II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Malgré une baisse des demandes de plus de 40 %, une sur-exécution des dépenses d'asile traduisant l'absence structurelle de maîtrise des dépenses liées à l'immigration

Les dépenses de l'action n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » concentrent à elles seules plus de 73 % des crédits de paiement de la mission. Cette action, qui finance les dépenses relatives à l'asile, fait l'objet d'une sur-exécution chronique, particulièrement importante depuis le début de la crise migratoire, en 2015.

Elle a ainsi connu en 2020 une sur-exécution de 0,6 % en AE et de 2,4 % en CP, relativement limitée par rapport aux années précédentes. La crise sanitaire a en effet entrainé de moindres dépenses : la subvention de l'Office français pour les réfugiés et les apatrides (Ofpra) a été réduite de 7,5 millions d'euros par rapport à loi de finances initiale. La crise l'a contraint à suspendre les entretiens de demandeurs d'asile durant le premier confinement au printemps 2020, puis à adapter son activité d'accueil des demandeurs d'asile au contexte sanitaire.

Surtout, la crise sanitaire a entraîné une baisse des flux de nouvelles demandes (- 41 % de premières demandes en guichets uniques, - 28 % de demandes à l'Ofpra).

Malgré ce contexte favorable à la maîtrise des dépenses d'asile (ADA), l'allocation pour demandeur d'asile fait en 2020 l'objet d'une sur-exécution toujours préoccupante.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes à l'allocation temporaire d'attente (ATA) et à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA)

(en CP, en millions d'euros)

ATA

ADA

LFI

Exécution

LFI

Exécution

2009

30

68,4

2010

53

105

2011

54

157,8

2012

89,7

149,8

2013

140

149,2

2014

129,8

169,5

2015

93,3

81

2016

0

30

148,8

316,1

2017

0

177,3

220

348,8

2018

0

9,9

317,7

424,23

2019

0

5,01

335,83

492,5

2020

0

3,61

448

481,5

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

La sur-exécution des dépenses d'ADA s'élève cette année à 7,5 %.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes
à l'allocation pour demandeur d'asile en 2020

(en AE/CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

L'ADA a été versée en 2021 à 105 405 ménages en moyenne mensuelle, en baisse de 1 % par rapport à 2019 (106 571 ménages). Le montant additionnel de 7,4 euros par jour et par adulte auquel aucun hébergement n'a pu être proposé a été versé en moyenne à 62 000 ménages pour un montant total de 171,3 millions d'euros. Le montant moyen d'allocation versé par mois représente ainsi 390 euros par ménage.

Le gouvernement indique que la sur-exécution de la dépense s'explique par l'impact de la crise sanitaire. Si cette dernière a entraîné une baisse des flux, elle a également suspendu l'activité des différents acteurs du système de l'asile pendant la durée du premier confinement, ce qui a contribué à allonger sensiblement la durée moyenne d'instruction des demandes d'asile. Ainsi, à l'Ofpra, l'accueil des demandeurs d'asile en entretien a dû être interrompu pendant la durée du premier confinement et n'a pu reprendre que progressivement, entraînant une augmentation importante des délais d'instruction (262 jours en 2020 contre 166 en 2019), soit une hausse de près de 57 %.

Délai d'examen des demandes d'asile à l'Ofpra

(en jours)

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

Les dépenses d'asile ont en outre été favorisées par la situation de blocage due à la crise sanitaire, qui a conduit à suspendre les transferts Dublin à partir du mois de mars jusqu'en juin. Ceux-ci n'ont ensuite repris qu'à un niveau trop modéré, puisqu'au total, selon le rapport annuel de performance, sur l'année 2020, 3 166 transferts (donnée provisoire) ont été réalisés, soit une baisse de 44 % par rapport à l'année 2019 (5 674 transferts). L'application du règlement Dublin n'ayant pas été suspendue par l'Union européenne, les délais de procédure ont continué à courir, entraînant le transfert de la responsabilité de l'examen des demandes à la France après le séjour réglementaire de six mois et, par suite, des requalifications de procédure permettant aux personnes concernées d'introduire une nouvelle demande d'asile en France auprès de l'Ofpra et de rester bénéficiaires de l'allocation. Le rapporteur spécial regrette ainsi que le niveau des transferts n'ait pas pu être rattrapé à l'été, et plus globalement, que le cadre juridique européen des demandes d'asile n'ait subi aucun ajustement (comme, par exemple, une prolongation du délai de séjour réglementaire permettant à un « dubliné » de déposer une nouvelle demande en France) de mieux réguler les flux entre les États membres.

Sans remettre en cause le caractère imprévisible de la crise sanitaire et ses effets sur la durée de perception de l'ADA, le rapporteur spécial estime que cette année encore, la sur-exécution des dépenses d'asile traduit une absence totale de maîtrise des dépenses liées à l'immigration et une volonté délibérée du gouvernement d'en masquer le coût lors de l'élaboration de la loi de finances initiale. Il est à cet égard particulièrement préoccupant que le gouvernement ne soit pas parvenu à maîtriser le coût de l'ADA dans un contexte pourtant historique de baisse des demandes d'asile.

2. La crise a entrainé un retard dans la lutte contre l'immigration clandestine qui devra faire l'objet d'un rattrapage

La crise sanitaire a entrainé une importante sous-exécution des crédits destinés à la lutte contre l'immigration clandestine, de 24,5 % en AE et de 30 % en CP.

Évolution des crédits de l'action 03
« Lutte contre l'immigration irrégulière »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

Les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière atteignent ainsi 23 millions d'euros en AE et en CP en 2020, soit près de 10 millions de moins que prévu en loi de finances initiale (32,6 millions d'euros). L'activité de billetterie, qui permet l'éloignement des étrangers en situation irrégulière par le biais de moyens de transports en commun réguliers ou affrétés, est la plus touchée par la crise sanitaire avec une consommation de 15,63 millions d'euros en CP (contre 30,9 millions d'euros en 2019) 2 ( * ) . En effet, la fermeture des frontières des principaux pays de retour (Algérie, Maroc et Tunisie notamment), la difficulté à obtenir des laisser passer consulaires en raison, principalement, de la fermeture de certains postes consulaires, la baisse du trafic aérien commercial et la baisse du nombre de places de rétention disponibles expliquent les difficultés rencontrées à compter du premier confinement.

Il est regrettable que ces évolutions aient entrainé une baisse drastique des éloignements (- 47,8 % entre 2019 et 2020 dont - 51,8 % d'éloignements forcés).

Si cette baisse n'aurait sans doute pas pu être évitée, le rapporteur spécial plaide néanmoins pour que ce « retard » dans le nombre d'éloignements fasse l'objet d'un réel rattrapage à compter de la réouverture des frontières . Il propose ainsi pour que les crédits prévus en 2022 pour les frais d'éloignement de migrants fassent l'objet d'une augmentation sensible.

Évolution du nombre d'éloignements

Note : les éloignements aidés correspondent à des aides au retour sans contrainte. Les éloignements non-aidés correspondent à des éloignements mis en oeuvre par la contrainte.

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

Parallèlement à ce nécessaire accompagnement budgétaire, le rapporteur spécial plaide pour que des évolutions juridiques soient apportées afin de lutter contre l'immigration clandestine , à l'instar du rétablissement du délit de séjour irrégulier 3 ( * ) ou de la suppression de la limitation de durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à un an. Le rapporteur spécial salue les mesures initiées par le gouvernement social-démocrate danois ces derniers mois, permettant d'orienter les étrangers demandant l'asile au Danemark vers des pays tiers, comme le Rwanda, avec lesquels des protocoles d'entente vont être signés ou encore de systématiser l'éloignement d'étrangers dont le statut de réfugiés a été retiré (à la suite, par exemple, d'une amélioration des conditions de sécurité dans le pays d'origine du réfugié).


* 2 La consommation des crédits liés à l'exploitation des avions du ministère de l'intérieur (Beechcraft 1900 et Dash), qui s'élève à 3,50 a également été inférieure à la consommation 2019 (5,1 millions d'euros) en raison du contexte sanitaire.

* 3 Ce dernier a été supprimé par la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

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