IV. AU CoeUR DU FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT : SNCF RÉSEAU, LA SOCIÉTÉ DU GRAND PARIS ET VOIES NAVIGABLES DE FRANCE

A. SNCF RÉSEAU NE DISPOSE PAS DE MOYENS SUFFISANTS POUR ASSURER LA RÉGÉNÉRATION ET LA MODERNISATION DES INFRASTRUCTURES FERROVIAIRES

1. Le financement des infrastructures ferroviaires n'est pas assuré

L'audit du réseau ferré français réalisé en 2005 par l'école polytechnique fédérale de Lausanne, actualisé en 2012, avait démontré à quel point, en France, le réseau ferré structurant le plus circulé s'était considérablement dégradé pendant trois décennies du fait de l'insuffisance manifeste des investissements d'entretien et de régénération 23 ( * ) . Cette situation se traduit très concrètement par de nombreux problèmes de sécurité mais également d'efficacité , en raison de la multiplication des ralentissements de la circulation des trains. Face à ce constat accablant, les financements dédiés à la régénération du réseau ferroviaire ont été réévalués. De moins de 1 milliard d'euros en 2005 ils ont augmenté jusqu'à près de 2,7 milliards d'euros en 2016. Cependant, cette dynamique indispensable s'est interrompue à partir de 2016 et, depuis cette date, on constate une stagnation des investissements de régénération entre 2,6 et 2,8 milliards d'euros annuels. En euros constants, depuis 2016, les investissements sont même en baisse. Ce constat avait notamment été dressé par la Cour des comptes dans un rapport de 2018 sur SNCF Réseau. L 'Autorité de régulation des transports (ART) dénonce elle aussi avec constance le manque de moyens consacrés à la régénération du réseau. Dans son avis sur le budget 2022 de SNCF Réseau, elle soulignait ainsi que l'enveloppe de régénération du réseau prévue en 2022 est inférieure à la trajectoire prévue dans le contrat de performance du gestionnaire d'infrastructure.

Face aux conséquences de la crise sanitaire sur les recettes de SNCF Réseau, notamment le montant des péages mais également les incidences à venir sur le niveau des bénéfices générés par la filiale SNCF Voyageurs dont une part lui est reversée via un fonds de concours dédié qui transite par le programme 203, l'État avait débloqué, à la fin de l'année 2020, une dotation de 4,05 milliards d'euros sous la forme d'une recapitalisation du groupe SNCF. En décembre 2020, la société anonyme SNCF a reversé cette somme au fonds de concours dédié à SNCF Réseau.

Ce concours financier était absolument nécessaire pour permettre à SNCF Réseau de maintenir à un niveau minimum incompressible la trajectoire d'investissements dans la régénération du réseau malgré les conséquences de la crise. Sans cette aide d'urgence, le programme de régénération tel qu'il était programmé n'aurait pu être mené à bien . Sur ces 4,05 milliards d'euros, 2,3 milliards d'euros devaient être consacrés à la régénération des infrastructures ferroviaires, 1,5 milliard d'euros à couvrir les surcoûts induits par l'interdiction de l'épandage de glyphosate 24 ( * ) et 300 millions d'euros aux lignes de desserte fine du territoire .

Mécanisme budgétaire du concours financier exceptionnel
de 4,05 milliards d'euros apportés par l'État à SNCF Réseau

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

En 2021 (1,645 milliard d'euros), puis en 2022 (1,761 milliards d'euros), deux premières tranches de la dotation de 4,05 milliards d'euros ont été effectivement versées à SNCF Réseau via le programme 203. Le solde de 0,644 milliard d'euros doit lui être payé en 2023.

Calendrier de versements à SNCF Réseau
des 4,05 milliards d'euros d'aide exceptionnelle de l'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Aussi, à la fin de l'année 2022, 644 millions d'euros de crédits de fonds de concours affectés à l'action 41 « Ferroviaire » du programme 203 seront reportés sur la gestion 2023.

S'ils considèrent que la régénération des voies ferrées demeure la priorité absolue et qu'elle fait l'objet d'un sous-investissement manifeste, les rapporteurs spéciaux regrettent très vivement, comme ils ont pu le souligner dans leur rapport précité de mars 2022, qu'en France, à la différence de nos principaux partenaires européens, les indispensables programmes de modernisation du réseau ne sont ni financés, ni sérieusement programmés. Cette situation est d'autant plus incompréhensible que les deux principaux programmes de modernisation du réseau, la commande centralisée du réseau (CCR) 25 ( * ) et l'ERTMS 26 ( * ) , sont susceptibles de générer d'importants gains d'efficience et d'améliorer grandement la performance du réseau ferroviaire.

Les enjeux de financement de ces deux programmes sont massifs et supposent un accompagnement financier. Les coûts de déploiement en France de ces programmes pourraient s'élever à 15 milliards d'euros pour la CCR et 20 milliards d'euros pour l'ERTMS .

Alors qu'elle dispose d'un savoir-faire industriel reconnu dans le domaine, faute d'une vision stratégique ambitieuse de l'État et en l'absence de modèle de financement, la France accuse un retard considérable dans la modernisation de son réseau.

Pour les rapporteurs spéciaux, cette situation très préjudiciable pour l'ensemble du secteur ferroviaire n'est pas acceptable et doit rapidement être résolue faute de quoi le réseau français pourrait irrémédiablement décrocher vis-à-vis de ses homologues européens.

Au mois d'avril 2022, le nouveau contrat de performance de SNCF Réseau a été signé en catimini . Au cours des semaines qui ont précédé cette signature, le projet de contrat avait pourtant fait l'objet de critiques unanimes de l'ensemble du secteur ferroviaire. Les rapporteurs spéciaux avaient pu développer, dans leur rapport de mars 2022 précité, les nombreuses insuffisances de ce contrat qu'ils préfèrent qualifier de « contre-performance ». Alors qu'il fait figure de véritable pierre angulaire du modèle économique ferroviaire national et qu'il doit traduire avec rigueur des engagements de financements ambitieux, sincères et crédibles, les rapporteurs considèrent qu'à l'instar de son prédécesseur, ce contrat n'est « ni réaliste, ni soutenable » . L'Autorité de régulation des transports (ART) a elle-même émis un avis très critique sur ce contrat le 8 février 2022.

Les investissements prévus dans le projet de contrat apparaissent extrêmement insuffisants, même pour maintenir l'état actuel du réseau, et complètement déconnectés des objectifs climatiques portés par la France, sans parler des implications attendues de l'ambitieux projet de green deal européen . À travers la trajectoire prévisionnelle de l'indice de consistance de la voie (ICV) qu'il retient, le nouveau contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau acte l'insuffisance des investissements dans la régénération du réseau qu'il prévoit puisqu'il anticipe une dégradation de cet indicateur de 2021 à 2030. Si le contrat reconnaît que le vieillissement des appareils de signalisation constitue le « point faible » du réseau, il acte du fait que les investissements de régénération prévus au contrat se traduiront par une dégradation significative de l'indicateur mesurant leur âge moyen.

Alors que les montants nécessaires pour réellement renouveler le réseau seraient de l'ordre de 3,8 à 3,9 milliards d'euros par an, les rapporteurs spéciaux sont extrêmement préoccupés et craignent que les graves problèmes de ralentissements qui, jusqu'à aujourd'hui, concernaient très majoritairement les « petites lignes » ne se diffusent au réseau structurant , c'est-à-dire les voies les plus circulées.

Le contexte d'inflation actuel renforce encore cette menace puisque SNCF Réseau estime que ce phénomène pourrait générer en année pleine un surcoût de 500 millions d'euros sur les travaux de régénération . Cette perspective dramatique pour l'avenir du réseau ferré national doit à tout prix être conjurée par une révision rapide de la trajectoire d'investissement prévue dans le contrat de performance de SNCF Réseau. Les rapporteurs spéciaux appellent à ce que cette révision intervienne dans le prolongement immédiat de la définition de la nouvelle programmation pluriannuelle d'investissements dans les infrastructures de transport qui doit s'appuyer sur le rapport du COI attendu d'ici la fin de l'année.

Par ailleurs, concernant les programmes de modernisation, le nouveau contrat de performance ne prévoit ni financement ni accélération . Concernant la CCR, il se borne à signaler que « si des solutions de financement se présentent » , ce programme sera accéléré. Les rapporteurs spéciaux ne comprennent pas une telle absence de volontarisme politique .

Sur ces sujets majeurs pour l'avenir du secteur ferroviaire national et nos engagements environnementaux, les rapporteurs spéciaux constatent et regrettent que ce projet de loi de finances pour 2023 ne prévoie rien . Compte-tenu des enjeux financiers de tels investissements ils souhaiteraient qu'une réflexion s'engage sur la possibilité de recourir à des modes de financements spécifiques qui pourraient, le cas échéant, faire appel à des mécanismes de type sociétés de projets .

2. La charge des redevances d'infrastructures assumées par l'État au bénéfice de SNCF Réseau augmente de 3 % en 2023

Les dépenses d'intervention versées à SNCF Réseau représentent une part très significative des crédits budgétaires du programme 203 « Infrastructures et services de transport ». Ces crédits, portés par l'action 41 « Ferroviaire », servent à financer le coût de l'utilisation du réseau ferré national par les trains régionaux de voyageurs (TER), les trains d'équilibre du territoire (trains Intercités) et les trains de fret. Les CP de l'action 41 « Ferroviaire », représentent ainsi plus de 66 % de la dotation totale du programme. En 2023, cette action est dotée de 2 708,4 millions d'euros en AE et de 2 704,9 millions d'euros en CP , soit des augmentations respectives de 5,7 % et de 5,5 % par rapport à 2022.

Un effet de périmètre doit être retraité pour déterminer la véritable évolution des crédits inscrits sur le programme entre la loi de finances initiale pour 2022 et le présent projet de loi de finances pour 2023. En effet, la majoration de 65 millions d'euros de la compensation fret (voir infra ) avait été inscrite à l'action 45 « Transports combinés » en 2022 . En excluant cet effet de périmètre, l'évolution des crédits inscrits à l'action 41 s'établit à + 3 %.

En 2023, SNCF Réseau devrait ainsi percevoir :

- 1 957 millions d'euros (AE=CP) pour les redevances d'accès au réseau relatives aux TER hors Île-de-France, soit une hausse de 3,4 % par rapport à 2022 ;

- 556 millions d'euros (AE=CP) pour la redevance d'accès facturée par SNCF Réseau pour l'utilisation du réseau ferré national hors Île-de-France par les trains d'équilibre du territoire ( TET ), dont l'État est l'autorité organisatrice (voir infra ), soit une augmentation de 3,5 % par rapport à 2022 ;

- 191 millions d'euros au titre de la « compensation fret » qui vise à couvrir l'utilisation du réseau ferré national par les trains de fret

Cette dernière progresse de 43,6 % par rapport à 2022 en raison de la prise en compte de l'aide complémentaire à l'exploitation du fret de 65 millions d'euros qui doit être maintenue jusqu'en 2027 et qui était inscrite à l'action 45 du programme 203 en 2022.

Par ailleurs, dans le cadre de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 , le Parlement avait voté une aide exceptionnelle de 26 millions d'euros destinée à atténuer les conséquences de la crise des prix de l'énergie sur le secteur du transport ferroviaire de marchandises. Cette aide a couvert la moitié des surcoûts constatés en 2022 par les opérateurs (52 millions d'euros). Alors que le Parlement a inscrit dans la loi l'objectif d'un doublement de la part modale du fret ferroviaire d'ici 2030 et qu'ils considèrent que cette ambition est un élément clé de notre stratégie environnementale, les rapporteurs spéciaux sont particulièrement préoccupés quant aux répercussions de l'emballement de la crise des prix de l'énergie sur le transport ferroviaire de marchandises. En 2023, les surcoûts pour les opérateurs de fret pourraient être multipliés par quatre et atteindre 200 millions d'euros . Le secteur participe actuellement à des négociations avec les services de l'État pour déterminer les conditions de l'allocation d'une aide publique, qui ne manquera pas d'être mise en oeuvre tant elle paraît incontournable . Cette dotation, qui sera nécessairement plus élevée que les 26 millions d'euros alloués en 2022 devrait, d'après les informations recueillies par les rapporteurs spéciaux, être proposée par le Gouvernement dans le cadre de l'examen d'un projet de loi de finances rectificative en cours d'année 2023 .

Le graphique ci-après illustre l'évolution de la compensation fret historique, de la compensation fret additionnelle mise en place à compter de 2021 et de l'aide exceptionnelle destinée à couvrir une partie de la hausse de la facture énergétique des opérateurs en 2022.

Évolution des compensations aux péages de fret ferroviaire (2019-2023

(en millions d'euros)

Source : Commission des finances du Sénat d'après le projet annuel de performance 2023 et les réponses de la DGITM au questionnaire budgétaire


* 23 Dans un passé récent, l'État a clairement privilégié la construction de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV), qui ont monopolisé les ressources financières, mais également les ressources humaines de SNCF Réseau et de ses sous-traitants.

* 24 Et à financer la rénovation des ponts ferroviaires.

* 25 La commande centralisée du réseau (CCR) doit se traduire par la création de « tours de contrôle » à grand rayon d'action permettant de centraliser la régulation des circulations. La CCR est un levier d'efficience considérable. Son déploiement permettrait de remplacer les 2 200 postes d'aiguillages actuels (1 500 pour le réseau structurant), auxquels plus de 13 000 agents sont affectés, par une quinzaine de tours de contrôle. D'après la Cour des comptes la baisse d'effectifs consécutive pourrait atteindre 40 %.

* 26 L'ERTMS est un système de signalisation de nouvelle génération, interopérable au niveau européen et permettant de réduire l'intervalle entre les trains. Aussi permet-il d'augmenter la cadence du trafic (de quatre trains par heure sur les LGV), d'accroître la performance du réseau, d'améliorer la régularité du trafic ainsi que l'offre de sillons, en particulier aux opérateurs de fret ferroviaire.

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