N° 334
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 février 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l' efficacité de la lutte contre le dopage ,
Par Mme Elsa SCHALCK,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
2700 , 3593 et T.A. 527 |
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Sénat : |
198 et 335 (2020-2021) |
AVANT-PROPOS
Le 11 janvier dernier, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) recevait un courrier de la part de l'Agence mondiale antidopage (AMA) 1 ( * ) constatant les manquements de notre pays dans la transcription en droit français du dernier code mondial antidopage entré en vigueur le 1 er janvier 2021. L'AMA a ainsi adressé à l'organisation antidopage française un Rapport de mesure corrective (RMC) qui qualifie de « critique » cette irrégularité, soit le plus haut niveau de gravité dans l'échelle de l'AMA qui indique également laisser à l'AFLD un délai de trois mois jusqu'au 12 avril 2021 pour se mettre en conformité .
Ce délai de trois mois est de droit dans le cadre de la première étape de la procédure en manquement établie par l'AMA. On peut rappeler qu'un délai supplémentaire de trois mois également peut être accordé dans le cadre du « dialogue critique » et qu'un dernier délai de quatre mois peut aussi être prévu au stade de la deuxième étape en contrepartie de la présentation d'un « plan de mesures correctrices ». Si la situation de la France n'est donc pas favorable, il serait inexact de considérer que les sanctions les plus lourdes pourraient être appliquées dès le 12 avril 2021 , ce qui n'enlève rien, bien évidemment, à l'intérêt de se mettre en conformité dans les meilleurs délais.
La France figure aujourd'hui dans le trio de queue européen des mauvais élèves en matière de transposition du nouveau code mondial antidopage. Quelles en sont les raisons pourrait-on se demander ? Comme le rappelait le Premier ministre dans un courrier au président de l'AMA en date du 25 novembre 2020 : « l'ordre juridique français impose une transposition dans notre droit interne national des dispositions issues du code mondial pour que celles-ci puissent trouver une application directe en France » . Or, dans beaucoup de pays, cette étape législative n'est pas nécessaire et le code mondial entre en vigueur plus rapidement grâce à une intégration directe dans l'ordre juridique.
Dans son courrier de novembre dernier, le Premier ministre demandait également « la tolérance de l'AMA en faveur d'une transposition finale par la France au printemps 2021 » . Cette tolérance demandée par le Gouvernement n'a pas été accordée puisque la mise en demeure reçue par l'AFLD signifie que l'agence mondiale n'est prête à aucun accommodement qui pourrait être interprété comme une faiblesse par les pays tentés par le non-respect des règles.
Il ne faut donc pas douter de la détermination de l'AMA à sanctionner le sport français au terme de la procédure qui comprend néanmoins plusieurs étapes au-delà du 12 avril 2021 . Si le sport français n'a aucune mansuétude à attendre de l'autorité mondiale antidopage c'est que la fraude à grande échelle organisée par les autorités russes à l'occasion des Jeux d'hiver de Sotchi en 2014 appelait nécessairement une réaction très ferme de l'AMA. Le nouveau code mondial antidopage et les nouveaux standards qui l'accompagnent constituent les principaux outils de cette réponse et il est donc indispensable qu'ils s'appliquent sans délai.
Quelles formes pourraient prendre ces sanctions ? Selon l'AFLD, les sanctions encourues pourraient être les plus lourdes de l'arsenal à disposition de l'AMA, à savoir tout simplement une exclusion des sportifs français des compétitions internationales . Au-delà de cette menace « atomique », il ne faut pas non plus négliger les dégâts en termes d'image une fois les sanctions devenues publiques.
Le rapporteur rappelle la spécificité des normes édictées par l'AMA. Le statut privé de cette dernière a pour conséquence que ses décisions ne sont pas contraignantes pour les États. Le recours en manquement a d'ailleurs été adressé à l'AFLD et non au Gouvernement français.
Cependant, la France a ratifié la convention internationale contre le dopage adoptée sous l'égide de l'Unesco en 2005 dont l'article 3 dispose que « les États parties s'engagent à adopter les mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés par le code ». La France est donc obligée de modifier sa législation et il y a maintenant urgence à agir . C'est pour cela que le Gouvernement a déposé au Parlement il y a bientôt un an, le 19 février 2020, un projet de loi l'habilitant « à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage ».
Le recours aux ordonnances constitue une procédure malheureusement habituelle afin de mettre en conformité notre ordre juridique avec les révisions successives du code mondial antidopage. La révision de 2009 a ainsi été mise en oeuvre à travers l'ordonnance du 14 avril 2010 tandis que celle de 2015 l'a été au moyen des ordonnances du 30 septembre 2015 et du 19 décembre 2018. On peut regretter que le Parlement n'ait jamais eu l'occasion d'examiner au fond les dispositions du code mondial antidopage en dehors de la ratification des ordonnances.
Le délai prévu pour la mise en oeuvre du nouveau code mondial antidopage adopté en novembre 2019 à l'issue de la Conférence de Katowice était très bref mais il aurait sans doute pu être tenu sans la crise sanitaire. L'encombrement de l'ordre du jour parlementaire constaté depuis la reprise des travaux au printemps dernier a compliqué la tâche du Gouvernement pour assurer la transcription de la nouvelle version du code mondial antidopage. Aucun texte inscrit à l'ordre du jour n'a par ailleurs permis d'inclure ces dispositions compte tenu du durcissement des dispositions relatives à la recevabilité.
Même si le Sénat n'apprécie pas l'usage souvent abusif des ordonnances, il faut convenir que, dans la situation présente, cet outil apparaît adapté . Il constitue même la voie la plus réaliste pour éviter que le sport français soit durement sanctionné .
Les auditions menées tout au long du mois de janvier 2 ( * ) ont permis d'établir que le travail sur la rédaction de l'ordonnance était déjà bien avancé - à 90 % selon la présidente de l'AFLD - et que les services du ministère avaient également commencé à préparer les dispositions d'application réglementaire. Il subsiste néanmoins quelques points d'achoppement que les travaux de la commission de la culture doivent permettre de lever.
La commission demande donc que d'ici l'examen du projet de loi en séance publique le 16 février prochain, la ministre des sports prenne des engagements sur deux sujets en particulier : le statut du nouveau laboratoire antidopage et les pouvoirs d'enquête de l'AFLD, notamment en ce qui concerne le pouvoir de convocation et l'usage d'une identité d'emprunt dont dispose d'autres autorités indépendantes comme l'AMF. Ces clarifications demandées au Gouvernement constituent aujourd'hui un préalable pour envisager l'adoption du projet de loi sans modification par le Sénat .
Les sanctions encourues
en cas de manquement
à l'application du code mondial antidopage
Le défaut d'application du nouveau code mondial antidopage expose le sport français aux stipulations du Standard international relatif à la « conformité au code des signataires » qui détermine les procédures pouvant être engagées par l'AMA à l'encontre d'un signataire défaillant. La procédure comporte trois étapes .
La première étape qui a commencé avec le courrier adressé le 11 janvier 2021 par l'AMA à l'AFLD constitue un « dialogue critique » qui prend la forme d'un « rapport de mesures correctives ». Cette phase donne lieu à un délai de trois mois pour corriger les irrégularités identifiées ou pour fournir des corrections provisoires. Ce premier délai a été fixé au 12 avril 2021 par l'AMA. Un nouveau délai de trois mois peut par ailleurs être envisagé en cas de constat d'irrégularités persistantes.
La deuxième étape est marquée par la saisine du Comité de révision de la conformité (CRC) qui, après examen des irrégularités, peut transmettre au comité exécutif de l'AMA un rapport recommandant l'envoi au signataire défaillant d'une notification formelle d'allégation de non-conformité aux exigences du code et/ou des standards internationaux. Ce rapport doit également faire des recommandations à la direction de l'AMA quant aux conséquences à tirer de la non-conformité. Le CRC peut également recommander l'octroi d'un délai supplémentaire de quatre mois s'il reçoit du contrevenant un « plan de mesures correctives ».
Sur la base du rapport du CRC, c'est la troisième étape, le comité exécutif de l'AMA peut notifier une allégation formelle de non-conformité et décider d'un certain nombre de sanctions ou fixer les conditions de la réintégration des signataires. Le contrevenant dispose alors d'un délai de 21 jours pour contester ces décisions et saisir le Tribunal arbitral du sport (TAS).
Les sanctions encourues peuvent notamment se traduire par la perte de la qualité de signataire du code mondial antidopage ou une amende. Elles peuvent aussi avoir pour effet l'inéligibilité du pays signataire à l'organisation de championnats régionaux, continentaux, de championnats du monde ou de manifestations organisées par des organisations responsables de grandes manifestations pendant une période définie. Elles peuvent par ailleurs se traduire par l'interdiction pour les sportifs et leur encadrement de participer aux compétitions précitées ainsi qu'aux Jeux olympiques et paralympiques.
En résumé, le processus qui pourrait mener à sanctionner le sport français est engagé mais plusieurs étapes pouvant durer des mois restent à franchir avant des sanctions qui, dans l'hypothèse la plus défavorable, pourraient priver les sportifs français de compétitions internationales et remettre en cause l'organisation en France de la coupe du monde de rugby et des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024.
I. UNE PROCÉDURE D'HABILITATION ÉLARGIE AFIN DE RENFORCER L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE LE DOPAGE
A. UN ARTICLE UNIQUE POUR TROIS OBJECTIFS COMPLÉMENTAIRES
L'article unique du projet de loi comprend trois paragraphes.
Le premier paragraphe de cet article est le plus important puisqu'il détermine le périmètre de la délégation législative accordée par le Parlement au Gouvernement en vertu de l'article 38 de la Constitution. Ce paragraphe autorise le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance en matière de lutte contre le dopage afin de poursuivre trois objectifs distincts mais complémentaires.
Premier objectif : le recours à la législation déléguée doit permettre d' assurer la mise en conformité du droit interne avec les principes du code mondial antidopage dont l'Assemblée nationale a précisé par voie d'amendement qu'il s'applique à compter du 1 er janvier 2021 ;
Deuxième objectif : l'ordonnance doit permettre de définir le nouveau statut du laboratoire dont le code mondial antidopage prévoit qu'il doit être dorénavant séparé de l'agence ;
Troisième objectif : il reviendra également au Gouvernement de renforcer l'efficacité du dispositif de lutte contre le dopage en facilitant le recueil d'informations par l'AFLD et la coopération entre les acteurs , l'Assemblée nationale ayant précisé par voie d'amendement que ces nouvelles dispositions devaient être conformes aux principes constitutionnels et conventionnels en vigueur sur le territoire de la République.
* 1 Voir le courrier en annexe du présent rapport.
* 2 Voir la liste des auditions en annexe du présent rapport.