D. AUDITION DE M. STÉPHANE TRAVERT, MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE L'ALIMENTATION (21 JUIN 2018)
Réunie le mercredi 21 juin 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
M. Vincent Éblé , président . - Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur le projet de loi de règlement du budget pour 2017 en recevant le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, M. Stéphane Travert.
Nos rapporteurs spéciaux Alain Houpert et Yannick Botrel nous avaient annoncé que la programmation du budget agricole pour 2017 serait certainement dépassée. De fait, les dépenses ont excédé les crédits initiaux de 1,3 milliard d'euros, soit 39 % des dotations de début d'année. Lors de son audition, M. Gérald Darmanin nous a indiqué que vous vous attachiez à « professionnaliser le ministère de l'agriculture ». Vous nous indiquerez ce que recouvre cette action.
Vous avez eu du pain sur la planche au cours de votre première année d'exercice des responsabilités ministérielles. Les États généraux de l'alimentation ont été l'occasion pour le Président de la République de prendre une série d'engagements que le projet de loi sur l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole s'efforce de traduire. Vous nous indiquerez ce que vous en attendez pour le revenu des agriculteurs.
Vous êtes également engagé dans les délicates négociations préalables à la nouvelle politique agricole commune. Elle se déroule sous des auspices peu favorables avec la perspective du Brexit. Vous connaissez l'attachement unanime du Sénat à la PAC. Vous nous indiquerez les positions que vous défendez lors de ces négociations. Lors de son audition, le ministre du budget et des comptes publics, tout en affirmant sa volonté de se battre pour que le budget de la PAC ne soit pas diminué, a estimé qu'elle constituait « un système assez technocratisé où le ministère de l'agriculture alloue parfois des aides à des personnes qui n'en ont pas forcément besoin ». Cette déclaration appelle sans doute des éclaircissements.
M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Cet exercice nouveau est utile pour mettre en lumière notre travail au cours de l'année passée et vous donner des indications sur l'exécution budgétaire 2017 du ministère de l'agriculture et de l'alimentation et sur le début de l'exécution 2018.
En 2017, le budget de mon ministère a été exécuté à hauteur de 6,4 milliards d'euros, en augmentation de 23 % par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2017 - 5,2 milliards d'euros. Cette surexécution exceptionnelle s'explique à la fois par les dépenses liées aux crises sanitaires, notamment l'influenza aviaire hautement pathogène - 62 millions d'euros au titre des mesures sanitaires et 170 millions d'euros au titre de l'indemnisation des filières amont et aval -, par le financement des campagnes « indemnités compensatoires de handicaps naturels » 2016 et 2017 - dépense supplémentaire de 256 millions d'euros -, par des besoins supplémentaires liés aux dispositifs sociaux - 81,5 millions d'euros, en particulier le dispositif « travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi » TO/DE, insuffisamment budgétisé dans la loi de finances initiale pour 2017 et qui a nécessité l'ouverture de 65 millions d'euros de crédits supplémentaires -, et enfin par un montant élevé de refus d'apurement communautaire - 721,1 millions d'euros.
Pour couvrir ces besoins en partie non prévus, le ministère a notamment bénéficié en loi de finances rectificative d'une ouverture de crédits de 828 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 1 milliard d'euros en crédits de paiement, et d'un décret d'avance de 100 millions d'euros en juillet 2017 dédié au financement des effets des crises sanitaires.
Le budget présenté et voté pour 2018 a intégré un très substantiel effort de sincérisation à travers la budgétisation des dispositifs sociaux à hauteur des besoins - 50 millions d'euros de plus par rapport à 2017 -, un renforcement de plus de 12 % des crédits du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » - 26 millions d'euros de plus par rapport à 2017 -, la mise en place pour la première fois d'une provision pour aléas d'un montant de 300 millions d'euros destinée à financer les refus d'apurement et les besoins exceptionnels liés aux crises sanitaires climatiques ou économiques.
Compte tenu de cet effort et en l'absence, à ce stade, de risque sanitaire identifié, je respecterai la trajectoire budgétaire 2018.
Enfin, le soutien au secteur agricole est complété par 9 milliards d'euros de crédits communautaires, par 1,7 milliard d'euros de dépenses fiscales et par différentes exonérations de cotisations sociales.
Le soutien au développement de l'agriculture biologique se répartit entre les aides à l'hectare pour la conversion et le maintien de l'agriculture biologique, financées par le fonds européen agricole pour le développement rural, le Feader, et les crédits d'État, des agences de l'eau et d'un certain nombre de collectivités locales. Au titre de 2015, le soutien à l'agriculture bio à travers les mesures pour la conversion et le maintien a représenté une enveloppe de 132 millions d'euros pour 21 000 bénéficiaires, dont 84 millions d'euros de Feader et 48 millions d'euros de contreparties nationales. L'État représente 99 % des financements nationaux.
Il existe d'autres mesures de soutien : le Fonds Avenir Bio, qui permet de soutenir des projets de structuration des filières, ou le crédit d'impôt bio.
Les précédents plans Ambition bio ont permis un développement de l'agriculture biologique ces dernières années. La surface agricole utile (SAU) en bio atteint aujourd'hui 1,77 million d'hectares, soit 6,5 % du total, tandis que la part des exploitations françaises certifiées en agriculture biologique s'élève à 8,3 % du total.
Pour renforcer cette dynamique, le Premier ministre a annoncé l'élaboration d'un nouveau plan Ambition bio, qui prévoit le passage à 15 % de la SAU en bio d'ici à 2022. Ce programme mobilisera 1,1 milliard d'euros de crédits sur la période 2018-2022, contre 700 millions d'euros sur la période précédente, soit une augmentation de 62 %.
Trois leviers financiers sont mobilisés à cette fin : un renforcement des moyens consacrés aux aides à la conversion, avec 630 millions d'euros de fonds Feader et 200 millions d'euros de crédits d'État, auxquels s'ajouteront les autres financements publics ; un doublement du fonds Avenir Bio, géré par l'Agence bio, porté de 4 à 8 millions d'euros par an ; une prolongation du crédit d'impôt bio, revalorisé de 2 500 à 3 500 euros. Ces moyens financiers supplémentaires nous permettront de conforter la dynamique pour atteindre les objectifs fixés.
Concernant le financement de l'agriculture biologique par un complément des ressources supplémentaires issues de la redevance pour pollutions diffuses, la RPD, la rénovation de cette imposition a été annoncée par le Gouvernement dans le cadre du plan d'action pour réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytopharmaceutiques. Les recettes de la RPD contribueront à financer l'accompagnement des agriculteurs, dans le cadre du plan Écophyto et de la conversion à l'agriculture biologique - environ 50 millions d'euros.
S'agissant de la mise en oeuvre de la PAC et des refus d'apurement communautaire, voici où nous en sommes par rapport au calendrier de versement des aides.
Le coût financier de ces refus d'apurement est important, et l'année 2017 est même assez exceptionnelle. La maîtrise des risques d'apurement est une de mes priorités. Elle passe en premier lieu par la bonne transcription des règles européennes dans les dispositions nationales. Les apurements d'aujourd'hui portent sur des périodes passées ; a contrario , ce n'est que dans quelques années que l'on pourra évaluer l'efficacité de la politique actuelle.
Dans le même temps, je cherche à diminuer autant que possible le coût financier de ces apurements. Ainsi, concernant l'évolution du montant de la correction sur les soutiens couplés, d'un refus d'apurement initialement annoncé de 1 milliard d'euros par campagne, soit l'intégralité des aides versées au titre des campagnes 2015 et 2016, la Commission européenne a réduit sa proposition de correction à 34,7 millions d'euros pour ces deux campagnes.
Pour 2018, les refus d'apurement seront financés dans le cadre de la dotation pour aléas, que nous avons calibrée le plus justement possible. De même, une provision pour aléas figurera bien de nouveau dans le projet de loi de finances 2019. Il reste à en calibrer le montant.
S'agissant du versement des aides PAC, le calendrier de retour à la normale des paiements sur lequel s'est engagé le Gouvernement est respecté. Pour le premier pilier, le retard est désormais presque complètement résorbé. Pour le second pilier surfacique, les paiements des mesures agroenvironnementales et climatiques et des aides à l'agriculture biologique de la campagne 2015 ont été réalisés dans leur quasi-totalité. Ceux de la campagne 2016 viennent de débuter et vont se poursuivre par vagues successives. Le versement des aides de la campagne 2017 commencera dès cet automne.
Par ailleurs, il faut souligner le très bon déroulement de la campagne de télédéclaration 2018, qui a été ouverte le 1 er avril et a pris fin le 15 mai. Sa clôture dans de bonnes conditions, à la date habituelle, constitue ainsi une autre preuve tangible du retour à la normale dans la gestion de la campagne 2018.
S'agissant des crises sanitaires, l'année budgétaire 2017 a été impactée par l'épizootie d'influenza aviaire hautement pathogène. La détection de la bactérie xylella fastiodosa , en Corse et en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), a aussi été un élément d'importance. La fin de l'année 2017 a été également marquée par la détection de foyers de fièvre catarrhale ovine de sérotype 4 en Auvergne-Rhône-Alpes et par la découverte de nouveaux foyers de xylella fastidiosa en PACA. C'est pourquoi le budget initial du programme 206 pour 2017 a connu une augmentation de 50 %, avec un décret d'avance d'environ 100 millions d'euros.
Les aléas liés aux crises sanitaires rendent difficiles les prévisions budgétaires de ce programme. Mais il est essentiel d'investir dans la prévention et la surveillance pour limiter la survenue et les impacts potentiels des éventuels dangers sanitaires sur nos filières, conformément à l'adage « mieux vaut prévenir que guérir ».
C'est pourquoi j'ai tenu à renforcer les moyens du programme 206, dont l'enveloppe budgétaire au titre du projet de loi de finances pour 2018 a été augmentée de 12 %, hors dépenses de personnel. J'ai également veillé à ce que les effectifs du programme soient maintenus en 2018 au niveau de 2017.
Pour revenir sur la PAC et le cadre financier pluriannuel, comme l'a dit ce matin le Président de la République à Quimper, le budget qui a été proposé par la Commission européenne est inacceptable et risque de porter un coup à la viabilité des exploitations. Certes, il faut rénover la PAC, la rendre plus efficace, de sorte qu'elle demeure un véritable filet de sécurité pour nos agriculteurs. Mais la Commission propose une baisse de plus de 15 %, ce qui serait dramatique pour les agriculteurs non seulement français, mais également européens.
Dès le 2 mai, dès que nous avons eu connaissance de la proposition de la Commission, nous avons créé le groupe dit « de Madrid », qui réunit la France, la Finlande, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et la Grèce, et présenté lundi dernier lors du Conseil Agriculture et pêche un mémorandum qu'ont soutenu plus de vingt États membres. Nous avons donc le poids nécessaire pour défendre un budget ambitieux et réaffirmer que la PAC ne doit pas être la variable d'ajustement à la fois du Brexit, qui inquiète de nombreuses filières professionnelles, en particulier les pêcheurs, et des nouvelles politiques à financer - défense, immigration.
La négociation va être âpre, mais l'ensemble du Gouvernement est mobilisé. Nous allons essayer de faire fléchir la Commission pour en revenir à une proposition de budget qui fasse de l'agriculture une véritable priorité, de manière à garantir la viabilité et la compétitivité de nos exploitations, pour que nos agriculteurs vivent dignement de leur travail, mais aussi pour que nos concitoyens bénéficient d'une alimentation plus saine, projet que nous avons porté à travers les états généraux de l'alimentation.
M. Alain Houpert , rapporteur spécial . - Monsieur le ministre, vous avez du pain sur la planche, mais j'ai bien peur que nous soyons... dans le pétrin !
« Vérité en deçà de 2020, erreur au-delà ». Je m'explique. Vous avez réagi très vivement à la baisse des crédits du projet de nouvelle PAC. Cependant, comment conciliez-vous cette réaction avec le programme financier du Gouvernement ? Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, votre majorité a voté une réduction en euros constants des crédits de la mission de plus de 10 % à l'échéance de 2020.
C'est un mauvais signal pour l'agriculture, mais c'est également un signal difficilement compréhensible d'un point de vue simplement technique. Les engagements budgétaires restant à couvrir, à la fin de 2017, s'élevaient à près de 2 milliards d'euros. Encore n'intègrent-ils pas un certain nombre d'engagements latents non négligeables : je pense en particulier au risque de refus d'apurement européen, mais il faudra également envisager l'hypothèse que toutes les indemnisations liées aux calamités sanitaires ne soient pas encore traitées. Bref, monsieur le ministre, comment allez- vous résoudre cette quadrature du cercle sous cette contrainte que vous avez décidé d'infliger aux agriculteurs ? Quelles enveloppes restent disponibles au Feader pour financer les priorités de notre stratégie de développement rural ?
Ma deuxième question porte sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Partir des coûts pour construire les prix, c'est sans doute très louable, mais je m'interroge sur ce retour à la régulation des premières années de la PAC. Nos concurrents, européens et extraeuropéens, ne mobilisent pas cet instrument : le risque n'est-il pas que tout cela reste vain dans un contexte international où la concurrence par les prix ne cessera certainement pas ?
S'agissant de la sécurité sanitaire des aliments, avec Yannick Botrel, nous avons présenté un rapport dans lequel nous préconisons de muscler nos infrastructures. L'exécution du budget 2017 traduit des résultats opérationnels peu satisfaisants. L'affaire Lactalis montre qu'on ne peut se contenter des autocontrôles des professionnels. Quelles mesures comptez-vous prendre pour améliorer la maîtrise des risques ? Enfin, à combien chiffrez-vous pour les finances publiques la fixation d'un objectif de conversion de 15 % des terres agricoles à l'agriculture biologique ?
M. Vincent Éblé , président . - J'ajoute deux questions à celles du rapporteur spécial.
Pouvez-vous nous donner des éléments sur les difficultés rencontrées dans le transfert aux régions des responsabilités de gestion de la plupart des interventions du Feader, en faisant en particulier ressortir les dispositions prises pour accompagner les régions, et nous faire part de la position de l'État sur la répartition des responsabilités financières dans l'hypothèse où des sanctions seraient prononcées par la Commission européenne ?
Nos commissions, et la commission des finances en particulier, sont attentives à l'application des lois. Or nous avons relevé qu'un certain nombre de textes parfois anciens, relatifs à des redevances à vocation sanitaire, n'ont pas été suivis des mesures nécessaires à leur application. Il s'agit en général de la fixation du tarif de ces redevances. Ces difficultés paraissent venir des négociations avec les professionnels, mais on évoque aussi désormais la perspective d'une refonte plus globale du dispositif des taxes sanitaires. Qu'en est-il ?
M. Marc Laménie . - Ma première question porte sur les moyens humains de votre administration. Les directions départementales de l'agriculture et de la forêt, les DDAF, ont été rattachées aux directions départementales des territoires, les DDT. Quels moyens humains pour le monde agricole ? Mon département, les Ardennes, compte deux lycées agricoles. Les jeunes qui y étudient sont passionnés. De quels moyens disposeront-ils les années à venir ? Enfin, les aléas climatiques provoquent de nombreux dégâts, notamment sur les exploitations viticoles. Quels moyens pour y faire face ?
M. Claude Raynal . - Je note que les ajustements budgétaires ont été assez limités en 2017. En revanche, les refus d'apurement communautaire sont loin d'être marginaux - 721 millions d'euros. Certes, une provision de 300 millions d'euros est désormais prévue pour l'ensemble des aléas, mais cette situation peut-elle se reproduire ? Nous aimerions en savoir un peu plus. Avons-nous une façon différente de la Commission d'interpréter le Règlement ?
Nous avons récemment auditionné le commissaire Günther Oettinger sur la préparation budgétaire. Pour faire simple, il nous a reproché de ne vouloir toucher ni à la politique de cohésion ni à la PAC, tout en refusant une augmentation du budget global. Alors que le Gouvernement explique vouloir révolutionner les choses, dans le cas d'espèce, on a l'impression d'être dans le vieux monde : pas d'augmentation de la contribution française au budget européen, mais maintien de l'ensemble de budgets, voire demandes de nouveaux budgets - innovation, investissements, etc. Tout cela manque de clarté. On peut toujours mettre l'Europe devant ses responsabilités, mais il faudra bien que le Gouvernement indique quelles dépenses communautaires il accepte de voir baisser, sachant que la PAC, à laquelle aucun d'entre nous ne souhaite toucher, représente la plus grosse part du budget européen - vous remarquerez que je n'ai pas fait dire aux dirigeants communautaires que la PAC coûtait « un pognon de dingue »...
On ne peut pas à la fois reprendre le leadership en Europe, ce qu'a fait très clairement le président Macron, profitant de l'absence du Royaume-Uni, de la position difficile de l'Espagne, de la période agitée que connaît Mme Merkel - je ne parle même pas de l'Italie -, sans être au clair sur les questions budgétaires.
M. Henri Cabanel , rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mission « Agriculture, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » . - Je suis heureux d'apprendre, qu'avec quelques collègues, vous avez produit un mémorandum sur la PAC. J'aimerais néanmoins disposer d'informations quant à son contenu... Nous sommes, en effet, inquiets de l'avenir de cette politique, qui pourrait être affectée d'une diminution de 15 % de ses crédits sur la période. Sans me montrer pessimiste, ce pourrait être un coup fatal pour certains territoires ! Nous pouvons d'ailleurs nous interroger en constatant que les pays asiatiques, les États-Unis ou le Brésil accordent davantage de moyens à la politique agricole dans un souci d'assurer leur souveraineté alimentaire. Pour autant, la PAC mérite d'être améliorée pour une efficience supérieure. A la faveur du Brexit, l'Union européenne souhaite orienter son action en faveur d'autres politiques, certes légitimes, laissant à craindre que la PAC sera, à budget constant, la variable d'ajustement de cette volonté. L'Europe se propose également de confier davantage de responsabilités aux États membres en matière de politique agricole, quitte à abandonner quelque peu le « C » de la PAC. J'imagine que vous ne pouvez guère dévoiler le contenu des négociations en cours mais, vous l'aurez compris, nous aimerions être rassurés.
S'agissant des refus d'apurement, il me semble certes logique que soient remboursées les subventions indument perçues. Mais je m'inquiète pour les agriculteurs concernés, auxquels il est réclamé un remboursement portant sur des sommes versées depuis parfois dix ans, avec des intérêts dont le montant équivaut à celui des subventions initiales. Or, l'agriculteur, qui a transmis une demande de subvention à l'administration française, n'est pas directement fautif. Quelles solutions pourriez-vous envisager, notamment s'agissant du paiement des intérêts ?
M. Philippe Dallier . -Quel diagnostic portez-vous sur le décrochage de compétitivité que matérialise le déficit extérieur sur les produits bruts ? Disposez-vous d'éléments de comparaison sur les prélèvements obligatoires appliqués à l'agriculture française et sur la situation qui prévaut dans l'Union européenne ? Avez-vous, par ailleurs, ouvert des dossiers sur la concurrence éventuellement déloyale de certains de nos partenaires. Ont été, à cet égard, évoquées une suspicion de fraude à la TVA sur les porcs en Allemagne et l'existence de « vaches fantômes » aux Pays-Bas. Pouvez-vous nous indiquer également ce que pourraient être les effets du Brexit et de l'accord avec le Canada sur les revenus agricoles en France ? S'agissant enfin de la fiscalité agricole, que le Gouvernement s'est engagé à modifier, quelles sont les pistes retenues ?
M. Stéphane Travert, ministre . - Pour reprendre l'expression du sénateur Houpert et son allégorie boulangère, à mon sens, le pétrin représente également un appareil destiné à mélanger la farine et l'eau, de manière à rendre une pâte onctueuse et homogène. Nous souhaitons rendre la politique agricole homogène et plus simple pour nos agriculteurs, afin de renforcer la compétitivité des entreprises agricoles et de mieux servir les enjeux économiques, sociaux et environnementaux.
Le commissaire Oettinger peut bien souffler le chaud et le froid sur l'avenir de la PAC, mais je constate que la France a pris, le 19 décembre dernier, une position claire. Nous appelons de nos voeux un dispositif simplifié et plus lisible, l'absence de cofinancement sur le premier pilier et une meilleure adéquation du deuxième pilier aux spécificités des territoires. Notre objectif ne réside donc pas dans un maintien intangible de la PAC dans son fonctionnement actuel : une réforme est évidemment nécessaire, à condition à la fois d'en connaître les moyens financiers et de définir le niveau de priorité de la politique agricole pour l'Union européenne. En ce sens, le neuvième rang qui lui a été attribué par la Commission européenne à l'occasion de la présentation budgétaire ne m'apparaît pas acceptable. Nous allons vous faire parvenir le mémorandum afin que vous puissiez connaître le cadre des propositions que nous portons, notamment en matière de rémunération des services environnementaux, point sur lequel la France se trouve parfois isolée. Nous devons oeuvrer, avec les vingt pays signataires de ce document, à la définition de dispositifs concrets et adaptés aux besoins des différents territoires. Nous devons être au rendez-vous des attentes des agriculteurs !
La réduction de 10 % des crédits de la mission dans la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 correspond au retrait de la compensation de l'allègement des cotisations sociales des exploitants, lié à l'alignement sur le régime des travailleurs indépendants, objet du travail mené par la ministre Agnès Buzyn. Ce n'est pas une baisse de soutien, mais une mesure de périmètre. Les crédits nationaux PAC ont été confortés voire augmentés.
Les refus d'apurement sont traditionnellement payés en fin de gestion, sur la base de corrections qui interviennent avant le 31 août 2018. Le besoin prévisionnel est estimé à plus de 180 millions d'euros ; il correspond aux corrections prévues par la Commission européenne à travers les décisions déjà publiées ou sur le point de l'être.
À l'été, nous disposerons d'une vision totalement stabilisée des refus d'apurement qui nous seront imputés au titre de l'année 2018. Les éléments actuels sont encourageants : les services ont beaucoup travaillé pour limiter ces refus d'apurement - même si leur montant est important en 2017, du fait des campagnes précédentes. Il reste des efforts à faire.
Compte tenu des incertitudes, il est impossible d'avoir une visibilité sur le besoin financier lié aux apurements communautaires. La correction financière est aussi portée par l'État, qui peut prendre la place de l'agriculteur pour rembourser les aides si celui-ci est parti en retraite ou si l'entreprise n'existe plus. Lorsque la Commission avait retoqué l'ensemble des aides sur le gasoil des bateaux de pêche - qui était en forte hausse - il avait fallu récupérer ces aides indument perçues. Ce fut difficile, car certains pêcheurs étaient dans l'impossibilité totale de payer. L'État s'est donc substitué, et il a fait de même pour le remboursement des plans de campagnes.
M. Claude Raynal . - L'État peut-il intervenir pour payer les intérêts ?
M. Stéphane Travert, ministre . - Les intérêts sont dus. Souvent, l'agriculteur qui ne peut pas rembourser l'aide ne peut pas non plus rembourser les intérêts. Un suivi est réalisé mais l'État ne peut pas prendre en charge les intérêts.
Nous allons mettre en place une redevance pour renforcer les moyens de la direction générale de l'alimentation (DGAL), qui avaient déjà été abondés de 12 millions d'euros lors du dernier budget. La sécurité sanitaire est une priorité que nous devons à tous nos concitoyens. Le contrôle sanitaire est une garantie apportée au consommateur et le dispositif est déjà mis en place dans certains États membres. Cette question sera évoquée lors des prochains conseils « Agriculture et pêche ». Les autocontrôles sont nécessaires mais ils doivent rester sous la responsabilité des professionnels : à eux de démontrer que le produit répond aux règlements sanitaires - voyez l'affaire Lactalis. L'Assemblée nationale a adopté des amendements au projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, afin que soient transmis l'ensemble des autocontrôles défavorables. Nous avons mis en place un plan d'action pour traiter la sécurité sanitaire du produit mais aussi de son environnement. Ainsi, nous renforçons notre capacité de contrôle et de prévention sur les industries agroalimentaires. La commission d'enquête sur Lactalis, qui nous a entendus, rendra prochainement son rapport.
La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) prévoit que les régions sont autorités de gestion du Feader et sont donc responsables pour honorer les factures de refus d'apurement imposées par la Commission européenne sur le deuxième pilier. L'État reste très présent sur la définition des mesures du second pilier à travers le cadre national du développement rural. Des réflexions sont en cours avec les régions pour définir un modus operandi qui reflète les responsabilités des uns et des autres, tout en restant conformes à la loi. Un décret reviendra très précisément sur ces responsabilités. Nous devons avoir ce dialogue avec l'ensemble des régions.
L'enseignement agricole a été une priorité du dernier budget. C'est un élément de maillage territorial, d'emploi, et de formation d'excellence, avec un taux d'inclusion dans l'emploi remarquable : 97 % des lycéens agricoles ont un emploi dès leur sortie. La plupart des lycéens en mécanique agricole que j'ai rencontrés dans les Landes la semaine dernière sont déjà assurés d'avoir un travail. Les moyens financiers de l'enseignement agricole public et privé seront confortés, voire augmentés entre 2018 et 2022. Ils ont été stabilisés en 2018. Les moyens humains représentent 60 % des effectifs du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, avec 18 000 agents.
Les effectifs affectés à l'agriculture dans les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ont été préservés grâce aux gains de productivité réalisés sur d'autres missions. L'organisation départementale sera débattue dans le cadre du plan Action publique 2022, je vous en reparlerai.
De nombreux projets hydrauliques, essentiels au maintien voire au développement de l'agriculture sur nos territoires, dans un contexte de changement climatique, sont bloqués dans certaines régions par des associations. Avec le ministre Nicolas Hulot, nous réalisons un travail de fond pour identifier l'ensemble des projets sur le territoire, et les freins. Nous ferons prochainement des propositions. Le préfet Pierre-Étienne Bisch a été chargé d'une mission et a été entendu par le Sénat.
Je ne peux répondre, à ce stade, sur la fiscalité agricole. Avec Bruno Le Maire, nous avons créé un groupe de travail de onze députés et sénateurs - dont fait partie M. Cabanel - qui fonctionne bien. Ils débattront de l'épargne de précaution et d'autres outils fiscaux, et vous feront part de propositions dans les prochains jours. Nous vous les présenterons à l'occasion du débat sur le projet de loi de finances. Ces outils sont attendus par la profession pour regagner de la compétitivité.
J'entends votre argument sur les distorsions de concurrence. À l'échelle européenne, on doit avoir des politiques agricole, commerciale et de concurrence communes fortes. On ne peut demander aux agriculteurs de réduire l'utilisation de pesticides, de monter en gamme, sans avoir les mêmes exigences pour les importations. Nous défendons des lignes rouges en matière de politique commerciale internationale : les contingents accordés à des pays tiers ne doivent pas mettre en danger nos propres filières, et respecter les mêmes conditions que nos propres productions. L'axe 3 du plan d'action sur le CETA ( Comprehensive Economic and Trade Agreement , accord économique et commercial global avec le Canada) sur des objectifs de développement durable prévoit des contrôles pour que les produits entrant sur le territoire correspondent bien à nos standards sanitaires réglementaires. Nous devons également travailler avec nos filières, car il y a des débouchés commerciaux à prendre : 70 % de la viande bovine dans la restauration collective vient de l'étranger. Il faut mieux segmenter et travailler. Les plans de filière le prévoient, je suis en train de les examiner. Nous devons avancer concrètement.
Cette semaine, j'ai rappelé à mes homologues du Conseil des ministres européens de l'Agriculture et de la Pêche les positions françaises sur la politique commerciale.
Les producteurs de porc dénoncent une concurrence déloyale liée à la TVA. En Allemagne, la mise en oeuvre de la directive augmente l'avantage compétitif des élevages et des abattoirs. La Commission européenne a ouvert le 8 mars dernier une procédure d'infraction contre l'Allemagne, et l'a mise en demeure de modifier les conditions d'application de la TVA dans le secteur agricole. Une enquête est en cours.
Les « vaches fantômes » aux Pays-Bas ont fait les choux gras de la presse. Les autorités sanitaires des Pays-Bas suspectent une fraude massive sur plusieurs centaines d'exploitations. C'est inacceptable, et cela remet en cause tout notre système de traçabilité.
Mon prédécesseur a fait un bon travail sur l'étiquetage de l'origine du lait et de la viande, pour limiter les distorsions de concurrence. L'expérimentation autorisée par la Commission européenne s'achèvera à la fin de l'année. Nous attendons le retour d'expérience mais je souhaite que le dispositif soit prolongé et même étendu à d'autres produits. Je m'y suis engagé auprès des syndicats agricoles. J'attache une grande importance aux questions sanitaires pour que nos concitoyens gardent confiance dans le système sanitaire européen.
Je répondrai par écrit aux autres questions que vous pourriez avoir.
M. Vincent Éblé , président . - Je vous remercie.