B. DES DÉFIS MAJEURS À RELEVER POUR LES TERRITOIRES ULTRA-MARINS

1. Un coût de la vie élevé renforcé par la crise inflationniste récente : la lutte contre la vie chère, une priorité

L'année 2023 a été marquée par une inflation élevée, de 4,9 % en France, malgré un ralentissement en fin d'année par rapport à 2022. Toutefois, les outre-mer ont bénéficié des mécanismes de lutte contre l'inflation, tels que le filet de sécurité. Ainsi, l'inflation a été globalement plus faible en outre-mer que dans l'ensemble de la métropole en 2023, s'élevant à 3,9 % en Guadeloupe, à 4,2 % en Martinique ou encore à seulement 1,8 % en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, la tendance est inversée début 2024, témoignant d'un effet de rattrapage : alors que l'inflation annuelle s'élève à 2,2 % en France en juin 2024, elle est supérieure à 3,2 % dans les DROM, pour atteindre 3,7 % en Guadeloupe et en Guyane, 3,6 % à Mayotte, 3,4 % à La Réunion et 3,2 % à la Martinique. L'inflation ressentie en métropole en 2023 a probablement un impact avec retard en outre-mer en 2024.

Taux d'inflation en outre-mer

Source : commission des finances du Sénat à partir des données de l'IEOM, de l'INSEE, de l'ISEE et de l'ISPF

La crise inflationniste a été d'autant plus durement ressentie que le coût de la vie est élevé en outre-mer. Les prix sont significativement plus importants dans les territoires ultra-marins que dans l'hexagone. Ainsi, selon l'INSEE2(*), les prix sont plus hauts de 15,8 % en Guadeloupe par rapport à l'hexagone, de 13,8 % en Martinique, de 13,7 % en Guyane et de 10,3 % à Mayotte.

Écarts de prix entre les DROM et la France métropolitaine en 2010, 2015 et 2022

(en %)

Nd : non déterminé. Les données sont exprimées en pourcentage par rapport aux prix constatés en France métropolitaine.

Source : commission des finances du Sénat à partir des données Insee

De multiples facteurs concourent à la cherté de la vie dans les outre-mer : en particulier, l'insularité de la plupart des territoires ultra-marins et la dépendance forte aux importations, renforcent les coûts. Les contraintes géographiques particulières des territoires d'outre-mer, et notamment l'exposition aux catastrophes naturelles telles que les séismes ou les inondations, concourent à renforcer le niveau des prix. Enfin, l'exiguïté du marché dans des territoires souvent isolés constitue un frein aux économies d'échelle.

Limiter la dépendance aux importations permettrait toutefois de lutter contre une partie des phénomènes sous-jacents à la cherté de la vie. Ainsi, l'autonomie alimentaire des territoires ultra-marins, devant être achevée à horizon 20303(*), constitue un objectif particulièrement central en ce sens.

2. Une transition environnementale aux enjeux particulièrement complexes

La transition environnementale constitue un défi aux implications spécifiques dans les territoires ultra-marins. En particulier, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte4(*) définit l'autonomie énergétique, c'est-à-dire la capacité à produire sa propre énergie en autonomie pour satisfaire ses besoins, comme objectif à accomplir d'ici 2030 dans les territoires ultra-marins.

Le taux d'indépendance énergétique, c'est-à-dire le rapport entre la production territoriale d'énergie et sa consommation finale, n'est toutefois pas encore de 100 % dans les territoires ultra-marins : il est de 83 % en Guadeloupe, 92 % en Martinique, 86 % à La Réunion ou encore 94 % en Polynésie française5(*). Des investissements élevés sont encore nécessaires pour permettre l'autonomie énergétique en outre-mer.

De plus, la plupart des territoires ultra-marins dépendent de centrales thermiques fonctionnant au charbon et au fioul, à l'exception notable de la Guyane, qui présente un mix électrique composé à plus de 70 % d'énergies renouvelables. La part des énergies renouvelables représente un quart à un tiers du mix électrique des Antilles et de La Réunion, à hauteur de 34,7 % en Guadeloupe par exemple, et 28,2 % du mix en Polynésie française.

Parvenir à un mix énergétique composé intégralement d'énergies renouvelables nécessite donc des investissements particulièrement importants et encore insuffisamment mis en oeuvre.

Les zones non interconnectées (ZNI), qui comprennent les DROM et certaines collectivités d'outre-mer (sans toutefois inclure la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie) font déjà l'objet d'investissements particuliers en raison de leurs spécificités. Ainsi, selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), le coût du mégawattheure est en moyenne de 326 euros en 2023 dans les ZNI en raison des contraintes spécifiques de production, alors qu'il était de 279,4 euros dans l'ensemble de la France. Pour compenser ces coûts, une péréquation tarifaire est mise en oeuvre chaque année, et s'est élevée à 2,5 milliards d'euros au titre de 2023 pour les ZNI. Toutefois, les objectifs d'autonomie énergétique et de renforcement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique impliquent un renforcement des moyens budgétaires mis en oeuvre.

La transition écologique implique de plus une adaptation aux conséquences du réchauffement climatique via des politiques propres aux territoires ultra-marins, particulièrement exposés aux catastrophes naturelles. Le Fonds Barnier, qui constitue le principal instrument budgétaire pour financer les politiques de prévention des catastrophes naturelles, a été doté en 2023 de 42 millions d'euros à destination des territoires d'outre-mer (soit 20 % des ressources totales du fonds). Les financements sont toutefois utilisés à 76 % pour permettre les actions de confortement parasismique des bâtiments, dans le cadre du plan séisme Antilles6(*). Si ces financements sont nécessaires, ils ne contribuent pas à l'adaptation aux conséquences à venir du réchauffement climatique. Davantage de financements sont nécessaires pour permettre la prévention des catastrophes naturelles amenées à croître en nombre et en intensité dans les territoires ultra-marins particulièrement exposés.

Les conséquences du réchauffement climatique en termes notamment de canicules mettent également en exergue une difficulté importante des territoires ultra-marins, à savoir la question de la gestion de l'accès à l'eau potable. Les rapporteurs spéciaux ont d'ailleurs chargé la Cour des comptes de remettre au Sénat un rapport portant sur la gestion de l'eau et de l'assainissement en outre-mer, au titre de l'article 58-2 de la Constitution.

Sur la question de la transition écologique des territoires d'outre-mer, les annonces du CIOM sont très ciblées (déplacer le village de Miquelon en risque submersion, réviser le plan Eau DOM...) et ne concernent pas le développement des énergies renouvelables. À ce stade, la mesure 63 prévoit simplement de définir en 2024 une stratégie d'atténuation et d'adaptation au changement climatique pour chaque territoire.

Les rapporteurs spéciaux appellent de leurs voeux un volet spécifique au développement des énergies renouvelables incluant les modalités de financement y afférentes.


* 2 Enquête de comparaison spatiale des prix 2022, INSEE première n° 1958, juillet 2023.

* 3 D'après une annonce du Président de la République en 2019.

* 4 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 5  Quelles transitions énergétiques pour les outre-mer ? Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), mars 2024.

* 6 Selon le Rapport public annuel de la Cour des comptes, 12 mars 2024.

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