Rapport n° 598 (2013-2014) de M. Gilbert BARBIER , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 11 juin 2014

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N° 598

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juin 2014

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , relative à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d' acte de rupture du contrat de travail par le salarié ,

Par M. Gilbert BARBIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Patricia Bordas, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

1199 , 1806 et T.A. 318

Sénat :

410 et 599 (2013-2014)

LES CONCLUSIONS
DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Réunie le mercredi 11 juin 2014 sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission des affaires sociales a examiné, sur le rapport de M. Gilbert Barbier, la proposition de loi n° 410 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié.

Le rapporteur a tout d'abord rappelé les principes de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail , construction jurisprudentielle de la Cour de cassation ouvrant à tout salarié la possibilité de rompre son contrat de travail en raison de manquements graves qu'il reproche à son employeur et dont le juge doit déterminer les effets, qui peuvent être soit ceux d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs invoqués sont fondés, soit ceux d'une démission dans le cas contraire. Il a précisé que le salarié qui s'engage dans cette voie ne peut pas bénéficier de l'assurance chômage avant que le conseil de prud'hommes n'ait rendu son jugement, ce qui implique un délai minimal d'au moins un an, voire plus de deux ans en cas d'appel.

Il a ensuite présenté la proposition de loi, qui constitue un ajustement procédural en cas de prise d'acte en prévoyant que le bureau de jugement du conseil de prud'hommes devra statuer dans un délai d'un mois , supprimant ainsi la phase préalable de conciliation.

Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a adopté la proposition de loi sans modification.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La relation entre les deux parties à un contrat de travail, l'employeur et le salarié, repose sur le lien de subordination du second au premier et le pouvoir de direction , de contrôle et de sanction dont dispose ce dernier à l'égard des personnes qu'il emploie. Elle est caractérisée par son asymétrie , qui justifie l'existence d'un encadrement spécifique des conditions de rupture du contrat de travail par le code du travail.

En dehors du licenciement , à l'initiative de l'employeur et qui doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et de la démission , qui relève du salarié, le législateur a consacré en 2008 la rupture d'un commun accord des parties par le biais de la rupture conventionnelle . Toutefois, la Cour de cassation a reconnu aux salariés la possibilité de mettre un terme à leur contrat de travail, sans formalisme particulier, dès lors qu'ils estiment que le comportement de leur employeur compromet la poursuite de l'exécution du contrat : c'est la prise d'acte de la rupture du contrat de travail .

Mécanisme protecteur des personnes se trouvant dans des environnements professionnels très dégradés, il implique la saisine du conseil de prud'hommes pour qualifier les effets de cette rupture et soit l'assimiler à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit à une démission. Dans l'attente du jugement, qui est dans de nombreux cas rendu plus d'un an après l'enclenchement de la procédure, les anciens salariés se trouvent dans une situation très précaire car ils ne peuvent, sauf exceptions, prétendre au bénéfice de l'assurance chômage.

Pour apporter une réponse aux difficultés de ces personnes, la présente proposition de loi, présentée par des députés du groupe RRDP et adoptée par l'Assemblée nationale en février dernier, prévoit qu'en cas de prise d'acte le bureau de jugement du conseil de prud'hommes statue dans un délai d'un mois suivant sa saisine , supprimant par la même occasion la phase préalable de conciliation. Il est en effet possible d'estimer qu'au vu de l'ampleur du différend opposant le salarié à son employeur, la conciliation est vouée à l'échec et ne fait que retarder l'instance.

Votre rapporteur apporte son soutien à ce texte, qui constitue un aménagement procédural pertinent . Il n'est toutefois pas le lieu du nécessaire débat sur l'organisation et les moyens des conseils de prud'hommes, dont l'insuffisance est à l'origine de délais de jugement bien trop longs et très souvent incompatibles avec l'impératif de célérité de la justice.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA PRISE D'ACTE, MODE DE RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL OUVERT À TOUT SALARIÉ QUI S'ESTIME DANS L'IMPOSSIBILITÉ DE POURSUIVRE SON CONTRAT DE TRAVAIL DU FAIT DE SON EMPLOYEUR

A. LES MODALITÉS TRADITIONNELLES DE RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

Conclu entre un salarié et son employeur, le contrat de travail , qui lorsqu'il est à durée indéterminée est la « forme normale et générale de la relation de travail » 1 ( * ) , emporte des obligations de chacune des parties envers l'autre : l'exécution d'un travail et des instructions de l'employeur en échange du versement d'une rémunération. Il s'agit de ce fait d'un contrat synallagmatique 2 ( * ) , soumis aux règles du droit commun des contrats 3 ( * ) et à celles, spécifiques, du code du travail.

Ainsi, s'il n'a pas obligatoirement à être formalisé par écrit, le contrat de travail ne peut en principe être rompu que selon les formes prévues par le code du travail , l'employeur et le salarié ne pouvant s'accorder préalablement pour y déroger (article L. 1231-4 du code du travail).

Chacune des parties peut initier la rupture :

- le salarié peut démissionner , dès lors qu'il respecte un préavis dont la durée est fixée par la convention collective ou les usages de sa profession ;

- l'employeur peut licencier ses salariés, pour un motif économique 4 ( * ) ou un motif personnel. Dans tous les cas, le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse , c'est-à-dire pouvant être constatée objectivement et dont la gravité rend impossible la poursuite du contrat de travail.

Depuis la loi du 25 juin 2008 5 ( * ) , qui assurait la transposition législative de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, tout contrat de travail à durée indéterminée peut également être rompu d'un commun accord des parties par le biais d'une rupture conventionnelle . Résultat d'une convention conclue par l'employeur avec son salarié puis homologuée par l'administration, elle ouvre droit à l'assurance chômage, contrairement à la démission. Son développement rapide, avec plus de 1,5 million de ruptures conventionnelles homologuées entre août 2008 et avril 2014 , démontre qu'elle fait désormais partie intégrante du fonctionnement du marché du travail.

Enfin, en application de l'article 1184 du code civil et comme pour tout contrat synallagmatique, il est possible de demander la résiliation judiciaire du contrat de travail . Cette possibilité a été reconnue par la Cour de cassation au seul salarié 6 ( * ) , dès lors qu'il est contraint de quitter l'entreprise du fait de manquements dont il accuse son employeur. Si le conseil de prud'hommes reconnaît leur gravité suffisante, la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pendant la durée de la procédure, et si le salarié est débouté, l'exécution du contrat de travail se poursuit normalement.

B. LES CARACTÉRISTIQUES DE LA PRISE D'ACTE

A côté des modalités de rupture du contrat de travail traditionnelles, prévues par des dispositions législatives ou en découlant directement, la Cour de cassation a bâti depuis une série d'arrêts fondateurs du 25 juin 2003 7 ( * ) un régime autonome de rupture à destination du salarié « en raison de faits qu'il reproche à son employeur » : la prise d'acte de la rupture du contrat de travail.

Cette construction prétorienne intégrale reconnaît à tout salarié la possibilité, lorsqu'il estime que le comportement de l'employeur à son égard contrevient aux obligations qui sont les siennes en vertu du contrat de travail et de son pouvoir de direction, de mettre un terme définitif et immédiat à leur relation contractuelle . Ainsi, il n'est pas possible au salarié de se rétracter 8 ( * ) .

Il appartient au juge de qualifier les effets de cette rupture sui generis . S'il estime les griefs du demandeur fondés, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse : l'employeur est redevable de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse (soit au minimum les salaires des six derniers mois) et, le cas échéant, de dommages et intérêts supplémentaires en cas de préjudice distinct. Si tel n'est pas le cas, la prise d'acte équivaut à une démission et l'ancien salarié peut être amené à verser l'indemnité compensatrice du préavis non effectué à son employeur.

Visant en théorie des situations dans lesquelles le salarié se sent contraint de quitter sans délai l'entreprise, la prise d'acte ne s'accompagne d'aucun formalisme . Contrairement à la lettre de licenciement, le document par lequel le salarié prend acte de la rupture ne fixe pas les limites du litige 9 ( * ) . Une formalisation par écrit n'est d'ailleurs pas obligatoire. Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même s'ils ne figuraient pas dans le courrier initial. Ce dernier ne peut en revanche pas se prévaloir de manquements qu'il aurait découverts après la prise d'acte, quand bien même ils auraient été commis avant celle-ci 10 ( * ) . Par ailleurs, une prise d'acte peut être communiquée à l'employeur par l'avocat du salarié, au nom de celui-ci, sans que sa validité ne puisse être remise en cause 11 ( * ) . Enfin, le salarié n'a pas à exécuter de préavis, mais conserve la possibilité de le faire 12 ( * ) .

Il revient au conseil de prud'hommes, chargé de régler les différends qui s'élèvent lors de l'exécution d'un contrat de travail, ou le cas échéant à la cour d'appel voire à la Cour de cassation, d'évaluer si les griefs du salarié justifient la prise d'acte et si les faits reprochés à l'employeur sont « suffisamment graves » pour que la rupture du contrat de travail puisse lui être imputée. Dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation permettent de délimiter les contours des critères d'appréciation retenus, qui reposent sur l'examen de chaque cas d'espèce.

C'est lorsque le manquement « empêche la poursuite du contrat de travail » 13 ( * ) que la prise d'acte trouve à s'appliquer. Entrent dans cette catégorie :

- les modifications du contrat de travail imposées au salarié, comme la modification de la rémunération 14 ( * ) ;

- la violation des obligations nées du contrat de travail, comme le non-paiement du salaire 15 ( * ) , des primes ou des heures supplémentaires ;

- le non-respect des principes du droit du travail : discrimination, harcèlement, manquement à l'obligation de résultat en matière de sécurité à laquelle tout employeur est tenu envers ses salariés 16 ( * ) , atteinte à la liberté individuelle du salarié.

Au vu de la diversité des situations soumises au juge et du contrôle par la Cour de cassation de l'appréciation des juges du fond sur la justification de la prise d'acte, qui n'est pas universel mais intervient plutôt quand sont en jeu des principes fondamentaux du droit du travail, il est difficile d'apporter une définition unique ou d'établir une liste exhaustive des motifs pour lesquels la prise d'acte est reconnue légitime. Il semble néanmoins que tout manquement sérieux à l'obligation de sécurité de résultat, selon laquelle l'employeur « prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (article L. 4121-1 du code du travail), soit apprécié comme faisant obstacle au maintien du salarié dans l'entreprise.

Il faut enfin rappeler que la prise d'acte est réservée au salarié : un employeur ne peut pas prendre acte de la rupture du contrat de travail qui le lie à un salarié, et ce pour quelque raison que ce soit. Selon cette règle de principe 17 ( * ) , posée en même temps que les arrêts qui ont fondé le régime actuel de la prise d'acte, tout employeur « qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail ou qui le considère comme rompu du fait du salarié doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement ». A défaut, toute rupture est considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Enfin, comme la prise d'acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail , l'employeur doit remettre à son ancien salarié dès qu'elle produit ses effets 18 ( * ) un certificat de travail ainsi que l'attestation Pôle emploi, qui permet d'établir ses droits à l'assurance chômage, quand bien même le salarié ne pourra pas en bénéficier tant que le juge n'aura pas qualifié les effets de la prise d'acte.

C. UN CHOIX QUI N'EST PAS SANS RISQUE POUR LE SALARIÉ

L'avènement de la prise d'acte ne correspond toutefois pas à la naissance d'un « droit à l'autolicenciement », comme cela a pu être craint par certains commentateurs avant que la jurisprudence de la Cour de cassation ne vienne mieux en délimiter les conditions de recevabilité. Au contraire, il s'agit pour le salarié d'un ultime recours lorsqu'il ne lui est plus possible de poursuivre son activité dans l'entreprise en raison du comportement de son employeur à son égard.

Décider de prendre acte de la rupture de son contrat de travail est une décision lourde de conséquences pour l'employé, sur le plan de sa situation personnelle comme sur celui de la procédure judiciaire qui s'ouvre.

Cessant son activité du jour au lendemain, il ne peut prétendre bénéficier de l'assurance chômage que s'il se trouve dans un cas de démission considéré comme légitime par Pôle emploi. L'accord d'application n° 14 annexé à la convention d'assurance chômage, en date du 6 mai 2011 pour celle aujourd'hui en vigueur ou en date du 14 mai 2014 pour celle qui s'appliquera à compter du 1 er juillet prochain, en apporte la définition. Seules deux circonstances prévues dans cet accord peuvent s'apparenter à une prise d'acte :

- la démission intervenue pour cause de non-paiement des salaires pour des périodes de travail effectuées, à condition que l'intéressé justifie d'une ordonnance de référé lui allouant une provision de sommes correspondant à ces arriérés de salaires ;

- la démission intervenue à la suite d'un acte susceptible d'être délictueux dont le salarié déclare avoir été victime à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail et pour lequel il justifie avoir déposé une plainte.

En dehors de ces cas, c'est seulement si, au terme de la procédure contentieuse, le juge estime que la prise d'acte était fondée que la personne pourra bénéficier de l'indemnisation de sa période de chômage. Ce n'est donc pas une décision de confort mais plutôt l'ouverture d'une période d'incertitude , et ce d'autant plus que le salarié, en tant que demandeur, est au coeur de la procédure prud'homale.

La charge de la preuve repose sur lui. Il doit démontrer que les agissements de son employeur sont d'une telle gravité que l'exécution du contrat de travail était devenue impossible. En principe, le doute ne lui profite pas 19 ( * ) , sauf lorsqu'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat, tel un accident du travail, est invoqué. Dans ce cas, et dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce sujet, c'est à l'employeur de faire la preuve que « la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation » 20 ( * ) .

De plus, par trois arrêts récents, la Cour de cassation a renforcé son contrôle sur les motifs invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte, en écartant ceux qui, anciens, n'ont pas conduit à l'interruption immédiate du contrat de travail.

Elle a ainsi confirmé 21 ( * ) la position d'une cour d'appel qui avait jugé que, les manquements invoqués par le demandeur étant anciens et antérieurs de plusieurs mois à la prise d'acte, ils n'avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail et ne justifiaient donc pas la prise d'acte. Dans ce cas d'espèce, qui touche au champ de l'obligation de sécurité de résultat, elle a jugé qu'une surveillance médicale obligatoire défaillante pendant plusieurs années, antérieure à la prise d'acte, n'avait pas eu d'impact sur le déroulement du contrat de travail et ne pouvait donc constituer le motif de sa rupture.

De même, dans un arrêt 22 ( * ) concernant une demande de résiliation judiciaire du contrat, mais dont le raisonnement est transposable à la prise d'acte, la haute juridiction a jugé que l'absence de visite médicale de reprise à la suite d'un accident du travail, résultant d'une erreur des services administratifs de l'entreprise et en dépit de laquelle le contrat de travail s'était poursuivi durant plusieurs mois, n'était pas un motif suffisant pour prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par ces arrêts de mars 2014, la Cour de cassation a, selon la formule du professeur Jean-Emmanuel Ray 23 ( * ) , procédé à la « relégitimation nécessaire » de la prise d'acte. Le bien-fondé de la prise d'acte en cas de manquement à l'obligation de sécurité de résultat a perdu son caractère automatique, tandis que les griefs pouvant être invoqués doivent bien être de nature à rendre absolument impossible, pour le salarié, l'exécution du contrat de travail.

Ce recentrage de la prise d'acte sur les situations les plus conflictuelles confirme son rôle premier, celui de dernier recours du salarié en cas de manquement suffisamment grave commis par l'employeur auquel, du fait du lien de subordination qui les unit, le salarié ne pourrait pas se soustraire autrement. Il ne s'agit donc pas d'un dispositif largement ouvert aux abus de la part de salariés souhaitant quitter leur entreprise tout en obtenant une forte indemnité, en raison notamment de la durée de l'instance prud'homale qui s'ouvre au lendemain de la prise d'acte, mais au contraire bien d'une « forme de droit de retrait définitif » 24 ( * ) .

II. ACCÉLÉRER LA PROCÉDURE PRUD'HOMALE QUI ACCOMPAGNE LA PRISE D'ACTE

A. LES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI

Une fois que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail, il doit saisir le conseil de prud'hommes pour que celui-ci en qualifie les effets et déclare, selon le cas d'espèce, que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'une démission.

Ce recours est soumis à la procédure prud'homale de droit commun, qui selon l'article L. 1411-1 du code du travail repose sur une phase préalable de conciliation entre le demandeur et le défendeur dont l'éventuel échec laisse la place à un jugement . Juridiction paritaire réunissant des juges élus par leurs pairs issus de deux collèges, l'un représentant les salariés, l'autre les employeurs, et siégeant en nombre pair, le conseil de prud'hommes voit ses jugements soumis au départage d'un juge du tribunal d'instance en cas de désaccord au sein du bureau de jugement de la section saisie de l'affaire.

Les sections du conseil de prud'hommes

En application de l'article R. 1423-1 du code du travail, les conseils de prud'hommes sont organisés en cinq sections thématiques , qui correspondent à l'activité principale de l'employeur ou au statut spécifique de certains salariés, comme les cadres, et traitent le contentieux qui en relève :

- Section de l'encadrement ;

- Section de l'industrie ;

- Section du commerce et des services commerciaux ;

- Section de l'agriculture ;

- Section des activités diverses (employés de maison, concierges, etc.).

Chaque section, qui peut comprendre plusieurs chambres, comporte au moins un bureau de conciliation et un bureau de jugement , avec au moins deux représentants des employeurs et deux représentants des salariés siégeant dans ce dernier. Le conseil comporte enfin une formation commune de référé .

En 2012, les 210 conseils de prud'hommes ont jugé 187 913 affaires, dans un délai moyen de 13,7 mois 25 ( * ) . Le départage, qui concerne 18 % de ce total, porte à 25,7 mois le délai moyen de jugement. Le taux de conciliation est en baisse constante ces dernières années et est inférieur à 10 % . Qui plus est, de très fortes disparités existent selon les conseils de prud'hommes : le délai de jugement peut varier de 2,7 mois à Saint-Omer à 20 mois à Aix-en-Provence, voire même 33,6 mois à Cayenne.

Enfin, le contentieux prud'homal se caractérise par un taux d'appel très élevé : il est de 61 % sur les jugements prononcés par les conseils de prud'hommes en premier ressort en 2011, contre 12,5 % pour les tribunaux de grande instance. Cela entraine une prolongation de la procédure de 15 mois en moyenne, mais jusqu'à 21 mois devant la cour d'appel de Paris.

Dans ce contexte, cette proposition de loi vise à accélérer le traitement du contentieux de la prise d'acte devant le conseil de prud'hommes en transposant une procédure qui existe déjà pour la requalification d'un CDD 26 ( * ) ou d'un contrat d'intérim 27 ( * ) en CDI et qui, très prochainement, sera applicable aux demandes de requalification d'une convention de stage en contrat de travail 28 ( * ) .

Dans sa rédaction d'origine, son article unique insérait, dans la section du livre I du code du travail relative à la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, une sous-section portant sur la prise d'acte et comportant un article L. 1237-1-1 nouveau prévoyant qu'en cas de saisine du conseil de prud'hommes par un salarié pour qualifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, l'affaire soit directement portée devant le bureau de jugement qui disposerait d'un délai d'un mois pour statuer au fond.

La suppression de la phase de conciliation est aisément compréhensible. La prise d'acte est, en effet, la traduction d'un désaccord irréconciliable entre le salarié et son employeur et d'un comportement en contradiction avec les principes fondamentaux de la relation de travail. Par ailleurs, la faiblesse du taux de conciliation traduit le rôle qu'elle joue désormais dans de nombreuses instances : un outil pour la ralentir, gagner du temps et ainsi décourager de futurs recours sans jamais avoir eu l'intention de parvenir à un compromis avant le jugement.

Il est donc, aux yeux de votre rapporteur, dans l'intérêt du salarié mais aussi de l'employeur, qui est lui aussi soumis à de fortes incertitudes, notamment financières, tant qu'un jugement n'a pas été rendu, de prévoir la résolution de ce différend grave dans les meilleurs délais.

B. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Lors de l'examen de la proposition de loi par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, une modification importante dans sa rédaction a été apportée par l'adoption d'un amendement cosigné par le rapporteur, notre ancien collègue député Thierry Braillard, et le député Denys Robiliard, sans que cela n'ait d'effet sur le fond du texte. Initialement, celui-ci mentionnait explicitement la « prise d'acte », insérant cette formule dans le code du travail alors qu'il s'agit d'une expression qui n'est pas juridique mais plutôt un raccourci de langage qui a pris racine, chez les juristes, pour désigner cette modalité de rupture du contrat de travail issue de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Dès lors, plutôt que de faire entrer ce concept dans le code du travail, ce qui aurait impliqué d'en apporter une définition précise et de mettre en place son encadrement législatif, le choix a été fait de reprendre la définition donnée par la Cour elle-même en faisant référence à une demande de qualification d'une rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié « en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur ».

L'insertion dans le code du travail de cette disposition nouvelle a également connu une évolution, puisqu'elle figure désormais à l'article L. 1451-1 nouveau, qui se situe au chapitre I du titre V du même livre I du code, qui porte sur les dispositions générales relatives à la procédure devant le conseil de prud'hommes.

Le titre de la proposition de loi a été modifié en conséquence, celle-ci n'étant pas relative « aux effets de la prise d'acte de rupture du contrat de travail », qu'il appartient toujours au juge de déterminer, mais bien « à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte ».

Aucun amendement supplémentaire n'a été adopté lors de l'examen de la proposition de loi en séance plénière.

C. LA POSITION DES PARTENAIRES SOCIAUX

Sur cette proposition de loi touchant directement un domaine, la justice prud'homale, dont le paritarisme constitue l'un des fondements, votre rapporteur a souhaité interroger les partenaires sociaux afin de recueillir leurs observations. Toutes les organisations représentatives au niveau national et interprofessionnel (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, Medef, CGPME, UPA) ont été contactées. Seule FO n'a pas répondu.

A la lecture des éléments transmis à votre rapporteur 29 ( * ) , deux points de vue contraires apparaissent : une opposition au texte de la part des organisations patronales et un soutien à son adoption par les organisations représentatives des salariés.

La CGPME, le Medef et l'UPA regrettent la suppression de la phase de conciliation durant laquelle, selon eux, un accord pourrait être trouvé par les parties ou la nature de la rupture pourrait être déterminée d'un commun accord entre elles. De manière plus générale, ces structures ne se satisfont pas de la prise d'acte telle qu'elle ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation et craignent que cette proposition de loi n'aboutisse à en faire la promotion auprès de salariés qui méconnaitraient les risques encourus, au détriment de procédures comme la résiliation judiciaire durant laquelle le contrat de travail est maintenu. Enfin, elles estiment que la fixation dans la loi d'un délai de jugement court restera dans de nombreux cas purement théorique et ne permettra pas de résoudre les problèmes liés aux délais de jugement trop élevés d'un grand nombre de conseils de prud'hommes, qui sont la conséquence de leur engorgement et de l'insuffisance des moyens dont ils disposent.

La CFDT, la CGT, la CFTC et la CFE-CGC ont fait part à votre rapporteur de leur appréciation favorable de la proposition de loi, jugeant nécessaire, au vu des incertitudes que la prise d'acte fait peser sur la situation personnelle du salarié qui en prend l'initiative, qu'elle soit traitée dans les meilleurs délais. En effet, dans l'impossibilité de bénéficier de l'assurance chômage et ne percevant plus son salaire, la personne qui rompt son contrat de travail en raison de faits commis par son employeur peut se trouver dans une situation de grande précarité . Comme leurs homologues patronales, ces organisations espèrent toutefois que ce texte n'incitera pas les salariés à se tourner vers la prise d'acte, avec les nombreux risques qu'elle comporte, sans un examen juridique préalable sérieux de leur situation, alors que la résiliation judiciaire offre davantage de garanties. Enfin, elles partagent le constat de l'insuffisance des moyens des conseils de prud'hommes , qui déjà aujourd'hui ne peuvent souvent pas respecter le délai de jugement d'un mois imposé par la loi en cas de demande de requalification d'un CDD en CDI. Elles craignent donc que cette proposition de loi ne soit qu'une déclaration d'intention et estiment qu'elle devrait s'accompagner d'un renforcement des juridictions prud'homales voire, pour la CFDT, d'un encadrement législatif global de la prise d'acte.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article unique (art. L. 1451-1 [nouveau] du code du travail) - Procédure d'examen des prises d'acte de rupture du contrat de travail par les conseils de prud'hommes

Objet : Cet article prévoit que le bureau de jugement du conseil de prud'hommes doit statuer dans un délai d'un mois en cas de saisine consécutive à une prise d'acte de rupture de son contrat de travail par un salarié.

I - Le dispositif proposé

Consacrée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 25 juin 2003 comme une modalité à part entière de rupture du contrat de travail par un salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur , la prise d'acte repose sur l'intervention du juge compétent pour connaître des différends liés à l'exécution du contrat de travail, c'est-à-dire le conseil de prud'hommes, afin d'en déterminer les effets . La Cour a jugé qu'ils sont soit ceux d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse si les faits invoqués justifiaient la prise d'acte, soit ceux d'une démission dans le cas contraire.

Dans l'attente de ce jugement, dont le délai moyen dépasse un an et atteint plus de deux ans dans certains conseils de prud'hommes, le salarié ne peut, sauf exception, bénéficier de l'assurance chômage. Dans ce contexte, l'article unique de cette proposition de loi vise à remédier à cette situation en transposant au contentieux de la prise d'acte un régime déjà existant en matière de requalification d'un CDD 30 ( * ) ou d'un contrat d'intérim 31 ( * ) en CDI.

Cet article insère, dans la section du code du travail relative aux ruptures du contrat de travail à l'initiative du salarié, une sous-section portant sur la prise d'acte et composée d'un article L. 1237-1-1 nouveau prévoyant une procédure accélérée d'examen , par le conseil de prud'hommes, du contentieux lié à la prise d'acte .

Ainsi, lorsque le conseil de prud'hommes serait saisi d'une demande visant à qualifier la prise d'acte, l'affaire serait portée directement devant le bureau de jugement , ce qui signifie une suppression de la phase préalable de conciliation de droit commun. Le bureau de jugement disposerait d'un mois pour statuer.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a procédé à une modification de la formulation retenue par cet article unique, sans en altérer le fond. Dans sa rédaction d'origine, il faisait en effet directement référence à la « prise d'acte », notion jusqu'à présent absente du code du travail et dont il aurait ensuite fallu définir le régime juridique en son sein.

Ne jugeant pas souhaitable de figer dans la loi cette création prétorienne, le rapporteur, notre ancien collègue député Thierry Braillard, et le député Denys Robiliard, ont préféré la désigner par le biais de la définition qu'en donne la Cour de cassation, c'est-à-dire une « rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur ».

Le titre de la proposition de loi a été modifié en conséquence, celle-ci n'étant pas relative « aux effets de la prise d'acte de rupture du contrat de travail », qu'il appartient toujours au juge de déterminer, mais bien « à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte ».

Dans le même esprit, cette mesure a été déplacée dans le code du travail pour figurer désormais à un article L. 1451-1 nouveau, qui se situe au chapitre I du titre V du même livre I du code qui porte sur les dispositions générales relatives à la procédure devant le conseil de prud'hommes.

Aucun amendement supplémentaire n'a été adopté lors de l'examen de la proposition de loi en séance plénière.

III - Le texte adopté par la commission

Au vu de ses conséquences et de l'incertitude qui pèse sur l'aboutissement du contentieux qui en est le corollaire, la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié n'est pas un moyen pour celui-ci d'accélérer une transition professionnelle. Elle constitue la reconnaissance, par le juge, de la nécessité d'offrir à un employé la possibilité de mettre un terme, avec effet immédiat , à une situation de travail dans laquelle le comportement de son employeur n'est pas conforme aux obligations qu'il tient du pouvoir de direction qui est le sien.

Dans ces circonstances, la durée du contentieux prud'homal puis, le cas échéant, devant la cour d'appel voire la Cour de cassation est une source d'incertitudes majeure pour le salarié , qui est privé de revenus s'il n'a pas retrouvé de nouvel emploi, mais également pour l'employeur , notamment sur le plan financier puisqu'il peut être amené à provisionner des sommes importantes dans l'attente du jugement. Cette proposition de loi, en s'inspirant de procédures dérogatoires déjà existantes dans le code du travail, constitue donc aux yeux de votre rapporteur une mesure de bon sens, un aménagement souhaitable qui correspond à la spécificité des situations qui peuvent conduire à une prise d'acte.

Comme l'ont fait remarquer à votre rapporteur les partenaires sociaux qu'il a interrogés, fixer dans la loi un délai de jugement d'un mois ne garantit pas qu'il soit respecté mais renvoie au débat sur les moyens des conseils de prud'hommes, qui sont unanimement considérés comme insuffisants. Ce n'est toutefois pas l'objet de cette proposition de loi, qui constitue un ajustement procédural pour un contentieux de niche .

La commission a adopté cet article sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

Réunie le mercredi 11 juin 2014, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'examen de la proposition de loi n° 410 (2013-2014), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié.

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - L'intitulé de cette proposition de loi peut laisser à penser qu'elle n'intéressera que les praticiens les plus chevronnés du droit du travail. Au contraire, elle concerne directement les salariés et les employeurs puisqu'elle vise à accélérer le traitement, par les conseils de prud'hommes, d'un contentieux très spécifique : celui de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié.

Déposé à l'Assemblée nationale par le député Thierry Braillard et les membres du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP) en juin 2013, ce texte y a été adopté le 27 février dernier. Il est inscrit en séance publique au Sénat le 18 juin.

Un bref rappel des différents modes de rupture du contrat de travail s'impose. Historiquement, ils étaient de deux ordres : soit à l'initiative du salarié, avec la démission, soit à l'initiative de l'employeur, avec le licenciement. Depuis 2008, cette rupture peut se faire également d'un commun accord des parties, en convenant d'une rupture conventionnelle qui devra être homologuée par l'autorité administrative.

Par ailleurs, en dehors du cadre fixé par le code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun des contrats, qui figurent dans le code civil. Il s'agit d'un contrat synallagmatique, c'est-à-dire qu'il contient des obligations réciproques entre le salarié - la fourniture d'un travail - et son employeur - la rémunération. En application de l'article 1184 de ce code, la résiliation de ce contrat peut donc également être demandée par le salarié au juge compétent, c'est-à-dire au conseil de prud'hommes, chargé de régler les différends qui surviennent lors de l'exécution d'un contrat de travail.

A côté de ces types de rupture du contrat de travail, la Cour de cassation a progressivement bâti les contours d'un mode autonome de rupture supplémentaire possible à l'initiative du salarié : la prise d'acte. Par des arrêts fondateurs du 25 juin 2003, elle a établi que, lorsqu'il reproche à son employeur des faits commis par celui-ci, le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail, c'est-à-dire mettre un terme définitif et immédiat à leur relation contractuelle.

Il appartient alors au juge de qualifier les effets de cette rupture. Si les faits invoqués la justifient, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire que l'employeur est redevable de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse - soit au minimum les salaires des six derniers mois - et, le cas échéant, de dommages et intérêts supplémentaires en cas de préjudice distinct. Si tel n'est pas le cas, la prise d'acte équivaut à une démission et l'ancien salarié peut être amené à verser l'indemnité compensatrice du préavis non effectué à son employeur.

La prise d'acte est donc la possibilité reconnue à tout salarié qui se trouve confronté à un employeur qui ne respecte pas ses obligations envers lui et dont les actions sont de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail d'y mettre un terme. Construction prétorienne, elle s'est éloignée du « droit à l'auto-licenciement » dont elle avait été qualifiée à ses origines pour devenir l'ultime recours en cas de manquement suffisamment grave auquel, du fait du lien de subordination qui unit le salarié à son employeur, le salarié ne pourrait pas se soustraire autrement. C'est pour cette raison qu'aucune rétractation n'est possible, tout comme la réintégration ne peut être envisagée. De même, seul un salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail : l'employeur, lui, doit obligatoirement respecter la procédure de licenciement.

Bien que tel ne soit pas l'objet de la proposition de loi, il me semble important de préciser brièvement dans quelles circonstances la jurisprudence a établi qu'un salarié avait pu, à bon droit, prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Il en va ainsi : d'une modification du contrat de travail imposée au salarié, du non-respect des clauses du contrat, comme le non-paiement de la rémunération de base ou des primes, ou encore du manquement à l'obligation de sécurité de résultat à laquelle tout employeur est tenu envers ses salariés.

Il ne s'agit pas d'une procédure sans risques pour le salarié. Cessant son activité du jour au lendemain, il ne peut prétendre bénéficier de l'assurance chômage que s'il se trouve dans un cas de démission considéré comme légitime par Pôle emploi, c'est-à-dire en cas de non-paiement du salaire ou à la suite d'un acte susceptible d'être qualifié de délictueux, à condition qu'une plainte ait été déposée. Dans le cas contraire, c'est seulement si, au terme de la procédure contentieuse, le juge estime que la prise d'acte était fondée que la personne pourra bénéficier de l'indemnisation de sa période de chômage.

Par ailleurs, la charge de la preuve repose sur le salarié. C'est à lui de démontrer que les agissements de son employeur sont d'une telle gravité que l'exécution du contrat de travail est devenue impossible. En principe, le doute ne lui profite pas. Par trois arrêts du 26 mars dernier, la Cour de cassation a renforcé son contrôle sur les motifs invoqués par le salarié à l'appui de sa prise d'acte, en écartant ceux qui, anciens, n'ont pas conduit à l'interruption immédiate du contrat de travail. Il ne semble donc plus possible de faire valoir des faits trop éloignés dans le temps, de plusieurs mois, voire de plusieurs années, pour justifier cette rupture. De même, le bien-fondé de la prise d'acte en cas de manquement à l'obligation de sécurité de résultat a perdu son caractère automatique.

La prise d'acte de rupture existe donc bien dans notre droit, cette proposition de loi ne crée pas de nouveau droit. Mais il faut bien voir que les salariés contraints de recourir à cette procédure doivent attendre que le conseil de prud'hommes statue sur ses effets, voire que les voies de recours (devant la cour d'appel, puis éventuellement la Cour de cassation) soient épuisées. Or chacun d'entre nous connait la longueur d'une procédure prud'homale: en moyenne, un jugement est rendu en 13,7 mois, mais en plus de 25 mois lorsque le départage est nécessaire. Comme 58 % des décisions font l'objet d'un appel, la procédure peut être prolongée d'un an, voire deux ans devant la cour d'appel de Paris.

Dans ce contexte, cette proposition de loi vise à accélérer le traitement de ce contentieux devant le conseil de prud'hommes en transposant à la prise d'acte une procédure qui existe déjà pour la requalification d'un CDD en CDI et qui, très prochainement, sera applicable aux demandes de requalification d'une convention de stage en contrat de travail. Son article unique prévoit qu'en cas de prise d'acte, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes devra statuer dans un délai d'un mois.

La suppression de la phase de conciliation est aisément compréhensible. La prise d'acte est en effet la traduction d'un désaccord irréconciliable entre le salarié et son employeur et d'un comportement en contradiction avec les principes fondamentaux de la relation de travail. Par ailleurs, le taux de conciliations dans le contentieux prud'homal a chuté à moins de 10 % : elles sont trop souvent détournées de leur objectif pour ralentir l'instance.

Il est donc dans l'intérêt du salarié mais aussi de l'employeur soumis, lui, à de fortes incertitudes, notamment financières, tant qu'un jugement n'a pas été rendu, de prévoir la résolution de ce différend grave dans les meilleurs délais. Interrogées, les organisations représentatives des salariés apportent leur soutien à ce texte, tout en déplorant le manque de moyens alloués aux juridictions prud'homales. Les organisations représentatives des employeurs m'ont fait part de leur opposition en raison de leur soutien à la phase de conciliation et de leur opposition au principe même de la prise d'acte. Mais force est de constater que celle-ci existe dans notre droit.

Il n'est pas ici question de débattre de l'organisation des conseils de prud'hommes ou des moyens dont ils disposent : le moment viendra peut-être lorsque nous examinerons la réforme du mode de désignation des conseillers prud'homaux. Cette proposition de loi ne vise pas à y apporter une réponse, qui doit s'inscrire dans le cadre d'une réflexion plus générale. Elle apporte un aménagement procédural spécifique qui me semble bienvenu dans des cas où, malheureusement, le comportement imputé à l'employeur par le salarié ne permet pas à ce dernier de continuer à exécuter son contrat de travail. Je vous invite donc à adopter ce texte sans modification.

Mme Muguette Dini . - Combien de cas par an seraient concernés ?

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - Je n'ai pas en ma possession de statistiques suffisamment précises pour vous répondre.

M. Jean Desessard . - Je m'abstiendrai sur ce texte, car si je trouve intéressant d'accélérer la procédure prud'homale comme le prévoit la proposition de loi je suis opposé à la logique de segmentation à laquelle elle répond. Le problème plus large vient du fait que Pôle emploi n'indemnise pas la très grande majorité des démissions. Elles devraient être prises en compte, notamment lorsqu'on suit son conjoint, ou dans les nombreuses situations personnelles qui peuvent pousser à abandonner un emploi. Le fait que les démissions « légitimes » selon Pôle emploi soient conditionnées au dépôt d'une plainte crée des situations difficiles dans les entreprises, par exemple en cas de harcèlement où les collègues peuvent être amenés à témoigner. Cela ne devrait pas être un prérequis.

Le choix des partenaires sociaux de faire dépendre l'indemnisation du chômage de la perte involontaire d'un emploi n'est pas satisfaisant. Cette proposition de loi traite d'un sujet qui se situe en marge de cette question. De même, il existe de nombreux cas où les salariés sont contraints d'enfreindre la réglementation en raison des méthodes de production imposées par l'employeur. Ils devraient bien sûr porter plainte, mais ce n'est pas un choix facile. Ils devraient pouvoir quitter l'entreprise de leur propre initiative et bénéficier de l'assurance chômage. Je vais donc réfléchir à l'opportunité de présenter des amendements à ce texte qui, s'il va dans le bon sens, me semble trop restreint.

M. Jacky Le Menn . - Je suis pragmatique : cette proposition de loi constitue un aménagement de procédure spécifique, qui peut améliorer la situation, notamment des salariés. Saisissons-nous en ! Ce n'est pas insulter l'avenir que de soutenir ce texte, je suis en total accord avec le rapporteur.

Mme Isabelle Debré . - L'objectif de cette proposition de loi est de réduire les délais de l'instance prud'homale : c'est un objectif louable. Mais il conduit à ignorer ses conséquences sur l'organisation des conseils de prud'hommes. Est-ce réaliste et réalisable, sachant que nous manquons cruellement de conseillers prud'homaux ?

La suppression de la phase de conciliation occulte les possibilités de règlement du conflit et place l'employeur devant le fait accompli. La prise d'acte risque d'être détournée par des salariés désireux de quitter rapidement leur entreprise, sans préavis, par exemple pour occuper un autre poste. Ce texte ne précise pas comment lutter contre ce risque. Il faudrait a minima réserver cette procédure accélérée aux cas les plus urgents, ce qui permettrait de garantir la réactivité du juge prud'homal. L'objectif de la proposition de loi est certes louable, mais est-il réalisable ? Face à cette interrogation, le groupe UMP s'abstiendra.

M. René-Paul Savary . - Ouvrir l'indemnisation du chômage à la suite d'une démission inciterait davantage de salariés à se tourner vers cette modalité de rupture du contrat de travail dès la première difficulté dans l'entreprise, ce qui supposerait que la portabilité des droits au chômage tout au long de la carrière soit instituée. C'est un point dont il faudrait examiner les détails.

Par ailleurs, quel pourrait être l'impact de la pénibilité sur le recours à la prise d'acte ? La mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité s'annonce très complexe, et ne va-t-on pas voir un nombre accru de salariés juger leur travail pénible, au-delà des critères qui seront fixés, et prendre acte de la rupture de leur contrat de travail pour ce motif ?

M. Yves Daudigny . - Je partage parfaitement le point de vue de Jacky Le Menn. Cette proposition de loi constitue une bonne illustration de l'intérêt du travail parlementaire, qui permet d'apporter une solution simple à un problème de procédure ; elle recueille donc mon soutien.

M. Gérard Longuet . - Je suis d'accord avec Isabelle Debré, car en l'absence de données sur le nombre de prises d'acte aujourd'hui, il est à craindre que de nombreux salariés seront tentés demain d'utiliser la procédure prévue par cette proposition de loi pour accélérer le traitement de leur recours et doubler dans la file d'attente.

Deux cas de figure se présentent pour la prise d'acte. En cas de non-paiement de salaire ou d'acte délictuel, le salarié en tire les conséquences et décide unilatéralement de rompre son contrat : il importe alors que la justice statue dans les meilleurs délais. Mais le plus vraisemblable est qu'un salarié ayant une autre opportunité d'emploi ait recours à la prise d'acte pour changer d'employeur sans respecter les obligations issues de son contrat de travail, comme le préavis ou, le cas échéant, la clause de non-concurrence. Il ne faudrait pas que ces situations soient traitées prioritairement par rapport au contentieux du travail de droit commun, car cela aboutirait à un détournement de la prise d'acte, qui est elle-même légitime.

Mme Muguette Dini . - Le groupe UDI-UC soutient cette proposition de loi car elle simplifie et accélère une procédure qui, pour les salariés comme pour les employeurs, est extrêmement stressante. Réduire les délais de toutes les instances prud'homales serait idéal, mais contentons-nous déjà de cette avancée, d'autant que le nombre de prises d'acte a dû diminuer avec le développement de la rupture conventionnelle. Il est toujours dans l'intérêt de l'employeur d'accepter la rupture conventionnelle plutôt que de rechercher le conflit, qui est la traduction de situations devenues insupportables.

Mme Annie David, présidente . - Cette proposition de loi n'a pas la prétention de réorganiser le droit des salariés dans l'entreprise. Elle permettra d'accélérer une procédure déjà existante et qui permet à des salariés de rompre leur contrat de travail et de bénéficier de l'assurance chômage lorsque le juge estime que les faits invoqués le justifient. Dans ces conditions, les abus sont forcément limités en raison des risques qui pèsent sur les salariés.

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - J'ai accepté d'être rapporteur de cette proposition de loi car elle permet de résoudre des situations dramatiques, en particulier pour des salariés mais aussi pour des employeurs, qui font face à des procédures de plusieurs années qui les plongent dans la précarité.

Pour répondre à Jean Desessard, il y a des cas de démissions qui sont considérés comme légitimes par Pôle emploi et qui ouvrent donc droit à l'assurance chômage.

Cette proposition de loi ne résout pas l'ensemble des problèmes qui peuvent se poser lors d'une procédure devant les prud'hommes : elle n'en a pas l'ambition. Elle vise à régler un problème pratique qui, bien que je ne dispose pas de statistiques précises, ne doit pas concerner plus de quelques milliers de recours par an. La conciliation aboutit dans moins de 10 % des affaires aujourd'hui, alors que le salarié court un énorme risque avec la prise d'acte. C'est à lui d'apporter la preuve des faits qu'il impute à son employeur, et le doute ne lui profite pas. De récents arrêts de la Cour de cassation ont débouté d'anciens salariés, qui ont donc perdu toute chance d'être indemnisés.

La CFDT, que j'avais consultée, est favorable au texte mais souligne qu'il a pour conséquence de faire passer certains dossiers avant d'autres, qui vont donc être jugés dans un délai plus long. Cela renvoie à la question de l'adéquation du nombre de conseillers prud'homaux et des moyens des conseils de prud'hommes à leur mission, qui dépasse très largement le cadre de nos travaux.

Cette proposition de loi règle un problème très ponctuel, mais présente un intérêt manifeste pour quelques milliers de personnes.

Mme Isabelle Debré . - Connaître leur nombre précis ferait une réelle différence, car il serait possible d'évaluer la capacité des conseils de prud'hommes à respecter les délais imposés par cette nouvelle procédure.

M. Gilbert Barbier, rapporteur . - Les prud'hommes jugent environ 200 000 affaires par an : la prise d'acte ne doit pas en représenter plus de quelques pourcents, mais je n'ai pas de chiffre précis à vous donner.

Le détournement de la prise d'acte constitue, pour le salarié, un risque très élevé car s'il ne l'étaye pas par des faits concrets, sa rupture produira les effets d'une démission. Ce n'est donc pas la solution idéale pour quitter son emploi.

J'insiste sur la modestie de cette proposition de loi : mon expérience parlementaire m'a fait réaliser que c'est en progressant par petites touches qu'on parvient à accélérer les choses dans de nombreux domaines.

Quant à la pénibilité, elle est connue au moment de la signature du contrat de travail, car le salarié doit connaître ses conditions d'emploi. Ce n'est donc pas un motif qui me semble pouvoir être invoqué à l'appui d'une prise d'acte, qui vient sanctionner le non-respect du contrat de travail. Je ne peux toutefois pas prédire si, à l'avenir, la situation pourra être amenée à évoluer.

Je souhaite donc que cette proposition de loi soit adoptée dans les délais les plus brefs et, au vu de sa simplicité, sans que des modifications y soient apportées.

Mme Catherine Deroche . - Si cette proposition de loi permet d'accélérer le traitement d'un nombre limité de recours, sans que cette surcharge ne vienne désorganiser les conseils de prud'hommes, je la voterai. J'aimerais néanmoins avoir au moins un ordre de grandeur du nombre d'affaires concernées.

M. Jean Desessard . - Je ne suis pas convaincu que la politique des petits pas soit toujours la réponse, notamment dans le domaine social, sans résoudre le problème global. Cela peut entretenir un climat malsain et créer des effets pervers, suscitant des frustrations et aboutissant à des situations politiques graves, comme on en a connu ces derniers temps.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

ANNEXES -
POSITION DES PARTENAIRES SOCIAUX SUR LA PROPOSITION DE LOI

__________

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* 1 Article L. 1221-2 du code du travail.

* 2 Article 1182 du code civil : « Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns les autres ».

* 3 En application de l'article L. 1221-1 du code du travail.

* 4 C'est-à-dire pour « un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail [...] » (article L. 1233-3 du code du travail).

* 5 Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, art. 5.

* 6 Cour de cassation, Soc. 20 janvier 1998, n° 95-43.350.

* 7 Cour de cassation, Soc. 25 juin 2003, n os 01-42.335 ; 01-42.679 ; 01-43.578.

* 8 Cour de cassation, Soc. 30 juin 2010, n° 09-41.456.

* 9 Cour de cassation, Soc. 29 juin 2005, n° 03-42.804.

* 10 Cour de cassation, Soc. 9 octobre 2013, n° 11-24.457.

* 11 Cour de cassation, Soc. 4 avril 2007, n° 05-42.847.

* 12 Cour de cassation, Soc. 2 juin 2010, n° 09-40.215.

* 13 Cour de cassation, Soc. 30 mars 2010, n° 08-44.236.

* 14 Cour de cassation, Soc. 5 mai 2010, n° 07-45.409.

* 15 Cour de cassation, Soc. 6 juillet 2004, n° 02-42.642.

* 16 Cour de cassation, Soc. 29 juin 2005, n° 03-44.412.

* 17 Cour de cassation, Soc. 25 juin 2003, n° 01-41.150.

* 18 Cour de cassation, Soc. 4 juin 2008, n° 06-45.757.

* 19 Cour de cassation, Soc. 19 décembre 2007, n° 06-44.754.

* 20 Cour de cassation, Soc. 12 janvier 2011, n° 09-70.838.

* 21 Cour de cassation, Soc. 26 mars 2014, n° 12-23.634.

* 22 Cour de cassation, Soc. 26 mars 2014, n° 12-35.040.

* 23 « Une relégitimation nécessaire de la (vraie) prise d'acte », Jean-Emmanuel Ray, Droit social, 2014, p. 397.

* 24 Ibid.

* 25 Source : Les chiffres clés de la justice 2013, ministère de la justice.

* 26 Article L. 1245-2 du code du travail.

* 27 Article L. 1251-41 du code du travail.

* 28 Après l'adoption définitive par le Parlement de la proposition de loi relative au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires, qui insère à cet effet un article L. 1454-5 nouveau dans le code du travail.

* 29 Qui figurent en annexe du présent rapport.

* 30 Article L. 1245-2 du code du travail.

* 31 Article L. 1251-41 du code du travail.

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