N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2023,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 7
Conseil et contrôle de l'État

Rapporteur spécial : M. Christian BILHAC

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 3, 291 et T.A. 3

Sénat : 32 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. L'exécution 2023 connait une légère baisse de la consommation d'autorisations d'engagement (AE) en volume (808,2 millions d'euros en 2023 contre 826,4 millions d'euros en 2022, soit - 2,2 %), qui s'explique par une consommation d'AE exceptionnellement haute en 2022, et masque une hausse tendancielle de la consommation d'AE depuis 2020. Parallèlement, la consommation de crédits de paiement (CP), qui s'élève à 793,5 millions d'euros en 2023, a augmenté de 44,1 millions d'euros (+ 5,9 %) et s'inscrit dans la continué de la hausse de 2022. Cette tendance haussière des crédits consommés est intrinsèquement liée à celle des dépenses de personnel (titre 2) qui représentent plus de 80 % des crédits de la mission. La consommation des dépenses de personnel en CP a en effet progressé de 5,0 % en 2023, après une première hausse marquée de 5,4 % en 2022, du fait de l'augmentation des plafonds d'emplois combinés à des mesures catégorielles et indemnitaires.

2. La sous-exécution des crédits en 2023 (89,4 % en AE et 97,1 % en CP par rapport à la LFI, hors fonds de concours et attributions de produits) et l'évolution maitrisée de dépenses en volume par rapport à 2022 (- 2,2 % en AE et + 5,9 % en CP), amènent le rapporteur spécial à s'accorder avec la Cour des comptes dans le constat d'une exécution 2023 ne laissant pas transparaitre de dérives de dépenses par rapport aux crédits prévus en LFI.

3. En 2023, les crédits de l'ancien programme 340 « Haut Conseil des Finances publiques », supprimé par la LFI 2023, ont été intégrés au sein du programme 164, contribuant à la rationalisation de la maquette budgétaire de la mission.

4. Le manque de lisibilité des informations budgétaires relatives au CESE est regrettable et conduit à des divergences de données entre les différents documents budgétaires. Ces incohérences nuisent à la transparence de l'exécution réelle des crédits et complexifient le suivi de leur évolution dans le temps.

5. L'exécution budgétaire 2023 des trois programmes s'inscrit dans le contexte de mise en oeuvre de réformes et de plan d'action structurants : réforme de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) impliquant notamment sa territorialisation et la généralisation du juge unique ; entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2023 du nouveau régime unique de responsabilité financière des gestionnaires publics et création de la chambre du contentieux et de la Cour d'appel financière de la Cour des comptes ; poursuite de la réforme du CESE de 2021 remaniant la composition de la chambre et consacrant son rôle dans la promotion de la participation citoyenne. Ces réformes affectent profondément le fonctionnement, les missions et les ambitions de ces institutions, en même temps qu'elles soulèvent des questions de gestion et d'équilibre budgétaires.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION « CONSEIL ET CONTRÔLE DE L'ÉTAT » EN 2023 

La mission « Conseil et contrôle de l'État » se compose désormais de trois programmes :

- Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » dont le responsable est le vice-président du Conseil d'État, vise à garantir le respect du droit par l'administration. Il regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux cours administratives d'appel, aux tribunaux administratifs et à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

- Le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », qui intègre désormais le périmètre de l'ancien programme 340 « Haut-Conseil des finances publiques », dont le responsable est le Premier président de la Cour des comptes, regroupe les moyens affectés à la Cour et aux chambres régionales et territoriales des comptes, qui ont pour mission de s'assurer du bon emploi de l'argent public, ainsi qu'au Conseil des prélèvements obligatoires et à la Cour d'appel financière qui a succédé à la Cour de discipline budgétaire et financière.

- Le programme 136 « Conseil économique, social et environnemental », dont le responsable est le président du CESE, est destiné à financer cet organe consultatif, qui a pour mission de représenter les principales activités du pays, favoriser leur collaboration et assurer leur participation à la vie économique, sociale et environnementale

Évolution de l'exécution des crédits de la mission
« Conseil et contrôle de l'État » entre 2022 et 2023
*

(en millions d'euros et en %)

 

2022

2023

Évolution de l'exécution entre 2022 et 2023

Prévision LFI*

Exécution PLRG

Taux exécution

Prévision LFI*

Exécution PLRG

Taux exécution

En volume

En %

165 - Conseil d'État et autres juridictions administratives

AE

442,0

553,2

125,2 %

611,9

516,2

84,4 %

- 37,0

- 6,7 %

CP

481,1

476,3

99,0 %

525,0

501,3

95,5 %

+ 25,0

+ 5,3 %

164 - Cour des comptes et autres juridictions financières**

AE

227,0

233,2

102,7 %

247,4

243,7

98,5 %

+ 10,5

+ 4,5 %

CP

227,9

233,0

102,2 %

274,4

246,0

99,4 %

+ 13,0

+ 5,6 %

126 - Conseil économique, social et environnemental

AE

44,6

40,0

89,7 %

45,1

48,4

107,2 %

+ 8,4

+ 21,0 %

CP

44,6

40,1

90,0 %

45,1 %

46,2 %

102,5 %

+ 6,1

+ 15,3 %

Total mission

AE

713,6

826,4

115,8 %

904,5

808,2

89,4 %

- 18,2

- 2,2 %

CP

753,7

749,4

99,4

817,6

793,5

97,1 %

+ 44,1 

+ 5,9 %

* Hors fonds de concours (FdC) et attributions de produits (AdP).

** En incluant les crédits de l'ancien programme 340 « Haut Conseil des Finances publiques » pour l'année 2022.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En 2023, contribution au CAS (compte d'affectation spéciale) « Pensions » comprise, les dépenses de la mission « Conseil et contrôle de l'État » se sont élevées à 808,2 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 793,5 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une baisse de - 2,2 % pour les AE et une hausse de 5,9 % pour les CP par rapport à 2022.

1. Un taux d'exécution des crédits de la mission relativement homogène et stable bien que tributaire de l'exécution du programme 165

Le taux d'exécution des crédits de la mission est tributaire de l'exécution des crédits du programme 165 « Conseil d'État et juridictions administratives » qui représentent près de 65 % des crédits programmés en AE et en CP en LFI 2023, hors FdC et AdP. Ainsi, la sous-exécution des AE de la mission (89,4 %) doit principalement à la sous-exécution des AE du programme 165 (84,4 %) en raison notamment d'autorisations d'engagement affectées non engagées (AENE) sur des opérations d'investissements, d'une modification calendaire de certaines dépenses d'investissement, ou encore d'une masse salariale et de dépenses de fonctionnement inférieures aux prévisions (cf. II.A.3). De la même façon, la légère sous-exécution des CP (97,1 %) s'explique par un écart entre les prévisions et la réalisation de dépenses de fonctionnement et d'investissement du programme 165.

La légère sous-exécution des crédits en 2023 et l'évolution maitrisée de dépenses en volume par rapport à 2022 (- 2,2 % en AE et + 5,9 % en CP), amène le rapporteur spécial à s'accorder avec la Cour des comptes dans le constat d'une exécution 2023 ne laissant pas transparaitre de dérives de dépenses par rapport aux crédits prévus en LFI1(*). Le rapporteur spécial note par ailleurs que les taux d'exécution des programmes sont plus homogènes qu'en 2022.

2. Une nouvelle hausse significative des dépenses de personnel principalement imputables aux revalorisations indemnitaires des magistrats administratifs et financiers depuis 2022

Les dépenses de personnel (titre 2) représentent plus de 80 % des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État » consommés en 2023.

Elles continuent de poursuivre une hausse continue depuis 2019, mais plus marquée depuis 2022. En effet, alors que les crédits de paiement de titre 2 exécutés avaient progressés de 6 millions d'euros entre 2020 et 2021 (+ 0,5 millions d'euros), ceux-ci ont augmenté de 32 millions d'euros entre 2021 et 2022 (+ 5,4 %), puis à nouveau de 31 millions d'euros (+ 5,0 %) entre 2022 et 2023 (cf. graphique). Cette tendance s'explique par des mesures catégorielles et indemnitaires entrainant une hausse de la masse salariale dans le contexte de la mise en oeuvre de la réforme de la haute fonction publique et la revalorisation du point d'indice. À cela s'ajoute l'augmentation des plafonds d'emplois des trois programmes (67 équivalents temps plein travaillés (ETPT) pour l'ensemble de la mission) nécessaire pour permettre aux juridictions administratives et financières de faire face à la hausse de leur activité et leur donner les moyens de conduire de nouvelles missions (valorisation de la participation citoyenne par le CESE, développement du contentieux de l'asile pour la CNDA, missions d'audit international par la Cour des comptes).

Évolution des dépenses de la mission (en CP) entre 2019 et 2023*

(en millions d'euros)

* Les données présentées s'appuient uniquement sur les données des rapports annuels de performances (RAP) établis par la direction du budget du ministère de l'économie et des finances. Les totaux pour l'année 2023 peuvent donc présenter de légères divergences avec ceux mentionnés par ailleurs dans le présent rapport car ces derniers ont pris en compte les données comptables produites par le CESE. Le rapporteur spécial renvoie à sa réserve exprimée concernant le manque de lisibilité et de cohérence de informations budgétaires relatives au CESE (cf. II.C.1.).

** y compris FdC et AdP.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les rapports annuels de performances (RAP) de la mission « Conseil et contrôle de l'État »

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL PAR PROGRAMME

A. LE PROGRAMME 165 « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

1. Une maitrise des délais de jugement satisfaisante permise par l'allocation de moyens budgétaires adaptés

Le principal enjeu de la mission Conseil et contrôle de l'État demeure l'adéquation des moyens du programme 165 avec la croissance continue du contentieux administratif, en particulier dans le cadre de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). La baisse des AE consommées entre 2022 et 2023 ou la sous exécution des AE et des CP en 2023 par rapport aux prévisions de la LFI ne sont pas alarmantes et ne doivent pas masquer une hausse de long terme des AE et des CP prévus et consommés qui répond à l'accroissement de l'activité juridictionnelle.

Évolution de l'exécution des crédits du programme 165 (2021-2023)

(en millions d'euros)

Source : Commission des finances du Sénat, d'après les RAP de la mission « Conseil et contrôle de l'État »

Délai moyen constaté de jugement par niveau de juridiction administrative,
y compris procédures d'urgence

 

2021 réalisation

2022 réalisation

2023 cible

2023 réalisation

Conseil d'État

7 mois et 8 jours

7 mois et 14 jours

9 mois

7 mois et 8 jours

Cours administratives d'appel

11 mois et 15 jours

11 mois et 18 jours

11 mois

11 mois et

16 jours

Tribunaux administratifs

9 mois et 16 jours

9 mois et 20 jours

10 mois

9 mois et 20 jours

CNDA - procédures ordinaires

8 mois et 16 jours

7 mois et 5 jours

6 mois

6 mois et 26 jours

CNDA - procédures accélérées

17 semaines

5 mois et 8 jours

6 semaines

4 mois et 29 jours

Source : Commission des finances du Sénat, d'après le RAP « Conseil et contrôle de l'État » annexé au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023

Le délai moyen constaté de jugement des affaires en 2023 est de 7 mois et 8 jours pour le Conseil d'État (- 6 jours par rapport à 2022). Le respect, par le Conseil d'État, de délais moyens constatés inférieurs à la cible définie dans les projets annuels de performances (PAP) pour les trois dernières années est notamment lié à la progression des référés sur lesquels le juge statue dans des délais courts. Par ailleurs, les cours administratives d'appel (CAA) et les tribunaux administratifs (TA) parviennent à stabiliser, voire à réduire légèrement, les délais de jugement, alors même que les premières sont ralenties par le traitement de dossier lourds et anciens comme ceux concernant l'urbanisme, et que les seconds composent avec une forte augmentation des dossiers enregistrés (+ 6,7 % en 2023 par rapport à 2022, année aux statistiques déjà historiquement hautes avec plus de 250 000 requêtes) surmontée grâce à l'augmentation du nombre de dossiers traités par magistrat de TA (+ 2 %).

Concernant la CNDA, en l'espace d'une dizaine d'années, le nombre de recours portés devant la juridiction du droit d'asile a plus que doublé, s'élevant à plus de 60 000 par an depuis 2021. Pour faire face à cet afflux, le rapporteur spécial a pu constater à l'occasion de son récent contrôle budgétaire sur la CNDA2(*) que la Cour a augmenté ses capacités de jugement grâce, notamment, à des recrutements importants, à la professionnalisation des juges de l'asile soumis à une norme élevée, à un rythme soutenu du traitement des affaires, à la dématérialisation des procédures, complétée par des audiences foraines en outre-mer afin de résorber les stocks. Ainsi, depuis 2021, la Cour a un taux de couverture excédentaire, c'est-à-dire qu'elle juge plus d'affaires que le nombre de recours introduits sur l'année.

Le délai moyen global constaté à la CNDA est correct, dans la mesure où il s'établit à 6 mois et 3 jours pour 2023. Il masque toutefois des disparités territoriales, notamment dans les outre-mer, mais aussi selon le type de procédure : tandis que le délai moyen est de 6 mois et 26 jours en procédure normale en 2023, il est de 4 mois et 29 jours pour les procédures accélérées, loin du délai de cinq semaines fixé par le législateur. Comme exposé à l'occasion du contrôle budgétaire sur la CNDA susmentionné, le rapporteur spécial considère qu'un allongement du délai cible à trois mois pour les procédures accélérées serait plus réaliste.3(*)

Le rapporteur spécial tient à souligner l'importance de la maîtrise de ces délais, dès lors qu'une réduction d'un mois du délai de jugement peut produire une économie de 91 millions d'euros, qui correspond au coût mensuel de la prise en charge des demandeurs d'asile, hors dépenses de santé et d'éducation.

Le rapporteur spécial constate qu'en mettant de côté les dépenses d'investissement exceptionnelles immobilières liées au relogement de la CNDA avec le tribunal administratif de Montreuil, les dépenses agrégées de personnel et de fonctionnement ont été multipliées par 2,8 depuis 2010 et suivent globalement l'évolution du nombre de recours quant à lui multiplié par 2,4 entre 2010 et 20234(*).

2. Une augmentation tendancielle des dépenses de personnel et une exécution stable du schéma d'emploi masquant néanmoins des politiques de ressources humaines perfectibles

Les dépenses de personnel du programme 165, hors CAS Pensions, sont passées de 284,3 millions d'euros en 2022 à 299,8 millions d'euros de CP et d'AE en 2023. Cette augmentation de 5,4 % s'inscrit dans la même tendance que la hausse constatée (+ 5,6 %) entre les exécutions 2021 et 2022.5(*) Les principaux facteurs d'évolution à la hausse de la masse salariale, hors CAS Pensions, sont les revalorisations du point d'indice (+ 5,1 millions d'euros) l'impact d'un schéma d'emploi positif (+ 3,9 millions d'euros), et diverses mesures catégorielles (+ 2,4 millions d'euros).

La consommation 2023 du plafond d'emplois s'élève à 4 261 ETPT soit une augmentation de 42 ETPT par rapport à la consommation 2022. Cette hausse résulte de l'impact du schéma d'emplois réalisé en 2023 (+ 21 ETPT pour 38 créations d'emplois) et de l'extension en année pleine du schéma d'emplois 2022 (+ 20,5 ETPT). La légère sous-consommation du plafond d'emplois autorisé (4 330 ETPT) est stable par rapport à 2022 (69 ETPT en 2023, contre 67 ETPT en 2022).

Le rapporteur spécial reconnait la mobilisation de moyens budgétaires permettant le renforcement des juridictions administratives. Cependant, il tient à rappeler que les seules appréciations quantitatives (augmentation de l'enveloppe budgétaire, pleine consommation du schéma d'emplois...) sont insuffisantes pour rendre compte de la réalité qualitative des moyens humains déployés et de l'efficacité des juridictions administratives. Ainsi, concernant la CNDA, qui a pourtant largement bénéficié des créations d'emplois du programme 165 depuis 2018, le rapporteur spécial a constaté que les politiques de formation et de gestion des ressources humaines de la cour demeuraient perfectibles : absence d'obligation de formation des juges de l'asile, manque d'attractivité des postes de rapporteurs induisant une très forte mobilité de ces derniers et donc des surcoûts de gestion6(*).

3. Une sous-exécution significative des AE et une baisse relative du taux d'exécution des CP principalement liées aux dépenses d'investissement et de fonctionnement

Les AE consommées sont passées de 553,2 millions d'euros en 2022 à 516,2 millions d'euros en 2023 (- 6,7 %). Cette baisse apparente, qui s'explique d'une part par une consommation d'AE exceptionnellement haute en 2022 du fait de reports des AENE au bénéfice d'importantes dépenses d'investissement, et d'autre part par une sous-consommation des AE prévues en LFI 2023 (taux d'exécution de 84,4 % en 2023 contre 125,2 % en 2022), masque une hausse tendancielle de la consommation d'AE depuis 2020 (+ 13 %). La sous-exécution des AE en 2023 résulte concomitamment d'AENE sur des opérations d'investissements (seules 6,1 millions d'euros des 47,8 millions d'euros d'AE prévues en LFI pour les immobilisations corporelles de l'État ont été consommées), d'une évolution des conditions de durée de renouvellement du bail du site Richelieu, d'une progression de la masse salariale inférieure aux prévisions, ainsi que de dépenses de fonctionnement (frais de justice, frais postaux, interprétariat, consommables, dépenses courantes ...) significativement inférieures à celles prévues en LFI 2023 (103,8 millions d'euros d'AE consommées contre 153,4 millions d'euros prévues en LFI 2023).

Les CP consommés ont atteint 501,3 millions d'euros en 2023 (+ 5,3 %), avec un taux d'exécution des crédits prévus en LFI qui régresse légèrement, passant de 99 % en 2022 à 95,5 % en 2023. Cette sous-exécution s'explique d'une part, par une sous-consommation de 8,9 millions d'euros des dépenses de fonctionnement (frais de justice, fonctionnement courant, informatiques et immobiliers relevant du titre 3), et d'autre part par un écart de 8,8 millions d'euros entre les dépenses d'investissement prévues et celles exécutées en raison notamment d'un décalage de calendrier dans la réalisation de certaines opérations immobilières.

B. LE PROGRAMME 164 « COUR DES COMPTES ET AUTRES JURIDICTIONS FINANCIÈRES »

1. Une exécution 2023 en hausse, sous l'effet des dépenses de personnel

La programmation budgétaire du programme 164 a intégré des mesures de périmètre, et de transfert ainsi qu'une évolution à la hausse des dépenses principalement tributaire de l'augmentation des dépenses de personnel qui représentent plus de 85 % des crédits du programme.

Au contraire de la sur-exécution constatée en 2022, le programme 164 affiche une légère sous-exécution des crédits prévus en LFI 2023, hors FdC et AdP, avec un taux d'exécution de 98,5 % en AE et 99,4 % en CP. Cependant, en volume, les crédits consommés sont en hausses par rapport à 2022 : + 10,5 millions d'euros en AE (+ 4,5 %) et + 13 millions d'euros en CP (+ 5,6 %).

Cette augmentation des crédits consommés s'explique notamment par la hausse de la masse salariale. Cette dernière résulte, d'une part, des effets en année pleine de mesures catégorielles introduites en 2022, et d'autre part, de nouvelles mesures intervenues en 2023. Ainsi, l'harmonisation des rémunérations des hauts fonctionnaires et les reclassements induits au 1er juillet 2023 dans le cadre de la mise en place du nouveau corps des administrateurs de l'État a entrainé un coût de 0,9 million d'euros en 2023, tandis qu'une mesure de rattrapage indemnitaire pour les conseillers référendaires et les conseillers maîtres a représenté 1,6 millions d'euros. D'autres variations plus marginales telles que les augmentations des frais de déplacements temporaires (+ 0,6 millions d'euros par rapport à 2022) expliquée par les nouvelles missions spécifiques pour le mandat ONU, et des services aux bâtiments (+ 0,7 millions d'euros) participent à cette tendance haussière.

La légère sous-exécution (- 3,7 millions d'euros en AE et - 1,4 million d'euros en CP par rapport à la prévision LFI, hors FdC et AdP) est due à des retards concernant le schéma d'emplois et à l'absence de la mise en place de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement.

2. Une hausse significative des attributions de produits dans le contexte du développement des missions d'audit international par la Cour des comptes

Les attributions de produits ont augmenté très significativement pour atteindre 4,7 millions d'euros en hors titre 2, en 2023, contre 2,2 millions d'euros en 2022. Cela s'explique par la réalisation de missions d'audit externe, au profit d'organisations internationales dont l'ONU et le Conseil de l'Europe. L'exécution de ces mandats s'inscrit dans le projet stratégique des juridictions financières « JF2025 », qui propose de développer et enrichir la dimension européenne et internationale des travaux et des parcours des personnels des juridictions financières.

3. La rationalisation de la maquette budgétaire par l'intégration du programme 340 « Haut Conseil des Finances publiques » dans le périmètre du programme 164

En 2023, les crédits de l'ancien programme 340 « Haut Conseil des Finances publiques », supprimé par la LFI 2023, ont été intégrés au sein du programme 164. Les crédits de masse salariale ont été versés sur une nouvelle action du programme 164, l'action 28 « Gouvernance des finances publiques ». En 2023, le taux d'exécution des crédits de l'action 28 s'élève à 96,4 % en AE et en CP, contrastant avec la sous-exécution significative du programme 340 constatée en 2022 à périmètre égal.

C. LE PROGRAMME 126 « CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL »

Concernant les ressources du CESE, la dotation annuelle de l'État qui finance son fonctionnement courant (indemnités des membres, rémunération des agents, frais de fonctionnement) a progressé de 0,56 million d'euros pour atteindre 45,1 millions d'euros en 2023. Par ailleurs, le CESE a bénéficié en 2023 d'attributions de produits pour un montant de 1,6 million d'euros correspondants aux recettes tirées de la valorisation du Palais d'Iéna et du mécénat. Ces attributions de produits, correspondant ainsi aux ressources propres dégagées par le CESE, servent exclusivement aux dépenses d'investissement. Une seconde attribution de produit pour un montant de 2,4 millions d'euros a été publiée au Journal officiel le 26 décembre 2023 mais ne sera versée qu'en 2024 dans le cadre d'une attribution de crédits de gestion à venir.

1. Un manque persistant de lisibilité des informations budgétaires persistant masquant la réalité des dépenses exécutées

Le CESE jouit d'un régime administratif et financier sui generis7(*), dérogatoire à au moins deux titres.

En premier lieu, le CESE ne dispose pas de comptable public, ce rôle étant assumé par le trésorier et les deux questeurs.

En second lieu, ses dépenses ne sont pas retracées dans Chorus, le système d'information comptable et budgétaire de l'État. Le rapporteur spécial tient à ce titre à souligner qu'il appelle de ses voeux à la mise en place de Chorus pour gagner en lisibilité.

Chaque année, en apparence, le CESE consomme intégralement les crédits du programme 126 au début de l'exercice dès lors que les crédits ouverts sont virés sur le compte au Trésor détenu par le CESE. Cependant, de façon dérogatoire, le CESE vire ensuite les crédits sur un compte bancaire qui lui est propre. Afin de suivre ses opérations au jour le jour, le CESE tient en parallèle une comptabilité interne, qui elle seule permet de retracer l'exécution réelle des crédits.

Outre de doter le CESE d'une large autonomie, la Cour des comptes relève que ces spécificités empêchent la direction du budget du ministère de l'économie et des finances de disposer d'une vision exacte de la réalité des dépenses exécutées. Surtout, le rapporteur spécial note que ces spécificités sont sources d'incohérences entre les différents documents budgétaires. Elles nuisent à la transparence de l'exécution réelle des crédits, complexifient le suivi de leur évolution dans le temps, et compromettent la qualité du contrôle budgétaire.

Par exemple, concernant l'exécution des crédits de paiement (CP) de l'année 2022, d'un côté le RAP de la direction du budget fait état d'un total de 42,8 millions d'euros consommés. D'un autre, les analyses de l'exécution budgétaire 2023 et 2024 de la Cour des comptes indiquent que « l'exécution réelle des crédits [2022] serait, selon le CESE, (...) de 39 M€ en CP ». Enfin, les documents comptables transmis par les services du CESE en mai 2024 indiquent quant à eux un total de 40,1 millions d'euros de CP exécutés en 2022.

La comptabilité des dépenses des personnels (titre 2) constitue un second exemple des divergences constatées : alors le RAP fait état de 35,9 millions d'euros de CP consommées en 2023, le document comptable communiqué par les services du CESE avance le chiffre de 32,3 millions d'euros, soit un écart de 3,6 millions d'euros. Aux yeux du rapporteur spécial, dans ces conditions, la fiabilité de l'information budgétaire n'apparait pas assurée.

Pour la première fois, les états financiers du CESE de 2022 ont fait l'objet d'un audit financier annuel, en partie comparable à une certification des comptes, supervisé par la Cour des comptes, elle-même assistée par un cabinet d'audit privé. Cela, couplé à une refonte de la maquette budgétaire désormais organisée en deux actions au lieu de trois jusqu'en 2022, devrait participer à améliorer la cohérence des données budgétaires du programme 126.

2. L'intégration et la valorisation de la participation citoyenne comme principaux vecteurs de la hausse des dépenses de personnel et de fonctionnement

L'activité du CESE en 2023 est marquée par la pleine mise en oeuvre de la réforme de l'institution et de ses missions, portée par la loi organique du 15 janvier 2021, qui fait du Conseil le lieu privilégié de l'expression de la participation citoyenne, que ce soit sur saisine du Premier ministre, du président de l'Assemblée nationale ou de celui du Sénat, ou sur auto-saisine. La montée en charge de la participation citoyenne s'est confirmée en 2023 avec, au-delà de l'organisation de la convention citoyenne sur la fin de vie, l'association de citoyens à plusieurs travaux menés par les membres (concernant par exemple les mobilités durables et inclusives en zone peu dense, le développement du parasport en France, les politiques pour amener la société vers la sobriété...). En outre, des plateformes participatives ont été mises en place pour recueillir les contributions des citoyens et des journées délibératives ont été organisées pour débattre des constats et préconisations.

La réorientation des missions du CESE et la mise en valeur de ses travaux a conduit à une hausse progressive et logique des dépenses de personnel et de fonctionnement depuis 2021. D'après les documents comptables transmis par le CESE, les CP exécutés sont ainsi passés de 40,1 millions d'euros en 2022 à 46,2 millions d'euros en 2023 (+ 15 %).

D'une part, les dépenses de personnel sont passées de 31,6 millions d'euros en 2022 à 32,3 millions d'euros en 2023 (+ 2,1 %). Cette augmentation de 0,7 million d'euros s'explique essentiellement par l'évolution du schéma d'emploi (+ 7 ETP), la revalorisation du point d'indice et le glissement-vieillesse-technicité (GVT). La réalisation d'un schéma d'emploi plus ambitieux et l'allocation de moyens budgétaires plus conséquents ont permis de donner à l'institution les moyens de ses missions : mise en place d'une direction de la participation citoyenne fin 2023, recrutement de profils particuliers au service des directions des relations européennes et internationales ou de la direction des systèmes d'informations et des usages numériques, couverture des frais liés à la convention citoyenne sur la fin de vie (coût total de 5,3 millions d'euros dont 1,2 millions d'euros pour couvrir les indemnités versées aux citoyens et les dépenses de personnel).

D'autre part, les dépenses de fonctionnement ont augmenté, passant de 7,3 millions d'euros en 2022 à 12,1 millions d'euros en 2023 (+ 67 %). Malgré les économies réalisées grâce à une stratégie d'internalisation permettant un moindre recours à des cabinets extérieurs dans le cadre des dispositifs de participation citoyenne, l'organisation de la convention citoyenne sur la fin de vie dont 7 des 9 sessions se sont déroulées en 2023, a contribué à cette hausse significative des dépenses (coût total de 5,3 millions d'euros dont 4,1 millions d'euros pour couvrir les dépenses de fonctionnement : organisation du tirage au sort, animation, déplacements, restauration et hébergement des citoyens, communication...). En sus des missions de participation citoyenne s'ajoutent notamment une hausse des frais de déplacement expliquée par un retour du travail en présentiel, et une augmentation du coût des fluides que des efforts de sobriété (- 10 % de consommation d'eau et - 5 % de consommation de gaz) n'ont pas suffi à compenser.

3. Une dégradation de l'équilibre financier de la Caisse de retraites du CESE à anticiper

Le rapporteur spécial tient à nouveau à attirer l'attention sur l'équilibre financier délicat de la Caisse de retraites des anciens membres du CESE. Pour rappel, celle-ci est doublement affectée par, d'un côté, la réduction de 25 % du nombre de ses membres, seuls cotisants à ce régime, passés de 233 à 175 depuis le renouvellement de 2021, de l'autre côté, par la suppression du régime spécial des conseillers rejoignant le CESE à compter du 1er septembre 20238(*), ceux-ci étant désormais affiliés à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale9(*).

Cette réforme des retraites se traduit par la coexistence de deux systèmes différents, les membres ayant rejoint le CESE avant le 1er septembre 2023 continuant à cotiser au régime spécial, dont ils bénéficieront lors de l'ouverture de leurs droits à la retraite, tandis que les nouveaux membres cotisent et percevront leur pension du régime général. Alors que le bon équilibre de la caisse des retraites était déjà dépendant d'une subvention de l'État de 5,4 millions d'euros par an, cet équilibre se voit menacé par la réduction progressive des cotisations des conseillers en cours de mandat et le maintien sur une plus longue période des pensions à verser. Tandis que l'impact financier est demeuré limité pour 2023, la caisse des retraites du CESE sera progressivement exposée à un fort besoin de financement, que la Caisse des dépôts et consignations estime à 8 millions d'euros d'ici 2032.

4. Une programmation pluriannuelle des investissements (PPI) bienvenue invitant à prévoir la baisse des ressources propres du CESE à court terme

Le rapporteur spécial salue la formalisation et la présentation par le CESE d'une programmation pluriannuelle des investissements (PPI) depuis l'été 2023. Celle-ci rend compte des dépenses immobilières et informatiques engagées et prévues entre 2022 et 2027.

Les dépenses d'investissement passent de 1,2 million d'euros en 2022 à 1,8 million d'euros en 2023 (+ 51 %). Le rythme de réalisation des investissements n'a pas vocation à être linéaire, et cette variation à la hausse s'explique notamment par le démarrage des travaux d'ouverture et d'aménagement du toit-terrasse du Palais d'Iéna qui à terme pourra être valorisé par l'accueil d'évènements (0,4 million d'euros), la réalisation de l'espace « Village » (0,5 million d'euros) et la modernisation de l'hémicycle (0,2 millions d'euros) ou encore la sécurisation du réseau informatique (0,4 million d'euros).

Si l'exécution 2023 n'a pas posé de difficulté, la PPI prévoit d'importants chantiers structurants, dont notamment la rénovation de la salle hypostyle et de ses deux escaliers en 2025. Celle-ci empêchera la réception d'évènements privés avec pour conséquence une très forte baisse attendues des recettes tirées de la valorisation des espaces du Palais Iéna et donc des ressources propres dont use normalement le CESE pour financer ses dépenses d'investissement. Le rapporteur spécial sera donc attentif à la garantie d'un équilibre entre programme d'investissement ambitieux et ressources propres suffisantes.


* 1 Cour des comptes, Analyse de l'exécution Budgétaire 2023 - Mission « Conseil et contrôle de l'État », Avril 2024, p.5.

* 2 La Cour nationale du droit d'asile : une juridiction qui s'adapte sans cesse aux "chaos du monde", Rapport d'information n° 604 (2023-2024) de M. Christian Bilhac, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 15 mai 2024.

* 3 Ibid., p.45.

* 4 Ibid., p.47.

* 5 Annexe relative à la mission « Conseil et contrôle de l'État » au rapport, présenté par M. Christian Bilhac au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022, déposé le 28 juin 2023, p.10.

* 6 La Cour nationale du droit d'asile : une juridiction qui s'adapte sans cesse aux "chaos du monde", Rapport d'information n° 604 (2023-2024) de M. Christian Bilhac, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 15 mai 2024, p.64.

* 7 Décret n°2017-934 du 10 mai 2017 relatif au régime administratif et financier du Conseil économique, social et environnemental.

* 8 En application de l'article 1er de la loi N° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

* 9 Article L. 381-32 du code de la sécurité sociale.

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