III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : POUR UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE AUX EFFETS MAÎTRISÉS
Pour la commission des lois, il ne saurait être question d'accepter une révision de la Constitution dont les effets juridiques sont aussi mal maîtrisés . Cela reviendrait, pour le Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée juridique des dispositions insérées dans notre texte fondamental.
Certes, la commission a observé que le verbe « garantir », sur lequel se sont concentrés les débats, ainsi que les mots de la même famille lexicale sont déjà employés au sein du bloc de constitutionnalité en un sens très affaibli, n'impliquant pas davantage qu'une obligation d'agir . L'obligation ainsi désignée :
- doit toujours être conciliée avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général ;
- ne se voit pas accorder, du seul fait de l'emploi de ce verbe, un plus grands poids dans la conciliation opérée par le législateur et le Conseil constitutionnel ;
- n'emporte pas l'engagement de la responsabilité de l'État ou des autres personnes publiques dans tous les cas où l'objet de la « garantie » n'est pas pleinement effectif, ni même dans tous les cas où ces mêmes personnes publiques n'ont pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour le rendre effectif.
Les dix-sept occurrences du nom
«
garant
» et de ses dérivés
dans
le bloc de constitutionnalité
Le nom « garant » et ses dérivés apparaissent à dix-sept reprises dans le bloc de constitutionnalité : deux fois dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, quatre fois dans le Préambule de 1946 et onze fois dans le corps même de la Constitution.
Plus précisément :
- l'expression « garantie des droits » désigne l'application de règles juridiques, en tant qu'elle rend effectif l'exercice de ces droits. Comme l'énonce l'article 12 de la Déclaration, « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique » ;
- au pluriel, les « garanties des droits et libertés » (ou, selon des variantes, les « garanties des libertés publiques », ou encore les « garanties fondamentales [...] pour l'exercice des libertés publiques ») sont les règles juridiques qui, lorsqu'elles sont appliquées, rendent effectif l'exercice des droits ;
- les « droits constitutionnellement garantis » sont les droits énoncés par la Constitution, que les pouvoirs publics ont l'obligation d'assortir de « garanties » au sens précédent ;
- on rencontre également, dans le Préambule de 1946, plusieurs occurrences du verbe « garantir » avec, pour complément d'objet, un ou plusieurs droits particuliers (« [La Nation] garantit à tous [...] la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture », « La France [...] garantit à tous l'égal accès aux fonctions publiques ») ou encore un droit à l'égalité des droits (« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ») ;
- enfin, l'objet de la garantie est parfois, non pas un droit subjectif, mais une situation de fait constituant un objectif de valeur constitutionnelle (« La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » , « [Le Président de la République] est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités », et il est également « garant de de l'indépendance de l'autorité judiciaire »).
Le sens de la notion de garantie dans les textes du bloc de constitutionnalité , tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel, varie selon que le résultat recherché (l'objet de la garantie) est susceptible de degrés ou non .
Dans leur très grande majorité, les droits et libertés, tels qu'énoncés par nos textes constitutionnels, peuvent être exercés à des degrés divers . Les pouvoirs publics n'ont pas l'obligation de les rendre pleinement effectifs : ils peuvent y apporter des limitations justifiées ; et lorsque l'exercice de ces droits ne dépend pas seulement de leur action normative, mais aussi de leurs prestations, voire de circonstances extérieures (c'est le cas de ce qu'on appelle les « droits-créances » comme le droit à la santé, à la culture, etc .), ils ont seulement l'obligation d'agir en vue de ce résultat, en tenant compte des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général. Il en va de même des objectifs dont la Constitution dispose qu'ils doivent être « garantis » 69 ( * ) .
Peut-on être certain que les juridictions attribueraient une signification aussi lâche au verbe « garantir » dans les dispositions que le Gouvernement propose d'insérer à l'article 1 er de la Constitution ? Non, car le juge rechercherait l'effet utile de la révision constitutionnelle , conformément à l'adage selon lequel « Le législateur ne parle pas pour ne rien dire ». Or, ainsi interprétées, ces dispositions n'introduiraient aucun principe nouveau par rapport à ceux qui résultent d'ores et déjà de la Charte de l'environnement .
Afin de lever toute incertitude , la commission a adopté un amendement de son rapporteur visant à remplacer les dispositions envisagées par une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004. » Ainsi :
- conformément à l'avis du Conseil d'État, toute référence à la notion de « garantie » serait supprimée, celle-ci ayant ici une signification beaucoup trop vague ;
- comme le suggérait également le Conseil d'État, le verbe « lutter » serait remplacé par le verbe « agir », car mieux vaut s'abstenir d'effets rhétoriques dénués de toute portée juridique ;
- enfin, le renvoi exprès à la Charte de l'environnement vise à éviter tout problème d'articulation entre celle-ci et l'ajout proposé à l'article 1 er de la Constitution. L'obligation générale énoncée à l'article 1 er équivaudrait à la somme des obligations spécifiques résultant d'ores et déjà de la Charte pour les pouvoirs publics.
Sans produire d'effets juridiques nouveaux, cette disposition aurait le double mérite, sur le plan symbolique, de réaffirmer l'attachement du peuple français à la préservation de l'environnement et d'y inclure expressément la lutte contre le dérèglement climatique, que la Charte de l'environnement ne mentionne pas .
* 69 A contrario , certains droits et objectifs sont énoncés de telle façon que l'on peut considérer qu'ils sont effectifs ou ne le sont pas, sans qu'aucun moyen terme ne soit possible. Il en va ainsi, par exemple, du droit à la sûreté (conçu comme le droit de ne pas être arbitrairement détenu) ou encore du principe d'indépendance de la justice. La différence est toutefois linguistique plutôt que substantielle. La marge d'appréciation du législateur ne disparaît pas, puisqu'il lui revient (sous le contrôle du juge constitutionnel) de déterminer ce qui est arbitraire ou non, ou encore quelles règles suffisent à ce qu'une institution puisse être considérée comme indépendante. Par ce biais, même ces droits et objectifs apparemment « absolus » doivent être conciliés avec les autres.