III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : RÉUNIR LES CONDITIONS D'UN NOUVEAU DÉPART POUR L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE DANS LES ANTILLES ET EN GUYANE
Contrairement à ce qu'il avait annoncé à plusieurs reprises au Parlement, le Gouvernement n'a pu procéder à la création de l'université des Antilles par ordonnance . En effet, au moment de l'adoption de la loi du 22 juillet 2013, rien ne laissait présager les événements survenus sur le campus de Troubiran à Cayenne qui ont précipité, à l'automne 2013, l'effondrement de l'édifice universitaire antillo-guyanais.
Si elle institue un fonctionnement universitaire autour de pôles universitaires régionaux à l'autonomie renforcée, disposant de conseils et de vice-présidents de pôles aux compétences propres, l'ordonnance n° 2014-806 du 17 juillet 2014 maintient donc l'existence, au sein de la partie législative du code de l'éducation, d'une université des Antilles et de la Guyane. En effet, l'article 128 de la loi du 22 juillet 2013, antérieur aux événements qui ont conduit le Gouvernement à décider de la scission de l'UAG, limite l'habilitation à une adaptation des dispositions de ladite loi à l'UAG qui continue d'exister sur le plan législatif, et ne permet pas la modification de son périmètre géographique.
La transformation de l'UAG en une université des Antilles ne peut, par conséquent, intervenir que par voie législative, au moyen d'un amendement modifiant les dispositions du code de l'éducation résultant de l'ordonnance précitée . Il convient de souligner qu'il ne s'agit pas d'une création d'université, l'institution d'une nouvelle université ayant statut d'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) 8 ( * ) relevant par ailleurs du décret, mais bien d'une transformation de l'UAG en une université des Antilles. Il est donc possible de procéder à une telle transformation par voie d'amendement parlementaire, dans le respect de l'article 40 de la Constitution, d'autant que le Gouvernement s'est engagé publiquement, en séance à l'Assemblée nationale, à ce qu'une université des Antilles succède à l'UAG.
Cette actualisation du cadre législatif applicable au système universitaire dans les Antilles et en Guyane est indispensable afin de rendre juridiquement solide la séparation du pôle universitaire guyanais de l'UAG . Cette université est la seule, hormis les universités de la Polynésie française et l'université de la Nouvelle-Calédonie, à être régie par des dispositions de ce niveau. Cette actualisation doit également permettre de sécuriser le pilotage stratégique des deux établissements et, en particulier, les décisions d'affectation de ressources humaines et financières qui en découlent.
La répartition entre l'UAG et l'université de la Guyane de la dotation de l'État se fonde sur les résultats d'une expertise conduite par une mission de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR). L'UAG est passée aux responsabilités et compétences élargies (RCE) récemment, au 1 er janvier 2013, ce qui a limité les comparaisons entre exercices à la seule actualisation de l'exercice 2014, exercice en cours au moment où s'est déroulée la mission (mai 2014). D'autre part, pour des raisons liées à des dysfonctionnements de l'agence comptable avant l'arrivée de la nouvelle agente comptable en septembre 2013, le compte financier 2013 n'a été produit qu'en décembre 2014. Dans ces conditions, la mission de l'IGAENR n'a pas pu exploiter des données budgétaires et financières pour l'année 2013, qui étaient encore en cours de fiabilisation au moment de la mission.
Dans le cadre des RCE, la dotation de l'État est globale en emplois, masse salariale et crédits de fonctionnement pour l'ensemble de l'UAG. Le budget de l'UAG se caractérise par une approche par composante et non par pôle, par la centralisation des crédits de masse salariale pour en sécuriser le pilotage depuis le passage aux RCE au 1 er janvier 2013, et par la centralisation d'un certain nombre de dépenses transversales à l'UAG.
Au 1 er septembre 2014, le rapport de la mission de l'IGAENR avait dénombré 181,5 équivalents temps plein (ETP) sous plafond État au sein du pôle guyanais, consommant une masse salariale de 13,622 millions d'euros (13,072 millions d'euros relevant de l'ex-titre 2 + 0,55 million d'euros sur crédits de fonctionnement), soit un ratio de 16,3 % de l'ensemble de la masse salariale de l'UAG .
En l'absence de visibilité sur les crédits de fonctionnement, la mission a intégré la fongibilité asymétrique opérée par l'université, depuis son passage aux RCE au 1 er janvier 2013, en 2013 et en 2014. Elle a ensuite préconisé de retenir une clé de répartition de 16,3 % pour les crédits de fonctionnement affectés à la Guyane, abondés d'une enveloppe spécifique estimée à 350 000 euros afin de couvrir les charges induites par la mise en place de l'université : surcoût pour le fonctionnement du service commun de documentation (SCD), construction du système d'information...
La mission de l'IGAENR s'est appuyée, dans un premier temps, sur des données concernant les emplois et la masse salariale, retracées pour chacun des trois pôles au travers d'outils de gestion mis en place par l'université, pour l'exercice 2013, première année d'intégration de la masse salariale relevant de l'État dans le budget de l'UAG. Ces données portent sur les emplois et la masse salariale, tant la part relevant de l'État que celle couverte par les ressources propres, heures complémentaires et vacations comprises. Ce constat, qu'elle a analysé et fait valider par l'administratrice provisoire du pôle guyanais (Mme Anne Corval), a été retraité des mesures nouvelles connues pour l'exercice 2014 : soit la création en année pleine de neuf emplois pour la Guyane et la compensation par l'État des charges liées au dispositif de titularisation mis en place dans le cadre de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dite « loi Sauvadet ».
Les simulations théoriques résultant de l'application du modèle d'allocation utilisé par le ministère tentées en janvier et février 2014 sur certains indicateurs ont donné également une idée approximative de la répartition théorique ou constatée des moyens entre les pôles de l'UAG :
- pour les indicateurs de recherche (nombre d'enseignants-chercheurs produisants, classement des laboratoires...) : le poids de la Guyane est évalué entre 12 % et 15 %, le poids des pôles antillais (85 %) restant réparti globalement de façon équilibrée entre les deux pôles guadeloupéen et martiniquais ;
- la simulation de février 2014 sur la répartition des emplois à partir de la localisation des postes fournie par l'UAG montre une sur-dotation en emplois de 22 % pour l'UAG dans son ensemble (976 emplois délégués pour 801 emplois théoriques). La décomposition des résultats par pôle donne une sur-dotation de 12 % pour le pôle Guadeloupe, de 31 % pour le pôle Martinique et de 31 % pour le pôle Guyane. Les personnels IATOS 9 ( * ) affectés aux services centraux ont été ventilés au prorata des personnels IATOS présents sur les trois pôles (44 % Guadeloupe, 38 % Martinique, 19 % Guyane).
Cette simulation ne montre pas de sous-dotation du pôle guyanais par rapport aux pôles martiniquais et guadeloupéen. En revanche, le problème du sous-encadrement qualitatif est réel en Guyane : la proportion des enseignants-chercheurs est de 73 % en Guadeloupe, 66 % en Martinique et 60 % en Guyane.
Le socle 2014 notifié à l'UAG a été partitionné en fonction du taux de 16,3 % préconisé par la mission de l'IGAENR.
Ce socle de base de masse salariale a ensuite été actualisé :
- des mesures financées en loi de finances pour 2015 (revalorisation indiciaire des catégories B et C, glissement vieillesse-technicité...) ;
- de la valorisation des créations d'emplois : 9 créations d'emplois attribués en 2014, 15 emplois supplémentaires en 2015 et 25 postes au titre de la compensation du droit d'option (différentiel départs/arrivées pour l'université de la Guyane).
Au total, la masse salariale pour l'université de Guyane est évaluée à un montant de l'ordre de 14,02 millions d'euros. S'y ajoute une subvention de fonctionnement de 1,13 million d'euros, soit une subvention pour charges de service public d'un montant total de 15,15 millions d'euros (avant réserve de précaution).
Le plafond d'emplois proposé est de 181,5 + 15 (schéma d'emplois) + 6 (contrats doctoraux), soit un total de 202,5 emplois au 1 er janvier 2015.
Disposant d'une organisation provisoire fortement dérogatoire sur le fondement de l'article L. 711-4 du code de l'éducation, l'université de la Guyane est présidée par M. Richard Laganier, nommé par un arrêté du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en date du 1 er août 2014. Désormais de plein exercice depuis que lui ont été effectivement transférés les biens, droits et obligations du pôle universitaire de la Guyane de l'UAG à compter 1 er janvier 2015, l'université de la Guyane ne commencera cependant à payer ses agents qu'à partir du mois de février 2015, au plus tôt . Jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de déployer pleinement son système d'information et ses outils de gestion centralisée de paie, il reviendra à l'UAG d'assurer la paie des agents de l'université de la Guyane.
En conséquence, il convient dans les plus brefs délais de clarifier la situation universitaire aux Antilles par l'institution d'un établissement solide succédant à l'ancienne UAG. Alors que la précédente UAG comptait près de 13 000 étudiants, dont 11 000 scolarisés aux Antilles et environ 2 000 en Guyane, les effectifs inscrits à la rentrée universitaire de 2014 s'établissent à 11 048 étudiants 10 ( * ) aux Antilles et environ 1 700 pour la nouvelle université de la Guyane. Pour mémoire, lors d'une consultation organisée en avril 2014, les étudiants de l'UAG inscrits sur les pôles antillais s'étaient massivement prononcés en faveur du maintien d'une université des Antilles fondée sur deux pôles à l'autonomie renforcée .
Le seuil fatidique de 10 000 étudiants inscrits est déterminant pour la préservation de l'attractivité de l'université des Antilles, tant auprès des étudiants que des enseignants-chercheurs. Les deux régions antillaises ne parviennent traditionnellement à capter qu'un quart de leurs bacheliers, le reste des étudiants préférant s'inscrire au sein d'universités métropolitaines (principalement Bordeaux, Toulouse et Montpellier) et canadiennes (université McGill, université du Québec à Montréal...). En raison d'une démographie vieillissante (la Martinique perd désormais des effectifs étudiants potentiels de l'ordre de 1 000 bacheliers par an, la Guadeloupe près de 600) et d'un chômage endémique qui pénalise douloureusement les jeunes (près de 60 % des moins de 25 ans), le maintien d'une université des Antilles solide et attractive est crucial pour le développement de ces territoires , d'autant que les étudiants parfois contraints de poursuivre leurs études sur place, à défaut de pouvoir s'installer en métropole, sont généralement socialement défavorisés, avec un grand nombre de bacheliers professionnels et technologiques.
Enfin, l'UAG a entrepris des efforts considérables dans l'assainissement de ses comptes , à la suite notamment des révélations sur les soupçons (étayés par les rapports de la Cour des comptes, de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et du Sénat) de détournements de fonds dans la gestion d'un de ses laboratoires, le centre d'études et de recherche en économie, gestion, modélisation et informatique appliquée (CEREGMIA), pour un montant estimé à dix millions d'euros. Après une réorganisation complète de son agence comptable , l'université dispose désormais de comptes certifiés. Sur les sommes litigieuses perçues dans le cadre de projets européens gérés par le CEREGMIA, une partie a d'ores et déjà été remboursée mais un peu plus de six millions d'euros doivent encore être reversés à la Commission européenne et devront probablement être prélevés sur le fonds de roulement déjà faible de l'université.
Les deux dirigeants de ce laboratoire ont fait l'objet d'une mesure de suspension administrative prononcée par la présidente de l'université. Leur requête en suspension a été rejetée par le Conseil d'État qui doit examiner prochainement leur requête en annulation. Ils font également l'objet de procédures disciplinaires dont l'examen a été dépaysé auprès de l'université Toulouse-I.
* 8 Statut de droit commun des universités en France.
* 9 Personnels ingénieurs, administratifs, techniques, ouvriers et de service.
* 10 Au 8 janvier.