EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 11 juillet 2018 , sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. René Danesi sur le projet de loi n° 507 (2017-2018) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.

M. René Danesi, rapporteur . - La France et l'Autriche sont actuellement liées par un accord signé en 1962 qui permet, sous certaines conditions de preuves et de délais, le renvoi mutuel de leurs ressortissants ayant fait l'objet d'une mesure d'éloignement, ou de citoyens d'États tiers ayant séjourné sur le territoire de l'autre partie.

La création de l'espace Schengen a cependant rendu obsolète cet accord et justifié l'adoption, en 2007, d'un nouvel instrument bilatéral aux stipulations actualisées. Il est complété par un protocole, signé sept ans plus tard, qui le rend conforme au droit européen ; en effet, aux termes de l'accord de 2007, les « ressortissants d'un pays tiers » désignent - je cite - « toute personne possédant une nationalité autre que celle des parties contractantes » . Or, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pose, d'une part, le principe de la citoyenneté de l'Union en distinguant les « ressortissants de pays tiers » et les « ressortissants d'un État membre », et précise, d'autre part, le droit de libre circulation et de séjour assorti à la qualité de citoyen européen.

Par conséquent, les textes que nous examinons ce matin ne font que moderniser des dispositions déjà existantes afin, notamment, de les rendre conformes au cadre juridique en vigueur.

Comme je l'indiquais précédemment, ces textes ont été signés par les gouvernements français et autrichien en avril 2007 ; il convient donc d'examiner cet accord « technique » sans tenir compte du contexte politique actuel. Je souligne à cet égard que l'Autriche a ratifié cet accord il y a trois ans déjà ! On peut d'ailleurs, une nouvelle fois, déplorer le délai de ratification particulièrement long de certains accords internationaux par la partie française.

À ce jour, la France a signé une cinquantaine d'accords de réadmission, dont près d'une vingtaine avec des États membres de l'Union européenne comme l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal ou encore la Suède.

Ce nouvel accord couvre plusieurs cas de figure.

Premièrement, il oblige chaque partie à réadmettre ses propres ressortissants qui se trouveraient en situation irrégulière sur le territoire de l'autre partie. Concrètement, cela concernerait les demandes adressées par la France et visant des ressortissants autrichiens ayant fait l'objet d'une mesure d'éloignement, et réciproquement. En l'occurrence, il peut s'agir de peines d'interdiction de séjour prononcées en complément de peines criminelles ou correctionnelles, ou de mesures d'expulsion justifiées par des motifs sérieux tenant à l'ordre ou à la sécurité publics. Ces cas sont toutefois très marginaux puisqu'au cours des trois dernières années, seulement sept Autrichiens ont fait l'objet d'une demande de réadmission pour l'un de ces motifs.

Deuxièmement, l'accord oblige les parties à réadmettre des ressortissants de pays tiers - c'est-à-dire des citoyens de pays n'appartenant pas à l'espace Schengen - lorsqu'ils ont séjourné ou transité par leur territoire avant d'aller sur le territoire de l'autre partie. Ce cas de figure constitue une dérogation à la directive européenne dite « retour » adoptée en 2008, mais que celle-ci autorise dans la mesure où l'accord examiné aujourd'hui lui est antérieur. Pour mémoire, cette directive prévoit la possibilité de reconduire une personne en situation irrégulière dans son pays d'origine, ce qui nécessite au préalable d'en faire accepter le principe par ledit pays. Depuis 2015, la France a saisi l'Autriche d'une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année ; elles concernent principalement des ressortissants afghans, algériens, kosovars et pakistanais, ainsi que deux à trois Autrichiens. Ce nombre n'a pas vocation à évoluer de manière significative au cours des prochaines années.

L'accord prévoit un dernier cas de figure : celui du transit via la France ou l'Autriche, aussi bien par voie terrestre qu'à l'occasion d'une escale aérienne, d'une personne en cours d'éloignement vers un pays tiers décidé par notre pays ou par l'Autriche.

Parallèlement, l'accord comporte un certain nombre d'exceptions à l'obligation de réadmission. Ainsi, ses stipulations ne s'appliqueront pas :

- aux ressortissants d'États tiers ou aux apatrides titulaires d'un titre de séjour ou d'une autorisation de séjour provisoire en cours de validité, délivrés par un autre pays de l'espace Schengen ;

- aux personnes auxquelles la partie requérante a reconnu le statut de réfugié ou celui d'apatride ;

- ou aux demandeurs d'asile, eu égard au « Règlement Dublin III » qui permet déjà leur transfert dans l'État membre responsable de leur demande d'asile - à savoir le pays dans lequel ils ont été préalablement enregistrés, ou dans lequel ils possèdent des attaches familiales.

Pour conclure, les stipulations de ce nouvel accord franco-autrichien sont similaires à celles des accords de même nature conclus ces dernières années, et très encadrées par le droit européen. Elles fixent notamment, de manière précise, les règles procédurales qui régissent la réadmission de personnes en situation irrégulière, mais aussi les garanties de droit relatives à l'établissement de l'état-civil et de la nationalité des personnes concernées, à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre des procédures de réadmission et aux prérogatives des éventuelles escortes policières.

Il s'agit donc d'un texte à la portée limitée, qui vise principalement à actualiser un accord très ancien pour le mettre en conformité avec le droit européen.

En conséquence, pour l'ensemble des raisons que je viens d'exposer, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

La partie autrichienne a déjà fait état de l'achèvement de ses procédures internes. S'agissant de la partie française, après son adoption par l'Assemblée nationale en mai dernier, l'adoption de ce projet de loi par le Sénat constitue l'ultime étape avant la ratification de l'accord et de ses protocoles d'application et de révision, puis leur entrée en vigueur.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 19 juillet prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je vous remercie, cher collègue, pour ce rapport très précis. Au regard, d'une part, du changement politique intervenu il y a quelques mois en Autriche - pays qui assure, depuis le 1 er juillet dernier, la présidence de l'Union européenne -, et d'autre part, de l'importance de la question migratoire - dont nous avons d'ailleurs débattu pendant plusieurs jours dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, le droit d'asile et l'intégration -, il me semblerait nécessaire de saisir cette occasion pour avoir un débat en séance publique sur le sort réservé aux migrants sur le continent européen. Un retour à la procédure normale permettrait alors aux différents groupes de s'exprimer sur ce sujet.

M. Christian Cambon, président. - Le règlement du Sénat prévoit qu'un président de groupe peut en effet demander, jusqu'au mardi 17 juillet à 15 heures, le retour à la procédure normale. En revanche, je souligne l'objet restreint de cette convention par rapport à la problématique d'ensemble que vous soulevez.

M. René Danesi, rapporteur. - Comme vous l'avez compris, cet accord n'obéit pas à l'agenda politique de l'actuel chancelier. Pour connaître ses intentions sur le sujet migratoire, je vous renvoie au programme électoral des deux partis qui composent la coalition au pouvoir en Autriche, ainsi qu'aux propositions formulées par ce pays en sa qualité de présidente de l'Union européenne. Il convient donc de s'abstraire de l'actualité politique pour examiner cet accord qui est conforme au droit européen, même si l'Autriche semble vouloir faire évoluer ce cadre juridique. Je ne vois aucune objection à avoir un débat sur cette question, à condition toutefois de bien préciser qu'il est sans lien direct avec l'accord que je viens de vous présenter.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Lors d'une précédente session parlementaire, le retour à la procédure normale avait été demandé pour une tout autre convention internationale, et cela nous avait permis d'avoir des échanges plus larges, sans remettre en cause la qualité et le contenu du rapport. En l'espèce, il serait utile d'avoir un débat politique sur la présidence autrichienne, et d'évoquer les changements politiques intervenus récemment dans ce pays ainsi qu'en Italie.

M. Christian Cambon, président. - La gestion européenne de la crise migratoire est un enjeu majeur qui mérite que nous y consacrions un débat, mais à une date plus appropriée. Je vais me rapprocher du président de la commission des affaires européennes pour en envisager ensemble les modalités. L'examen de ce projet de loi me paraît être un sujet plus étroit. Néanmoins, le règlement prévoit que le retour à la procédure normale peut être sollicité par tout président de groupe et sa demande est de droit : il appartient aux groupes de décider.

M. Pierre Laurent. - Monsieur le président, mon avis est partagé quant à votre proposition. J'entends votre volonté de distinguer les choses ; pourtant elles se rejoignent... L'Autriche joue un rôle important dans la crise actuelle - qui tend d'ailleurs à s'installer -, et les évolutions politiques qu'elle a connues ces derniers mois pourraient aggraver cette situation. Par ailleurs, cet État préside depuis peu l'Union européenne. Il y a quelques jours, la commission des affaires européennes, dont je suis membre, a auditionné l'ambassadeur d'Autriche en France qui a confirmé l'existence d'une note confidentielle rédigée à l'initiative de son pays, dont le contenu, révélé par la presse, est extrêmement inquiétant : il est ainsi proposé de ne plus traiter de demande d'asile sur le sol européen, et de les externaliser vers des pays tiers. En conséquence, l'examen de cet accord et le contexte politique actuel sont à mes yeux liés. L'actualisation des stipulations de l'accord pour le conformer au droit européen n'améliorerait pas la situation puisqu'un nombre croissant d'États membres ne respectent pas le droit en vigueur. Le groupe politique auquel j'appartiens réfléchit également à une demande de retour à la procédure normale car la situation mérite un débat durant la présidence autrichienne, sans préjudice d'un utile travail de fond que pourrait mener notre commission à la rentrée.

M. Christian Cambon, président. - La pratique montre qu'en cas de retour à la procédure normale, le gouvernement reporte parfois le débat car sa tenue nécessite la disponibilité du ministre à la date indiquée. Pour ma part, je ne souhaite pas éluder la question de la crise migratoire que je considère comme très importante. Nous venons d'ailleurs d'adopter un rapport sur la situation en Libye, traitant des filières migratoires. C'est la raison pour laquelle je propose un débat de fond à l'automne, alors que l'Autriche sera toujours présidente de l'Union européenne, ce qui permettrait tant aux groupes politiques qu'à notre commission d'avoir des échanges de qualité.

M. Yannick Vaugrenard. - Je voudrais remercier le rapporteur pour la qualité de son exposé et m'étonner à mon tour du délai de ratification de cet accord, dans un contexte politique qui évolue très rapidement. J'ai été député européen de 2004 à 2009, période durant laquelle la situation en Autriche présentait des risques de dérive. Depuis, notre capacité de réaction s'est affaiblie, aussi bien en France qu'en Europe. Il y a une quinzaine d'années, des sanctions étaient envisagées à l'encontre des États gouvernés par l'extrême-droite. Aujourd'hui, nous assistons à une banalisation de la situation politique observée dans plusieurs pays européens. Je pense qu'il faut saisir toutes les occasions pour exprimer aussi bien notre inquiétude qu'une forme de résistance, sans quoi l'Union européenne se déliterait et « insulterait » les raisons ayant présidé à sa construction. Il faudra également discuter, à l'échelle européenne, des mesures de rétorsion qui pourraient être décidées à l'égard de l'Autriche pour éviter que la situation ne se propage au sein de l'Union européenne.

M. Robert del Picchia. - Je partage la proposition du président Cambon : un débat avec le ministre serait utile pour nous éclairer sur le contexte politique autrichien. En 2007, la situation était beaucoup plus grave qu'aujourd'hui puisque le parti d'extrême-droite dirigé par Jörg Haider composait, avec le parti chrétien-démocrate-conservateur, la coalition au pouvoir ; ce parti a aujourd'hui disparu. Par ailleurs, l'Autriche est le pays qui, proportionnellement à la taille de sa population, a accueilli le plus d'immigrés en Europe, et dans de bonnes conditions. La nouvelle coalition au pouvoir souhaite limiter l'immigration dans leur pays. Si un débat était organisé, nous pourrions le préparer en auditionnant Pascal Teixeira da Silva, signataire pour la partie française du protocole portant révision de l'accord, et aujourd'hui ambassadeur de France des migrations.

M. Christian Cambon, président. - Un tel débat m'apparaît en effet nécessaire. Le sort de l' Aquarius et de ses occupants nous a d'ailleurs rappelé la gravité de ces enjeux, qui a fait naître quelques tensions entre la France et l'Italie alors que nos rapports étaient jusqu'à présent confiants et amicaux. Notre commission a donc raison de se saisir de cette question et de vouloir en débattre, mais cela nécessite de la profondeur.

M. Ladislas Poniatowski. - Ce serait une erreur que d'expédier un débat aussi important et de le programmer pendant la session extraordinaire de juillet. Les débats en séance publique sont-ils la meilleure formule étant donné que les sénateurs n'ont pas l'occasion d'échanger entre eux ? Les réunions de commission s'y prêtent davantage puisqu'elles donnent l'opportunité à chaque sénateur de s'exprimer. Cet été, les évènements risquent d'évoluer et les États pourraient prendre position sur le sujet migratoire dans sa globalité. Par conséquent, je me rallie à la proposition du président Cambon d'organiser un débat à la rentrée au sein de notre commission, et éventuellement de programmer des auditions complémentaires.

M. André Vallini. - Je pense au contraire qu'un débat en séance publique aurait un impact plus important. La proposition d'Hélène Conway-Mouret est heureuse, et je me réjouis de la tonalité des échanges que nous avons ce matin. Sans faire d'anachronisme, il a été reproché, à juste titre, à la classe politique française de fermer les yeux sur la situation politique en Allemagne et en Italie dans les années 1920 et 1930. La France a aujourd'hui un rôle à jouer dans la prise de conscience européenne, même si ces pays sont des démocraties et que leurs peuples peuvent s'exprimer librement. Un débat au sein du Sénat de la République française, ou l'adoption d'une résolution, peuvent avoir une importance car les petits ruisseaux font les grandes rivières. Toutefois, avoir ce débat au mois de juillet à la faveur de l'examen de cet accord ne me paraît pas judicieux ; je me rallie donc à la proposition du président Cambon.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Il ne faut pas oublier que les ministres autrichiens de l'intérieur et des affaires étrangères en exercice sont d'extrême-droite. Je pense qu'il y a deux temps : celui du travail en commission permettant l'expression de chacun, et le temps politique ; or, il s'agit d'un sujet hautement politique ! C'est la raison pour laquelle un débat dans l'hémicycle serait le bienvenu car il nous permettrait, d'une part, de connaître la position de notre gouvernement sur les propositions autrichiennes, et d'autre part, de débattre des conclusions du Conseil européen du 28 juin dernier. Je pense que la tenue de ce débat est urgente car attendu par l'opinion publique ; il est donc préférable de ne pas attendre l'automne pour l'avoir.

M. Christian Cambon, président. - Je ne suis pas certain que le gouvernement maintienne la date du 19 juillet pour examiner ce texte. En outre, contrairement à d'autres commissions, nous sollicitons peu de débats en séance publique : une demande de débat à la rentrée devrait donc pouvoir être satisfaite.

M. Jean-Marie Bockel. - La montée des populismes exige une réponse d'un autre ordre. Les déclarations des différents États de l'Union européenne, dont le nôtre, sont parfois mal comprises par nos concitoyens qui sont alors séduits par des discours simplistes et populistes. Nous pourrions donc imaginer la constitution d'un groupe de travail conjoint avec la commission des affaires européennes, chargé d'établir des propositions à l'échelle européenne. La situation est certes prégnante, mais elle exige une réponse humaine, efficace, qui ne soit pas précipitée et tenant compte des enjeux à venir, notamment pour le continent africain.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Pouvons-nous avoir l'assurance que ce débat aura lieu dès la rentrée ?

M. Christian Cambon, président. - Je ne peux m'y engager, mais je relaierai cette demande de notre commission auprès du président du Sénat en la signalant comme prioritaire. En outre, je prendrai l'attache du président de la commission des affaires européennes afin que nous puissions vous proposer le format le plus pertinent pour traiter de ce sujet à la fois humanitaire et politique.

M. Jean-Marc Todeschini. - Notre collègue Hélène Conway-Mouret souhaiterait surtout que le gouvernement vienne s'exprimer sur cette question. Si nous mettons en place un groupe de travail, le débat avec le ministre n'aura pas lieu dans des délais brefs.

Mme Gisèle Jourda. - Au sein de la commission des affaires européennes, nous traitons aussi de la question migratoire. Si un travail conjoint peut parfois présenter un intérêt, il faut néanmoins tenir compte des compétences de chacune de nos commissions.

M. Christian Cambon, président. - Ce point sera discuté avec le président Bizet.

M. Pierre Laurent. - Le gouvernement français s'est exprimé en donnant quitus à l'accord catastrophique issu du dernier Conseil européen, sans même solliciter l'avis du parlement. Il ne faut donc pas tarder à avoir ce débat politique avec le ministre. Cela ne nous empêchera pas de mener, en parallèle, un travail de fond pour aboutir à des propositions qui nécessiteront, au préalable, d'en débattre longuement au sein de notre commission.

M. Christian Cambon, président. - Nos analyses se rejoignent. Il ne nous reste qu'à trouver le format le plus adapté pour aborder cette question.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport et le projet de loi précité, les sénateurs du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) s'abstenant.

Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, la commission a autorisé la publication du présent rapport synthétique.

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