPA. Est-ce
là un résultat qu'il est opportun de remettre en cause ?
Compte tenu de ces évolutions par niveau, les effectifs totaux se
répartissent de la manière suivante à la rentrée
1997 :
- 96.707 élèves en cycle court (55,2 %) ;
- 56.423 élèves en cycle long (32,2 %) ;
- 21.836 élèves en cycle supérieur court (12,4 %).
On observera qu'en dépit du renfort inattendu du quota, qui aura sans
doute pesé sur le poids relatif du niveau V, cette répartition
n'est pas conforme aux objectifs du deuxième schéma
prévisionnel national des formations, qui avait prévu de porter
les effectifs du niveau III à 17 %, ceux du niveau IV
à 35 % et de ne laisser que 48 % des élèves en
niveau V. Ces prévisions ont été bouleversées,
d'une part, par la croissance des effectifs du niveau V résultant
de nombreux facteurs parmi lesquels figurent la rénovation et la
diversification des formations, la bonne insertion professionnelle des
diplômés et la possibilité pour certains jeunes en
situation d'échec de trouver une seconde chance dans ce type de
formations et, d'autre part, par une progression des effectifs de
niveau III moins forte que celle attendue.
·
La répartition entre enseignement public et enseignement
privé
Selon les chiffres établis au 16 septembre 1997,
70.781 élèves étaient inscrits dans les
établissements publics, soit
40,45 %
des effectifs totaux
(contre 40,8 % en 1996), et 104.185 dans les établissements
privés sous contrat, soit
59,55 %.
Cette répartition confirme le renversement de la tendance au
rééquilibrage des effectifs entre enseignement public et
enseignement privé.
Le mouvement, amplifié ces deux dernières rentrées par les
performances inégales de l'enseignement public et de l'enseignement
privé en matière de respect des quotas, s'était
esquissé dès la rentrée 1993. Jusqu'à l'an dernier,
il était essentiellement imputable, d'une part, à l'effort de
maîtrise des effectifs qui avait été amorcé dans le
public avant d'être imposé au privé, et, d'autre part, aux
nombreuses fermetures de filières courtes -dont les effectifs avaient
recommencé à croître- auxquelles l'enseignement public
avait dû procéder pour redéployer ses maigres moyens vers
les filières longues.
Cette évolution ramène pratiquement les proportions d'effectifs
scolarisés dans le public et dans le privé à leur niveau
d'avant la loi de 1984. On peut espérer, compte tenu de l'effort
consenti cette année par les établissements privés, et en
particulier par les établissements à temps plein, pour se
rapprocher du quota, qu'elle se stabilisera les années prochaines.
Votre rapporteur ne considère pas, en tout cas, qu'elle doive être
mise à l'actif de la politique de maîtrise des effectifs.
La répartition définitive des effectifs par niveau et par
catégorie d'établissements n'étant pas encore connue, le
tableau ci-après donne, à titre indicatif, les estimations
disponibles au 16 septembre 1997 et leurs évolutions par rapport
à 1996, pour un effectif total évalué alors à
174.966 élèves.
RÉPARTITION ET ÉVOLUTION DES EFFECTIFS
DE
L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE PAR NIVEAU DE FORMATION
ET PAR CATÉGORIE
D'ÉTABLISSEMENTS
Niveau V |
Niveau IV |
Niveau III |
Total |
|
Enseignement public |
24 426
(+ 1,02 %) |
31 567
(+ 3,39 %) |
14 788
( + 6,09 %) |
70 781
(+ 3,10 %) |
Enseignement privé à temps plein |
33 674
(+ 2,07 %) |
16 619
(+ 5,48 %) |
5 583
(+ 4,10 %) |
54 109
(+ 3,27 %) |
Enseignement privé à rythme approprié |
38 607
(+ 4,05 %) |
8 237
(+ 8,05 %) |
1 465
(+ 12,95 %) |
48 309
(+ 4,97 %) |
2. L'enseignement supérieur
Les effectifs de l'enseignement supérieur long relevant du ministère de l'agriculture et de la pêche sont passés de 9.969 étudiants en 1991-1992 à 11.168 étudiants en 1996-1997, soit une augmentation de 12 % sur cinq ans.
EFFECTIFS DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AGRICOLE
1991-1992 |
1996-1997 |
|
I. Enseignement public | ||
Ecoles d'ingénieurs agronomes (ENSA) | 2 387 | 2 575 |
Ecoles d'ingénieurs des techniques (ENIT et assimilés) | 1 647 | 1 925 |
Centres de 3e cycles et écoles d'application | 535 | 717 |
Ecoles vétérinaires (ENV) | 2 168 | 2 209 |
Formation de paysagistes | 139 | 161 |
Formation d'enseignants | 116 | 249 |
6 992 | 7 836 | |
II. Enseignement privé | ||
Ecoles d'ingénieurs en agriculture | 2 828 | 3 196 |
Enseignement du bois | 149 | 136 |
2 977 | 3 332 | |
Total enseignement public et privé | 9 969 | 11 168 |
·
Dans l'enseignement supérieur public
,
l'accroissement des effectifs a été de 12 %, ce qui
correspond à un ralentissement de la croissance des effectifs par
rapport à la période 1990-1995.
Entre la rentrée universitaire 1995-1996 et celle de 1996-1997,
l'augmentation du nombre d'étudiants a été de
+ 3,4 %. Elle découle de l'accroissement du nombre
d'ingénieurs formés pour répondre aux directives
gouvernementales et de l'allongement d'une année de cursus des
études dans les ENIT et du développement des études
doctorales dans les ENSA et les écoles d'application. Dans le secteur
vétérinaire, les effectifs ont été
stabilisés en formation de base, mais augmentent globalement en raison
de la création de spécialités vétérinaires
(Certificats d'études approfondies vétérinaires et
diplômes d'études spécialisées
vétérinaires) et de " l'effet volume " qui en
résulte.
· Dans les écoles d'ingénieurs de
l'enseignement
supérieur privé
, la hausse des effectifs est de 12 % sur
cinq ans, ce qui correspond, comme dans l'enseignement public, à un
ralentissement du rythme d'augmentation des effectifs par rapport à la
période 1990-1995.
Cette augmentation résulte, d'une part, de l'allongement d'une
année du cursus des études et, d'autre part, de l'augmentation du
nombre d'ingénieurs formés pour les mêmes raisons que
celles évoquées ci-dessus pour les ENIT.