B. UNE MÊME NEUTRALITÉ, DEUX HISTOIRES DIFFÉRENTES
La neutralité militaire de la Finlande constitue un choix stratégique à demi contraint effectué, au lendemain de la seconde guerre mondiale, par un pays depuis longtemps sous la menace de son voisin russe, dont l'empire l'a englobé de 1809 à 1917 en tant que grand-duché de Finlande. Celle-ci a signé le 6 avril 1948 avec l'Union soviétique un pacte d'amitié, sous la pression de celle-ci et après avoir dû renoncer au plan Marshall. Ce pacte a été renouvelé trois fois entre 1955 et 1983. Cette « finlandisation » a coûté au pays la maîtrise de sa politique étrangère, subordonnée à celle de l'URSS, mais lui a permis de rester en dehors du Pacte de Varsovie pendant la guerre froide et ainsi de conserver une politique intérieure autonome .
La fin de la neutralité de la Suède constitue une évolution encore plus radicale. En paix depuis 1814, seul pays du nord de l'Europe à ne pas avoir été envahi pendant la deuxième guerre mondiale, ce pays pouvait, plus qu'aucun autre, se féliciter de son non-alignement. Élément essentiel de sa politique étrangère, voire de son identité, cette neutralité allait de pair avec un soutien sans faille du multilatéralisme et une politique « compassionnelle » envers les pays en développement (haut niveau d'aide publique au développement). Cette neutralité bi-séculaire suédoise avait toutefois été assouplie en 1992, dans la perspective d'une adhésion à l'UE.
C. UNE RENONCIATION À LA NEUTRALITÉ MOTIVÉE ESSENTIELLEMENT PAR LA MENACE RUSSE
S'agissant de la Finlande, l'invasion de la Crimée par la Russie en 2014, les actions de déstabilisation du Kremlin invoquant notamment le sort de la minorité russophone de Finlande, enfin et surtout l'invasion de l'Ukraine, ont eu raison de la neutralité du pays . Celle-ci ne semble plus en effet fournir une immunité suffisante contre la menace russe. Loin d'aboutir à la « finlandisation » de l'Ukraine, son invasion par la Russie a ainsi paradoxalement conduit à l'« otanisation » de la Finlande . Alors qu'en 2020, 20 % de la population finlandaise à peine soutenait le principe d'une adhésion à l'OTAN, cette proportion a grimpé à 53 % le 28 février 2022, à 62 % en mars et à 76 % en mai 2022. Le 17 mai, 188 des 200 députés finlandais ont voté en faveur de l'adhésion à l'OTAN.
des Finlandais favorables à l'adhésion à l'OTAN avant l'invasion de l'Ukraine |
des Finlandais favorables à l'adhésion à l'OTAN après l'invasion de l'Ukraine |
des Suédois favorables à l'adhésion à l'OTAN avant l'invasion de l'Ukraine |
des Suédois favorables à l'adhésion à l'OTAN après l'invasion de l'Ukraine |
S'agissant de la Suède, outre l'agression contre l'Ukraine, la crainte de voir l'île de Gotland devenir un point d'appui éventuel pour l'armée russe dans la mer Baltique a précipité la volonté d'adhésion à l'OTAN. En outre, après la manifestation de la volonté de la Finlande d'adhérer à l'Alliance, la Suède ne pouvait rester en dehors de celle-ci, au risque de se trouver isolée en Europe du Nord , l'ensemble de ses partenaires scandinaves étant désormais membres de l'OTAN. Ainsi, l'opinion publique a majoritairement basculé en faveur d'une adhésion à l'OTAN : 42 % de la population soutenait cette perspective en janvier 2022 et 57 % en mai. Le 15 mai 2022, six des huit partis représentés au Parlement ont exprimé leur soutien à l'adhésion.
Loin d'aboutir à la « finlandisation » de l'Ukraine, son invasion par la Russie a finalement conduit à l'« otanisation » de la Finlande et de la Suède
La Finlande et la Suède ont ainsi formellement fait acte de candidature à l'OTAN le 18 mai 2022. L'acceptation de ces candidatures, largement soutenue par les Alliés, a fait l'objet d'un blocage de la part de la Turquie, sur la base de différends bilatéraux, principalement avec la Suède. À la suite de l'accord trouvé avec Ankara et matérialisé par la signature d'un memorandum tripartite lors du Sommet de Madrid le 29 juin, les protocoles d'adhésion ont été signés par l'ensemble des Alliés le 5 juillet 2022 .