IV. LA POSITION DU SENAT : LA NECESSITE D'UNE DEMARCHE RESPONSABLE
On peut en récuser le principe, mais force est de
constater que la
puissance de l'incitation fiscale fonde, pour l'essentiel,
la décision d'investir en outre-mer
.
A cet égard, la
fragilité économique et sociale de ces
territoires commande à la plus extrême prudence
lorsqu'il
s'agit de modifier l'équilibre du système d'incitation fiscale
à y investir et,
a fortiori
, lorsqu'il est question de
réduire la portée de ce dispositif.
C'est pourquoi, après avoir souligné l'importance des effets de
cette incitation fiscale, votre rapporteur saluera le caractère
responsable de la démarche du Sénat dans ce domaine.
A. LA "LOI PONS" : POUR UN RETOUR A LA RAISON
1. Les grandes règles du régime d'aide fiscale à l'outre-mer
Le mécanisme institué par la loi Pons
prévoit un régime d'aide fiscale en faveur des investissements
productifs réalisé dans les départements et les
territoires d'outre-mer. Ce dispositif a été institué par
la loi de finances rectificative du 11 juillet 1986. Il a depuis lors,
été modifié à plusieurs reprises par les textes
suivants :
la loi de finances pour 1992 du 30 décembre 1991 qui a notamment
instauré la procédure d'agrément dans certains secteurs
économiques ;
la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993
la loi de finances pour 1994 du 30 décembre 1993
la loi de finances pour 1996 du 30 décembre 1995
Comme on le voit, ce dispositif qui a pour objet d'accorder une aide fiscale
aux investissements réalisés dans des secteurs
considérés comme prioritaires pour le développement
économique et social de l'outre-mer a donc été
régulièrement modifié afin d'adapter ce dispositif
à ces objectifs.
Ce régime fiscal comporte
deux aspects selon que l'investissement est
effectué par une entreprise ou par une personne physique
.
Le principe pour
les entreprises est une déductibilité de
leurs résultats imposables du montant des investissements qu'elle
réalisent
de façon directe ou par voie d'apports au capital
de sociétés soumises à l'impôt sur les
sociétés et qui exercent une activité dans les secteurs
éligibles à l'aide.
Les
personnes physiques
bénéficient quant à elle
d'une
réduction d'impôt
pour les souscriptions au capital
de sociétés qui réalisent des investissements dans ces
mêmes secteurs. Dès l'origine, ce dispositif prévoyait que
cette réduction d'impôt était égale à 50 % du
montant de l'investissement effectué pour les années 1986
à 1989, Cette réduction revenant
à 25 % pour les
revenus des années 1990 à 2005
.
Le montant de cette
économie d'impôt s'imputant par cinquième sur l'impôt
dû au titre de l'année de réalisation de l'investissement
et les quatre années suivantes
(article 199
undecies
du code général des
impôts).
A cet ensemble,
s'ajoute la possibilité de déduire les
déficits industriels et commerciaux non professionnels du revenu
global
. Or, c'est cette possibilité que l'Assemblée nationale
a décidé de supprimer.
C'est pourtant la combinaison de ces deux avantages qui forme
l'efficacité du " levier fiscal " d'incitation à
l'investissement outre-mer.
2. Un enjeu essentiel : l'équilibre économique et social de l'outre-mer
Quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur la
" puissance " de l'incitation fiscale, force est de
constater que
celui-ci est à l'origine, en 1996, d'un flux d'investissements qui a
atteint 5,6 milliards de francs, soit un montant supérieur à
celui du budget de l'outre-mer lui-même, dont le montant
s'élève à 5,2 milliards de francs en 1998.
Ce dispositif a donc atteint l'objectif qui lui était assigné en
faisant naître un flux d'investissement productif privé qui
était presqu'inexistant avant la création de l'aide fiscale. A
cet égard l'analyse faite, dès 1991, par M. Alain Richard est
essentielle.
"Sur un plan général, la défiscalisation est certes une
aide publique et entre dans la panoplie des transferts de l'Etat vers ces
départements. Mais même dans cette optique, la
défiscalisation a tout de même
un mérite inestimable
comparée à la subvention. Elle ne correspond pas à une
logique d'assistance mais, au contraire, stimule l'initiative et favorise les
adaptations
. S'il s'agit d'une aide dispendieuse, et personne ne peut le
contester, il n'en reste pas moins qu'elle soutient un développement
économique plus sain que celui qui résulte des simples transferts
sociaux." (Alain Richard, rapport précité p. 36)
Le tableau suivant, extrait du dernier rapport annuel de la direction
générale des impôts sur la mise en oeuvre de
l'agrément prévu en faveur des investissement dans certains
secteurs économiques outre-mer, met en évidence la
répartition sectorielle et géographique de ces
investissements
..
3. Un dispositif fortement encadré
Votre commission des finances tient à souligner son
attachement au dispositif de " moralisation " qui a été
introduit avec l'institution d'un mécanisme d'agrément
délivré par les services de la direction générale
des impôts. L'institution de ce mécanisme a en effet permis de
répondre à des abus qui avaient marqué la première
phase d'application de la " loi Pons " et qui ont contribué
à ternir l'image de cette incitation fiscale.
Ce système d'agrément permet en effet de contrôler la mise
en œuvre de l'aide fiscale à l'investissement outre-mer. Le
tableau ci-dessous présente l'économie de ce dispositif :
B. UN APPEL A LA RESPONSABILITÉ
Au regard de la gravité de l'enjeu pour l'outre-mer,
votre commission des finances a choisi d'adopter une démarche
responsable.
Elle considère en effet qu'il serait
dangereux de décider,
subitement, d'une importante modification de l'équilibre du dispositif
d'incitation fiscale à l'investissement outre-mer, sans avoir
évalué au préalable ses conséquences et, surtout,
sans avoir étudié les modalités de remplacement de ce
dispositif,
dont il convient de rappeler qu'il est, en tout état de
cause, " borné " dans le temps puisqu'une date butoir a
été fixée à l'année 2001.
Si la commission des finances émet un jugement nuancé sur le
concept de dépense fiscale, elle souhaite néanmoins qu'un
débat serein puisse être retrouvé au sujet du régime
d'aide fiscale à l'investissement outre-mer afin
d'éviter une
mise en cause, involontaire, des investissements privés outre-mer, dont
il faut rappeler qu'ils sont économiquement préférables
à un système de subventions et d'assistance
.
Ainsi, l'amendement de la commission des finances adopté par le
Sénat permet de soustraire à la tunnelisation les secteurs et les
opérations qui seraient réellement pénalisés.
En effet, pour certains secteurs tels que l'industrie et les transports, cette
exception n'est pas indispensable car, dans la pratique, il s'agit
d'opérations dites locatives
, où les investisseurs font
l'acquisition d'un bien pour le louer à une entreprise située
outre-mer avec des pertes d'exploitations modérées.
Pour ces
opérations locatives seules certaines charges doivent continuer à
bénéficier d'une soustraction à la
" tunnélisation " pour que les investissements dans ces
secteurs ne soient pas pénalisés
.
Il s'agit des charges indispensables à la mise en place de ces
opérations locatives dans la limite de 15 % du montant de
l'investissement et de celles créées par la limitation des
amortissements déductibles des loueurs d'équipements.
En revanche, il est des
secteurs particulièrement importants pour le
développement de l'outre-mer et notamment l'hôtellerie, le
tourisme, les transports aériens, la pêche
et
les
énergies nouvelles (stations géothermiques, éoliennes
notamment),
où les investissements ne peuvent être
réalisés sur le mode locatif en raison d'une durée
d'amortissement trop longue et des importantes pertes d'exploitation qui
caractérisent l'investissement dans ces secteurs. C'est pourquoi il
était nécessaire de prévoir
une exception à la
tunnelisation pour les pertes d'exploitation enregistrées dans ces
secteurs
.