II. DES CRÉDITS DIMINUÉS DE 34 % POUR LE PROGRAMME 123 « CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER »

Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » se compose de huit actions et rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer. Il porte le financement des priorités suivantes : le logement social, l'aménagement du territoire (contrats de convergence et de transformation), les aides à la continuité territoriale, les dotations spéciales destinées à financer des projets structurants et/ou de reconversion) et le fonds exceptionnel d'investissement.

À ce titre, la baisse de 471 millions d'euros d'AE et de 314 millions d'euros en CP entre la LFI 2024 et le PLF 2025, soit respectivement 36,7 % et 34,1 % de moins, est particulièrement inquiétante. L'impact de la baisse de ces crédits risque d'être fortement ressenti dans les territoires ultra-marins. Le programme 123 représente ainsi 810,8 millions d'euros en AE et 605,8 millions d'euros en CP au PLF 2025.

La baisse de crédits est supportée essentiellement par l'action 2 « Aménagement du territoire », qui perd 132,8 millions d'euros, et par l'action 3 « Collectivités territoriales », qui baisse de 124,1 millions d'euros.

Ventilation de la baisse des crédits entre la LFI 2024 et le PLF 2025
du programme 123 « Conditions de vie outre-mer »

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

En proportion, l'ensemble des actions perd des crédits de façon marquée : l'action « Aménagement du territoire » est diminuée de 76,1 % entre 2024 et 2025, l'action « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports » perd 51,7 % de ses crédits, l'action « Collectivités territoriales » est diminuée de 38,4 %, le « fonds exceptionnel d'investissement » de 18,7 % et enfin la « continuité territoriale » de 17,6 %.

Évolution entre 2023 et 2025 des crédits des actions du programme 123 « Conditions de vie outre-mer »

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

A. LE FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL, UN BUDGET PRATIQUEMENT MAINTENU MAIS ENCORE TROP PEU ÉLEVÉ POUR RÉPONDRE AUX DEMANDES

La Ligne budgétaire unique (LBU), portée par l'action 1 du programme 123, finance :

- le développement du logement locatif social (PLS11(*) et LLS12(*)) et du logement locatif très social (LLTS13(*)) et la réhabilitation de ces logements (SALLS14(*)) ;

l'accession sociale - via le dispositif « logement évolutif social » (LES), mais également le PTZ15(*) et le PSLA16(*) - ainsi que l'amélioration de l'habitat des propriétaires via l'aide à l'amélioration de l'habitat (AAH) ;

- la résorption de l'habitat insalubre (RHI) et spontané (RHS) ainsi que l'aménagement et la viabilisation des terrains en vue d'assurer la constitution de réserves foncières grâce au fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU)17(*).

1. Un marché du logement particulièrement tendu en outre-mer
a) Des besoins importants structurellement en logements sociaux

Hormis la Guyane, les DROM sont des îles et archipels dans lesquels le foncier est rare et qui se prêtent parfois difficilement à la construction de logements. La situation géographique de ces territoires les expose également à des risques naturels importants générant ainsi une limitation, de fait, des terrains constructibles, renchérissant le coût de la construction et rendant nécessaire un effort permanent de construction, de réhabilitation et d'adaptation des logements.

De surcroit, les évolutions démographiques liées soit au vieillissement de la population (Martinique, Guadeloupe), soit à la forte croissance de la population (Guyane, Mayotte) et à un niveau de vie inférieur à l'hexagone créent un besoin de logements sociaux considérable. Ainsi, en dix ans, la population en outre-mer a augmenté de 5,4 %, alors que la hausse n'a été que de 3,4 % dans l'hexagone. En particulier, la hausse démographique a été de 42,7 % à Mayotte et de 23,3 % en Guyane (voir infra).

De plus, le PIB par habitant dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) représente en moyenne 57 % de la richesse par habitant de France métropolitaine (voir infra). Les importants écarts de revenu des habitants ultra-marins avec ceux de l'hexagone impliquent que ces populations ont des besoins forts en logements sociaux.

Il en résulte que 80 % de la population des DROM serait éligible au logement locatif social (LLS), contre 66 % dans l'hexagone, et que 70 % de la population serait même éligible au logement locatif très social (LLTS), contre 29 % dans l'hexagone.

b) Un parc social insuffisant

Les demandes annuelles en logement sociaux sont évaluées par le ministère des outre-mer entre 19 680 et 21 481 logements au total, dont plus de 6 500 pour la Province sud de Nouvelle-Calédonie, entre 3 300 et 3 900 logements en Guyane ou encore près de 1 200 à Mayotte.

Besoins annuels en logements sociaux dans les territoires ultramarins en 2023

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Or les logements sociaux disponibles restent insuffisants par rapport à la demande, malgré la construction année après année de nouveaux logements financés par l'action 1. Ainsi, le parc social et le logement intermédiaire correspondent à 19 % du volume total des résidences principales des territoires des départements et régions d'outre-mer (DROM), soit une baisse de 2 points de pourcentage par rapport à 2022. S'il est plus difficile de disposer de données actualisées pour les COM, au total, le parc social représente 17,8 % des résidences principales des territoires ultramarins.

Nombre de logements sociaux existants en 2023 dans les territoires d'outre-mer

Note : pour les COM, les données portant sur la résidence principale datent de 2020. Les autres données du tableau datent de 2023.

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

À Mayotte en particulier, le parc social ne représente que 2 % des résidences principales disponibles, alors que les besoins annuels en logement sont évalués à au moins 1 000 logements. En Polynésie française également, le parc social est particulièrement peu important, puisqu'il ne représente que 5 % des résidences disponibles.

c) Un nombre très élevé de logements insalubres

Les DROM présentent une proportion de logements indignes et insalubres nettement supérieure à l'hexagone. La direction générale des outre-mer a estimé qu'en 2022, les DROM comptaient près de 150 000 logements indignes et insalubres. Ainsi, 16,8 % des logements des DROM sont en réalité des logements indignes et insalubres, contre moins de 2 % dans l'hexagone. En particulier, Mayotte et la Guyane sont caractérisés par de grandes poches de logements indignes et informels, constituant de véritables bidonvilles. Près de 40 % des logements en Guyane et de 60 % à Mayotte sont indignes et insalubres.

Cette situation s'explique en partie par la construction d'un habitat informel important, notamment dans un contexte de pénurie de logements. La nature même de ces logements informels (auto-constructions sans déclaration et titres de propriété) rend leur recensement très complexe et peu fiable avec une multitude de situations hétérogènes allant de l'habitat dégradé à indigne voire insalubre.

Nombre de logements indignes et insalubres dans les DROM en juillet 2022

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

En ce sens, le Plan logement en outre-mer de troisième génération (PLOM 3), en cours d'élaboration, doit impérativement contenir une stratégie large tendant à remplacer ces logements temporaires en habitats pérennes et salubres.

2. Un soutien marqué mais encore insuffisant de l'État au logement social en outre-mer
a) Un retour de la LBU au niveau de crédits de 2023

Entre la LFI 2024 et le PLF 2025, l'action 1 « Logement » enregistre une baisse de 11 %, soit 32 millions d'euros, en AE et une baisse de 5 %, soit près de 10 millions d'euros, en CP. L'action compte ainsi 259 millions d'euros en AE et 184,1 millions d'euros en CP au PLF 2025.

Évolution des crédits ouverts en LFI entre 2011 et 2025

(en euros)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La LBU retrouve pratiquement le même niveau de crédits que celui qu'elle avait en 2023. Il est toutefois à noter que l'inflation entre janvier 2023 et octobre 2024 a été de 6,6 %. Ainsi, en euros constants, le montant des crédits de la LBU est inférieur en 2025 de 10 millions d'euros à son niveau de 2023. Par rapport à 2015, la LBU a même perdu 25 % de ses crédits.

Au regard des enjeux de mal logement en outre-mer, et en vue de l'élaboration du PLOM 3, une telle baisse de crédits est particulièrement regrettable, d'autant plus que les documents budgétaires ne précisent pas quelles sont les sous-actions (accroissement du nombre de logements sociaux, accession sociale à la propriété etc.) qui vont être les plus touchées. Une telle information devrait être réintégrée dans le PAP, après sa disparition dans les PLF 2024 et 2025.

b) Une consommation en hausse des crédits

De plus, même si les crédits de la LBU ne sont toujours pas consommés intégralement, le niveau d'exécution s'est tout de même amélioré depuis 2021. La consommation des crédits de LBU s'était en effet écroulée entre 2014 et 2019, puis à nouveau en 2021, où le niveau d'exécution des crédits n'était que de 83 %.

Ainsi, en 2023, dernière année pour laquelle la consommation est disponible, près de 96,3 % des crédits ont été consommés. Seuls 6,8 millions d'euros n'ont pas été utilisés. Il s'agit d'une nette amélioration par rapport à 2022, où 87 % des crédits seulement avaient été exécutés, soit une sous-consommation de 26,5 millions d'euros.

Le niveau de crédits décidés au PLF 2025, identique à celui de 2023, devrait donc pouvoir être exécuté avec l'ingénierie existante dans les collectivités ultramarines. Toutefois, notamment au vu de l'importance des restes à payer sur la mission outre-mer, un renforcement de l'ingénierie est toujours important.

Évolution des crédits ouverts et consommés pour la Ligne budgétaire unique
entre 2011 et 2025

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

c) Des efforts significatifs, quoiqu'insuffisants, accomplis dans le cadre des PLOM 1 et 2

Les objectifs suivants ont été fixés pour 2025 en matière de logements sociaux dans les DROM :

- la construction de 4 100 logements locatifs sociaux, très sociaux, très sociaux adaptés et spécifiques ;

- l'accession à la propriété pour 100 logements ;

- l'amélioration de 4 280 logements sociaux ;

- l'amélioration de 1 000 logements privés ;

- la construction de 992 prêts locatifs sociaux.

La fixation de ces objectifs est dans la continuité de la loi18(*) du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM) qui a prévu, dans son article 3, une cible de construction de 150 000 logements neufs et réhabilités dans les outre-mer entre 2017 et 2027, soit près de 15 000 logements neufs et réhabilités par an. L'objectif de production de logements directement subventionnés par l'État s'établit, pour sa part, à environ 130 000 logements sur 10 ans.

 Cette exigence a notamment guidé le Plan logement outre-mer 2019-2023 (PLOM 2), qui suivait le PLOM 1 de 2015-2019. La différence majeure entre le PLOM 1 et le PLOM 2 résidait dans l'ambition affichée de prendre plus spécifiquement en compte les particularités de chaque DROM, partant du constat que le PLOM 1 était insuffisamment différencié par territoire. Des objectifs chiffrés par territoire ont été fixés dans ce cadre.

Objectifs annuels territorialisés de production de logements
bénéficiant de subventions de l'État

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Il est difficile d'affirmer que ces objectifs ont été remplis. Ainsi, entre 2017 et 2023, au total dans les DROM, 70 383 logements ont été construits grâce à une aide de l'État, dont 42 % grâce aux dispositifs fiscaux. En six ans, la cible de 130 000 logements produits subventionnés par l'État sur 10 ans n'a été atteinte qu'à 54 %. Il apparait donc assez peu probable que l'objectif soit atteint en 2027. En 2025 en particulier, 8 128 logements ont été produits, dont 3 163 logements neufs et 882 logements réhabilités financés grâce à la LBU.

Évolution du nombre de logements aidés, annuellement et en cumulé,
entre 2018 et 2023

Note : les logements sont réhabilités ou construits à neuf grâce au financement de la LBU.

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Aucun des DROM ne parvient d'ailleurs à remplir les objectifs annuels de construction de logements neufs, même La Réunion, qui a pu en construire 1 732 en 2023, pour un objectif estimé entre 2 000 et 2 500. C'est la Martinique qui a construit le moins de logements neufs, en 2023, avec 266 logements livrés.

Nombre de logements neufs livrés entre 2017 et 2023

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

De surcroit, le PLOM 2 ne faisait aucune mention des objectifs de la stratégie19(*) nationale du Logement d'abord (LDA), alors que certains territoires ultra marins, en particulier Mayotte et la Guyane, comptent un grand nombre de personnes sans domicile.

À contre-courant même de cette stratégie, le Plan prévoyait la construction d'hébergements temporaires en Guyane et à Mayotte pour accueillir transitoirement les occupants des bidonvilles dont les modalités d'évacuation et de destruction ont été accélérées par l'article 1971 de la loi20(*) ELAN.

Dans ce contexte, il semble utile d'intégrer, dans le prochain PLOM, un volet dédié au logement des sans abri.

d) Un plan logement en outre-mer de troisième génération (PLOM 3) en cours d'élaboration

Le PLOM 2 (2019-2023) comportait 77 mesures, autour de 4 axes : mieux connaître et mieux planifier pour mieux construire, adapter l'offre aux besoins des territoires, maîtriser les coûts de construction et de réhabilitation et accompagner les collectivités territoriales en matière de foncier et d'aménagement.

Si une mission d'évaluation du PLOM 2 a été confiée à l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), il convient de noter que le PLOM 2 ne contenait aucun objectif chiffré.

Le PLOM 3, en cours d'élaboration, devrait être finalisé d'ici la fin 2024. Il devrait comprendre un volet territorial, avec des priorités spécifiques à chaque DROM, et un volet transversal, autour de 4 priorités :

- accélérer la construction et la rénovation de logements sociaux et très sociaux ;

- intervenir sur l'habitat privé à destination ménages modestes et très modestes ;

- améliorer la résilience des territoires aux risques et changement climatique ;

- appuyer les territoires dans la mise en oeuvre de leurs PLOM territoriaux.

Par ailleurs, chaque DROM se dote d'outils d'observation et de connaissance des logements indignes et insalubres. Ainsi, à La Réunion, la DEAL déploie un outil commun unique au niveau des 5 EPCI de l'île permettant d'alimenter de manière harmonisée les données de l'observatoire LHI animé par l'Agorah, agence d'urbanisme de La Réunion.

Il est toutefois regrettable qu'aucun axe du PLOM 3 ne soit spécifiquement dédié ni à la rénovation des logements insalubres et indignes, ni à l'insertion dans le logement des personnes sans-abri. Les rapporteurs spéciaux seront particulièrement attentifs par ailleurs à la déclinaison territoriale du PLOM 3.


* 11 Prêt locatif social.

* 12 Logement locatif social.

* 13 Logement locatif très social.

* 14 Subvention à l'amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale.

* 15 Prêt à taux zéro.

* 16 Prêt social de location accession.

* 17 Le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) coordonne les interventions financières de l'Union européenne, de l'État, des collectivités territoriales, en vue d'assurer la constitution de réserves foncières et la réalisation d'équipements.

* 18 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

* 19 Lancé en septembre 2017 à Toulouse par le Président de la République, le plan pour le Logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme fait de l'accès direct au logement une priorité pour la réinsertion des personnes sans domicile.

* 20 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

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