EXAMEN EN COMMISSION

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MARDI 12 MAI 2015

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je ne vais pas revenir longuement sur le problème de la multiplicité des normes dont chacun est ici informé. Je ne rappellerai pas qu'en 1991, le Conseil d'État dénonçait déjà la « surproduction normative ». Je ne citerai pas non plus les travaux de la Délégation aux collectivités locales et à la décentralisation du Sénat, très éclairants sur ce sujet, ni le rapport de notre collègue Éric Doligé que chacun a en tête, et dont certaines propositions ont été reprises dans le projet de loi NOTRe. Je rappellerai simplement que l'ancien président du Sénat Jean-Pierre Bel avait pris l'initiative d'états généraux des collectivités locales, à la suite desquels Jacqueline Gouraud et moi-même avions été chargés de rédiger deux propositions de loi. L'une portait sur les conditions d'exercice des mandats locaux : elle a été promulguée après deux ans de navette avec l'Assemblée nationale. L'autre a substitué à la Commission consultative d'évaluation des normes un Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités locales aux pouvoirs élargis. Ce nouveau conseil a en effet la capacité de s'autosaisir et de travailler sur le flux mais également sur le stock des normes. Alain Lambert, son président, nous l'a confirmé : tous les projets ou propositions de loi, tous les textes réglementaires (décrets, arrêtés, etc.) doivent lui être soumis, dès lors qu'ils ont des effets sur les collectivités locales. Ce processus satisfait les associations nationales d'élus, car en évitant en amont la surabondance des normes, il réduit les coûts pour les collectivités locales.

L'enfer se niche dans les décrets... Celui du 30 avril 2014 qui vise à compléter la loi du 17 octobre 2013 créant le conseil national va à l'encontre de l'esprit de la loi. Il prévoit en effet que, pour qu'une demande d'évaluation soit examinée par le Conseil, la saisine soit faite par cent communes au minimum. Dans les débats parlementaires, personne n'avait imaginé une telle lourdeur.

Mme Catherine Troendlé . - Personne !

Mme Catherine Tasca . - Qui a signé ce décret ?

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Le ministre de l'Intérieur et la ministre chargée de la décentralisation, entre autres.

Heureusement, nos deux collègues, Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau, ont déposé une proposition de loi, que je vous invite à soutenir, pour revenir à l'esprit initial de la loi grâce à une procédure de saisine simplifiée, pour les collectivités locales. Alain Lambert s'est toutefois étonné : pourquoi une proposition de loi pour modifier un décret ? Une question de bon sens... Je crois pourtant que la voie choisie par nos collègues sera plus efficace, car elle offre au Sénat l'occasion de marquer son attachement à l'esprit initial de la proposition de loi.

Nous avions également présenté avec Jacqueline Gourault une proposition de loi organique prévoyant que l'avis du Conseil serait joint au projet de loi ou à la proposition de loi de la même manière qu'une étude d'impact. Dès lors que des contraintes techniques ou financières nouvelles pèseraient sur les collectivités locales, les parlementaires bénéficieraient de l'avis du conseil. Cette proposition de loi organique dont le rapporteur était Alain Richard a été examinée par la commission des lois de l'Assemblée nationale qui a jugé bon d'y annexer quantité d'avis en provenance d'institutions existantes. Les projets prendraient ainsi les proportions d'un annuaire téléphonique ! C'est pourquoi, je formule un double voeu pour que l'Assemblée nationale s'en tienne à l'objet du texte et pour qu'elle l'examine en séance publique cette proposition de loi organique dans les délais les plus courts possibles.

La loi précise que tout texte législatif ayant des répercussions techniques ou financières sur les normes doit être soumis au Conseil. C'est également le cas de tout texte réglementaire relatif aux collectivités locales. La trop grande généralité de cette disposition sur cette deuxième catégorie favorise un risque d'engorgement. C'est pourquoi je proposerai un amendement pour préciser que le Conseil national ne peut être saisi des textes réglementaires que dans la mesure où ils ont un impact sur les normes applicables aux collectivités locales.

Je proposerai également un amendement sur les procédures d'urgence. En effet, le Conseil peut être saisi en urgence par le Premier ministre, avec l'obligation de statuer dans les quinze jours. En cas d'extrême urgence, il doit pouvoir se prononcer dans les soixante-douze heures. Lors de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique, Alain Lambert a été saisi du texte un vendredi soir avec obligation pour le Conseil de rendre son avis dans les soixante-douze heures. Dans ces conditions, il a préféré s'abstenir. Avec mon amendement, en cas d'extrême urgence, le Conseil serait saisi par le Premier ministre et devrait rendre son avis au terme de quatre jours ouvrables.

M. Philippe Bas , président . - Je remercie M. Sueur pour l'examen approfondi du texte auquel il s'est livré et pour ses propositions d'amélioration.

M. René Vandierendonck . - Ce sujet a déjà fait l'objet de plusieurs discussions dans notre assemblée. Tel un Huron au Palais du Luxembourg, je m'étonne de voir les détournements pervers auxquels la procédure de proposition de loi est exposée. Son utilisation peut être purement déclarative, l'important étant que le tweet parte avant le soir. On a peu d'information sur les suites de la navette, et cela même quand il y a un consensus fort comme cela a été le cas sur la proposition de loi sur la police municipale. À l'époque, j'avais été désigné par mon groupe pour suivre le dossier auprès d'Alain Richard et du rapporteur.

Ce n'est pas totalement en vain que la Constitution distingue le champ des articles 34 et 37. Je déplore que ce partage soit largement remis en cause par certaines pratiques.

Mme Catherine Troendlé . - Lors de l'audition d'Alain Lambert, j'ai assisté à des discussions intéressantes sur le texte. Il est regrettable de devoir en passer par la rédaction et le vote d'une proposition de loi pour modifier un décret. Qui a pu rédiger celui-là ? N'étant pas en adéquation avec ce qui avait été décidé, il constitue une source de blocage. Autoriser chaque commune et chaque EPCI à intervenir relève du bon sens. Même si nous votons cette proposition de loi au Sénat, il restera à la faire adopter par l'Assemblée nationale. Je souhaite que l'adoption de ce texte fasse réagir le Gouvernement en l'incitant à modifier le décret.

Quant aux normes sportives, elles sont soumises à l'avis d'une instance particulière - la Cerfres - dont l'existence me paraît d'autant plus inutile que le Conseil est habilité à se prononcer. On gagnerait à la supprimer.

M. Jean-Jacques Hyest . - On pourrait discuter longtemps des articles 34 et 37 de la Constitution, que l'on enseigne encore dans les facultés de droit. Les auteurs de la proposition de loi ont clairement manifesté leur opposition au décret. D'autant que pratiquement, il faut aussi préciser en quoi la norme n'est pas bonne pour déclencher la saisine, ce qui suppose une expertise. C'est insensé !

Quand on fait une législation nouvelle par amendement, il n'y a ni étude d'impact, ni vérification. Je crois qu'il y a un ou deux articles de ce type dans le projet de loi NOTRe... L'inflation législative - le projet de loi Macron est un autre exemple - fait qu'on n'étudie plus rien. En général, c'est l'administration qui a élaboré le texte qui prépare l'étude d'impact de manière à le justifier... Quand sera-t-elle élaborée par une instance extérieure ? Cette proposition de loi est la seule manière dont nous pourrons faire bouger les choses. Peut-être le ministre s'engagera-t-il alors à modifier le décret.

M. Philippe Bas , président . - Si le Gouvernement a posé par décret des conditions restrictives pour l'accès au Conseil national d'évaluation des normes, nous en partageons la responsabilité : c'est nous qui avons prévu dans la loi qu'un décret en Conseil d'État déterminerait les conditions de saisine. L'intervention du législateur n'est cependant pas inappropriée. Nous ne modifions pas le décret ; nous considérons simplement que la saisine par les collectivités doit pouvoir se faire de plein droit. Nous intervenons dans le champ de la loi et non pas dans le champ réglementaire.

M. Jean-Jacques Hyest . - Méfions-nous des décrets en Conseil d'État qu'on met après chaque article de loi.

M. Philippe Bas , président . - Des décrets, en général...

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Je partage ce qui a été dit par mes collègues. Si le Gouvernement s'engageait à la suite du débat à modifier le décret, ce serait simple et pratique. Je vous proposerai des amendements pour améliorer la loi. Enfin, j'ai toujours été défavorable aux études d'impact, car l'objet de nos débats est bien de mesurer l'impact d'une loi. Si l'on discute d'une loi sur les OGM, par exemple, les orateurs commenceront par contester l'étude d'impact qui l'accompagne. La bonne méthode est de donner au Gouvernement et au Parlement des moyens d'expertise.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article unique

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Mon amendement COM-3 modifie la loi pour que le Conseil national ne soit saisi que des textes réglementaires ayant un impact technique et financier sur les collectivités locales.

L'amendement COM-3 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Dans l'amendement COM-4, je propose que le Conseil puisse s'autosaisir ou bien être saisi par le Gouvernement et par l'ensemble des collectivités locales, des collectivités territoriales et des EPCI à fiscalité propre. Le texte initial mentionnait qu'il pouvait être saisi par le président des assemblées et par les commissions. Nous avons élargi la saisine à l'ensemble des députés et des sénateurs. Enfin, nous proposons de ne pas faire figurer les associations d'élus, trop nombreuses et diverses. Le fait que chaque collectivité ait la faculté de saisir le Conseil rend inutile la capacité de saisine des associations d'élus.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - L'amendement COM-5 dispose que les demandes d'évaluation seront motivées.

L'amendement COM-5 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Sur demande motivée du Premier ministre ou du président de l'assemblée parlementaire qui le saisit, le délai peut être fixé à deux semaines. L'amendement COM-6 rectifié précise en outre qu'en cas d'impérieuse nécessité et sur demande motivée du Premier ministre, ce délai peut être réduit sans être inférieur à quatre jours ouvrables.

L'amendement COM-6 rectifié est adopté.

Articles additionnels après l'article unique

M. Jean-Pierre Sueur . - Quand, avec Jacqueline Gourault, nous avions jugé bon d'intégrer la Commission d'examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (Cerfres) dans le Conseil national d'évaluation des normes, nous nous étions heurtés à une vive résistance de la part du ministère des sports et de l'ensemble des fédérations sportives. La loi du 17 octobre 2013 a prévu que la Cerfres peut soumettre au Conseil un projet de normes sportives. L'amendement COM-1 propose que tout projet de normes émanant d'une fédération sportive soit soumis au Conseil avant que la Cerfres ne se prononce. Je n'y donnerai pas d'avis favorable car, à ce stade, il me semble important de nous rapprocher des instances sportives très attachées à la Cerfres.

Mme Catherine Troendlé . - Je comprends votre position. Néanmoins, nous nous inscrivons dans une démarche de simplification et cette instance constitue un doublon. Si nous devions voter cet amendement, elle serait consultée après la saisine du Conseil. À quoi cela servirait-il ? Certes, la suppression de la Cerfres n'irait pas sans causer des émois. En intégrant certains de ses membres au Conseil national d'évaluation des normes, nous construirions un dispositif plus efficace.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - La composition de la Cerfres a évolué, puisque ses représentants sont, pour moitié, des élus locaux et, pour moitié, des représentants des fédérations sportives. Alain Lambert craint l'accumulation des dossiers. Il y a énormément de règlements sportifs. Or le Conseil peut être saisi de toutes les modifications des normes techniques, et cela pour chacun des sports existants.

Mme Catherine Troendlé . - Nous sommes tous des élus locaux, confrontés chaque année aux coûts énormes que provoquent les modifications des normes sportives. J'estime que la Cerfres ne fait pas correctement son travail.

M. Jean-Patrick Courtois . - Si le Conseil national d'évaluation des normes consultait la fédération sportive concernée avant de rendre son avis, celle-ci serait ainsi intégrée au circuit et l'on pourrait supprimer cette commission.

M. René Vandierendonck . - C'est un sujet qui a déjà été abordé en son temps. Le problème tient au fait que l'État a délégué aux fédérations une partie de son pouvoir réglementaire.

L'amendement COM-1 est adopté.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Qui fait le travail d'expertise et d'évaluation lorsque le Conseil national est saisi ? Hébergé par le ministère de l'Intérieur, celui-ci n'a pas de moyen - tout au plus dispose-t-il d'un permanent. L'amendement COM-2 de M. Pointereau propose de préciser dans la loi que le travail d'expertise et d'évaluation est assuré par les services de l'État. Certains disent que cet amendement arrangerait les associations d'élus en leur évitant d'intervenir. J'y suis favorable, sous réserve d'un sous-amendement qui en rédigerait ainsi la fin : « dans un délai de trois mois à compter de la notification de la demande par le conseil à l'administration concernée ».

M. Philippe Bas , président . - N'y a-t-il pas une ambiguïté dans l'utilisation du mot « rapport » ? Le rapport est fait par un rapporteur qui est membre du conseil. Ne vaudrait-il pas mieux écrire que « les éléments de l'évaluation sont communiqués par l'administration compétente au Conseil national dans un délai de trois mois » ?

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - On pourrait tout à fait ajouter que « cette évaluation est effectuée sur la base d'une analyse réalisée par l'administration compétente » afin de ne pas confondre l'analyse effectuée par les services de l'État et le rapport présenté par le rapporteur devant le conseil.

Mme Catherine Tasca . - Toute institution à qui est confiée une telle mission doit avoir le pouvoir d'interroger l'administration. Je n'ai rien contre le fond de cet amendement ; mais je regrette que le champ de la loi s'étende toujours un peu plus.

M. René Vandierendonck . - Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - MM. Pointereau et Lambert sont très attachés à ces importantes précisions car le Conseil national, qui ne dispose pas de services ni de moyens, a besoin de l'expertise des services de l'État, et surtout du délai de trois mois pour assurer une évaluation. Ils ont fait l'expérience de devoir répondre dans les soixante-douze heures et celle de rester sans réponse de l'administration.

L'amendement COM-2 rectifié est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. SUEUR, rapporteur

3

Contrôle du CNEN sur les projets de textes réglementaires

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

4

Personnes pouvant saisir le CNEN

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

5

Motivation des demandes d'évaluation

Adopté

M. SUEUR, rapporteur

6

Encadrement du recours aux procédures d'urgence et d'extrême d'urgence

Adopté avec modification

Article additionnel après l'article unique

M. POINTEREAU

1

Soumission, par la commission d'examen
des projets de règlements fédéraux relatifs
aux équipements sportifs, des projets
d'une fédération délégataire au conseil national d'évaluation des normes

Adopté

M. POINTEREAU

2

Charge de la preuve pesant
sur les administrations d'État

Adopté avec modification

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