EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord du 2 avril 2013 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu, adopté par l'Assemblée nationale le lundi 8 décembre 2014.

Jusqu'à aujourd'hui, la France et Andorre, qui partagent pourtant le même chef d'État, n'étaient liées par aucune convention fiscale . Ce texte constitue donc une étape importante, à laquelle la Principauté est très attachée, comme cela a été rappelé à l'occasion de la visite du Président de la République, coprince d'Andorre, le 12 juin 2014.

L'absence de convention fiscale entre les deux pays jusqu'à ce jour s'explique par le fait que, jusqu'à récemment, Andorre ne disposait d'aucun système d'imposition directe des revenus, des bénéfices et du patrimoine . Les recettes fiscales de la Principauté étaient essentiellement constituées de droits de douane, forcément conséquents puisque ce petit territoire enclavé entre la France et l'Espagne s'était spécialisé dans la vente de certains produits aux habitants des pays voisins. Ces particularités, renforcées par une coopération fiscale insuffisante, avaient valu à Andorre d'être placée sur la « liste grise » des paradis fiscaux de l'OCDE publiée le 2 avril 2009 .

Fortement touchée par la crise de 2008, Andorre a entrepris une de diversifier son économie, fondée sur le tourisme, le commerce et la finance, et surtout de réformer en profondeur son système fiscal . Ont ainsi été instaurés :

- un impôt de 15 % sur les plus-values immobilières ;

- un impôt de 10 % sur les bénéfices des sociétés ;

- une TVA unique au taux normal de 4,5 % ;

- et, à compter du 1 er janvier 2015, un impôt sur le revenu des personnes physiques, fixé à 5 % ou 10 % en fonction du revenu.

Ces réformes, ainsi que la signature de vingt-six accords d'échange de renseignements fiscaux, ont permis d'envisager à partir de 2011 la signature d'une convention fiscale, que la principauté sollicite de longue date . L'accord signé le 2 avril 2013 est le résultat de ces négociations.

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Sur l'essentiel, la présente convention est très classique, et largement conforme au modèle de l'OCDE le plus récent, qui date de 2010 . Lorsqu'elle s'écarte du modèle, c'est tantôt pour s'adapter aux spécificités de la législation des deux pays, tantôt pour se montrer plus exigeante que le modèle.

Les clauses d'élimination des doubles impositions sont ainsi conformes à celles qui figurent dans les autres conventions fiscales signées par la France. Ces clauses visent à répartir entre les deux États le droit d'imposer les différents revenus. On retiendra notamment que :

- les bénéfices d'une entreprise sont taxés dans le pays où elle a son siège, sauf si elle dispose d'un « établissement stable » (usine, bureau etc.) dans l'autre pays ;

- les revenus passifs (dividendes, intérêts, redevances) sont imposés dans le pays de résidence du bénéficiaire, sous réserve d'une retenue à la source de 5 % maximum ;

- l'imposition des plus-values est partagée en fonction d'une série de critères (biens mobiliers ou immobiliers, participation substantielle ou non etc.) ;

- les salaires et les pensions sont respectivement imposés dans l'État d'exercice et de résidence, sauf pour les traitements et pensions de la fonction publique , qui sont imposés à la source.

La présente convention se distingue du modèle de l'OCDE par l'introduction plusieurs clauses anti-abus - cinq clauses catégorielles et une clause générale - qui permettent de refuser les avantages de la convention :

- à un bénéficiaire apparent qui ne serait pas le bénéficiaire effectif d'un revenu (par exemple, un prête-nom ou une société-écran) ;

- ou à un montage qui aurait pour objectif principal de tirer indûment bénéfice des stipulations de la convention, contrairement à leur objet et à leur esprit. Cette clause se rapproche de la notion d'abus de droit prévue par le livre des procédures fiscales.

Ces dispositifs anti-abus font de l'accord entre la France et Andorre un accord particulièrement exigeant, à l'instar des conventions signées par la France ces dernières années.

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Une autre spécificité de la convention franco-andorrane est qu'elle ne prévoit pas de dispositif d'échange d'informations fiscales, mais qu'elle renvoie, à la place, à l'accord de coopération en matière fiscale signé par les deux pays le 22 septembre 2009 .

Toutefois, il ne faut pas voir là une volonté d'échapper aux standards les plus récents en matière de coopération fiscale . En fait, la signature de cet accord spécifique s'explique par le fait qu'à l'époque, Andorre n'avait pas de convention fiscale avec la France qui aurait pu servir de support. Mais ses clauses ont sensiblement le même niveau d'exigence que celles du modèle 2010 de l'OCDE, notamment au regard du secret bancaire, alors même qu'elles sont antérieures.

De plus, l'administration fiscale nous a fait savoir qu'Andorre répondait de manière satisfaisante aux demandes de la France . Il faut à cet égard rappeler que la législation Andorrane n'autorise pas la création de structures opaques telles que les trusts .

Certes, l'accord de 2009 prévoit seulement l'échange d'informations fiscales à la demande, qui est comme vous le savez moins efficace que l'échange automatique, puisqu'il suppose une bonne volonté de la part de l'État interrogé. Toutefois, Andorre s'est formellement engagée, le 29 novembre 2014 à Berlin, à mettre en oeuvre l'échange automatique d'informations d'ici 2018 . La France s'y est engagée pour 2017. De plus, la principauté a signé la convention multilatérale de l'OCDE qui prévoit l'échange automatique, et mène actuellement des négociations avec la Commission européenne en vue d'appliquer les standards les plus exigeants en la matière.

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Si la présente convention se limitait aux points précédents, elle n'appellerait pas de réserve particulière : il s'agit d'une convention fiscale classique, équilibrée et conforme aux standards les plus récents. Mais l'accord franco-andorran comporte, en plus, une clause très particulière .

L'article le d du 1 de l'article 25 prévoit en effet que « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d'Andorre comme si la présente convention n'existait pas ». En d'autres termes, cette clause permet à la France d'instituer une imposition des personnes physiques à raison de leur nationalité , et non pas à raison de leur résidence ou de l'origine de leurs revenus.

Cet élément est dérogatoire par rapport au droit français , l'article 4A du code général des impôts prévoyant depuis longtemps une imposition selon un principe de résidence : l'obligation fiscale pèse sur ceux qui bénéficient des services publics - éducation, protection sociale etc. Au sein de l'OCDE, les États-Unis sont le seul pays à pratiquer une imposition selon la nationalité, étant entendu que l'impôt acquitté ailleurs par les citoyens américains ouvre droit à un crédit d'impôt aux États-Unis.

Cette stipulation est, de même, dérogatoire par rapport au modèle de l'OCDE , fondé lui aussi sur un principe de résidence, repris par les conventions fiscales signées par la France.

La secrétaire d'État chargée du développement et de la francophonie, Annick Girardin, a assuré devant nos collègues députés que « la mention d'une possible imposition des nationaux français résidant en Andorre est sans effet juridique », que celle-ci « résulte du contexte particulier dans lequel se sont déroulées les négociations » et qu' « aucun projet de ce type n'existe » dans les conventions actuellement négociées par la France. Par ailleurs, la lecture du texte de la convention, qui précise que « les autorités compétentes des États contractants règlent d'un commun accord la mise en oeuvre » de cette disposition, laisse planer le doute quant à la possibilité d'instaurer effectivement un tel régime, tant celui-ci est défini de manière vague.

Reste qu'il existe un précédent : la convention fiscale franco-monégasque de 1963 prévoit bel et bien que les nationaux français résidant sur le Rocher sont redevables de l'impôt sur le revenu comme s'ils étaient installés en France. Or la situation de Monaco à l'égard de la France n'est pas si différente de celle d'Andorre.

Surtout, alors que l'engagement d'un Gouvernement vaut pour le présent, une convention fiscale peut rester en vigueur des dizaines d'années - et la question d'un impôt lié à la nationalité revient très régulièrement dans le débat public, comme par exemple à l'occasion de la campagne présidentielle de 2012. Les Gouvernements passent, mais les textes demeurent.

L'inquiétude de nos compatriotes Français de l'étranger est donc bien légitime . Et elle pourrait bientôt faire écho à l'inquiétude des autres partenaires de la France, avec lesquels sont actuellement négociées de nouvelles conventions fiscales.

Compte tenu de ces éléments, le maintien de cette clause dans le texte de l'accord du 2 avril 2013 pose un problème de principe . Ainsi :

- soit cette clause a vocation à s'appliquer , à court terme ou à long terme, et alors la modification fondamentale de notre système fiscal qu'elle implique exige la tenue d'un débat national . Cela ne saurait se faire par l'introduction discrète d'une stipulation dans une convention fiscale, mais exige la modification préalable, par le législateur, du droit interne ;

- soit cette clause n'a pas vocation à s'appliquer, et alors elle n'a plus sa place dans le présent accord . Celui-ci doit être renégocié ou, au minimum, modifié par la signature d'un avenant.

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Le Gouvernement dispose du temps nécessaire : en effet, les stipulations de cet accord ne s'appliqueront qu'aux impôts dus au titre de l'année suivant celle de son entrée en vigueur. En d'autres termes, pour une entrée en vigueur en 2015, celle-ci ne sera concrètement applicable qu'à compter de l'année 2016.

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