B. LA PROPOSITION DE LOI

1. La proposition de loi

Les auteurs de la proposition de loi ont choisi de renforcer les moyens de lutte ex post , une fois l'EEE installée.

L'article unique de la proposition de loi tend à permettre au maire , lorsqu'il constate l'implantation sur une propriété d'un ou de plusieurs spécimens des espèces classées comme « exotiques envahissantes », au titre des articles L. 411-5 et L. 411-6 du code de l'environnement, de mettre en demeure le propriétaire de faire procéder à leur capture, leur prélèvement, leur garde ou leur destruction.

Si cela n'est pas fait dans le délai imparti par la mise en demeure, le maire pourrait alors faire procéder d'office à l'exécution de ces opérations, aux frais du propriétaire .

Un décret en Conseil d'État viendrait préciser les modalités d'application de cette procédure.

2. Une proposition porteuse de nombreux effets indésirables

Cette proposition de loi permettrait de donner au maire des moyens d'action spécifiques pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes , parmi lesquelles figurent les frelons asiatiques.

L'opération serait prise en charge par les propriétaires qui ont été mis en demeure d'agir, sur le modèle de ce qui a été institué en 2011 pour les travaux d'élagage destinés à mettre fin à l'avance des plantations privées sur l'emprise des voies communales afin de garantir la sécurité et la commodité du passage 24 ( * ) .

Votre rapporteur comprend l'intérêt d'une telle proposition, qui vise à donner aux maires des moyens de réponses aux interpellations, nombreuses, de leurs administrés sur le sujet. Plusieurs biais ont néanmoins été soulignés au cours de ses auditions :

• Le ciblage du dispositif

L'objectif de la proposition de loi est de renforcer les pouvoirs de police du maire en matière de lutte contre les frelons asiatiques. Sont pour cela ciblées les espèces exotiques envahissantes. De nombreuses autres espèces sont toutefois présentes au sein de cette classification. En outre, la détention de certaines espèces exotiques envahissantes (celles relevant uniquement de l'article L. 411-5 du code de l'environnement et non de l'article L. 411-6) peut être légale.

Si la destruction d'un nid de frelons asiatiques est relativement facile et son coût limité (entre 80 et 150 euros), l'éradication d'autres spécimens d'espèces exotiques envahissantes peut être très difficile à mener et son coût rapidement élevé. Par ailleurs, certaines précautions doivent être prises en matière de protection de la biodiversité :

- l'identification des EEE risque d'entraîner certaines confusions avec les espèces locales parfois protégées, notamment végétales. La présence de l'espèce devrait donc être validée par des professionnels ;

- les techniques de lutte utilisées devraient être encadrées, afin d'éviter tout dommage collatéral. La restauration des milieux ainsi qu'un suivi de long terme devraient également être envisagés.

• Un risque de mise en cause de la responsabilité du maire

Donner des pouvoirs de police supplémentaires en matière de protection de la biodiversité au maire pourrait être source de mise en cause de la responsabilité administrative de la commune en cas d'inaction du maire.

Le refus du maire de faire usage de ses pouvoirs de police peut en effet faire l'objet d'un recours devant le juge administratif. À titre d'exemple, la responsabilité de la commune de Six-Fours-Les-Plages a été retenue par la Cour administrative d'appel de Marseille dans un arrêt du 13 mars 2018, en raison d'une abstention fautive du maire de la commune à agir sur le fondement de ses pouvoirs de police en matière de déchets.

• La concurrence des pouvoirs de police : un risque de déresponsabilisation

Enfin, en créant un pouvoir de police du maire dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, sans que ce nouveau pouvoir ne soit distinct dans ses objectifs de celui du préfet, la proposition de loi organiserait la concurrence de deux pouvoirs de police spéciale.

Lorsque deux pouvoirs de police sont concurrents, leur articulation doit être organisée :

- soit l'autorité de police spéciale intervient pour compléter les mesures prises par une autre autorité de police à un autre échelon ;

- soit les deux autorités de police sont proches, mais agissent dans des situations différenciées.

Sans articulation, la création de pouvoirs de police parfaitement concurrents risquerait d'aboutir à une déresponsabilisation des deux autorités administratives, le préfet considérant qu'il revient au maire d'agir tandis que le maire attendrait une intervention préfectorale. Cela irait à l'encontre de la nécessaire coordination de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Celles-ci ne connaissant pas les frontières administratives, une lutte morcelée n'aurait malheureusement que peu d'effets concrets.

• L'impact en matière de signalement de la présence de spécimens de ces espèces aux scientifiques et aux pouvoirs publics

Mettre ces opérations à la charge des propriétaires pourrait également avoir un impact négatif en matière de suivi scientifique de la diffusion des espèces exotiques envahissantes, pourtant nécessaire à la recherche de solution pour protéger la biodiversité et réduire leurs impacts économiques et sanitaires.

Aujourd'hui, le Muséum national d'histoire naturelle propose à chacun de signaler la présence de spécimens des espèces invasives connues en indiquant, avec une photo, la date et le lieu d'observation. Ces informations sont ensuite analysées par des experts qui les ajoutent à l'Inventaire national du patrimoine national (INPN) 25 ( * ) . L'Inventaire national permet d'obtenir une image de la distribution des espèces suivies, dans le temps et dans l'espace, en vue d'en prévenir ou d'en limiter les impacts sur les milieux naturels ou les autres espèces. La surveillance de certaines EEE vise à comprendre leurs mécanismes d'introduction, leurs voies de propagation, mais également les traits biologiques et écologiques de ces populations.

En mettant les opérations de destruction des espèces exotiques envahissantes à la charge des propriétaires, la proposition de loi pourrait avoir pour conséquence une diminution des signalements des spécimens de ces espèces invasives. Les enquêtes scientifiques en pâtiraient, et partant, l'efficacité de la lutte contre ces espèces.

3. La position de votre commission : faire du maire un maillon de la chaîne de détection précoce des espèces exotiques envahissantes

Aujourd'hui, le maire est en charge des lieux accessibles au public et informe les propriétaires privés de leurs obligations. En cas de propriétaires négligents, le préfet dispose d'un pouvoir de police spéciale en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes et peut procéder aux mises en demeure nécessaires. Le maire peut en outre, au titre de son pouvoir de police générale, suppléer le préfet en cas de danger grave et imminent pour la sécurité des personnes. La complémentarité de ces deux polices apparaît relativement satisfaisante et la situation a paru équilibrée à votre commission.

Elle a néanmoins souhaité, d'une part, rappeler aux maires les pouvoirs dont ils disposent en matière de lutte contre les frelons asiatiques au titre de leur pouvoir de police générale - c'est l'objet du présent rapport et de sa synthèse qui pourra leur être diffusée.

D'autre part, votre commission considère que le maire peut disposer d'un rôle de facilitateur de la lutte contre les espèces exotiques envahissantes en :

- sensibilisant et informant le public des risques pour la biodiversité que soulève la diffusion des espèces exotiques envahissantes ;

- jouant un rôle d'intermédiaire afin d'obtenir l'accord des administrés à une intervention sur leur propriété lorsque des spécimens de ces espèces sont repérés sur les propriétés privées situées sur le territoire communal ;

- formant un maillon essentiel de la chaîne de détection précoce de ces espèces, en signalant aux autorités en charge de la lutte la présence de spécimens sur le territoire communal .

C'est cette dernière mission que votre commission a souhaité inscrire dans la loi en consacrant, par l'adoption d'un amendement COM-5 de son rapporteur, le pouvoir d'alerte du maire auprès du préfet lorsqu'il constate la présence de spécimens d'espèces exotiques envahissantes dans le milieu naturel. À charge pour les autorités responsables de la lutte de prendre les mesures pertinentes à la suite de ce signalement.

En conséquence, votre commission a également adopté deux amendements identiques de son rapporteur et de notre collègue Alain Marc ( amendements COM-6 et COM-1 ) visant à modifier l'intitulé de la proposition de loi.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .


* 24 Nouvel article L. 2212-2-2, issu de l'article 78 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit.

* 25 Consultable à l'adresse suivante : https://inpn.mnhn.fr/accueil/index .

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