C. UNE RÉDUCTION OPTIMISTE DES DÉPENSES D'ALLOCATION POUR DEMANDEUR D'ASILE EN 2024

1. L'ADA : une aide financière allouée aux demandeurs d'asile

Créée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile36(*), l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) est versée aux demandeurs d'asile d'au moins 18 ans pendant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande, y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (Cnda). Cette allocation est familialisée et versée à l'ensemble des demandeurs d'asile dès lors qu'ils ont accepté l'offre de prise en charge qui leur a été présentée lors de leur admission au séjour. Les demandeurs d'asile relevant des dispositions du règlement Dublin peuvent également percevoir l'ADA jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande. En outre, les personnes bénéficiant de la protection temporaire au titre du conflit en Ukraine peuvent également percevoir l'ADA37(*). La gestion de l'ADA est assurée par l'Ofii.

Son montant varie en fonction de la composition familiale, des ressources de la famille et du besoin et des modalités d'hébergement. Il est de 6,8 euros par jour pour une personne seule. Il augmente de 3,4 euros par membre de la famille supplémentaire. Le montant supplémentaire, si aucune place d'hébergement n'a été proposée au demandeur, est de 7,4 euros (ce montant est identique, que le demandeur soit seul ou qu'il ait une famille). Ainsi, le montant mensuel pouvant être versé à un demandeur d'asile seul, s'il ne s'est pas vu proposer de place d'hébergement, est de 432 euros mensuel.

Montants journaliers de l'ADA, en fonction de la composition familiale
et du département d'enregistrement de la demande

Composition familiale

Métropole

Guyane/Saint-Martin

1 personne

6,80 €

3,80 €

2 personnes

10,20 €

7,20 €

3 personnes

13,60 €

10,60 €

4 personnes

17,00 €

14,00 €

5 personnes

20,40 €

17,40 €

6 personnes

23,80 €

20,80 €

7 personnes

27,20 €

23,20 €

8 personnes

30,60 €

27,60 €

9 personnes

34,00 €

30,00 €

10 personnes

37,40 €

34,40 €

Source : commission des finances, d'après l'annexe 8 de la partie réglementaire du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA)

2. Une réduction anticipée du coût de l'ADA en 2024, fondée sur un raccourcissement des délais de traitement des demandes d'asile, qui apparaît optimiste et n'intègre pas les bénéficiaires de la protection temporaire en provenance d'Ukraine
a) Un raccourcissement observé des délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, qui s'appuie sur des moyens en hausse ces dernières années

L'Ofpra est l'office chargé, en première instance, d'accorder ou non la protection de la France aux demandeurs d'asile qui la sollicitent. Établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministre de l'intérieur depuis 2010, il bénéficie de l'indépendance fonctionnelle. Son financement est assuré presque intégralement par une subvention pour charges de service public versée par le ministère.

En 2020, les subventions accordées à l'Ofpra avaient augmenté de près de 30 % et ses effectifs de 200 ETPT, en cohérence avec l'objectif de réduction des délais de traitement des demandes d'asile. En 2024, les subventions s'établiront au titre du programme 303 et de la mission38(*) à 107,9 millions d'euros, en hausse de 4,2 % (+ 4,4 millions d'euros) par rapport à 2023, tandis que 17 ETPT seront créés (notamment dans le « pôle protection »), pour atteindre un plafond de 1 028 ETPT, tous rémunérés par l'opérateur. Pour mémoire, en 2011, l'OFPRA disposait d'une subvention de 34,5 millions d'euros et de 442 ETP.

La hausse des moyens budgétaires de l'Ofpra en 2024 vise à faire face à la variation de la masse salariale à effectif constant sous l'effet du glissement « vieillesse-technicité », à permettre le renforcement des effectifs de l'office avec un schéma d'emploi positif de 17 ETP et des mesures en faveur de la réduction du taux de rotation des officiers de protection, et à intégrer les conséquences de l'inflation sur les dépenses de loyers, d'interprétariat et de fluides. Néanmoins, dans le même temps, le nombre d'agents mis à disposition par le ministère de l'Europe et des affaires européennes auprès de l'Ofpra passerait de 14 à 4, soit une baisse de 10 ETPT.

En octobre 2022, une antenne de l'Ofpra est entrée en service à Mamoudzou (Mayotte), afin de traiter spécifiquement, conformément au décret n° 2022-211 du 18 février 2022, la demande d'asile enregistrée à Mayotte, sur le même modèle que l'antenne de Cayenne, qui traite des demandes d'asile déposées en Guyane.

L'activité de traitement des demandes d'asiles par l'Ofpra avait été très affectée en 2020 par la mise en place de restrictions sanitaires, les périodes de confinement et par la réduction du flux de demandes. Alors qu'en 2019, l'Ofpra avait rendu 120 634 décisions, seules 89 774 avaient été rendues par lui en 2020, soit une baisse de 25,6 %. Dans un contexte d'une levée progressive des restrictions sanitaires et de moyens humains et budgétaires en hausse, l'Ofpra a rendu 139 810 décisions en 2021 (+ 55,7 % par rapport à 2020). En 2022, il a rendu un nombre de décisions comparables à 2021, à savoir 134 513 (- 3,8 % par rapport à 2021).

La hausse du nombre de décisions annuelles a conduit à une baisse du délai moyen de traitement des demandes d'asile par l'Ofpra, qui est passé de 262 jours en 2021, à 159 jours en 2022 puis à 121 jours début 2023.

Par ailleurs, le nombre relativement élevé de décisions de l'Ofpra ces dernières années a permis de légèrement réduire les stocks de dossiers pendants, qui est passé de 49 207 en décembre 2021 à 47 296 en décembre 2022, et donc l'âge moyen des dossiers, qui s'établit à 94 jours en décembre 2022, contre 176 jours fin 2021.

b) ...qui ne suffit pas à garantir la baisse prévue de la dotation au titre de l'ADA en 2024, laquelle est optimiste et n'intègre pas les bénéficiaires de la protection temporaire

En 2023, la dotation au titre de l'ADA (hors frais de gestion) avait été ramenée à 314,7 millions d'euros en AE et en CP, en diminution de 36 % (- 176,3 millions d'euros), par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (qui prévoyait une dotation de 491 millions d'euros, en incluant la provision de 20 millions d'euros pour couvrir un éventuel dépassement). L'explication donnée à cette réduction importante annoncée des dépenses d'ADA tenait dans le raccourcissement du délai moyen de traitement des demandes d'asile, qui a un effet mécanique sur le coût de l'ADA, laquelle est ainsi versée sur une moins longue période à chaque demandeur.

En 2024, la dotation au titre de l'ADA (hors frais de gestion) est de nouveau diminuée, pour s'établir à 293,9 millions d'euros en AE et en CP, en diminution de 6,6 % (- 20,8 millions d'euros), par rapport à 2023. Le projet annuel de performances précise que le montant de cette dotation s'appuie sur l'hypothèse d'une poursuite de la reprise du flux de demandes d'asile, qui s'établirait à environ 160 000 en 2024, un niveau record supérieur de près de 30 000 demandes au précédent record de 2019 (l'estimation pour 2023 n'est pas fournie). L'allocation serait versée à 106 011 individus en moyenne dans l'année, à un coût moyen de 231 euros par mois et par individu.

Le rapporteur spécial constate, en premier lieu, que l'estimation du coût de l'ADA s'effectue sans intégrer son versement aux personnes déplacées d'Ukraine et bénéficiant de la protection temporaire, ce qu'elle regrette. En effet, si, en 2022, notamment en raison d'un nombre de demandes d'asile finalement constaté légèrement plus faible qu'anticipé, il convient de noter que le budget de l'ADA (fixé en loi de finances initiale à 470,9 millions d'euros 39(*)) était respecté hors accueil des personnes en provenance d'Ukraine, avec une dépense exécutée de 276,5 millions d'euros (très inférieure à celle constatée en 2021, à savoir 387,6 millions d'euros), il ne l'était pas une fois intégrée l'ADA versé à ces personnes, à savoir 218,4 millions d'euros, soit 494,9 millions d'euros en CP au total. En 2023, alors que le budget de l'ADA a été fortement réduit, une telle situation ne pourra être évitée.

En second lieu, a fortiori dans un contexte de forte hausse des demandes d'asile, les résultats à atteindre en matière de délais de traitement des demandes pour respecter l'enveloppe budgétaire, même hors bénéficiaires de la protection temporaire, apparaissent difficilement atteignables. Si les délais effectifs attendus pour respecter l'enveloppe ne sont pas communiqués, le raccourcissement visé dans les cibles présentés dans le projet annuel de performances du délai moyen de traitement des dossiers par l'Ofpra, qui s'appuie sur un objectif de 160 000 décisions rendues en 202340(*) et 2024, apparaît en tout cas ambitieux puisqu'il suppose de le réduire à 60 en 2024, voire dès 2023, soit deux fois moins que le délai constaté début 2023. En outre, si le délai moyen a été réduit en 2021 et 2022 par rapport à 2020, c'est non seulement grâce à la hausse des effectifs et de l'efficacité de l'Ofpra mais aussi, et peut-être surtout, en raison du fait que le nombre de demandes d'asile a été réduit en 2020, contribuant moins qu'à l'accoutumée à la hausse du stock de dossiers. Or, en 2023 et 2024, l'accélération des délais devra être réalisée dans un contexte de niveau record de demandes d'asile.

En outre, le délai de traitement des demandes d'asile ne dépend pas que de l'Ofpra puisque la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) traite des recours contre ses décisions. Durant la période de recours, l'ADA continue à être versée. Or si la CNDA a augmenté le nombre de ses décisions en 2021 de 63 % pour retrouver un niveau d'activité comparable à 2019, puis l'a stabilisé en 2022 (- 2 %), elle n'a que faiblement réduit son délai moyen de traitement des demandes, qui est passé de 222 jours en 2021 à 199 jours en 2022. L'augmentation des demandes d'asile en 2022, 2023 et 2024 pourrait en outre conduire à un rallongement du délai moyen de traitement des demandes par la CNDA. Plus généralement, alors que le Gouvernement a fixé comme objectif un délai global, tous acteurs confondus, de 6 mois pour le traitement des demandes d'asile, le délai effectif était de 11 mois à l'été 2023.

En troisième lieu, les difficultés à assurer l'application du règlement « Dublin »41(*) peut conduire à des dérapages des dépenses d'ADA. En effet, si le nombre de transferts de demandeurs d'asile réalisés vers des pays européens était en progression jusqu'au début de la crise sanitaire (de 12 % en 2018 à 19 % en 2019) ce dernier diminue depuis 2020. Il s'était ainsi établi à 17 % en 2020, dans un contexte de restrictions de circulation liées à l'épidémie de COVID- 19. Le taux de transfert a ensuite baissé à 16 % en 2021 puis à 14 % en 2022. En 2023, le Gouvernement s'était fixée la cible de 20 % de transferts ; cette cible ne sera pas atteinte et est ramenée à 10 %, soit 2 600 transferts, notamment dans le contexte de la décision de l'Italie de suspendre les transferts vers son territoire. En 2024, la cible est fixée à 12 %.

Au final, en 2024, le cumul de la forte hausse des demandes d'asile et des difficultés très probables de l'OFPRA et de la CNDA à réduire leurs délais d'examen dans la mesure des objectifs particulièrement ambitieux fixés, ainsi que le fait que les dépenses d'ADA pour les bénéficiaires de la protection temporaire ne soient pas budgétisées, caractérisent une dotation de l'ADA à la fois optimiste et manquant de sincérité.


* 36 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 37 Voir supra.

* 38 L'Ofpra ne bénéficie de financements de l'État qu'au titre du programme 303, contrairement à l'Ofii qui en bénéficie tant au titre du programme 303 que du programme 104, en raison du spectre plus large de ses actions.

* 39 S'y ajoutait potentiellement une provision de 20 millions d'euros.

* 40 Cible qui ne sera pas atteinte, le projet annuel de performances annonçant finalement 140 000 décisions en 2023.

* 41 Voir supra.

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