EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
I. PRÈS DE VINGT ANS APRÈS LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT : LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Vingt ans après les premières initiatives visant à ériger au rang constitutionnel des principes relevant du droit de l'environnement, seize ans après l'adoption de la Charte de l'environnement, force est de constater que la volonté alors exprimée par le peuple français n'a pas suffi à mettre fin à la dégradation de notre environnement, notamment à l'extinction massive d'espèces animales et végétales et au bouleversement des équilibres climatiques.
Face à ce constat, il est légitime de rechercher de nouvelles ressources juridiques permettant d'agir plus efficacement pour la préservation de l'environnement.
A. LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT DE 2004 : UN TEXTE PRÉCURSEUR DONT L'EFFICACITÉ JURIDIQUE EST DÉMONTRÉE
Annoncée le 3 mai 2001 par le Président de la République Jacques Chirac, élaborée au terme d'une réflexion approfondie associant les travaux d'une commission d'experts présidée par le professeur Yves Coppens et une large consultation publique, la Charte de l'environnement, adossée à la Constitution, est entrée en vigueur à la suite de l'adoption de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005 1 ( * ) .
La Charte de l'environnement est un texte d'une remarquable qualité juridique . Elle ne se contente pas de consacrer un droit subjectif à vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé (article 1 er ), elle énonce également un certain nombre de principes visant à rendre effectif l'exercice de ce droit :
- le devoir incombant à toute personne de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement (article 2) ;
- les principes de prévention, de réparation et de précaution (articles 3 à 5) ;
- le principe de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, corollaire d'une définition du développement durable (article 6) ;
- les droits à l'information et à la participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement (article 7) ;
- des principes relatifs à la contribution de l' éducation , de la formation , de la recherche et de l' innovation à l'exercice des droits et à la poursuite des objectifs définis par la Charte (articles 8 et 9) ;
- un principe régissant l'action européenne et internationale de la France (article 10).
La France faisait alors figure de précurseur : si d'autres pays avaient déjà consacré au sommet de leur ordre juridique interne le droit à un environnement de qualité, aucun n'avait élevé au rang constitutionnel un ensemble aussi complet et cohérent de principes relatifs à la protection de l'environnement.
La Charte de l'environnement de 2004
Le peuple français,
Considérant :
Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;
Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;
Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins,
Proclame :
Article 1 er . Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Article 2 . Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.
Article 3 . Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
Article 4 . Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.
Article 5 . Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.
Article 6 . Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.
Article 7 . Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
Article 8 . L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.
Article 9 . La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement.
Article 10 . La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France.
Depuis l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, un abondant contentieux a permis de mieux cerner la portée juridique de ses dispositions, c'est-à-dire à la fois leur contenu, leur invocabilité en justice et leur sanction 2 ( * ) .
Le Conseil constitutionnel a reconnu pleine valeur constitutionnelle , dès 2008 3 ( * ) , à « l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement », ainsi que, depuis 2011 4 ( * ) , à son préambule.
L'ensemble des dispositions de la Charte sont donc invocables dans le cadre du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois et des conventions internationales . Les article 1 er (droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé) et 7 (droits procéduraux) sont également invocables dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) , en tant qu'ils énoncent des « droits et libertés que la Constitution garantit » ; il en va de même des articles 2, 3 et 4, qui formulent des devoirs constituant autant de corollaires du droit défini à l'article 1 er ; la question de l'invocabilité en QPC de l'article 5 (principe de précaution) n'a, en revanche, pas encore été tranchée.
* 1 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement .
* 2 Pour un aperçu général, voir D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel , 12 e éd., Paris, L.G.D.J., 2020, pp. 898-909. Voir aussi l'importante étude publiée par le Conseil constitutionnel, Dix ans de QPC en matière d'environnement : quelle (r)évolution ? , sous la responsabilité scientifique d'É. Chevalier et J. Makowiak, janvier 2020 (ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-constitutionnel.fr ). Voir également le rapport n° 168 (2020-2021) fait, au nom de la commission des lois du Sénat, par Arnaud de Belenet sur la proposition de loi constitutionnelle visant, face à la crise actuelle à construire le monde d'après fondé sur la préservation des biens communs , consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l20-168/l20-168.html .
* 3 Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés .
* 4 Décision du Conseil constitutionnel n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B., épouse D., et autres , cons. 20. Ce n'est toutefois qu'à l'occasion de sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes , que le Conseil constitutionnel a dégagé du préambule de nouvelles exigences constitutionnelles en faveur de la protection de l'environnement (voir ci-après).