EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 3 février 2016, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Claude Nougein sur le projet de loi n° 483 (2014-2015) autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali.

Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Joël Guerriau. - Les premières attaques des groupes armés au Mali ont eu lieu en 2012, la France intervient en 2013, le traité est signé en 2014 et nous le ratifions en 2016. Nous sommes dans la longue durée ! Dès lors qu'il est difficile de contrôler tout le Sahel, pour combien de temps encore la France va-t-elle devoir maintenir sa présence ?

M. Jacques Legendre. - Il a été question dans l'exposé du rapporteur de l'impunité des troupes françaises qui serait garantie par le traité. Est-ce que des faits tels que ceux que l'on reproche à des soldats français dans un autre Etat africain, à savoir des abus sexuels commis par des soldats français sur des enfants, relèveraient de la justice malienne ou de la justice française ?

M. Jeanny Lorgeoux. - Soixante ans après les indépendances, nous ne pouvons que nous interroger sur la persistance des difficultés de ces États où des peuples de religion musulmane du Nord désertique sont en conflit avec des populations noires animistes du Sud. Ces conflits perdureront après nos interventions. Le problème majeur de l'Afrique, c'est bien la capacité des États à imposer leur autorité sur les composantes de leurs peuples.

M. Michel Billout. - Ce projet de traité a une apparence relativement anodine. Toutefois, compte-tenu des événements qui se déroulent dans cette région du monde, il me semble qu'il serait utile d'avoir un débat en séance publique. Notre groupe a de nombreuses interrogations sur la pertinence et l'efficacité de notre politique de coopération militaire. Les membres de notre groupe s'abstiendront à ce stade et demanderont l'examen en procédure normale en séance publique.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Il y a actuellement une grande inquiétude dans la région. Je me suis rendue dans trois pays. Au Sénégal et en Guinée, les hauts responsables que j'ai rencontrés m'ont fait part de leur grande inquiétude devant la détérioration de la situation. Nos soldats n'ont pas assez de moyens pour intervenir efficacement.

M. Hubert Falco. - Avons-nous aujourd'hui les moyens d'intervenir en Afrique ? Je pense que compte tenu de leur insuffisance, il faut faire des choix : ne faut-il pas privilégier notre territoire ?

M. André Trillard . - Soixante après les indépendances, le pays n'a pas une route pour relier les régions du Nord et du Sud du pays. C'est en soi une cause de division pour le pays. Devons-nous continuer à mettre en danger nos troupes dans cette région du monde ?

M. Alain Gournac. - La menace que nous affrontons vient aussi de cette région du monde : il faut y intervenir aussi. Mais je suis inquiet : les choses n'évoluent toujours pas dans le nord du Mali, où je me suis rendu. Il n'y a pas assez d'infrastructures, pas assez de professeurs, etc. Comment assurer la stabilité d'un tel pays ? Il faut absolument que l'Etat fasse l'effort de développer le Nord.

M. Daniel Reiner. - Le rapporteur a judicieusement resitué le présent traité dans l'ensemble des accords de coopération de défense que nous avons avec les pays africains. Les premiers accords de ce genre avaient été signés en même temps que les accords d'indépendance. Ils comportaient des clauses d'assistance un peu particulières, que ne comportent plus les nouveaux accords. Ceux-ci fixent un cadre tout à fait nouveau : celui de la responsabilité première des Africains dans leur propre politique de sécurité et celui de notre non-intervention. Nous nous réjouissons que le Mali, au milieu de ses difficultés actuelles, bénéficie à son tour d'un nouvel accord de coopération. Ce nouvel accord est porteur de clarté politique. Bien entendu, il ne va pas à lui seul régler les problèmes du Mali. L'antagonisme entre populations du nord et du sud du pays est aussi vieux que l'histoire pluricentenaire de ce pays. Ce n'est jamais que la quatrième révolte touareg depuis l'indépendance ! L'Etat est-il assez puissant pour assurer l'unité du pays ? Dès lors, comment parler de décentralisation ? Ainsi, si ce texte ne va pas régler tous les problèmes, au moins normalise-t-il nos relations. Depuis 1995, nous tenons à ce que les organisations africaines s'occupent elles-mêmes de la sécurité de leurs États membres. Elles ne le font pas encore assez, mais nous les y aidons grâce à notre coopération militaire structurelle.

Mme Nathalie Goulet. - L'article 21 du traité prévoit que des armes peuvent être placées sous la responsabilité de l'Etat malien. N'est-ce pas risqué ? Par ailleurs, nous n'évaluons pas assez les actions de coopération que nous menons. J'ai récemment rencontré le secrétaire général de l'organisation de la coopération islamique, qui était intéressé par l'aide au Mali : comment intégrer ce genre d'organisations dans le dispositif ?

Mme Leila Aïchi. - L'article 15 de la convention prévoit que le Mali est compétent par priorité pour les infractions commises sur son sol. Compte tenu de l'état de la justice malienne, nous avons beaucoup de réserves sur cette convention.

M. Jean-Marie Bockel. - Il y a encore une dizaine d'années, le Mali était donné en exemple : notre coopération décentralisée avec ce pays était efficace, la corruption était en baisse et des infrastructures étaient en cours de construction. La situation peut ainsi se dégrader à grande vitesse, mais les pays peuvent aussi très vite repartir vers l'avant. La coopération militaire avec le Mali est stabilisatrice mais elle pourrait aussi inciter les Maliens à ne pas renoncer à certains de leurs errements. En attendant que l'Afrique se dote véritablement de cette architecture de sécurité collective que nous appelons de nos voeux, il faut donc que nos amis maliens profitent de la sécurité que nous leur apportons pour repartir de l'avant. Nous n'en étions pas loin il n'y a pas si longtemps !

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le problème fondamental est celui de notre stratégie de lutte contre Daesh car cette organisation est en train de s'étendre dans le monde entier, en Asie centrale - j'ai pu constater, par exemple, à quel point les responsables du Kazakhstan étaient inquiets - dans le nord de la Chine, en Malaisie, aux Philippines, au Moyen-Orient, en Afrique, et cela ne fera que s'aggraver. Notre intervention en Syrie n'a-t-elle pas pour conséquence le développement de Daesh en Libye ? Il nous faut une réflexion stratégique large sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Notre débat recouvre en réalité plusieurs sujets : celui du Mali, celui de notre coopération militaire, celui de la situation sécuritaire de l'Afrique en général, voire un débat plus large sur la lutte contre le djihadisme. Compte tenu de leur intérêt, nous pourrions focaliser un de nos débats de politique étrangère en séance, en présence du ministre des affaires étrangères, sur l'Afrique. Ceci permettrait d'aller au fond du sujet, davantage qu'avec les débats -par ailleurs légitimes et opportuns- que nous pourrions avoir à l'occasion du présent traité, dont l'objet est plus étroit.

M. Henri de Raincourt . - Hélène Conway et moi-même allons précisément rédiger un rapport sur l'évaluation de l'aide au développement apportée au Mali, qui permettra à la commission de débattre de cette question. Nous avons déjà commencé nos auditions de spécialistes du sujet et nous constatons en effet que le lien entre sécurité et développement est essentiel.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Il n'y a pas de sécurité sans développement et vice-versa. Le travail que nous effectuerons permettra d'avancer sur cette question.

M. Claude Nougein, rapporteur. - Il est vrai que nous affrontons un problème appelé à durer. Je me souviens d'une audition où un général nous avait dit : « nous ne sommes pas encore au jour où le Nord-Mali aura la tranquillité d'un canton suisse ». Je pourrais le répéter aujourd'hui. Nous en avons encore pour un certain temps !

Concernant les soldats, il s'agit d'une immunité, pas d'une impunité ! Elle protège nos soldats dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane. Il n'y a pas d'impunité pour les actes commis dans le cadre de la coopération de défense. La justice malienne peut se saisir d'un certain nombre d'infractions. Il est prévu toutefois que la peine de mort ne pourra pas être requise dans ce cadre et que les garanties d'un procès équitable devront être assurées.

En ce qui concerne le développement du nord du pays, la mission de nos collègues Hélène Conway-Mouret et Henri de Raincourt nous permettra de nous faire une idée plus précise du sujet. Il est vrai que c'est un territoire difficile et complexe.

Les armes confiées au Mali ne sont que celles utilisées dans le cadre de la coopération militaire ordinaire, pas dans le cadre de l'intervention Barkhane.

Ce traité ne résout effectivement pas tout ! Toutefois, je suis persuadé qu'il va dans le bon sens. C'est le neuvième traité et un dixième devrait être signé avec le Tchad. Notre présence au Mali est utile et contribue à lutter contre les bases du terrorisme.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité (abstention des groupes communiste, républicain et citoyen et écologiste).

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