C. QUELLES PERSPECTIVES POUR LES OPÉRATEURS DU PROGRAMME 175 ?
Le prolongement de la crise sanitaire en 2021 - les établissements étant fermés jusqu'au 19 mai dernier - a conduit à remettre en cause la trajectoire de reprise élaborée en loi de finances 2021, via la mission « Culture » et la mission « Plan de relance ».
1. Une crise appelée à durer
Si la durée de la période de fermeture des établissements patrimoniaux a été la même en 2021 qu'en 2020, cette dernière était néanmoins caractérisée par un premier trimestre meilleur qu'en 2019. Les pertes cumulées pour les opérateurs devraient ainsi atteindre 310 millions d'euros en 2021. Celles-ci visent les revenus issus de la billetterie, de la privatisation ou du mécénat, mais aussi des boutiques. Le développement numérique reste, à ce titre, insuffisant pour combler les pertes de recettes liées à la fermeture des boutiques : le e-commerce ne représente ainsi que 10 % des recettes en boutique de la Réunion des musées nationaux - Grand Palais.
L'estimation de ces pertes, élaborée en juin 2021, n'intègre pas un effet potentiel de l'instauration du Pass sanitaire, même si certains opérateurs à l'image du Centre Georges Pompidou estiment que cette contrainte n'apparaît pas dissuasive. Ces pertes devraient, en tout état de cause être supérieures à celles enregistrées par les mêmes opérateurs en 2020 : 254 millions d'euros.
Ces pertes ne reflètent pas totalement une situation contrastée. Certains monuments gérés par le Centre des monuments nationaux (CMN) ont ainsi enregistré une fréquentation supérieure à celle constatée en 2019. Sous l'effet d'un tourisme local et européen (Allemagne, Italie, Pays-Bas), le Mont-Saint-Michel et les remparts de Carcassonne sont désormais les sites les plus visités, devant les monuments parisiens confrontés à la disparition du tourisme asiatique et américain. Le nombre de visiteurs des sites gérés par le CMN devrait cependant n'atteindre que 4,1 millions de personnes en 2021, contre 10 millions de personnes en 2019, fragilisant de fait la trésorerie du Centre, fondée sur le principe de péréquation totale des ressources. L'enquête commandée par le ministère de la culture en septembre 2021 souligne à ce titre un changement d'habitude des Français : 29 % des personnes interrogées pensaient se rendre, d'ici décembre 2021, moins souvent dans un musée ou un monument historique qu'avant le déclenchement de la pandémie. Cette proportion atteint respectivement 33 % et 32 % pour les personnes fréquentant souvent ces lieux avant la crise.
L'exercice 2022 devrait être marqué par de nouvelles pertes nettes, estimées pour l'heure à 182 millions d'euros. Le retour limité et progressif de la clientèle touristique extra-européenne, les dispositifs mis en place pour respecter les barrières sanitaires mais aussi la modification des pratiques culturelles justifient une telle prévision. Le CMN table ainsi sur un nombre de visiteurs compris entre 6 et 7 millions de personnes en 2022. Les opérateurs comme le ministère de la culture tablent désormais sur une reprise très progressive entre 2022 et 2024, avec la perspective à cette date des Jeux olympiques.
Hypothèses moyennes de fréquentation et
de recettes par rapport à 2019
des opérateurs du programme
175
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
2. Un soutien budgétaire exceptionnel appelé à être renouvelé au-delà de 2022
Dans ces conditions, les dispositifs de soutien exceptionnels mis en oeuvre en 2020 (collectifs budgétaires) et 2021 (mission « Plan de relance » en loi de finances) ont pu apparaître, malgré leur caractère exceptionnel, insuffisants. Deux établissements ont ainsi été identifiés comme présentant un risque d'impasse de trésorerie fin 2021 : le musée du Louvre et les musées d'Orsay et de l'Orangerie. Le versement à la Réunion des musées nationaux - Grand Palais des crédits du programme investissement d'avenir destinés au financement des travaux du Grand Palais a, par ailleurs, été avancé à juillet 2021 pour prévenir une éventuelle rupture de trésorerie.
Le collectif budgétaire de fin de gestion 2021 tend à pallier à ces difficultés en dégageant 169,1 millions d'euros (AE=CP) dédiés à la compensation des pertes de billetterie. L'exercice 2022 sera par ailleurs marqué par un apport complémentaire de 102,3 millions d'euros via la mission « Plan de relance ».
Crédits du Plan de relance dédiés aux opérateurs du programme 175 et dotations complémentaires prévues en collectifs budgétaires 2020 et 2021 19 ( * )
(en millions d'euros)
Château de Chambord
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Au final 567,2 millions d'euros auront été dégagés entre 2020 et 2022, hors subventions pour charges de service public, afin de compenser des pertes nettes estimées de leur côté à 745 millions d'euros.
Pertes nettes des opérateurs du programme 175 et mesures de soutien budgétaire entre 2020 et 2022
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires
La perspective d'un retour à la normale désormais repoussée à l'horizon 2024 interroge quant à l'avenir des opérateurs du programme 175 à l'issue de l'exercice 2022. La RMN - Grand Palais a ainsi exprimé une réelle crainte lors de son audition quant à l'après 2022, si l'appui budgétaire venait à retrouver un étiage normal. Il existe un risque réel d'effet ciseau, conjuguant progression inévitable des charges (les économies de fonctionnement liées aux fermetures administratives ne sont plus de mises : 11 millions d'euros attendues en 2022 contre 43 millions d'euros en 2021) et perspectives de recettes limitées voire incertaines. Les rapporteurs spéciaux tablent dans ces conditions sur un maintien lors des prochains exercices budgétaires d'un soutien financier de l'État destiné à pallier le manque de recettes, qui rompt avec la trajectoire de réduction de l'intervention de l'État et le développement des ressources propres.
* 19 Les montants n'intègrent pas les sommes versées par ailleurs au Centre des monuments nationaux en vue d'accélérer les travaux sur les sites dont il possède la gestion (40 millions d'euros) et ceux visant le château de Villers-Cotterêts (100 millions d'euros).