III. UNE FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE « PUNITIVE » AUX CONTREPARTIES NOTOIREMENT INSUFFISANTES
La politique en matière de fiscalité énergétique s'appuie principalement sur deux éléments :
- d'une part, la composante carbone, ou « contribution climat-énergie (CCE) », introduite par la loi de finances pour 2014 3 ( * ) , proportionnelle au contenu en dioxyde de carbone (CO 2 ) des produits taxés ;
- d'autre part, la convergence des fiscalités du gazole et de l'essence , initiée en 2015, et qui vise à mettre fin à l'avantage fiscal dont a historiquement bénéficié le gazole, alors même qu'il constitue une source majeure de pollution de l'air.
Le présent projet de loi de finances actionne massivement ces deux leviers de fiscalité énergétique , traduisant une conception « punitive » de la fiscalité énergétique et une absence de vision stratégique en la matière.
L'article 9 du présent projet de loi de finances prévoit ainsi une accélération importante de la trajectoire carbone pour la période de 2018 à 2022. Dès 2018, le prix de la tonne de carbone serait fixé à 44,60 euros , soit 5,60 euros de plus que la somme prévue dans la trajectoire précédente . Il augmenterait ensuite chaque année de 10,40 euros pour atteindre 86,20 euros en 2022 .
Tarifs de la composante carbone actuellement
prévus et ceux proposé par le Gouvernement pour la période
2018-2022 dans le projet de loi de finances
pour 2018
(en euros par tonne de carbone)
Source : commission des finances du Sénat
En outre, le même article poursuit la convergence de la fiscalité sur l'essence et le gazole, avec un objectif de rattrapage d'ici 2021, grâce à une augmentation de la part fixe de la TICPE de 2,6 centimes d'euro par litre de gazole par an de 2018 à 2021 .
Convergence des tarifs de TICPE entre le gazole, le SP95-E10 et le SP95-E5
(en centimes d'euro par litre)
Source : commission des finances du Sénat
Au total, la détermination, pour toute la durée du quinquennat, de la trajectoire de la composante carbone traduit l'objectif de rendement que le Gouvernement confère à la fiscalité énergétique, dénuée de vision stratégique et de volonté d'accompagnement des acteurs économiques et des ménages .
En effet, en 2018, la hausse de la composante carbone de 30,5 à 44,6 euros par tonne de CO 2 cumulée à la hausse de 2,6 centimes d'euro du tarif de la TICPE applicable au gazole devrait dégager un rendement de 3,7 milliards d'euros .
Sur la totalité de la période 2018-2022, ces mesures provoqueront une hausse massive de 46 milliards d'euros des prélèvements obligatoires pesant sur les contribuables , ménages comme entreprises.
D'après les informations communiquées à votre rapporteur spécial, l'impact sur le budget annuel moyen des ménages serait de 79 euros par an en 2018 et de 313 euros par an en 2022 , dont 238 euros pour l'accélération de la trajectoire de la composante carbone et 75 euros pour le rattrapage gazole essence .
Ces moyennes dissimulent toutefois de très grandes disparités selon le mode de chauffage , la motorisation ou bien encore le lieu de vie des ménages : ainsi, pour un ménage se chauffant au gaz et roulant peu avec un moteur à essence, l'impact serait de 75 euros en 2018 et de 296 euros en 2022 ; mais pour un ménage se chauffant au fioul domestique et roulant beaucoup, avec un moteur gazole , les effets des hausses de tarifs prévues par le Gouvernement seraient de 136 euros en 2018 et de 538 euros en 2022.
Impact sur le budget des ménages de la hausse de la fiscalité énergétique prévue par l'article 9 du projet de loi de finances pour 2018
(en euros par an, y compris TVA)
Source : commission des finances, d'après les données fournies par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC)
Face à ce « coup de massue fiscal » pour les ménages dès 2018, le Gouvernement annonce des contreparties supposées en atténuer les effets.
Les deux mesures censées atténuer les effets de la hausse de la fiscalité énergétique pour les ménages que met en avant le Gouvernement sont le renforcement de la prime à la conversion automobile et la généralisation du chèque énergie .
Or, ni l'une ni l'autre de ces mesures ne constituent des contreparties suffisantes à l'augmentation de la fiscalité énergétique.
Dans sa nouvelle version prévue pour le 1 er janvier 2018, la prime à la conversion devrait représenter , en cas d'achat par un ménage d'un véhicule thermique associé à la mise au rebut d'un vieux véhicule polluant, 1 000 euros sans conditions de ressource et 2 000 euros pour les ménages non imposables .
Le Gouvernement prévoit 127 millions d'euros pour financer ce dispositif, soit 100 millions d'euros de plus qu'en 2017, et se fixe un objectif de 100 000 primes distribuées en 2018 , ce qui constitue une gageure lorsque l'on sait que seulement 19 000 primes à la conversion ont été versées depuis le 1 er avril 2015.
Quant au chèque énergie , dont la généralisation interviendra au 1 er janvier 2018, il s'agit d'un dispositif destiné à remplacer les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz , dont le coût en 2017 est estimé à 500 millions d'euros environ .
581,1 millions d'euros sont prévus par le projet de loi de finances pour 2018 pour financer le chèque énergie - soit un surcoût de 80 millions d'euros .
Au total, le Gouvernement explique donc que 180 millions d'euros de dépenses supplémentaires en faveur des ménages sont censées compenser un alourdissement de 3,7 milliards d'euros de la fiscalité énergétique en 2018 pour ces mêmes ménages, ce qui n'est guère sérieux .
Cette hausse de la fiscalité énergétique pénalisera donc bien le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises et le Gouvernement devra s'attacher dans les exercices budgétaires ultérieurs à offrir de véritables contreparties aux acteurs économiques , conformément aux dispositions de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et ce d'autant plus que la hausse de la pression fiscale pesant sur les produits énergétiques n'en est qu'à ses débuts .
* 3 L'article 32 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a introduit une modification de l'ensemble des tarifs des taxes intérieures de consommation des produits énergétiques (TICPE), en y incluant une « composante carbone ».