B. PENDANT LA DURÉE D'HABILITATION
La portée de l'habilitation doit être examinée tant du point de vue du Gouvernement que du Parlement. Si le Parlement est en principe moins « impliqué » dans la phase d'adoption des ordonnances, les contraintes du Gouvernement ne sont pas moins importantes.
1. Le rappel des compét e nces réelles du Gouvernement
En ce qui concerne le Gouvernement, la portée de la loi d'habilitation est claire puisqu'elle permet au Gouvernement de prendre des mesures normalement réservées au législateur, qu'il s'agisse d'intervenir dans des matières législatives ou d'abroger ou modifier les lois en vigueur.
Le Gouvernement est néanmoins soumis à des règles de procédure particulières. Ces ordonnances doivent être prises en Conseil des ministres. Cette règle a été interprétée entre 1986 et 1988 comme permettant au Président de la République de refuser de signer certains projets d'ordonnances. En l'espèce, ceux-ci portaient sur les modalités de la privatisation, le découpage électoral, l'aménagement du temps de travail. Les projets d'ordonnances doivent également être soumis au Conseil d'État qui peut ainsi en contrôler la conformité à la loi d'habilitation.
Par ailleurs, sur le fond, il ressort de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel que le Gouvernement doit respecter les principes de valeur constitutionnelle tant au stade de la loi d'habilitation qu'à celui des ordonnances prises sur le fondement de celle-ci.
En effet, si la loi d'habilitation a été déférée au Conseil Constitutionnel et si ce dernier a indiqué ce que devrait être l'interprétation de la loi, le Gouvernement devra respecter, en édictant les ordonnances, les « strictes réserves d'interprétation » émises par le Conseil (décision n° 86-716 DC des 25 et 26 juin 1986).
Cette décision illustre parfaitement le degré de précision des « strictes réserves d'interprétation » formulées par le Conseil Constitutionnel. Il y est indiqué que les ordonnances devront respecter : les principes et règles de valeur constitutionnelle et « en particulier celles relatives au contrôle juridictionnel et les droits de la défense » ; l'article 55 de la Constitution et les obligations internationales de la France ; « l'indépendance nationale » ; l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et la nécessité d'évaluer les entreprises cédées au juste prix ; l'article 72 de la Constitution s'agissant des « transferts qui concernent des entreprises dans lesquelles les collectivités territoriales ont des intérêts » ; l'alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 ; enfin l'interprétation donnée par le Conseil Constitutionnel aux dispositions de l'article 34 de la Constitution concernant les transferts d'entreprises !
Comme le soulignent Loïc Philip et Louis Favoreu dans leur Recueil des grandes décisions du Conseil constitutionnel : « cette énumération et le soin qu'a apporté le Conseil à le faire peuvent étonner ; mais cela s'explique par le fait que le Conseil d'État, traditionnellement lorsqu'il examine la validité des ordonnances non ratifiées s'interdit de rechercher des normes de référence ailleurs que dans la loi d'habilitation, elle-même. Alors, le Conseil Constitutionnel lui donne, en quelque sorte, des munitions supplémentaires, en déterminant par avance les normes par rapport auxquelles le Conseil d'État pourra opérer son contrôle ».
L'édiction de telles réserves permet également l'exercice d'un contrôle plus strict des projets d'ordonnances, par les formations consultatives du Conseil d'État et des ordonnances elles-mêmes, par ses formations contentieuses (en cas de recours).
Il faut noter, à cet égard, que tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par une loi, les ordonnances sont des actes administratifs. En conséquence, elles sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État.
2. La marge d'initiative du Parlement
Mais, parallèlement, le Parlement n'est pas complètement dessaisi pendant la durée de l'habilitation.
Certes, normalement c'est au Gouvernement et non au Parlement qu'il revient d'intervenir dans les matières visées par la loi d'habilitation. Toutefois, l'intervention du Parlement est possible à défaut d'opposition de la part du Gouvernement.
L'article 41 de la Constitution indique en effet que dans le cas où une proposition ou un amendement « est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement peut opposer l'irrecevabilité ». Par sa décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, le Conseil Constitutionnel a confirmé le caractère facultatif de l'irrecevabilité fondée sur l'article 41. Si le Gouvernement ne s'y oppose pas, le Parlement peut donc légiférer dans des matières visées par une loi d'habilitation.
Surtout, il faut noter que dans le cas présent, le Parlement sera étroitement associée à l'élaboration des ordonnances puisque le Premier ministre a indiqué le 15 novembre dernier que « tout au long de la phase de mise au point des ordonnances, le Gouvernement informera et consultera les commissions compétentes du Parlement » . Le ministre du Travail et des Affaires sociales a précisé, lors de son audition devant votre commission, que les projets d'ordonnances seront ainsi soumis à l'examen des membres des commissions parlementaires avant leur publication.
Enfin, plus indirectement, on sait que le Parlement aura de nombreuses occasions d'évoquer au cours des prochaines semaines le dossier des réformes de la protection sociale et donc celui des ordonnances.
Outre les procédures habituelles notamment celles des questions au Gouvernement, plusieurs projets de loi vont être déposés au cours de la période correspondent au délai d'habilitation.
Le Gouvernement a non seulement évoqué le projet de loi de révision constitutionnelle sur le rôle du Parlement en matière de protection sociale mais également les réformes visant l'instauration d'un régime universel d'assurance maladie ou l'épargne-retraite.