N° 34

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2023,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 15b
Compte d'affectation spéciale : gestion du patrimoine immobilier de l'État

Rapporteur spécial : M. Claude NOUGEIN

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 3, 291 et T.A. 3

Sénat : 32 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État »

1. En 2023, le CAS bénéficie d'un niveau de recettes encaissées très élevé, de 524,4 millions d'euros, significativement supérieur à la prévision en loi de finances initiale (480 millions d'euros) et représentant un quasi doublement par rapport à l'exécution 2022 (298 millions d'euros). Ces recettes dynamiques sont principalement portées par l'évolution des produits de cessions immobilières, qui doublent entre 2022 et 2023 pour atteindre 405,8 millions d'euros (contre de 199,6 millions d'euros en 2022), notamment grâce à des opérations de cession exceptionnelles.

2. La consommation des CP augmente de près d'un tiers par rapport à l'exécution 2022 (348,1 millions d'euros) et à la prévision (340,0 millions d'euros), pour s'élever à 458,3 millions d'euros, essentiellement du fait d'une acquisition d'ampleur non prévue et d'un apurement notable des restes à payer. Cependant, alors que le CAS avait enregistré un déficit de 50,1 millions d'euros en 2022, les recettes très élevées du compte en 2023 lui permettent de dégager un excédent significatif, de 66,0 millions d'euros, portant sa trésorerie à 707,1 millions d'euros.

3. Dans un contexte marqué par la raréfaction tendancielle des biens attractifs pour la vente et des cessions exceptionnelles, la perspective de la création d'une foncière de l'État, à partir de 2025, pourrait constituer une première étape dans l'évolution du modèle du compte d'affectation spéciale. Cette nouvelle organisation, qui vise la réalisation d'un objectif de réduction des surfaces occupées de 25 % en dix ans, devrait notamment se traduire par le versement de loyers payés par les administrations occupantes, ce qui pourrait à terme entraîner des changements significatifs pour le fonctionnement du CAS.

I. UNE EXÉCUTION MARQUÉE PAR DES PRODUITS DE CESSIONS IMMOBILIÈRES TRÈS ÉLEVÉS

Créé par la loi de finances pour 20061(*), le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » est l'instrument budgétaire de la politique immobilière de l'État. Placé sous la responsabilité de la direction de l'immobilier de l'État (DIE), il vise à financer les opérations de valorisation et la modernisation du parc immobilier de l'État en recourant, prioritairement, à la cession d'actifs.

Le compte d'affectation spéciale se compose de deux programmes :

- le programme 721 « Contribution des cessions immobilières au désendettement de l'État » porte la contribution du compte au désendettement de l'État. Cependant, ce programme n'est plus abondé depuis 20182(*) ;

- le programme 723 « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État » porte les crédits destinés à financer les dépenses d'entretien à la charge du propriétaire, ainsi que les opérations immobilières structurantes réalisées sur le parc immobilier de l'État.

A. DES RECETTES TIRÉES PAR DES CESSIONS EXCEPTIONNELLES

En 2023, le CAS bénéficie d'un niveau de recettes encaissées très élevé, de 524,4 millions d'euros. Ce montant est significativement supérieur à la prévision en loi de finances initiale, de 480 millions d'euros, et représente un quasi doublement par rapport à l'exécution 2022, de 298 millions d'euros.

Exécution des recettes du budget annexe en 2023

(en % et en millions d'euros)

Recettes

LFI 2022

Exécution 2022

LFI 2023

Exécution 2023

Exécution 2023 / exécution 2022

Écart d'exécution 2023

Produits des cessions immobilières

280,0

199,6

370,0

405,8

+ 103,3 %

+ 9,7 %

Produits de redevances domaniales

90,0

98,4

110,0

118,6

+ 20,5 %

+ 7,8 %

Total

370,0

298,0

480,0

524,4

+ 76,0 %

+ 9,3 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et la note d'exécution budgétaire 2023 de la Cour des comptes

Le dynamisme des recettes du CAS est porté principalement par l'évolution des produits de cessions immobilières, qui doublent entre 2022 et 2023, pour passer de 199,6 millions d'euros à 405,8 millions d'euros, notamment grâce à des opérations de cession exceptionnelles.

De même, les redevances domaniales connaissent une croissance importante, de plus de 20 % par rapport à l'exécution 2022, atteignant 118,6 millions d'euros, contre 98,4 millions d'euros en 2022 et une prévision en loi de finances initiale de 110 millions d'euros.

À titre de ressources complémentaires, le CAS a comptabilisé 33,6 millions d'euros de versements du budget général ainsi que 5,5 millions d'euros de recettes issues de fonds de concours.

Les produits de cessions immobilières
résultant d'opérations exceptionnelles

Le montant de 176,2 millions d'euros de recettes exceptionnelles en 2023 provient :

- pour 79,1 millions d'euros de la cession de l'immeuble parisien « Hôtel du timbre », rue de la Banque, signée fin 2022, dont le produit de cession a été encaissé en janvier 2023 ;

- pour 65 millions d'euros de la cession de droits réels immobiliers sous la forme de bail emphytéotique, en 2023, de l'immeuble parisien « Pyramides » occupé par le ministère de la culture et encaissé en mars 2023 ;

- pour 32,1 millions d'euros de la cession d'une quotepart d'un ensemble immobilier dénommé « Osmose » situé à Strasbourg pour y accueillir le Parlement européen.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

B. UNE CONSOMMATION DES CRÉDITS DE PAIEMENT EN FORTE CROISSANCE, QUI PERMET NÉANMOINS DE DÉGAGER UN EXCÉDENT IMPORTANT

L'exécution 2023 affiche une évolution contrastée des dépenses :

- la consommation des AE, pour un montant de 356,0 millions d'euros, est sensiblement inférieure à l'exécution 2022 (437,3 millions d'euros) ainsi qu'à la prévision en loi de finances initiale (480,0 millions d'euros), le compte d'affectation spéciale ayant cessé en 2023 de porter les engagements du programme « Résilience I » ;

- à l'inverse, la consommation des CP, pour un montant de 458,3 millions d'euros, augmente de près d'un tiers par rapport à l'exécution 2022 (348,1 millions d'euros) et à la prévision (340,0 millions d'euros), essentiellement du fait d'une acquisition d'ampleur non prévue et d'un apurement notable des restes à payer3(*).

Exécution des crédits du budget annexe en 2023

(en % et en millions d'euros)

Action

LFI 2022

Exécution 2022

LFI 2023

Exécution 2023

Exécution 2023 / exécution 2022

Écart d'exécution 2023

[11] Opérations structurantes et cessions

AE

210,0

173,8

310,0

211,1

+ 21, 5 %

- 31,9 %

CP

260,0

151,3

170

247,4

+ 63,5 %

+ 45,5 %

[12] Contrôles réglementaires, audits, expertises et diagnostics

AE

21,9

15,7

16,0

11,2

- 28,7 %

- 30,0 %

CP

21,9

14,9

19,0

12,0

- 19,5 %

- 36,8 %

[13] Maintenance à la charge du propriétaire

AE

44,1

50,9

51,0

51,1

+ 0,4 %

+ 0,2 %

CP

43,1

49,7

45,0

51,9

+ 4,4 %

+ 15,3 %

[14] Gros entretien, réhabilitation, mise en conformité et remise en état

AE

89,6

196,8

103,0

82,6

- 58,0 %

- 19,8 %

CP

90,6

132,2

106,0

147,0

+ 11,2 %

+ 38,7 %

Total

AE

365,6

437,3

480,0

356,0

- 18,6 %

- 25,8 %

CP

415,6

348,1

340,0

458,3

+ 31,7 %

+ 34,8 %

Note : le programme 721 « Contribution des cessions immobilières au désendettement de l'État » n'étant plus abondé depuis 2018, seules les actions du programme 723 « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État » sont présentées.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Ainsi, alors que le CAS avait enregistré un déficit de 50,1 millions d'euros en 2022, les recettes très élevées du compte en 2023 lui permettent de dégager un excédent significatif, de 66,0 millions d'euros, certes en retrait par rapport à la prévision de la loi de finances initiale (140 millions d'euros).

En conséquence, le solde cumulé du compte depuis sa création (soit la trésorerie du compte) est porté à 707,1 millions d'euros, soit deux fois le montant des restes à payer et des AE affectées4(*).

II. II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. UN AFFAIBLISSEMENT PRÉVISIBLE DES RECETTES QUI QUESTIONNE LA PÉRENNITÉ DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE

Alors que le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » a représenté seulement 3,5 % des crédits de l'État en faveur de l'immobilier en 2023, qui pour la majorité reposent sur les programmes support des ministères, son rôle déjà très modeste au sein de la politique immobilière de l'État pourrait être significativement affecté à moyen terme par la baisse tendancielle de son niveau de recettes.

Part des crédits de paiement dans les supports budgétaires mutualisés
en matière immobilière

(en % et en millions d'euros)

 

Exécution 2021

Exécution 2022

LFI 2023

Support

Montant

Part du total

Montant

Part du total

Montant

Part du total

CAS Gestion du patrimoine immobilier de l'État

427

5,6 %

348

3,8 %

340

3,5 %

Programme 348

90

1,2 %

279

3,1 %

553

5,8 %

Programme 362

488

6,4 %

947

10,4 %

372

3,9 %

Total des crédits sur des supports mutualisés

1 005

13,2 %

1 575

17,3 %

1 265

13,2 %

Autres programmes budgétaires

6 611

86,8 %

7 542

82,7 %

8 315

86,8 %

Total général

7 616

100,0 %

9 117

100,0 %

9 580

100,0 %

Note : le programme 348 correspond au programme « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs » de la mission « Transformation et fonction publiques ». Le programme 362 désigne le programme « Économie » de la mission « Plan de relance ».

Source : Cour des comptes, d'après le document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État, annexé au projet de loi de finances pour 2023

En effet, les recettes du CAS devraient progressivement se réduire sous l'effet de la raréfaction des biens attractifs pour la vente et des cessions exceptionnelles. Ainsi, trois quarts des 1 636 biens immobiliers déclarés inutiles et remis au domaine fin 20225(*) étaient considérés par la DIE comme « Difficiles », « Très difficiles » ou « Improbables » à céder6(*).

Par ailleurs, les modifications des conditions de travail (notamment le télétravail) pourraient rendre la valorisation des biens plus difficile à réaliser sur un marché des surfaces de bureau en transformation7(*).

B. LA CRÉATION D'UNE FONCIÈRE EN 2025, UNE PREMIÈRE ÉTAPE VERS UNE REFORME PLUS GLOBALE DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DE L'ÉTAT

Ainsi que le souligne la Cour des comptes8(*), le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », comme l'ensemble de la politique immobilière de l'État, doivent faire l'objet d'une « réforme de son organisation actuelle », laquelle apparaît aujourd'hui « inadaptée pour faire face aux investissements massifs » nécessaires à la mise aux normes et à l'adaptation des bâtiments publics au changement climatique, estimés à un montant compris entre 140 et 150 milliards d'euros à l'horizon 20509(*).

À ce titre, la perspective de la création d'une foncière de l'État, à partir de 2025, annoncée en mars 2024, pourrait constituer une première étape dans l'évolution du modèle du compte d'affectation spéciale. Cette nouvelle organisation, destinée à assurer « une gestion immobilière responsable, durable et sobre »10(*), vise plus particulièrement la réalisation d'un objectif de réduction des surfaces occupées de 25 % en dix ans.

Dans ce cadre, l'incitation des ministères à la rationalisation, à la mutualisation et à la rénovation de leurs bâtiments passerait par le versement de loyers payés par les occupants, ce qui devrait induire des changements significatifs pour le fonctionnement du CAS.

À cet égard, le rapporteur spécial suivra avec attention les évolutions apportées en la matière, qui devraient permettre une gestion plus rigoureuse et plus globale du patrimoine immobilier de l'État.

La réforme de la foncière d'État

Présentée par le ministre chargé des comptes publics à l'occasion du conseil de l'immobilier de l'État (CIE) du 29 février 2024, la réforme de la foncière d'État vise à répondre à plusieurs objectifs :

- accélérer la transition écologique et la sobriété immobilière, et notamment la réduction des surfaces tertiaires occupées de 25 % en dix ans ;

- optimiser la gestion et valoriser le patrimoine immobilier de l'État, qui constitue un élément structurant de la présence des services publics dans les territoires ;

- mieux adapter les espaces aux nouvelles modalités de travail et améliorer les conditions de travail des agents ;

- garantir la pertinence des investissements immobiliers de l'État et responsabiliser l'occupant sur le coût de son immobilier ;

- renforcer l'attractivité et accélérer la professionnalisation de la filière immobilière de l'État, en renforçant les identités des métiers concernés et en valorisant les parcours de carrière.

La création de la foncière est conçue comme une réponse opérationnelle aux enjeux de la gestion immobilière du patrimoine de l'État :

- le modèle de foncière, publique et interministérielle, existe dans la plupart des pays européens ;

- la foncière assurera les missions de propriétaire sur le portefeuille d'actifs immobiliers qui lui sera transféré, ainsi que les actifs à acquérir ;

- elle garantira son fonctionnement par la perception des loyers payés par les occupants, par sa capacité à emprunter et à dynamiser l'ensemble de la chaîne de valeur immobilière ;

- elle contribuera à mettre en place une gouvernance vertueuse de l'immobilier de l'État en distinguant les rôles de locataire et de propriétaire.

Pilotée par la DIE en concertation avec tous les acteurs concernés, la mise en place de ce projet sera progressive et étalée dans le temps, et repose sur un pilote effectif à compter de 2025.

Le périmètre du pilote porte sur les bâtiments de bureaux du ministère des Finances et du ministère de l'Intérieur (hors forces de police et gendarmerie), les sites multi-occupants et les biens devenus inutiles aux services publics dans deux territoires pilotes : Grand-Est et Normandie.

Source : commission des finances, d'après le site internet de la DIE


* 1 Article 47 de la loi n° 2005 1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.

* 2 Il ne peut pas être supprimé, car l'article 7 de la loi organique n° 2001 692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) impose qu'un compte d'affectation spéciale comporte au moins deux programmes.

* 3 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023, compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », avril 2024.

* 4 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023, compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », avril 2024.

* 5 D'une surface utile brute de 3,5 millions de mètres carrés et d'une valeur estimée à 892 millions d'euros.

* 6 Cour des comptes, « La politique immobilière de l'État, une réforme nécessaire pour aborder les enjeux à venir », communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale, décembre 2023.

* 7 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023, compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », avril 2024.

* 8 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire précitée.

* 9 Cour des comptes, « La politique immobilière de l'État, une réforme nécessaire pour aborder les enjeux à venir », rapport précité.

* 10 Communiqué de presse du 1er mars 2024, « Lancement des travaux du Conseil de l'immobilier de l'État sur le projet de foncière de l'État pour une gestion immobilière responsable, durable et sobre ».

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page