B. EN RECOURANT AUX ORDONNANCES, LE GOUVERNEMENT S'ENGAGE A AGIR PLUS RAPIDEMENT ET PLUS EFFICACEMENT
Le fait que le Gouvernement demande au Parlement de l'autoriser à prendre par ordonnances, dans huit domaines précis, les mesures annoncées dans le cadre de la déclaration du 15 novembre dernier montre d'abord que le Gouvernement a la volonté d'agir rapidement, conformément à ses engagements.
Par ailleurs, cette méthode est cohérente avec l'urgence et l'importance des réformes à entreprendre.
1. L'urgence des réformes
L'urgence des réformes est patente. Chacun doit être conscient que si rien n'est fait, l'avenir de notre système de protection sociale sera compromis. Surtout, des mesures financières d'effets immédiats sont indispensables pour éviter les risques réels de « cessation de paiement ».
a) Éviter une cessation de paiement
Le plan gouvernemental comporte à cet égard un dispositif de sauvegarde axé sur un objectif : réduire de moitié le déficit prévisionnel des comptes sociaux dès 1996 et rétablir l'équilibre de la sécurité sociale en 1997.
Notre système de sécurité sociale vit largement « à crédit ». Les dettes à long terme du régime général atteignent fin 1995 près de 230 milliards qui se décomposent ainsi :
- 110 milliards de francs de déficits cumulés au 31 décembre 1993, qui ont été mis à la charge du Fonds de solidarité vieillesse ;
- 120 milliards de francs de déficits pour 1994 et 1995. Les frais financiers engendrés par ce dernier agrégat s'élèvent à 8 milliards.
Au total, selon le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale, le service de la dette en intérêts et en capital aurait dû représenter en 1996 un montant voisin des dépenses de la totalité des dépenses de la branche accidents du travail, soit 43 milliards de francs.
Pour faire face à ses besoins en disponibilités, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) a dû mobiliser dès le début de janvier 1995 et sans interruption depuis, non seulement les avances de trésorerie normales (plafonnées à 15 milliards) mais également les avances dites exceptionnelles (5 milliards) de la Caisse des dépôts et consignations.
Celles-ci n'étant pas suffisantes, l'ACOSS a dû solliciter, dès le 5 janvier 1995 le concours du Trésor pour un montant quotidien moyen de 34,3 milliards. Or, le taux de ces avances de Trésor est supérieur d'un point au taux du marché financier, soit un taux compris entre 6,5 et 7,3 %.
Solde journalier du compte ACOSS du 1er janvier au 31 décembre 1995
Les mesures envisagées par le Gouvernement sont à la hauteur de ces enjeux financiers.
Elles visent en premier lieu à apurer l'ensemble de la dette sociale constatée fin 1995 et à prendre en compte le déficit prévisionnel pour 1996 du régime général et de la Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes. Une caisse d'amortissement sera créée pour regrouper l'ensemble de ces découverts évalués à 250 milliards fin 1996 et l'amortir sur une période de treize ans. Le financement sera essentiellement constitué par un nouveau prélèvement appelé RDS, remboursement de la dette sociale.
Elles consistent par ailleurs à procéder à un rééquilibrage branche par branche du régime général, extrêmement rapide puisque le Gouvernement souhaite ramener le découvert prévisionnel global pour 1996 de 60 milliards à 17 milliards. Le cantonnement de la dette sociale à lui seul permet d'abaisser le déficit à 53,3 milliards. Le Gouvernement propose donc d'effectuer un effort supplémentaire de 36,7 milliards dès 1996.
Pour 1997, un excédent devrait être dégagé sur la base des hypothèses économiques et des prévisions de recettes arrêtées par la Commission.
Le Gouvernement s'est donc fixé des objectifs ambitieux à court terme qui requièrent une mise en oeuvre rapide des moyens correspondants.
b) Réduire le poids des prélèvements obligatoires
Par ailleurs, il convient de resituer la question des comptes sociaux dans l'ensemble du problème de la maîtrise des dépenses publiques. L'objectif du Gouvernement, clairement rappelé dans le projet de loi de finances pour 1996, est également d'opérer une réduction des déficits publics de façon à réamorcer une dynamique de croissance.
Comme l'a rappelé le ministre de l'économie, des finances et du plan le 20 septembre dernier lors de la présentation de son projet de loi de finances : « l'objectif reste plus que jamais d'actualité et on ne peut pas imaginer à aucun moment que cet échéancier ne soit pas tenu. La France entend respecter ses engagements internationaux et se conformer aux critères européens de convergence... Cette réduction du déficit de l'État... doit s'accompagner d'un effort de maîtrise des comptes sociaux. Cela exigera que des décisions substantielles de maîtrise de la dépense puissent résulter du grand débat social dont le Premier ministre a annoncé la tenue au mois de novembre 1995, mais aussi qu'une réforme profonde des assiettes soit engagée. »
Contributions obligatoires rapportées au produit intérieur brut total
(en %)
Certes, cette contrainte ne doit pas être surestimée mais conditionne la possibilité pour notre pays de rester parmi les grandes puissances européennes de demain.
2. Une efficacité plus grande
L'article 38 de la Constitution a été conçu pour renforcer l'efficacité de l'action du Gouvernement. Or, son application paraît particulièrement adaptée aux défis que le Gouvernement s'apprête à relever.
a) Une procédure contre les corporatismes
L'application de l'article 38 peut, en effet, faciliter l'action du Gouvernement.
Le Gouvernement peut d'abord prendre des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi. Cette possibilité permet ainsi au Gouvernement une unité d'action, notamment sur des sujets pour lesquels il existe une forte imbrication des dispositions à caractère réglementaire et celles à caractère législative, comme c'est le cas en matière sociale. Cet argument a été utilisé d'ailleurs en 1967 : « la frontière entre le domaine législatif et le domaine réglementaire est imprécise ; son seuil est difficile à établir... Étant donné l'urgence, le Gouvernement doit pouvoir utiliser, selon les cas, soit la voie de l'ordonnance, soit celle du règlement... » (Rapport Cot, JO Débats, mai 1967, p. 1063).
Par ailleurs, le Gouvernement peut s'opposer à ce que le Parlement intervienne dans les domaines pour lesquels il a obtenu l'autorisation de légiférer par ordonnances. En effet, l'article 41 de la Constitution permet d'opposer l'irrecevabilité s'il apparaît qu'une initiative parlementaire porte sur le domaine des délégations consenties par l'article 38 de la Constitution.
L'argument tiré de l'instauration de la session parlementaire unique ne peut être retenu en l'espèce.
En effet, la procédure législative est strictement réglementée, du passage en Conseil des ministres jusqu'à l'adoption définitive des projets de loi et rend incompressibles certains délais.
Or, nous sommes en fin d'année civile et de nombreuses mesures doivent être impérativement prises avant le début de l'année prochaine notamment pour éviter de soulever des problèmes comptables ou de trésorerie extrêmement complexes. Ces problèmes ne concernent pas seulement les régimes sociaux eux-mêmes mais également les entreprises appelées à contribuer au redressement des équilibres financiers.
Surtout, comme l'a souligné le Premier ministre, cette procédure vise à surmonter les corporatismes, d'où qu'ils viennent, qui pourraient freiner la réalisation de ces objectifs. Ces corporatismes sont essentiellement à l'origine de l'immobilisme ou des mesures encore trop timides engagées avant cette réforme.
Le présent Gouvernement a décidé de surmonter cet obstacle et c'est l'honneur du Parlement d'avoir, dès le 15 novembre dernier, manifesté son soutien à cette démarche courageuse.
b) Les expériences passées
Ce n'est donc pas un hasard si les réformes importantes en matière sociale sont intervenues par voie d'ordonnances que ce soit en 1945, en 1967, ou en 1982.
En octobre 1945, est intervenu par exemple la signature de trois ordonnances relatives à la protection sociale. D'abord le 4 octobre avec deux textes : le premier concernant les allocations familiales ; le second, plus connu, définissant la sécurité sociale, ses missions, son organisation. Quelques jours plus tard, le 19, sera signée l'ordonnance sur la protection des salariés de l'industrie et du commerce devant les risques couverts par les assurances sociales (assurance maladie, maternité, invalidité et accident du travail, assurance vieillesse, et les prestations familiales).
Mais comme on l'a rappelé en exergue de cette première partie, les principes posés alors sont toujours d'actualité et c'est d'ailleurs dans le respect de ceux-ci que le Gouvernement a pris l'engagement d'agir.
Par une loi du 22 juin 1967, le Parlement autorisa le Gouvernement à prendre, par ordonnances en application de l'article 38 de la Constitution, un certain nombre de mesures d'ordre économique et social, au premier rang desquelles figurait la réforme de la sécurité sociale. Celle-ci devait être réalisée par quatre ordonnances du 21 août 1967 consacrées respectivement à l'organisation administrative et financière de la sécurité sociale, à diverses mesures concernant les prestations d'assurance maladie et d'accidents du travail, aux prestations familiales, à l'assurance volontaire généralisée.
Ultérieurement deux autres ordonnances en date du 23 septembre 1967 vinrent apporter quelques retouches au régime d'assurance maladie des travailleurs indépendants créé par la loi du 12 juillet 1966 et poser des principes nouveaux pour la coordination et la fixation des tarifs des établissements privés de cure et de prévention.
Aux termes de la première et plus importante de ces ordonnances, trois innovations principales ont ainsi été introduites dans l'organisation administrative et financière du régime général de la sécurité sociale : la séparation des risques, la gestion paritaire des caisses, la création de caisses nationales dotées de responsabilités étendues.
Les ordonnances de 1967 furent également l'occasion pour l'État de réformer le financement du régime général. Plusieurs décisions marquèrent la période : les avances du Trésor public depuis 1966 furent transformées en subventions ; le taux de cotisation des assurances sociales augmenta de 0,75 % avec le déplafonnement de 3 % du taux d'assurance maladie ; une cotisation additionnelle aux primes d'assurance automobile fut instituée ; l'État versa 517 millions de francs au titre des charges indues (FNS, etc.).
Mais il convient de souligner que, contrairement au cas présent, le Gouvernement fit le choix d'une baisse des droits à remboursement des assurés sociaux : le ticket modérateur sur les soins de ville passa de 20 à 30 % (il reviendra à 25 % après les accords de Grenelle) ; l'ouverture minimum des droits aux prestations passa de 60 à 200 heures par trimestre.
En 1982, le Gouvernement de Pierre Mauroy a également légiféré par ordonnances en matière sociale. La loi d'habilitation du 6 janvier 1982 a ainsi permis l'édiction de 18 ordonnances.
Celles-ci ont concerné des domaines divers : réduction de la durée du travail, chèque-vacances, limitation du cumul emploi-retraite, abaissement de l'âge de la retraite, instauration d'une cinquième semaine de congés payés...
Il s'agit pour la majeure partie de mesures aujourd'hui revendiquées par l'opposition sans état d'âme.
Or on le voit bien la procédure était identique alors même que l'urgence n'apparaissait peut-être pas aussi évidente.