N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2023,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 4
Aide publique au développement

COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

Rapporteurs spéciaux : MM. Michel CANÉVET et Raphaël DAUBET

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 3, 291 et T.A. 3

Sénat : 32 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. En 2023, la mission « Aide publique au développement » a représenté 6,8 milliards d'euros en AE et 5,6 milliards d'euros en CP. Les crédits de la mission ont ainsi plus que doublé par rapport à l'exercice 2017, traduisant l'engagement de relever le niveau français d'aide au développement.

2. L'exécution 2023 est conforme à la trajectoire fixé par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales avec un respect du plafond de 5,9 milliards d'euros de CP.

3. Pour autant, le taux d'exécution des crédits prévus en loi de finances initiale pour 2023 est de 85,1 % pour les autorisations d'engagement et de 94,2 % pour les crédits de paiement. L'exécution budgétaire de la mission apparaît insuffisante au regard de l'autorisation parlementaire et constitue un recul par rapport à l'année dernière.

4. Les crédits sont consommés à hauteur de 2,97 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 2,25 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), s'agissant du programme 110. Les crédits sont consommés à hauteur de 3,72 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 3,17 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) pour le programme 209.

5. Les rapporteurs spéciaux s'inquiètent de la rigidification d'une part croissante des dépenses de la mission. Ce mouvement est particulièrement porté par les coûts croissants de l'activité de prêts de l'Agence française de développement (AFD) et du volume de l'aide-projet portée par l'Agence. Pour y remédier, ils recommandent d'envisager une plus grande modération du volume d'activité de l'AFD.

6. Compte tenu de la forte progression des dépenses de la mission depuis 2017 et la hausse programmée des crédits consacrés à l'aide humanitaire, les rapporteurs déplorent le retard pris dans la construction d'une démarche d'évaluation qui devrait permettre de mieux identifier les gisements d'économies de la mission.

7. Par ailleurs, l'exercice 2023 est marqué par un solde d'exécution positif du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », celui-ci s'établissant à 1,1 milliard d'euros, contre une évaluation initiale de - 470 millions d'euros.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION ET DU COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS EN 2023

A. UNE EXÉCUTION BUDGÉTAIRE QUI S'INSCRIT DANS LA HAUSSE CONTINUE DES DÉPENSES DE LA MISSION « AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT » DEPUIS 2017

La mission « Aide publique au développement » regroupe les crédits des principaux programmes concourant à la politique française d'aide publique au développement :

- le programme 110 « Aide économique et financière au développement », mis en oeuvre par le ministère de l'économie et des finances ;

- le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », mis en oeuvre par le ministère des affaires étrangères et du développement international ;

- le programme 365 « Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement » mis en oeuvre par le ministère de l'économie et des finances ;

le programme 370 « Restitution des biens mal-acquis » n'est doté d'aucun crédit, il constitue le mécanisme retenu pour restituer aux pays d'origine les recettes liées aux confiscations judiciaires des biens « mal acquis » en France par des ressortissants étrangers.

Pour mémoire, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ne regroupent qu'une partie des crédits budgétaires affectés à cette politique publique. Ainsi, en 2022, ils ne représentaient que 63,2 % de l'effort de l'État en matière d'aide publique au développement en 20221(*). Plus de 20 programmes budgétaires comportent également des dépenses comptabilisées au titre de l'APD, soulignant le caractère interministériel de son financement et de son pilotage.

Exécution des crédits de la mission « Aide publique
au développement » en 2023

(en millions d'euros)

Programme

Exécution 2022

Prévision 2023

Exécution 2023

Variation exécution 2023/2022 ( %)

Taux d'exécution (écart en %)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

110 - Aide économique et financière au développement

2 811,6

1 801,7

3 836,9

2 337,9

2 970,9

2 252,5

+ 5,7 %

+ 25,0 %

- 22,7 %

- 3,6 %

209 - Solidarité à l'égard des pays en développement

3 070,0

3 088,5

4 054,8

3 436,0

3 721,9

3 174,7

+ 21,2 %

+ 11,2 %

- 8,2 %

- 7,6 %

365 - Renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement

190,0

190,0

150,0

150,0

150,0

150,0

- 21,0 %

- 21,0 %

+ 0,0 %

+ 0,0 %

370 - Restitution des « biens mal acquis »

-

-

-

-

-

-

       

Mission

6 071,6

5 080,2

8 041,7

5 923,9

6 842,8

5 577,3

+ 12,7 %

- 9,8 %

- 14,9 %

- 5,8 %

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

Le taux d'exécution des crédits prévus en loi de finances initiale pour 2023 est de 85,1 % pour les autorisations d'engagement et de 94,2 % pour les crédits de paiement. L'exécution budgétaire de la mission apparaît insuffisante au regard de l'autorisation parlementaire et constitue un recul par rapport à l'année dernière. Sur l'exercice 2022, le taux d'exécution s'élevait à 91,7 % pour les autorisations d'engagement et de 99,5 % pour les crédits de paiement.

Évolution de l'exécution de la mission « Aide publique au développement »
entre 2018 et 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Au total, la mission « Aide publique au développement » a représenté 6,8 milliards d'euros en AE et 5,6 milliards d'euros en CP en 2023. Les crédits de la mission ont ainsi plus que doublé par rapport à l'exercice 2017, traduisant l'engagement de relever le niveau français d'aide au développement.

Évolution en exécution des crédits de la mission « Aide publique
au développement » entre 2018 et 2023

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Pour rappel, les objectifs fixés par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales pour l'exercice 2022 ont été atteints avec un dépassement du seuil de 0,55 % du RNB consacré à l'APD. L'exécution 2023 est conforme à la trajectoire fixé par la loi de programmation avec un respect du plafond de 5,9 milliards d'euros de CP.

L'année 2023 a été marquée par une double révision des objectifs de la loi de programmation du 4 août 2021, par les conclusions des réunions successives du Conseil présidentiel du développement (CPD) en mai, d'une part, et du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en juillet, d'autre part.

En premier lieu, le CICID a procédé au report de l'objectif d'une APD à 0,7 % du RNB de 2025 à 2030. Traduisant cette mise à jour, la loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 prévoit que les crédits de la mission « Aide publique au développement » devraient atteindre 5,9 milliards d'euros en 2024, 6,4 milliards en 2026 et 6,9 milliards en 2027.

En second lieu, les conclusions du CICID ont déterminé 10 nouveaux objectifs politiques prioritaires pour la politique d'aide au développement. Elles ont également conduit à l'abandon de la liste des 19 « pays prioritaires » prévue par la loi de programmation au profit d'une concentration d'a minima 50 % de l'aide française sur les pays les moins avancés.

L'actualisation de la trajectoire et des principes fixés par la loi de programmation par la voie d'un simple conseil interministériel, sans consultation du Parlement, paraît surprenante sur le plan de la méthode, en l'absence de toute concertation préalable. Elle semblait toutefois nécessaire sur le fonds. Les rapporteurs spéciaux avaient en effet souligné, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 20242(*), qu'il paraissait excessivement ambitieux, alors que l'APD française se situait en 2023 à 0,56 % du RNB, d'envisager une progression vers 0,7 % dès 2025.

Exécution des crédits du programme 110 en 2023

(en millions d'euros)

Action

Exécution 2022

Prévision 2023

Exécution 2023

Variation exécution 2023/2022 ( %)

Taux d'exécution (écart en %)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 - Aide économique et financière multilatérale

1 753,4

1 244,0

2 012,3

1 672,7

1 124,7

1 484,4

- 35,9 %

+ 19,3 %

- 44,1 %

- 11,3 %

02 - Aide économique et financière bilatérale

977,5

448,4

1 723,3

549,2

1 755,0

646,1

+ 79,5 %

+ 44,1 %

+ 1,8 %

+ 16,7 %

03 - Traitement de la dette des pays pauvres

80,8

109,4

101,3

116,0

91,3

122,0

+ 13,0 %

+ 11,5 %

- 9,9 %

- 5,2 %

Programme

2 811,6

1 801,7

3 836,9 

2 337,9

2 970,9

2 252,5

+ 5,7 %

+ 25,0 %

- 22,6 %

- 3,6 %

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

S'agissant du programme 110, les crédits sont consommés à hauteur de 2,97 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 2,25 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).

Les dépenses du programme 110 poursuivent leur augmentation engagée en 2017. Cette hausse des crédits s'explique, pour les AE, en premier lieu, par une augmentation des crédits de bonification des prêts de l'AFD, dans un contexte de remontée des taux d'intérêt. En second lieu, les reconstitutions du Fonds africain de développement (FAD) et du Fonds vert pour le climat ont respectivement conduit à ouvrir 580 et 616,5 millions d'euros en loi de finances initiale.

Pour les CP, la forte augmentation des crédits ouverts en LFI par rapport à l'exercice précédent (+ 16 %) découle de la consommation des AE des années précédentes. Elle se traduit principalement au titre de l'aide multilatérale par des versements aux grands fonds multilatéraux.

Le programme 110 se caractérise en 2023 par une sous-exécution, plus marquée pour les AE (77,4 % de consommation des crédits) que pour les CP (96,4 %).

Pour les autorisations d'engagement, cette sous-exécution conséquente correspond :

- d'une part, à une moindre contribution de la France à la reconstitution du Fonds vert pour le climat par rapport à l'autorisation en lois de finances initiale, représentant une sous-consommation de 170 millions d'euros, et au Fonds africain de développement ;

- d'autre part, à la révision de la budgétisation de la contribution de la France au Fonds pour la réduction de la pauvreté et la croissance du FMI en AE=CP.

Concernant les crédits de paiement, le programme 110 a été l'objet d'opérations de gestion budgétaire infra-annuelle développées infra.

Exécution des crédits du programme 209 en 2023

(en millions d'euros)

Action

Exécution 2022

Prévision 2023

Exécution 2023

Variation exécution 2023/2022 ( %)

Taux d'exécution (écart en %)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

02 - Coopération bilatérale

1 438,1

1 478,9

2 166,2

2 075,1

1 819,1

1 682,0

+ 26,5 %

+ 13,7 %

- 16,0 %

- 18,9 %

05 - Coopération multilatérale

993,4

971,0

1 353,1

825,4

1 381,6

971,6

+ 39,1 %

+ 0,1 %

+ 2,1 %

+ 17,7 %

07 - Coopération communautaire

488,3

488,3

374,1

374,1

363,7

363,7

- 25,5 %

- 25,5 %

- 2,8 %

- 2,8 %

08 - Dépenses de personnels concourant au programme " Solidarité à l'égard des pays en développement "

150,3

150,3

161,4

157,4

161,4

157,4

+ 7,4 %

+ 4,7 %

+ 0,0 %

+ 0,0 %

Programme

3 070,0

3 088,5

4 054,8

3 436,0

3 721,9

3 174,7

+ 21,2 %

+ 11,2 %

- 8,2 %

- 7,6 %

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

S'agissant du programme 209, piloté par la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international du Quai d'Orsay, les crédits connaissent une hausse substantielle, en AE (+ 837 millions d'euros) comme en CP (+ 383 millions d'euros) par rapport à 2022.

Sur le volet bilatéral du programme, l'augmentation des crédits ouverts en LFI pour 2023 repose sur l'accroissement conséquent des crédits relevant de l'aide humanitaire, soit les crédits de gestion et de sortie de crise, qui progressent de 128 %. Plus de la moitié (247,6 millions d'euros sur un total de 410 millions) de cette progression est portée par la nouvelle réserve pour crises majeures, dédiée à la survenue de crises en cours d'exercice. Outre les crédits d'aide humanitaire, les dépenses liées à l'aide-projet de l'AFD et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères augmentent également.

Sur le volet multilatéral, les crédits ouverts en LFI connaissent une progression de l'ordre de 60 % par rapport à l'exercice précédent. Cette hausse traduit les engagements de la France en faveur de différents fonds multilatéraux en matière de santé et d'éducation.

Sur le volet communautaire, les crédits sont en baisse, en raison de la disparition programmée du Fonds européen de développement. Ce dernier est remplacé par l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale de l'UE (« NDICI - Europe dans le monde »), directement abondé par la contribution française au budget de l'Union.

En exécution, le programme 209 se caractérise par un taux de consommation des crédits de l'ordre de 91,8 % en AE et de 92,4 % en CP. Le niveau d'exécution est moindre qu'au cours de l'exercice précédent, qui avait connu un taux d'exécution de 95,4 % en AE et de 101,2 % en CP.

La sous-consommation des crédits se reporte principalement sur le volet bilatéral du programme. Ce décalage par rapport à l'autorisation initiale correspond essentiellement à une sous-consommation des crédits de l'aide-projet de l'AFD (34,9 millions d'euros en AE et de 131 millions d'euros en CP) et du MEAE en raison de la dégradation des relations bilatérales avec plusieurs pays sahéliens. Une partie des CP non-consommés ont fait l'objet d'une annulation par la loi de finances de fin de gestion (43 millions d'euros).

À l'inverse, le volet multilatéral est marqué par une sur-exécution par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale. Ainsi, les crédits dédiés aux contributions volontaires aux Nations unies ont fait l'objet d'une consommation supérieure de 24 % à la programmation. La multiplication des crises humanitaires a conduit à exécuter entièrement l'enveloppe initiale des contributions à caractère humanitaire de 188 millions d'euros et à la compléter d'un abondement de 111,75 millions d'euros issu de la réserve pour crises majeures.

Mouvements intervenus en cours de gestion 2023 
sur la mission « Aide publique au développement »

(en crédits de paiement et en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

S'agissant de la gestion infra-annuelle, les crédits de paiement ouverts ont presque été entièrement consommés.

En fin d'exercice, la loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023 a procédé à l'annulation de 490,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 274,5 millions d'euros en crédits de paiement. Ces montants correspondent :

- sur le programme 110, à l'annulation de la réserve de précaution de 191 millions d'euros, d'une part, et de 31 millions d'euros de crédits disponibles en AE, d'autre part ;

- sur le programme 209, à l'annulation de la réserve de précaution initiale (193,9 millions d'euros en AE et 163,7 millions d'euros en CP), des crédits ayant fait l'objet d'un surgel de 1 % (38,9 millions d'euros en AR et 32,7 millions en CP), du surgel décidé lors des négociations du PLF 2024 (50 millions d'euros en AE=CP) et 43 millions d'euros de CP d'aide-projet de l'AFD.

Dans le même temps, la loi de finances de fin de gestion a ouvert 76,8 millions d'euros de crédits de paiement sur le programme 110 pour tenir compte des besoins du compte de réserve de l'AFD, qui vise à compenser les pertes liées au risque souverain porté par l'Agence.

Par ailleurs, et à l'initiative du Sénat par un amendement du rapporteur général de la commission des finances du Sénat Jean-François Husson, la loi de finances de fin de gestion a crédité le programme 209 de 15 millions d'euros en AE=CP afin de porter assistance aux déplacés arméniens du Haut-Karabagh.

B. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS » : UNE EXÉCUTION TOUJOURS SOUMISE À DE FORTS ALÉAS

Le compte de concours financiers regroupe pour sa part des prêts à des États étrangers qui concourent à la politique française d'aide publique au développement, à l'exception du programme concernant la Grèce :

- le programme 851 « Prêts à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et services concourant au développement du commerce extérieur de la France » porte deux catégories de prêts du Trésor, à savoir les prêts concessionnels accordés à certains pays en développement, et les prêts non concessionnels ;

- le programme 852 « Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France » permet de refinancer les dettes de certains pays envers la France ;

- le programme 853 « Prêts à l'Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers » porte le versement à l'AFD de la « ressource à condition spéciale » (RCS) qui lui permet d'octroyer des prêts à des États étrangers à des conditions concessionnelles. Depuis 2019, ce programme est placé en extinction et aucune AE n'est ouverte en PLF ;

- le programme 854 « Prêts aux États membres de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro » était initialement destiné à porter la contribution de la France au plan de soutien en faveur de la Grèce, finalement confié au Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ce programme n'est plus actif depuis 2012.

Exécution des crédits du compte de concours financiers
« Prêts à des États étrangers » en 2023

(en millions d'euros)

Programme

Recettes

Crédits votés LFI 2023

Crédits exécutés 2023

Solde

Prévision

Exécution

AE

CP

AE

CP

Prévision

Exécution

851 

304,1

269,2

1 000

647,5

224,9

387,7

- 343,4

- 118,4

852 

69,0

66,7

217,1

217,1

3,4

3,4

- 148,1

+ 63,3

853 

171,5

171,5

0

150

0

150

+ 21,5

+ 21,5

854 

0

1 140,5

0

0

0

0

+ 0 

+ 1 140,5

Total

544,6

1 648,0

1 217,1

1 014,6

228,3

541,1

- 470,0

+ 1 106,9

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

L'exercice 2023 est marqué par un solde d'exécution positif du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », celui-ci s'établissant à 1,1 milliard d'euros, contre une évaluation initiale de - 470 millions d'euros.

Il s'agit de la troisième fois depuis 2016 que le compte présente un solde excédentaire. Cet excédent s'explique par une sur-exécution des programmes du compte de concours financiers. À l'exception du programme 851, l'ensemble des programmes est en excédent.

L'excédent global du compte de concours financiers s'explique à la fois par une sous-exécution des dépenses et par des recettes exceptionnelles.

S'agissant des dépenses, seulement 22 % de l'enveloppe ouverte en LFI pour le programme 851 a été consommée. Ce programme retrace les opérations liées à l'octroi de prêts accordés par le Trésor à des États pour financer la réalisation de projets de développement qui font appel à des biens ou services français. Le fort écart entre la prévision et l'exécution s'explique par une multiplicité de facteurs exogènes qui affectent la concrétisation des intentions de financement.

Onze protocoles de prêts ont été signés en 2023 avec sept pays (quatre prêts concessionnels et sept directs), pour un montant total de 228 millions d'euros.

Pour le programme 852, une part minime de l'enveloppe initiale (2 %) a été finalement exécutée. Ce programme retrace les prêts accordés par la France à des États dans le cadre d'opérations de restructuration de leur dette. La sous-consommation des dépenses prévues en loi de finances initiale découle de l'absence de conclusion de projets d'accords de refinancement de la dette avec la Zambie, l'Éthiopie, le Sri Lanka et le Zimbabwe. Concernant ce dernier projet, l'opération avait déjà fait l'objet d'un premier report en 2022.

S'agissant des recettes, le programme 854 se caractérise par un excédent exceptionnel de 1,14 milliard d'euros. Ce dernier correspond au remboursement anticipé par la Grèce des échéances du prêt bilatéral accordé en 2010, annoncé en septembre 2023. La Grèce ayant remboursé simultanément les échéances 2024 et 2025, aucune recette n'est programmée sur le programme 854 dans la LFI pour 2024.

II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

A. L'ACTIVITÉ DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT CONSTITUE AUJOURD'HUI UN FACTEUR DE RIGIDIFICATION DES DÉPENSES DE LA MISSION

Dans un contexte de forte augmentation des crédits de la mission « Aide publique au développement » depuis 2017 et dans la perspective d'une APD à 0,7 % du RNB en 2027, les rapporteurs spéciaux s'inquiètent de la rigidification d'une part croissante des dépenses, en raison d'engagements internationaux ou pluriannuels.

Comme le rappelle la Cour des comptes3(*), ces dépenses sont considérées, en droit budgétaire4(*), comme « obligatoires », si elles correspondent à des dépenses pour lesquelles le service a été constaté au titre de l'exercice précédent et dont le paiement n'est pas intervenu, et « inéluctables », lorsqu'elles correspondent à des restes à payer à échoir en cours d'exercice ou lorsqu'elles sont liées à la mise en oeuvre de lois, règlements et accords internationaux.

Une partie de ces dépenses correspond à des engagements de la France en faveur de fonds multilatéraux, intervenant généralement en cours d'année. À titre d'exemple, sur l'exercice 2023, la France s'est engagée à contribuer sur cinq ans à hauteur de 50 millions d'euros au Fonds d'intermédiation financière pour la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies.

Toutefois, les rapporteurs spéciaux soulignent qu'une part conséquente de ces dépenses obligatoires et inéluctables relève de l'activité de l'AFD. Il s'agit en premier lieu de l'octroi de prêts, qui constituent 85 % des financements accordés par l'AFD. Les prêts octroyés par l'Agence représentent un coût croissant pour l'État qui finance, par des crédits de bonification inscrits dans le programme 110, la différence entre le coût de financement et le taux concessionnel auquel prête l'AFD. L'État alimente également le compte de réserve de l'AFD qui vise à garantir cette dernière contre le risque souverain.

Compte tenu de la dégradation de l'environnement financier, le renchérissement des taux d'intérêt constitue une contrainte importante pour la mission. Les crédits de bonification ont été ainsi multipliés par 4,6 en AE et par 2 en CP entre 2018 et 2024.

Évolution des crédits de bonification des prêts souverains de l'AFD

entre 2018 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

En outre, les crédits alloués à l'aide-projet gérée par l'AFD connaissent une forte augmentation et s'élèvent à près d'un milliard d'euros en 2024. Or ces crédits sont décaissés sur plusieurs années, ce qui conduit à une multiplication des engagements non couverts par des paiements. Sur l'ensemble du programme 209, les restes à payer s'élèvent ainsi à plus de 3 milliards d'euros de crédits de paiement.

Par ailleurs, l'exécution des dépenses d'aide-projet est encore largement perfectible, traduisant une budgétisation inadéquate des moyens alloués à l'Agence. En 2023, ce sont 131,4 millions d'euros d'autorisations d'engagement qui n'ont pas été consommés, soit plus de 10 % de l'enveloppe initiale.

Les rapporteurs spéciaux estiment par conséquent que l'État doit demeurer vigilant dans la mise en oeuvre de la mission « Aide publique au développement » et ce, afin de conserver des marges de manoeuvre dans un environnement géopolitique instable. Pour ce faire, ils recommandent, d'une part, d'encadrer l'augmentation du volume d'activité de l'AFD, notamment l'octroi de prêts concessionnels qui font l'objet du versement d'une bonification par l'État, et, d'autre part, de stabiliser voire de réduire le niveau de l'aide-projet gérée par l'AFD.

B. LA PROGRESSION DE L'AIDE HUMANITAIRE FRANÇAISE DEVRAIT ÊTRE COMPENSÉE PAR LA RÉDUCTION D'AUTRES DÉPENSES AU SEIN DE LA MISSION

Les rapporteurs constatent la forte progression des dépenses liées à l'aide humanitaire au sein de la mission APD. Elles se sont élevées à 821 millions d'euros en 2023, soit une multiplication par 4,8 depuis 2018. Cette progression s'inscrit dans une trajectoire, confirmée par les conclusions du CICID de juillet 20185(*), de porter l'aide humanitaire de la France à un milliard d'euros en 2025. Ce faisant, la France devrait se hisser au quatrième rang mondial des donateurs.

L'aide humanitaire de la France repose sur des instruments directement pilotés par le centre de crise et de soutien (fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation), la direction de la mondialisation (aide alimentaire programmée), l'AFD (Fonds Minka) et sur les contributions volontaires aux Nations unies. Ces différents canaux peuvent désormais être confortés en cours d'exercice par la réserve pour crises majeures à hauteur de 270 millions d'euros.

Évolution des crédits liés à l'aide humanitaire entre 2018 et 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Cette progression exponentielle de l'aide humanitaire de la France appelle deux remarques de la part des rapporteurs spéciaux.

D'une part, ces derniers seront particulièrement attentifs au bon dimensionnement des outils d'aide humanitaire. À cet égard, l'enveloppe de la réserve pour crises majeures paraît ainsi disproportionnée au regard de l'exécution budgétaire. Pensé comme instrument de souplesse budgétaire face aux crises, il représente 7,9 % des crédits du programme 209. De plus, sur les 270 millions d'euros de crédits ouverts en AE=CP en 2023 (contre 22 millions d'euros l'année précédente), 224,75 millions ont finalement été consommés. Pour rappel, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, les rapporteurs spéciaux ont porté, au nom de la commission des finances, un amendement de crédits visant à réduire cette enveloppe de 50 millions d'euros. Cet instrument, qui vient financer des engagements non identifiables au stade de la programmation échappe, dans sa ventilation, à l'autorisation parlementaire.

D'autre part, si les rapporteurs spéciaux estiment que la progression de l'aide humanitaire permet de renforcer l'influence de la France en tant que contributeur de premier plan et d'améliorer la visibilité de son action face aux crises internationales, cette augmentation doit être compensée par la réduction d'autres dépenses au sein de la mission et par le renforcement de la démarche de performance, comme exposé infra.

C. DANS UN CONTEXTE DE HAUSSE CONTINUE DES CRÉDITS DE LA MISSION, UN RENFORCEMENT DE L'ÉVALUATION DES DÉPENSES PARAÎT INDISPENSABLE

L'évaluation de la politique d'aide au développement constituait l'un des objectifs centraux portés par la loi de programmation du 4 août 2021.

D'une part, son article 3 prévoyait la transmission au Parlement, chaque année, d'un rapport d'évaluation de l'APD française. Or, le premier rapport annuel sur la politique de développement et de solidarité internationale de la France n'a été remis au Parlement que le 15 mai 2024, soit près de trois ans après l'adoption de la loi de programmation.

D'autre part, son article 12 de la loi avait institué une commission d'évaluation de l'aide publique au développement, qui devait être placée auprès de la Cour des comptes. À ce jour, cette commission n'a toujours pas été installée. Pour remédier à ce retard, une proposition de loi a été déposée par Jean Louis Bourlanges, alors président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, afin d'accélérer sa mise en place et de la place auprès du ministère de l'Europe et es affaires étrangères. Adopté en avril dernier6(*), ce texte devrait permettre de faire respecter un des apports les plus significatifs de la loi de programmation.

Une démarche renforcée d'évaluation stratégique et transversale apparaît d'autant plus nécessaire que la mission est gérée conjointement par deux ministères et un établissement public. Chacune de ces trois entités dispose en son sein d'une unité d'évaluation :

- l' « unité d'évaluation des activités de développement » du MEFSIN ;

- le « pôle de l'évaluation et de la performance » du MEAE ;

- le « département de l'évaluation et de l'apprentissage » de l'AFD.

Toutefois, dans l'attente d'une commission d'évaluation transversale, ces trois services se concentrent sur des évaluations de dispositifs précis au champ relativement limité. Dans un contexte de finances publiques dégradées, les rapporteurs spéciaux estiment que la mission doit porter sa part à l'effort de redressement des comptes publics.

Les rapporteurs spéciaux ont identifié que l'évaluation des dépenses de la mission devrait notamment permettre de clarifier la doctrine d'arbitrage entre les canaux bilatéraux, multilatéraux et européens. La multiplicité des contributions multilatérales de la France en matière d'aide au développement interroge et soulève un risque de dispersion de l'effort français en la matière. Une évaluation plus systématique de ces contributions devrait conduire à identifier celles auxquelles la France pourrait renoncer au bénéfice du montant des crédits de la mission et ainsi contribuer à la réalisation de l'objectif de rééquilibrer la répartition entre aide multilatérale et aide bilatérale fixé par la loi de programmation.

En conséquence, la commission des finances du Sénat a saisi la Cour des comptes d'une demande d'enquête, au titre du 2° l'article 58 de loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, sur les contributions de la France en matière d'aide multilatérale. Cette dernière a fait l'objet d'une audition pour suites à donner devant la commission des finances le 25 septembre 2024.


* 1 Note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes.

* 2 Contribution sur la mission « Aide publique au développement » de MM. Michel Canévet et Raphaël Daubet au rapport général n° 220 (2023-2024), fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2024, déposé le 19 décembre 2023.

* 3 Note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes, avril 2024.

* 4 Articles 94 et 95 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 modifié relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (dit GBCP).

* 5 Et confirmée par la publication de la Stratégie humanitaire 2023-2027.

* 6 Loi n° 2024-309 du 5 avril 2024 relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page