III. UN RENFORCEMENT DES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES
Si l'objet principal du présent avenant est de modifier les règles d'imposition relatives aux rémunérations et pensions des agents publics, les parties ont saisi l'occasion de sa négociation pour renforcer les dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales et les mettre en conformité avec le modèle de l'OCDE.
En outre, l'article 1 er et l'article 2 de l'avenant, de portée moindre, visent à actualiser certaines définitions conformément au modèle de l'OCDE et à la pratique française, sans que cela emporte a priori de conséquences sur l'interprétation actuelle de la convention. L'article 1 er vise également mettre à jour la liste des impôts couverts par la convention, avec :
- pour la France, l'ajout de la CSG et de la CRDS (contribution sociale généralisée et contribution pour le remboursement de la dette sociale), la convention actuelle ne visant expressément que l'impôt sur le revenu des personnes physiques et l'impôt sur les sociétés ;
- pour le Portugal, prise en compte de la simplification de la fiscalité intervenue depuis 1971 : seuls sont désormais visés trois impôts, au lieu des dix impôts visés par la convention actuelle. Il s'agit de l'impôt sur le revenu des personnes physiques ( Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Singulares , IRS), de l'impôt sur le revenu des personnes morales ( Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Colectivas , IRC), et des impôts additionnels sur le revenu des personnes morales ( derramas ).
Cette modification est sans conséquence pratique, dans la mesure où l'article 3 de la convention actuelle prévoit que « la Convention s'appliquera aussi aux impôts futurs de nature identique ou analogue qui s'ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient. Les autorités compétentes des États contractants se communiqueront les modifications apportées à leurs législations fiscales respectives ».
A. L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS ET L'AIDE AU RECOUVREMENT : UNE MISE EN CONFORMITÉ AVEC LES STANDARDS DE L'OCDE, AUXQUELS LA FRANCE ET LE PORTUGAL SONT DÉJÀ SOUMIS PAR AILLEURS
1. L'échange d'informations à la demande et automatique : des dispositions conformes aux exigences les plus récentes
L'article 4 de l'avenant actualise la rédaction de l'article 27 de la convention relatif à l'échange de renseignements à des fins fiscales, les nouvelles dispositions étant en tous points conformes au dernier modèle de l'OCDE , publié le 25 juillet 2014. Parmi les évolutions apportées par cette nouvelle rédaction, on soulignera notamment :
- au paragraphe 2, la possibilité que les renseignements reçus par un État contractant soient utilisés à d'autres fins que fiscales , à condition que les lois des deux parties le permettent et que l'autorité compétente de l'État qui les fournit l'autorise expressément. Les « autres fins » visent notamment la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, ou encore la lutte contre la corruption , qui ne relèvent pas des conventions fiscales mais peuvent porter sur les mêmes éléments (flux financiers suspects etc.) ;
- au paragraphe 4, l'obligation d'échanger des renseignements même dans les cas où l'État requis n'en a pas besoin pour l'application de sa propre législation fiscale , sous réserve bien sûr des limitations prévues au paragraphe précédent, en vertu desquelles une demande ne doit pas conduire l'État requis à agir en violation de ses propres lois et pratiques administratives, ni à révéler un secret professionnel ;
- au paragraphe 5, une disposition précisant que l'État requis ne peut en aucun cas refuser de communiquer des renseignements « uniquement parce que ceux-ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier » ou une personne analogue . Cette disposition vise à empêcher que l'interposition de personnes ou de dispositions juridiques (telles que le secret bancaire ou la constitution d'un trust ) fasse obstacle à l'échange de renseignements.
Cette disposition est particulièrement pertinente dans le cas du Portugal, dont la législation, jusqu'en 2015, prévoyait une liste limitative de circonstances dans lesquelles l'administration fiscale pouvait accéder, sans le consentement du titulaire du compte, aux informations bancaires. L'existence d'un indice de fraude fiscale ou d'un manquement déclaratif faisait partie de ces circonstances, mais, d'après les éléments transmis à votre rapporteur, les autorités portugaises avaient une interprétation restrictive des circonstances .
Ces restrictions ont été levées par une loi de 2013, applicable depuis le 1 er janvier 2015.
Cet article constitue, tout d'abord, la base juridique de l'échange de renseignements à la demande entre les deux parties. En pratique, d'après les éléments communiqués à votre rapporteur, la coopération administrative en matière fiscale avec le Portugal est d'ores et déjà satisfaisante, et la qualité des réponses reçues ne pose pas de difficulté . Ces échanges sont suivis par notre attaché fiscal à Madrid.
On ajoutera que, d'après le rapport 2016 du Forum mondial de l'OCDE sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, le degré de transparence fiscale du Portugal est jugé « conforme pour l'essentiel » , à l'issue de l'examen de la « phase 2 ».
Article 27 de la convention fiscale entre la France et
le Portugal du 14 janvier 1971
1. Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente convention ou pour l'administration ou l'application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des États contractants, de leurs subdivisions politiques ou administratives ou de leurs collectivités locales ou territoriales dans la mesure où l'imposition qu'elle prévoit n'est pas contraire à la convention. L'échange de renseignements n'est pas restreint par les articles 1 er et 2. 2. Les renseignements reçus en vertu du paragraphe 1 par un Etat contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet Etat et ne sont communiqués qu'aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts mentionnés au paragraphe 1, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts, par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts, ou par le contrôle de ce qui précède. Ces personnes ou autorités n'utilisent ces renseignements qu'à ces fins. Elles peuvent révéler ces renseignements au cours d'audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements. Nonobstant ce qui précède, les renseignements reçus par un Etat contractant peuvent être utilisés à d'autres fins lorsque cette possibilité résulte des lois des deux Etats et lorsque l'autorité compétente de l'Etat qui fournit les renseignements autorise cette utilisation . 3. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l'obligation : a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l'autre Etat contractant ; b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l'autre Etat contractant ; c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public. 4. Si des renseignements sont demandés par un Etat contractant conformément à cet article, l'autre État contractant utilise les pouvoirs dont il dispose pour obtenir les renseignements demandés, même s'il n'en a pas besoin à ses propres fins fiscales . L'obligation qui figure dans la phrase précédente est soumise aux limitations prévues au paragraphe 3 sauf si ces limitations sont susceptibles d'empêcher un Etat contractant de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci ne présentent pas d'intérêt pour lui dans le cadre national. 5. En aucun cas les dispositions du paragraphe 3 ne peuvent être interprétées comme permettant à un État contractant de refuser de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci sont détenus par une banque , un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu'agent ou fiduciaire ou parce que ces renseignements se rattachent au droit de propriété d'une personne. |
Évaluation de la France et du Portugal par le Forum mondial de l'OCDE
Disponibilité de l'information |
Accès à l'information |
||||||
Juridiction |
Type d'examen |
Type d'évaluation |
A1
|
A2
|
A3
|
B1
|
B2
|
FRANCE |
Combiné |
Détermination de Phase 1 |
En place |
En place |
En place |
En place |
En place |
Notation de Phase 2 |
Conforme |
Conforme |
Conforme |
Conforme |
Conforme |
||
PORTUGAL |
Phase 1 + |
Détermination de Phase 1 |
En place mais |
En place |
En place |
En place |
En place |
Phase 2 |
Notation de Phase 2 |
Conforme pour l'essentiel |
Conforme |
Conforme |
Partiellement conforme |
Conforme |
|
Échange d'information (EOI) [à la demande] |
Notation globale |
||||||
Juridiction |
C1
|
C2
|
C3
|
C4
|
C5
|
||
FRANCE |
En place |
En place |
En place |
En place |
Pas évalué |
Conforme |
|
Conforme |
Conforme |
Conforme |
Conforme |
Conforme |
|||
PORTUGAL |
En place mais |
En place |
En place |
En place |
Pas évalué |
Conforme pour l'essentiel |
|
Partiellement conforme |
Conforme |
Conforme |
Conforme |
Conforme pour l'essentiel |
Source : Rapport annuel 2016 du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales
Renforcé en septembre 2009 à la suite du G20 de Londres, le Forum mondial est une instance chargée d'évaluer la réalité des engagements pris en matière d'échange d'informations à la demande par ses 142 pays membres ainsi que pour les pays dont l'examen a été jugé pertinent, par un processus d'examen par les pairs. Celui-ci porte d'une part sur l'existence de mesures législatives et réglementaires internes (phase 1), et d'autre part sur leur application effective (phase 2).
Le Forum mondial évalue aussi la mise en oeuvre de l'échange automatique. Toutefois, ni le Portugal ni la France ne figurent parmi les quinze territoires de la première évaluation, rendue publique le 28 juin 2017.
L'article 27 constitue également la base juridique à l'échange automatique de renseignements, l'une des avancées majeures en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales de ces dernières années , qui présente l'avantage, par rapport à l'échange à la demande, de ne nécessiter ni connaissance préalable de l'identité des contribuables et des comptes bancaires, ni bonne volonté particulière de la part des administrations fiscales 29 ( * ) . La France comme le Portugal se sont engagés à passer à l'échange automatique d'informations dès septembre 2017 , comme 53 des 93 États et territoires signataires de l'accord multilatéral signé à Berlin le 29 octobre 2014, qui prévoit la mise en oeuvre de la « norme commune de déclaration » élaborée par l'OCDE (cf. encadré). Les 40 autres signataires passeront à l'échange automatique en septembre 2018 30 ( * ) .
D'une manière générale, l'échange d'informations entre la France et le Portugal est d'ores et déjà régi par d'autres textes multilatéraux de portée équivalente , de sorte que le présent article constitue un fondement juridique supplémentaire, qui figure dans toutes les conventions bilatérales récentes, mais qui n'est pas - ou plus - une condition nécessaire à l'échange d'informations. Ainsi, à l'accord multilatéral du 29 octobre 2014 sur l'échange automatique, il convient d'ajouter :
- la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (MAC) du 25 janvier 1988 , de l'OCDE et du Conseil de l'Europe, amendée par le protocole du 27 mai 2010. Celle-ci est en vigueur entre la France et le Portugal depuis le 1 er mars 2015 ;
- la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 sur la coopération administrative dans le domaine fiscal , révisée par la directive 2014/107/UE du Conseil du 9 décembre 2014, qui prévoit une obligation d'échange de renseignements à des fins fiscales entre les différents Etats membres de l'Union européenne, dont la France et le Portugal.
La norme commune de déclaration de l'OCDE en matière d'échange automatique d'informations La « norme commune de déclaration » (« common reporting standard », CRS) de l'OCDE est un texte ambitieux, qui couvre un champ très large dans trois dimensions : - les informations communiquées comprennent l'identité et le numéro d'identification fiscale (NIF) du contribuable, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers qu'il produit (intérêts, dividendes etc.) ; - les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités , ce qui inclut les trusts et autres structures pouvant correspondre à des sociétés-écrans. La norme requiert de regarder à travers les entités passives afin de déterminer et de déclarer les personnes physiques qui en détiennent le contrôle réel ; - les institutions financières soumises à l'obligation déclarative comprennent non seulement les banques, mais aussi la plupart des sociétés d'assurance, les organismes de placement collectif et d'autres établissements financiers. Aux termes de la norme OCDE, ces institutions financières doivent mettre en oeuvre une série de « diligences raisonnables » afin d'identifier les comptes déclarables . Celles-ci diffèrent en fonction de leur titulaire, de leur date d'ouverture et de leur valeur. Les comptes préexistants de personnes physiques inférieurs à un million de dollars se voient appliquer des procédures allégées, et un seuil de minimis de 250 000 dollars est prévu pour les comptes d'entités préexistants. Pour tous les nouveaux comptes, une auto-certification de résidence fiscale est demandée au titulaire. Les établissements financiers devront commencer à collecter les données au 1 er janvier 2016, et les premiers échanges d'informations entre États auront lieu d'ici au 30 septembre 2017 . L'accord contient d'exigeantes stipulations en matière de confidentialité et de protection des données personnelles, qui seront évaluées par l'OCDE pour chaque État signataire. Source : rapport n° 59 (2015-2016) fait par Éric Doligé au nom de la commission des finances, sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, déposé le 14 octobre 2015 |
2. L'assistance en matière de recouvrement
L'article 5 du présent avenant ajoute un nouvel article 27 bis à la convention fiscale, qui organise l'assistance en matière de recouvrement des créances fiscales, lui aussi conforme au dernier modèle de l'OCDE . Celui-ci stipule notamment que « les Etats contractants se prêtent mutuellement assistance pour le recouvrement de leurs créances fiscales. (...) Les autorités compétentes des Etats peuvent régler d'un commun accord les modalités d'application du présent article ». Il s'accompagne des mêmes limitations que l'article relatif à l'échange d'informations.
Cet article n'appelle pas de remarque particulière - étant entendu que l'assistance en matière de recouvrement entre la France et le Portugal est elle aussi couverte par un instrument multilatéral de portée équivalente, en l'espèce la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures.
* 29 Pour de plus amples détails sur le sujet, voir le rapport n° 59 (2015-2016) fait par Éric Doligé au nom de la commission des finances, sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, déposé le 14 octobre 2015.
* 30 Liste des signataires arrêtée au 29 juin 2017. À la même date, 101 juridictions au total se sont engagées à signer l'accord multilatéral.