B. LES RÉFORMES INTRODUITES PAR LES ORDONNANCES DANS LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

Les réformes introduites par les deux ordonnances des 12 mars 2014 et 26 septembre 2014 précitées se situent dans le prolongement des réformes antérieures du droit des entreprises en difficulté, en favorisant la prévention par préférence au traitement curatif des difficultés et en cherchant à rendre la prévention plus attractive, pour inciter les entreprises à solliciter le tribunal le plus tôt possible en cas de difficulté économique.

De façon pragmatique, elles atténuent l'étanchéité entre la prévention et le traitement, en renforçant les liens procéduraux entre la conciliation et la sauvegarde ou le redressement judiciaire, indépendamment du critère de la cessation des paiements, dans la continuité de l'instauration de la procédure de sauvegarde financière accélérée (SFA) en 2010.

Elles tendent également à rééquilibrer les procédures en faveur des créanciers, en les incitant à trouver un accord avec le débiteur en conciliation ou à présenter un plan alternatif en sauvegarde ou en redressement judiciaire.

Les ordonnances apportent également de nombreuses modifications ponctuelles, pour préciser, clarifier ou corriger certaines dispositions au sein du livre VI du code de commerce. Elles comportent également des dispositions de coordination ou d'harmonisation avec le code rural et de la pêche maritime et le code du travail. Le code civil est aussi modifié sur un point.

La presque totalité des mesures de réforme résulte de l'ordonnance du 12 mars 2014, l'ordonnance du 26 septembre 2014 n'ayant apporté que quelques modifications complémentaires limitées 25 ( * ) .

1. Les dispositifs et les procédures relevant de la détection et de la prévention des difficultés des entreprises

Conformément à l'objectif d'anticipation des difficultés des entreprises, l'ordonnance du 12 mars 2014 précitée comporte plusieurs modifications.

Elle attribue au président du tribunal de grande instance (TGI) les mêmes prérogatives que celles du président du tribunal de commerce, pour alerter le chef d'entreprise en cas de détection de difficultés, le convoquer et prendre connaissance de toutes les informations utiles. Il s'agit donc d'étendre ces prérogatives aux entreprises qui relèvent du TGI : exploitants agricoles, professionnels libéraux et personnes morales de droit privé non commerçantes. Entendus en audition, les représentants de la conférence nationale des présidents de TGI se sont félicités de cette modification.

En matière de mandat ad hoc , l'ordonnance a prévu l'information du commissaire aux comptes en cas de désignation d'un mandataire.

En matière de conciliation, l'ordonnance a apporté les modifications suivantes :

- information du parquet sur l'ouverture de la procédure ;

- encadrement de la rémunération du conciliateur, sous le contrôle du parquet, et information du président du tribunal sur le déroulement de la procédure ;

- possibilité pour le juge d'accorder plus facilement des délais de grâce pendant la procédure ou pendant l'exécution de l'accord de conciliation ;

- possibilité pour les créanciers participant à la conciliation et ayant consenti un apport de trésorerie ou la fourniture de nouveaux biens et services de bénéficier d'un privilège dit de conciliation en cas d'ouverture ultérieure d'une procédure collective, selon lequel le tribunal ne pourra pas leur imposer de délais de paiement ;

- codification de la pratique du « prepack cession », avec la possibilité de charger le conciliateur de la mission de rechercher un repreneur, en vue de la cession totale ou partielle de l'entreprise, cette cession devant intervenir dans le cadre d'une procédure collective ultérieure, sous le contrôle du juge et sur la base de l'offre de reprise retenue par le conciliateur ;

- possibilité de désigner un mandataire chargé de contrôler l'exécution de l'accord de conciliation ;

- adaptation du règlement amiable agricole, analogue à la conciliation, pour tenir compte des modifications apportées à celle-ci.

En matière de mandat ad hoc et de conciliation, l'ordonnance a aussi prévu qu'étaient réputées non écrites les clauses contractuelles faisant peser des coûts supplémentaires sur l'entreprise en cas d'ouverture de la procédure (aggravation des conditions d'exécution du contrat, prise en charge de frais d'expertise pour un créancier...). Il s'agit, là encore, de rendre ces dispositifs plus attractifs pour les entreprises.

2. Les dispositions applicables à toutes les procédures collectives

L'ordonnance du 12 mars 2014 précitée comporte des modifications qui concernent l'ensemble des procédures collectives :

- possibilité pour le débiteur de demander l'extension d'une procédure ouverte à son égard à une autre personne, devant le même tribunal, en cas de confusion de patrimoines ou de fictivité de la personne morale ;

- prise en compte de la succession de procédures dans le mécanisme de délocalisation des procédures prévu par le code de commerce ;

- possibilité de désigner un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire commun à l'ensemble des procédures concernant les sociétés d'un même groupe, chargés éventuellement d'une mission de coordination ;

- possibilité pour le représentant de l'État d'être entendu à sa demande par le tribunal (préfet ou commissaire au redressement productif).

En outre, l'ordonnance du 12 mars 2014 et celle du 26 septembre 2014 précitées tirent les conséquences de décisions du Conseil constitutionnel, saisi par voie de questions prioritaires de constitutionnalité 26 ( * ) . Celles-ci ont censuré la possibilité pour le tribunal de se saisir d'office pour l'ouverture de procédures collectives, mais elles ont admis la possibilité d'exercer certains pouvoirs d'office, dans le respect du contradictoire et pour un motif d'intérêt général.

Enfin, l'ordonnance du 12 mars 2014 précitée renforce les garanties d'impartialité du tribunal, en clarifiant notamment le rôle du juge-commissaire, dont la participation à la formation de jugement est désormais interdite. Elle tend aussi, dans la continuité d'un mouvement déjà à l'oeuvre, à renforcer le rôle du parquet et à accroître les exigences qui s'imposent aux administrateurs et mandataires judiciaires et aux autres professionnels désignés par le tribunal en matière de prévention des conflits d'intérêts.

3. Les dispositions particulières aux procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire

En premier lieu, en matière de procédure de sauvegarde uniquement, l'ordonnance du 12 mars 2014 précitée a apporté plusieurs modifications :

- aménagement des dispositions relatives à la continuation des contrats en cours, avec la suppression de l'obligation de payer sans délai ;

- possibilité, en l'absence de plan de sauvegarde, de convertir la sauvegarde en redressement judiciaire à la demande du ministère public, de l'administrateur judiciaire ou du mandataire judiciaire ;

- possibilité pour le débiteur de formuler des observations dans le cas où la désignation de plusieurs administrateurs ou mandataires judiciaires est envisagée, compte tenu du coût qui en résultera pour lui ;

- adaptation des dispositions relatives à la cession partielle de l'entreprise en cas de sauvegarde.

S'agissant, en second lieu, des règles applicables à la procédure de sauvegarde comme à la procédure de redressement judiciaire, l'ordonnance du 12 mars 2014 comporte les modifications suivantes, qui revêtent une certaine importance pour bon nombre d'entre elles :

- simplification des règles de déclaration et de vérification des créances, par l'ouverture de la possibilité pour le débiteur de déclarer lui-même les créances, et clarification du rôle du juge-commissaire en matière d'admission et de contestation des créances ;

- possibilité pour les créanciers, en cas de procédure avec réunion des comités de créanciers, d'élaborer un plan de sauvegarde ou de redressement concurrent de celui du débiteur, soumis à l'appréciation du tribunal au vu d'un rapport présenté par l'administrateur judiciaire sur chaque projet de plan ;

- exigibilité immédiate du capital social non libéré dès l'ouverture de la procédure, sous le contrôle du mandataire judiciaire ;

- renforcement de la possibilité de compensation entre créances et titres de capital en cas d'augmentation de capital prévue par le plan ;

- possibilité pour le tribunal d'adapter les règles de vote et de quorum de l'assemblée des actionnaires en cas de modification du capital prévue par le plan, pour faciliter l'adoption du plan ;

- adaptation de la durée de la mission du commissaire à l'exécution du plan et possibilité pour ce dernier de saisir le tribunal en cas de retour à meilleure fortune du débiteur ;

- simplification des règles applicables en cas de crédit-bail ;

S'agissant de la procédure de redressement judiciaire uniquement, votre rapporteur relève que l'ordonnance du 12 mars 2014 précitée a donné au tribunal, dans l'hypothèse où les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, la possibilité de désigner un mandataire chargé de voter la reconstitution des capitaux propres si celle-ci n'a pas été votée par les actionnaires régulièrement convoqués à cet effet.

4. La nouvelle procédure de sauvegarde accélérée

L'ordonnance du 12 mars 2014 précitée crée une nouvelle procédure de sauvegarde accélérée, inspirée de la sauvegarde financière accélérée (SFA), dont celle-ci ne constitue plus qu'une variante. La procédure de sauvegarde accélérée comporte la même condition que la SFA d'ouverture préalable d'une procédure de conciliation, avec le même faculté d'ouvrir la procédure en cas de cessation des paiements depuis moins de quarante-cinq jours, ce qui déroge aux principes de la procédure de sauvegarde de droit commun.

Reprenant les principes de la SFA, les caractéristiques de la nouvelle sauvegarde accélérée sont les suivantes :

- procédure réservée aux entreprises d'une certaine taille 27 ( * ) ;

- preuve du soutien d'une majorité de créanciers à une solution, sans néanmoins permettre d'obtenir un accord de conciliation ;

- appui du conciliateur et intervention du parquet ;

- durée de la procédure limitée à trois mois, ce qui suppose d'alléger certaines dispositions procédurales ;

- effets de la procédure limités aux créanciers membres des comités de créanciers, à savoir les divers créanciers financiers réunis au sein du comité dit des établissements de crédit et les principaux fournisseurs de biens et services réunis au sein du comité dit des principaux fournisseurs, ces comités étant appelés à statuer sur le plan élaboré lors de la conciliation, comme dans la procédure classique de sauvegarde ou la procédure de redressement judiciaire avec comités de créanciers.

Trois variantes sont ainsi possibles : sauvegarde accélérée incluant les deux comités, sauvegarde financière accélérée ou sauvegarde impliquant les seuls principaux fournisseurs, cette dernière variante n'ayant pas vocation à être la plus utilisée.

5. Les dispositions particulières aux procédures liquidatives

En matière de liquidation judiciaire, l'ordonnance du 12 mars 2014 a apporté plusieurs modifications, dont certaines plus substantielles :

- réduction d'un an à six mois de la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée, avec possibilité de prorogation ;

- facilitation de la clôture de la liquidation judiciaire en cas d'actif résiduel non réalisé ou d'instance, notamment prud'homale, encore en cours ;

- report de la dissolution de la société à l'achèvement des opérations de liquidation judiciaire, et non à la date de la liquidation judiciaire 28 ( * ) ;

- renforcement de l'encadrement de la vente des biens du débiteur ainsi que du contrôle du parquet sur cette vente ;

- adaptations et clarifications ponctuelles de la procédure.

6. La nouvelle procédure de rétablissement professionnel

L'ordonnance du 12 mars 2014 précitée crée une nouvelle procédure de rétablissement professionnel, distincte de la procédure de liquidation judiciaire et inspirée de la procédure de surendettement, pour permettre le « rebond » d'un entrepreneur individuel, personne physique, en cas de difficulté sans faute particulière de sa part.

Ne constituant pas une liquidation judiciaire, cette procédure répond aux caractéristiques suivantes :

- procédure ouverte aux entrepreneurs individuels sans salarié depuis au moins six mois ni instance prud'homale en cours, présentant un actif de moins de 5 000 euros, pour une durée de quatre mois ;

- demande simultanée d'ouverture d'une liquidation judiciaire et d'un rétablissement professionnel, ce qui suppose la condition préalable de cessation des paiements ;

- à la différence de la liquidation judiciaire, absence de dessaisissement du débiteur, qui peut continuer à gérer une entreprise ;

- absence de représentation propre des créanciers par un mandataire judiciaire ;

- désignation par le tribunal d'un juge commis chargé de superviser la procédure, assisté d'un mandataire ;

- limitation de l'effacement des dettes à certaines créances, désignées par le débiteur.


* 25 Outre la suppression de cas de saisines d'office par le tribunal oubliés par l'ordonnance du 12 mars 2014, l'ordonnance du 26 septembre 2014 tend à faciliter le passage du redressement judiciaire à la liquidation judiciaire, et vice versa, dans le cadre d'un dialogue entre le tribunal et le débiteur, afin de pouvoir adapter la procédure ouverte à sa situation économique réelle.

* 26 À commencer par la décision n° 2012-286 QPC du 7 décembre 2012, concernant la saisine d'office du tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.

* 27 Le débiteur doit établir des comptes consolidés ou dépasser l'un des trois seuils suivants : 20 salariés, 3 millions d'euros de chiffre d'affaires hors taxes ou 1,5 million de total de bilan.

* 28 Modification de l'article 1844-7 du code civil.

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