ANNEXE - COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION
Lors de sa réunion du mercredi 13 mars 1996, sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a procédé, sur le rapport de M. Christian Bonnet, à l'examen de la proposition de loi n° 248 (1995-1996) adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à préciser la portée de l'incompatibilité entre la situation de candidat et la fonction de membre d'une association de financement électorale ou de mandataire financier et de la proposition de loi n° 229 (1995-1996), présentée par MM. Michel Mercier, Serge Mathieu, Emmanuel Hamel et René Trégouët, tendant à préciser la portée de l'incompatibilité définie à l'article L. 52-5, premier alinéa, du code électoral.
M. Christian Bonnet, rapporteur, a tout d'abord dénoncé les conditions toujours précipitées d'examen des textes sur le financement de la vie politique, jugeant inévitable que des dispositions élaborées à la hâte et parfois obscures suscitent des difficultés d'interprétation et de nombreux contentieux.
S'agissant des dernières élections municipales, il a rappelé que la loi du 19 janvier 1995 avait modifié les règles du financement de la campagne alors même que les mandataires -associations de financement électorales ou personnes physiques-avaient déjà commencé à collecter des dons. Il a exposé que l'article L. 52-5 du code électoral avait été modifié en vue d'interdire « au candidat » d'être membre de sa propre association électorale, rédaction qui, dans le cas d'un scrutin de liste, pouvait paraître ne s'appliquer qu'à la tête de liste, tout au moins dans l'esprit de personnes peu accoutumées aux subtilités du droit électoral. Le rapporteur a de surcroît constaté qu'aucune disposition n'interdisait ni n'autorisait un colistier à être mandataire financier -personne physique- de sa liste, ce cas de figure n'ayant pas été envisagé par le législateur de 1995.
Il a indiqué que selon les statistiques recueillies auprès de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCFP), 317 dossiers avaient été transmis aux tribunaux administratifs dont 240 à la suite d'un rejet du compte de campagne motivé dans 133 cas par la présence d'un colistier membre du bureau de l'association de financement électorale ou mandataire financier personne physique de la liste, soit 55 % des rejets de compte au titre de cette seule irrégularité.
Le rapporteur a indiqué que les deux propositions de loi soumises à l'examen de la commission avaient précisément pour objet de remédier à cette situation en proposant de régulariser par une disposition interprétative la situation des colistiers concernés, tout en reformulant les textes pour qu'à l'avenir, l'interdiction à tout candidat de la liste de faire partie de l'association de financement électorale ou d'être mandataire financier soit clairement énoncée.
Il a reconnu que bien des candidats, par prudence, avaient démissionné de leurs fonctions de mandataire dès la publication de la loi du 19 janvier 1995 et que des mises en garde avaient été adressées, notamment dans une plaquette publiée par l'association des maires des grandes villes de France. Il a cependant insisté sur le fait que des interprétations moins strictes avaient pu faire croire que l'interdiction ne concernait que les têtes de liste, certains tribunaux administratifs ayant d'ailleurs ultérieurement partagé ce point de vue.
Le rapporteur a constaté que c'était seulement le 7 février 1996, soit plus de six mois après les élections, que le Conseil d'État, saisi à titre consultatif par le tribunal administratif de Lille, avait rendu un avis aux termes duquel l'interdiction d'être membre de l'association de financement électorale devait être entendue comme s'appliquant à tous les colistiers, conduisant ainsi à devoir déclarer inéligibles pour un an non seulement les candidats concernés mais également la tête de liste, personnellement responsable de la régularité du compte de campagne.
Il a considéré que la solution retenue par l'Assemblée nationale revenait à donner une interprétation favorable à un texte qui avait pu induire certains candidats en erreur, démarche d'autant plus légitime à ses yeux que le rejet de leur compte de campagne faisait peser sur eux une suspicion injustifiée, qu'ils aient été élus ou non.
M. Christian Bonnet, rapporteur, a cependant constaté que ce dispositif, tout en rétablissant une sorte de présomption de bonne foi dans ces cas d'espèce, ne serait pas applicable à d'autres situations où la bonne foi des candidats ne faisait pourtant aucun doute.
À titre d'exemple, il a évoqué le cas de douze maires d'un même département ayant reçu des dons minimes de la même association dont le caractère de groupement politique avait été admis dans cinq cas et contesté dans les autres, ce qui avait conduit la CCFP à accepter les comptes des uns et à rejeter ceux des autres. Il a vu dans cette contradiction les conséquences probables de la surcharge de travail imposée à cette commission, ce qui la conduisait à recourir à de nombreux rapporteurs-adjoints, avec le risque d'interprétations différentes d'un même texte.
Le rapporteur a estimé que la législation actuelle présentait l'inconvénient d'instituer un « couperet automatique » contraignant le juge, « captif des textes » à prononcer l'inéligibilité d'un an -c'est-à-dire une sanction électorale très grave- pour des inobservations de la loi parfois vénielles ou de pure forme, sans permettre au candidat d'exciper de sa bonne foi ni au juge d'accueillir ce moyen.
Aussi, a-t-il proposé à la commission d'assortir la proposition d'un article additionnel après l'article 2 aux termes duquel « le juge peut relever de l'inéligibilité le candidat dont il a reconnu la bonne foi ». Il a rappelé que cette disposition avait déjà été votée par le Sénat le 17 juin 1993 lors de l'examen d'une proposition de loi présentée à l'époque par le président Jacques Larché.
Le rapporteur a estimé que cet amendement s'inscrivait dans le prolongement des propositions de loi soumises à l'examen de la commission, car il redonnait au juge de l'élection son pouvoir d'appréciation sur la gravité du manquement reproché au candidat.
M. Christian Bonnet, rapporteur, a souligné que la proposition de loi ainsi amendée n'aurait rien à voir avec une « amnistie électorale », une amnistie ayant pour objet de rendre rétroactivement licite une pratique que le législateur aurait expressément voulu interdire, alors que tel n'avait pas été le cas en 1995.
Il a pareillement noté qu'il ne s'agissait pas d'une validation législative d'une mesure administrative dépourvue de base légale, dans la mesure où aucune mesure administrative n'était en cause et que l'avis du Conseil d'État, purement consultatif, n'avait été rendu que très postérieurement aux faits contestés.
M. Lucien Lanier a félicité le rapporteur pour la précision de son exposé et s'est déclaré choqué, dans le cas évoqué, que des interprétations totalement divergentes et des solutions diamétralement opposées aient pu être rendues dans douze dossiers pourtant identiques. Afin d'éviter de telles anomalies, il a alors vivement préconisé que le juge de l'élection puisse prendre en compte la bonne foi du candidat.
M. Patrice Gélard, tout en approuvant la proposition du rapporteur, a estimé que la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article premier (« ces dispositions ne portent pas atteinte à la validité des décisions juridictionnelles devenues définitives ») n'était pas utile, à partir du moment où ce texte interprétatif ne saurait s'appliquer qu'à des instances en cours ou à venir.
M. Christian Bonnet, rapporteur, en est convenu mais a rappelé que cette mention, inspirée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, avait le mérite de préciser clairement le champ d'application de cet article.
M. Jean-Marie Girault a également approuvé la proposition du rapporteur, jugeant inacceptable que des cas similaires aient été réglés aussi différemment même si, s'agissant de jugements rendus en premier ressort, il était naturel que les solutions varient d'un tribunal à l'autre.
En revanche, il a estimé que cette difficulté n'était en rien imputable au législateur, le texte ne se prêtant à ses yeux à aucune confusion dans la mesure où les termes « le candidat » s'appliquaient toujours en droit électoral à tous les candidats d'une liste. À supposer qu'ils aient eu un doute, il a considéré que les candidats concernés auraient dû avoir la prudence de démissionner de leurs fonctions de mandataire, même si l'information dispensée à l'époque par l'administration pouvait parfois les induire en erreur.
M. Jacques Larché, président, lui a fait observer que ce raisonnement valait sans doute pour le cas des colistiers membres de leur association de financement électorale mais qu'en revanche, force était de relever le silence total des textes sur la situation des colistiers mandataires financiers.
M. Guy Allouche, ayant jugé excellent l'exposé du rapporteur, a rappelé qu'il avait déjà dénoncé les conditions déplorables d'élaboration de la loi du 19 janvier 1995, dont le texte définitif avait été adopté dans la précipitation des derniers jours de la session. Il a cependant souligné que le Sénat avait adopté avec l'avis favorable de la commission, un amendement présenté par lui-même et qui aurait clairement précisé la portée de l'interdiction, ainsi que le préconisait à l'époque la CCFP. Il a regretté que la commission mixte paritaire ait finalement jugé superflue cette précision, la circulaire diffusée par la suite ajoutant à la confusion.
Il a néanmoins estimé que les candidats concernés, en n'adoptant pas une attitude plus prudente, pouvaient, dans une certaine mesure, être considérés fautifs, compte tenu de l'objectif général de moralisation de la vie politique poursuivi par la loi de 1995.
Approuvant l'amendement du rapporteur, il s'est déclaré opposé à ce qu'une sanction électorale aussi lourde frappe des candidats d'évidente bonne foi.
En revanche, M. Guy Allouche a regretté que la disposition interprétative de la proposition n'ait pas été adoptée plus tôt et qu'elle intervienne seulement maintenant alors que le Conseil d'État était déjà saisi, ce qui risquait d'être mal interprété.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé que la CCFP devrait s'abstenir de donner des consultations aux candidats.
M. Jean-Jacques Hyest a noté que l'avis rendu par le Conseil d'État le 7 février 1996 ne liait ni les juges ni lui-même statuant au contentieux, même s'il paraissait improbable que les décisions définitives s'en écartent, confirmant les mauvaises conditions d'élaboration de la loi du 19 janvier 1995, il a signalé que les candidats avait également été induits en erreur par un message diffusé sur minitel par la CCFP, puisqu'il avait fallu attendre février 1996 pour qu'elle fasse état d'une interprétation exacte de la loi.
Il a souligné que les juges administratifs étaient eux-mêmes conscients du caractère disproportionné d'une sanction automatique d'inéligibilité d'un an dans tous les cas de figure.
Plus généralement, il a jugé la législation sur le financement de la vie politique beaucoup trop complexe, l'enserrement des campagnes dans des règles aussi tatillonnes compromettant la liberté d'expression des candidats et se révélant finalement préjudiciable à la démocratie locale.
Il a d'ailleurs noté la même dérive dans d'autres domaines du droit, comme par exemple le droit pénal des affaires.
M. Jacques Larché, président, a approuvé cette analyse, citant même le cas d'un conseiller général sanctionné pour non dépôt d'un compte de campagne alors qu'il n'avait engagé aucune dépense de campagne.
Mme Nicole Borvo a rappelé que son groupe n'avait pas voté la loi du 19 janvier 1995 mais a estimé pour sa part que ce texte était très clair et que l'interdiction s'appliquait à tous les candidats de la liste, quelle que soit leur position. Aussi a-t-elle considéré que le législateur n'était en rien responsable des interprétations différentes qui en avaient été faites, jugeant dès lors qu'il n'était pas souhaitable de légiférer à nouveau sur ce sujet. Elle a, en conséquence, indiqué que son groupe voterait contre l'ensemble de la proposition de loi.
M. Alex Türk, tout en approuvant les propositions du rapporteur, a estimé que la loi de 1995 posait d'immenses problèmes pour l'instant non résolus, car, comme M. Jean-Jacques Hyest, l'avait fait remarquer à juste titre, elle rendait pratiquement impossible toute campagne électorale, donc toute perspective d'alternance municipale.
Plus globalement, il a estimé que les oppositions municipales, de droite comme de gauche, étaient totalement dépourvues de moyens et très défavorisées face à la majorité en place ; il a donc exprimé la crainte que des moyens occultes de financement ne réapparaissent.
M. Guy Allouche a souligné l'importance de ce problème qu'il avait abordé en 1995 par son amendement sur l'aide versée par les collectivités territoriales de plus de 100.000 habitants aux groupes d'élus mais qui pose la question plus générale du statut de l'opposition et des moyens de fonctionnement consentis aux minorités.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a fait observer que le mode actuel de scrutin municipal avait au moins le mérite d'assurer la représentation des minorités, ce qui n'avait pas toujours été le cas.
Il a d'autre part souligné qu'en dépit de certaines imperfections, les lois sur le financement de la vie politique ne devaient pas être désavouées dans leur ensemble et avaient eu des résultats très positifs, notamment celui de mettre un terme à l'escalade effrénée des dépenses de campagne.
Sans sous-estimer le risque d'une certaine incompréhension dans l'opinion publique, il a approuvé le texte en discussion, estimant normal que le législateur améliore le droit en vigueur à la lueur de l'expérience.
Il a enfin estimé souhaitable qu'au-delà du problème ponctuel ainsi réglé, un bilan global soit dressé de la mise en oeuvre de la législation sur le financement de la vie politique. Dans l'attente de ce bilan, il a indiqué que son groupe voterait l'amendement proposé par le rapporteur qui permettrait d'éviter les injustices les plus flagrantes.
M. Jacques Larché, président, a approuvé la diminution des dépenses de campagne relevée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, faisant d'ailleurs observer que dans biens des cas, les candidats dépensaient moins que le plafond autorisé. Il a toutefois rappelé que les propositions de loi soumises à la commission n'avaient pas pour objet de régler cet aspect général.
M. Daniel Hoeffel a indiqué qu'il voterait le texte proposé par le rapporteur.
En réponse, M. Christian Bonnet, rapporteur, a considéré :
- que son amendement avait une portée générale mais que, loin d'imposer quoi que ce soit au juge de l'élection, il avait au contraire pour objet de lui restituer son entier pouvoir d'appréciation ;
- que la portée de l'actuel article L. 52-5 était sans doute parfaitement claire pour des personnes averties, mais que les faits démontraient qu'il avait été mal interprété, le message télématique erroné cité par M. Jean-Jacques Hyest n'étant qu'un exemple parmi d'autres ;
- qu'en effet, le plafonnement des dépenses avait eu un effet très salutaire sur le déroulement des campagnes électorales.
La commission a adopté l'amendement du rapporteur insérant un article additionnel après l'article 2 puis a approuvé l'ensemble ainsi amendé de la proposition de lot.