II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
A. LA CRISE SANITAIRE NE DOIT PAS FAIRE OUBLIER LA NÉCESSITÉ DE RÉFORMER LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE
1. Des interrogations persistantes sur le fonctionnement du compte d'affectation spéciale
Comme le rapporteur spécial a pu le rappeler, 2019 a constitué une parenthèse pour le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et souligné la forte dépendance des recettes du CAS à la cession de biens exceptionnels . Il s'agissait en l'occurrence d'une cession d'une partie de l'îlot Saint-Germain et de l'hôtel de Seignelay (Paris, 7 e arrondissement) pour respectivement 368,1 et 61 millions d'euros, ainsi que de la cession du site de l'école normale supérieure Paris-Saclay pour 31,8 millions d'euros. En 2020, les produits de cession ont connu un nouveau reflux , en ligne avec la tendance observée depuis 2015. En comparaison, les trois cessions les plus significatives en 2020 ont contribué aux recettes du CAS à hauteur de 11 millions d'euros 12 ( * ) .
Les biens en stock sont aujourd'hui les plus difficiles à céder , la DIE considérant ainsi que près des trois quarts des biens remis au Domaine à la fin de l'année sont difficiles à céder. L'indicateur portant sur la surface de bureaux remis au Domaine et inoccupés depuis 36 mois ou plus est bien supérieur à la prévision (46,3 % contre 22,2 %) et au résultat atteint en 2019 (34,9 %). Il montre qu'une part importante des biens est difficilement cessible ou réemployable .
Neutralisé des cessions exceptionnelles intervenues en 2019, le produit des cessions se stabilise donc à un niveau modéré, insuffisant pour garantir la mise en oeuvre de toutes les opérations structurantes ou de gros entretien nécessaires à la valorisation du parc immobilier de l'État . Les redevances domaniales, certes dynamiques, ne suffisent pas, en l'état actuel, à assurer un niveau constant de recettes pour le CAS.
Évolution des produits de cessions
immobilières
et de redevances domaniales depuis 2014
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
La diminution des cessions s'explique à la fois par le fait que les biens les plus liquides ont déjà été vendus, dans les endroits géographiques les plus porteurs, et par la volonté de sortir de la logique du « tout cession » , une inflexion dans la stratégie immobilière de l'État saluée par le rapporteur spécial, qui souligne depuis plusieurs années les insuffisances de cette stratégie .
2. L'impératif de définir une nouvelle stratégie pour la gestion immobilière de l'État et un nouveau modèle pour le CAS
Le retour à la tendance du CAS en 2020, du moins sur la partie recettes, ne fait que renforcer les alertes lancées depuis plusieurs années par la commission des finances et, en particulier, par les rapporteurs spéciaux 13 ( * ) . Il est urgent de diversifier les ressources du compte et de parvenir à valoriser autrement le patrimoine immobilier de l'État .
Déjà, à la suite du deuxième comité interministériel de la transformation publique, il était indiqué que la politique immobilière de l'État était à la fois à bout de souffle et insoutenable. Une mission sur la valorisation des biens non utilisés de l'État a été confiée à M. Jean-Marc Delion en 2019 et prolongée en 2020 . L'objectif est d'assurer au CAS des recettes pérennes, avec une vraie vision pluriannuelle, pour ne pas contraindre les projets des ministères et se projeter vers une diversification des modes de valorisation des biens. Cette mission a été conduite conjointement à deux autres portant sur la gestion en syndic des sites multi-occupants et sur la gestion du parc résidentiel social de l'État.
Toutefois, d'après les éléments portés à la connaissance du rapporteur spécial, il semble que l'expérimentation que s'apprête à proposer la DIE , qui passerait par la reconfiguration de la SOVAFIM en une « Agence de gestion de l'immobilier de l'État » (AGILE), soit incomplète . Elle ne concernerait en effet pas dans un premier temps la valorisation des actifs devenus inutiles , alors même que c'est un sujet essentiel et que plusieurs pistes prometteuses avaient été évoquées : la cession de sites avec ciblage d'acheteurs, la conclusion de baux emphytéotiques ou encore la recherche de ressources complémentaires (antennes-relais ou panneaux photovoltaïques par exemple) 14 ( * ) .
Dans son avis, le Conseil de l'immobilier de l'État a par ailleurs considéré que le temps de l'expérimentation (18 mois) serait bien trop court pour en évaluer tous les effets et pour pouvoir procéder au recrutement de toutes les compétences nécessaires à un tel projet 15 ( * ) , un avis que partage le rapporteur spécial. Une expérimentation aussi importante pour l'avenir de la gestion immobilière du patrimoine de l'État doit se déployer sur un calendrier corrélé à la durée des projets en question. Or, l'immobilier ne se conçoit que sur le temps long.
3. Des dépenses d'entretien à sanctuariser
Conformément à l'objectif fixé par la DIE, les dépenses d'entretien ont dépassé la cible des 30 % en autorisations d'engagement en 2020 (39,3 %) et quasiment atteint la cible de 160 millions d'euros en crédits de paiement . Toutefois, la part et le niveau de ces dépenses ont baissé entre 2019 et 2020 (30,5 % contre 44,3 %, 159 millions d'euros contre 171 millions d'euros).
En particulier, les dépenses dites d'« entretien lourd » ont connu une chute de près de 10 % alors même qu'elles recouvrent quatre actions essentielles pour la valorisation du parc immobilier de l'État : la mise en conformité des bâtiments, la remise en état des composants essentiels d'un bâtiment, le remplacement d'équipements obsolètes et la réalisation d'adaptations fonctionnelles.
À cet égard, le rapporteur spécial regrette, à l'instar de ses prédécesseurs, qu'aucun indicateur de performance ne permette d'apprécier correctement les efforts de l'État propriétaire en faveur de l'entretien des biens de son parc immobilier , alors même que ces dépenses sont tout à fait essentielles et doivent être préservées. Seul un ratio entre les dépenses d'entretien lourd et la surface utile brute du parc est présenté dans le document de politique transversale, sans qu'aucun élément de contexte ne permette d'en apprécier la valeur ou l'efficacité.
Nature des dépenses immobilières en 2020
(en millions d'euros et en %)
Nature des dépenses immobilières |
Exécution 2019 |
LFI 2020 |
Exécution 2020 |
Exécution 2020 / Exécution 2019 |
Exécution 2020 / LFI 2020 |
Part de la dépense |
|
Opérations structurantes et de cession |
AE |
419,56 |
268,00 |
238,06 |
- 43,26 % |
- 11,17 % |
60,66% |
CP |
215,04 |
287,00 |
362,96 |
68,79 % |
26,47 % |
69,53% |
|
Entretien à la charge du propriétaire |
Gros entretien, réhabilitation, mise en conformité et remise en état |
||||||
AE |
107,82 |
93,00 |
78,83 |
- 26,88 % |
- 15,23 % |
20,09% |
|
CP |
99,17 |
96,00 |
89,01 |
- 10,24 % |
- 7,28 % |
17,05% |
|
Maintenance à la charge du propriétaire |
|||||||
AE |
47,92 |
45,00 |
50,58 |
5,56 % |
12,40 % |
12,89% |
|
CP |
48,91 |
42,00 |
48,28 |
- 1,28 % |
14,95 % |
9,25% |
|
Contrôles règlementaires, audits, expertises et diagnostics |
|||||||
AE |
23,02 |
22,00 |
24,98 |
8,55 % |
13,57 % |
6,37% |
|
CP |
22,70 |
22,00 |
21,78 |
- 4,07 % |
- 1,02 % |
4,17% |
|
Total pour les dépenses d'entretien |
|||||||
AE |
178,75 |
160,00 |
154,40 |
- 13,62 % |
- 3,50 % |
39,34% |
|
CP |
170,77 |
160,00 |
159,06 |
- 6,86 % |
- 0,58 % |
30,47% |
|
Total |
AE |
598,31 |
428,00 |
392,46 |
- 34,41 % |
- 8,30 % |
100,00% |
CP |
385,81 |
447,00 |
522,03 |
35,31 % |
16,78 % |
100,00% |
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
* 12 4,1 millions d'euros pour la cession d'une partie de la base militaire de Toulouse-Francazal, 3,8 millions d'euros pour la cession du dernier bâtiment occupé par l'ENS Cachan dans le Val-de-Marne et 3,1 millions d'euros pour la cession de la cité administrative de Bayonne.
* 13 Voir par exemple le rapport d'information « De la rationalisation à la valorisation : 12 propositions pour une politique immobilière de l'État soutenable et efficace », de MM. Michel Bouvard et Thierry Carcenac (31 mai 2017), ainsi que les annexes portant que le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » lors de l'examen des projets de loi de finances et des projets de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes .
* 14 Conseil de l'immobilier de l'État, compte-rendu de la séance du 27 mai 2021.
* 15 Ibid.