D. LE CRÉDIT D'IMPÔT RECHERCHE, UNE DÉPENSE FISCALE DE 5,8 MILLIARDS D'EUROS DONT LES EFFETS DEMEURENT MAL ÉVALUÉS EN DÉPIT DES NOMBREUX TRAVAUX QUI LUI SONT CONSACRÉS

Les programmes « Recherche » de la MIRES comprennent quinze dépenses fiscales dont le coût total s'élèverait , selon le projet annuel de performances, à 6 690 milliards d'euros en 2018 (soit près de 58 % des crédits budgétaires rattachés à ces programmes ). Le coût de ces dépenses est en constante augmentation depuis 2011 ( cf. tableau infra ).

Les trois principales dépenses fiscales rattachées aux programmes « Recherche » sont :

- le crédit d'impôt recherche (CIR ), dont le coût est évalué à 5,8 milliards d'euros pour 2018 et qui constitue, de très loin, la principale dépense fiscale de la MIRES ;

- la taxation à taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets , dont le coût peut être estimé à 660 millions d'euros 39 ( * ) ;

- le crédit d'impôt en faveur de l'innovation (CII), institué par la loi de finances pour 2013 40 ( * ) , dont le coût serait de 180 millions d'euros en 2018.

En réalité, le CII constitue une extension du CIR aux dépenses liées à la conception de prototypes de nouveaux produits et aux installations pilotes des petites et moyennes entreprises (PME) dans la limite de 400 000 euros par an et à un taux de crédit d'impôt de 20 %.

Ainsi, alors que le crédit d'impôt recherche (CIR) est souvent considéré isolément, il apparaît que le secteur de la recherche bénéficie également d'autres dispositifs fiscaux dérogatoires correspondant à des montants conséquents , qui, bien que moins visibles que les dotations budgétaires, doivent faire l'objet d'une analyse dédiée et d'évaluations régulières .

Tableau récapitulatif des dépenses fiscales rattachées aux programmes relatifs à la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

(en millions d'euros)

Intitulé du programme et de la dépense fiscale

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

172 - Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

3 075

3 375

3 274

5 555

5 099

5 560

5 712

5 807

Crédit d'impôt en faveur de la recherche (200302)

3 070

3 370

3 269

5 550

5 094

5 555

5 707

5 802

Exonération des établissements publics de recherche, des établissements publics d'enseignement supérieur, des personnes morales créées pour la gestion d'un pôle de recherche et d'enseignement supérieur et des fondations d'utilité publique du secteur de la recherche pour leurs revenus tirés d'activité relevant d'une mission de service public (300208)

5

5

5

5

5

5

5

5

142 - Enseignement supérieur et recherche agricoles

nc

nc

nc

nc

nc

nc

nc

nc

Exonération des revenus patrimoniaux des établissements publics scientifiques, d'enseignement et d'assistance pour leurs revenus fonciers agricoles et mobiliers (300201)

nc

nc

nc

nc

nc

nc

nc

nc

192 - Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle

968

784

681

608

399

402

879

883

Crédit d'impôt en faveur de l'innovation (CII) (200310)

-

-

-

160

108

173

176

180

Réduction d'impôt au titre de la souscription de part de fonds communs de placement sur l'innovation (110218)

95

54

32

29

30

32

32

32

Exonération totale ou partielle des bénéfices réalisés par les jeunes entreprises innovantes existantes au 1 er janvier 2004 ou créées entre le 1 er janvier 2004 et le 31 décembre 2019 et les jeunes entreprises universitaires (230604)

18

20

13

13

11

9

9

9

Exonération totale ou partielle des bénéfices réalisés par les entreprises participant à un projet de recherche et de développement et implantées dans une zone de recherche et de développement (200308 puis 220105)

2

3

1

1

å

2

2

2

Exonération des sociétés unipersonnelles d'investissement à risque (300207)

å

å

å

å

å

å

å

å

Imputation sur le revenu global du déficit provenant des frais de prise de brevet et de maintenance (160103)

å

å

å

å

å

å

å

å

Exonération des dividendes perçus par l'associé unique d'une société unipersonnelle d'investissement à risque (140124)

å

å

å

å

å

å

å

å

Taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets (320139)

850

705

630

400

250

186

660

nc

Exonérations des plus-values de cession d'actions ou de parts de sociétés agréées pour la recherche scientifique ou technique; de titres de société financières d'innovations conventionnées (230504)

nc

nc

nc

nc

nc

nc

nc

nc

Total dépenses fiscales rattachées à titre principal

4 043

4 159

3 955

6 163

5 498

5 962

6 591

6 690

Source : réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial

1. La dépense fiscale relative au crédit d'impôt recherche devrait augmenter de 100 millions d'euros en 2018

Le crédit d'impôt recherche (CIR) , créé en 1983 et réformé profondément de 2004 à 2008, est devenu la dépense fiscale rattachée à la recherche la plus importante en termes quantitatifs . Depuis la réforme de 2004 qui a introduit une part en volume dans le calcul de ce crédit d'impôt, le nombre d'entreprises déclarantes et le montant de la créance ont très fortement augmenté .

Depuis le 1 er janvier 2008, le CIR consiste en un crédit d'impôt de 30 % des dépenses de R&D jusqu'à 100 millions d'euros et 5 % au-delà . Entre 2008 et 2014, le nombre d'entreprises déclarantes a augmenté de 56 % , pour atteindre près de 22 000 , pour un montant de dépenses éligibles de 21 milliards d'euros et un crédit d'impôt de 5,8 milliards d'euros en 2018 , contre 1,7 milliard d'euros en 2007.

Au cours des dernières années, la créance issue du CIR semble évoluer comme la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (DIRDE) .

Évolution de la créance fiscale liée au crédit d'impôt recherche
et au crédit d'impôt pour l'innovation
depuis 2009 (créance fiscale)

Nombre de déclarants

Montant du CIR (en millions d'euros)

Montant du CII (en millions d'euros)

2009, au titre de 2008

14 012

4 452

-

2010, au titre de 2009

17 193

4 880

-

2011, au titre de 2010

19 424

5 402

-

2012, au titre de 2011

21 916

5 381

-

2013, au titre de 2012

22 310*

5 699

-

2014, au titre de 2013

24 148*

5 763

84

2015, au titre de 2014

24 253*

5 788

118

Les données 2012, 2013 et 2014 sont des données provisoires. En effet, pour une année n, les données du CIR sont définitives en décembre n+4 car les entreprises ont trois ans pour déposer des déclarations rétroactives.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Le montant du crédit d'impôt recherche demeure difficile à anticiper : la dépense fiscale dépend de la dynamique de la créance , mais aussi de l'impôt sur les sociétés et des demandes de remboursement immédiat des entreprises , dont les règles ont varié depuis 2008, notamment durant le plan de relance, puis avec la généralisation aux PME (au sens communautaire) de la possibilité d'un remboursement immédiat .

La part des entreprises - PME principalement, entreprises nouvelles, jeunes entreprises innovantes ou entreprises en difficulté - bénéficiaires du droit au remboursement immédiat et en demandant l'application peut en effet fluctuer selon les exercices et expliquer les variations de la dépense fiscale constatées en exécution. Ainsi, la créance fiscale a été systématiquement sous-évaluée entre 2010 et 2012.

Évaluation de la dépense fiscale annuelle relative au CIR
de 2010 à 2017

2010

2011

2012 (PAP 2013)

2013 (PAP 2015)

2014 (PAP 2016)

2015 (PAP 2017)

2016 (PAP 2018)

2017 (PAP 2018)

2018
(PAP 2018)

Dépense fiscale (millions d'euros)

4 900

3 070

3 070

3 269

5 108

5 094

5 555

5 707

5 802

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Alors qu'en 2008, 69 % de la créance fiscale bénéficiait aux entreprises de l'industrie et seulement 29 % à celles des services , cette répartition a évolué ces dernières années puisque les entreprises industrielles ne représentaient plus que 60 % de la créance fiscale en 2014, contre 38 % pour les entreprises de service .

Toujours en 2014, la répartition de la créance fiscale en fonction de la taille de l'entreprise montrait que celle-ci bénéficiait pour un tiers environ aux PME , pour un tiers aux entreprises de taille intermédiaire et pour un autre tiers aux grands groupes de plus de 5 000 salariés .

Évaluée à 5 420 millions d'euros par le projet annuel de performances pour 2017, la dépense fiscale de 2016 s'établit finalement à 5 555 millions d'euros dans le projet annuel de performances pour 2018, soit une hausse de 135 millions d'euros .

Cet écart s'explique notamment par le travail qui a été mené pour fiabiliser le montant de la créance à partir de 2010 , travail qui a conduit à une nouvelle constatation de la créance à un niveau supérieur à celui retenu antérieurement . Cela conduit mécaniquement à une réévaluation à la hausse de la dépense fiscale .

Pour les mêmes raisons, la dépense fiscale pour 2017 est réévaluée à 5 707 millions d'euros dans le projet annuel de performances pour 2018 contre 5 505 millions d'euros dans le projet annuel de performances pour 2017, soit une augmentation encore plus significative de 202 millions d'euros .

Pour 2018, la fiabilisation des données permet d'estimer que la dépense augmenterait sensiblement pour atteindre 5 802 millions d'euros , soit une hausse de 95 millions d'euros (+ 1,7 %) .

2. Un dispositif qui est devenu la première aide à la R&D des entreprises depuis 2008

Le montant du CIR a dépassé les aides directes à la R&D des entreprises depuis 2008 , en se stabilisant autour de 19 % des dépenses intérieures de R&D des entreprises (DIRDE) . Les aides directes représentent moins de 10 % de la DIRDE depuis 2009, contre 18 % en 1993. Le cumul des deux types d'aide porte le taux de financement public des dépenses de R&D des entreprises à 27 % en 2013 (soit 0,40 % du PIB ).

Ce niveau de soutien public place la France en deuxième position selon les données de l'OCDE , nettement derrière la Russie (dont le soutien public atteint 58 % de la DIRDE), proche du Canada ( 25 % ) et du Portugal ( 21 % ), mais loin devant les États-Unis , l'Allemagne ou le Japon . En Allemagne ou au Japon en particulier, l'intensité en R&D privée est élevée du fait de la structure sectorielle de ces économies où les secteurs comme l 'automobile et l'électronique représentent une forte part de la R&D privée .

Le crédit d'impôt recherche a fait l'objet de plusieurs études d'évaluation , qui ont fait l'objet d'une « revue de la littérature » réalisée par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) rendue publique en avril 2017.

Ces différentes analyses statistiques permettent de conclure à un effet positif de ce crédit d'impôt sur les dépenses de recherche des entreprises : la part de la recherche privée aurait reculé au cours des dernières années en l'absence de ce crédit d'impôt , qui a permis de stabiliser l'effort de recherche en France , même s'il présente d'indiscutables effets d'aubaine. Si la réforme de 2008 n'a pas eu d'effets très significatifs sur les dépôts de brevets , elle a favorisé en revanche l'emploi des chercheurs par les entreprises.

Il n'en demeure pas moins que le coût du dispositif doit être maîtrisé : comme le souligne un rapport de l'OCDE paru en juin 2014 41 ( * ) , le CIR devrait être davantage concentré et ciblé sur les entreprises qui en ont le plus besoin. Il apparaît en particulier que les grandes entreprises bénéficient d'une dépense fiscale coûteuse pour l'État alors même que l'effet incitatif est réduit par rapport aux petites et moyennes entreprises , au vu des montants en jeu.

De plus, le CIR apparaît comme un soutien important pour d'autres dispositifs publics comme les pôles de compétitivité , les instituts Carnot , les jeunes entreprises innovantes ou bien encore les efforts en faveur de l'insertion des docteurs .

Une nouvelle étude d'impact du CIR a été lancée en 2015, par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, concernant l'incidence du CIR sur l'effort de recherche des entreprises et l'embauche de docteurs . S'agissant des docteurs, cette étude parvient ainsi à deux conclusions :

- d'une part, les difficultés d'insertion des docteurs sur des postes de R&D en entreprise sont notamment liées à leurs choix de spécialités , qui diffèrent de celles des ingénieurs, y compris au sein des disciplines scientifiques ;

- d'autre part, l'impact positif de la réforme de 2008 sur l'embauche, en CDI sur des postes de R&D, de jeunes diplômés et notamment de « jeunes docteurs » par rapport aux ingénieurs.

Enfin, le ministère a contribué à la rédaction de l'appel à projet de recherche de la Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI) pour « Évaluer les effets du crédit d'impôt recherch e », qui a été publié en juin 2016. Trois sujets sont actuellement à l'étude dans ce cadre :

- « l'impact du CIR sur les principaux indicateurs d'innovation des enquêtes françaises sur l'innovation (CIS), et au-delà sur l'emploi et la productivité des entreprises, 2000-2004, 2008 et 2012 », pour mieux appréhender l'impact du CIR sur l'innovation, les créations d'emploi et la productivité des entreprises ;

- « l'évaluation des interactions des politiques publiques d'aide à la R&D », pour mesurer l'efficacité respective et conjointe du CIR, des aides accordées par BPI France et de la taxation à taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets ;

- « une évaluation des effets du dispositif Jeunes docteurs sur l'accès aux emplois de R&D », qui vise à mieux expliciter les effets du CIR sur l'accès à l'emploi des chercheurs, notamment pour les jeunes docteurs.


* 39 Selon le tome II de l'annexe « Voies et moyens », le coût de cette dépense fiscale n'est pas connu pour 2018; toutefois, pour le calcul du montant des dépenses fiscales rattachées à la MIRES son coût pour 2017 tient lieu d'estimation pour 2018, ce qui est également fait dans le présent rapport.

* 40 A rticle 71 de la loi n° 2012-509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

* 41 Rapport du 27 juin 2014 concernant l'évaluation des politiques d'innovation en France.

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