Rapport n° 139 (2013-2014) de M. Yves POZZO di BORGO , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 13 novembre 2013

Disponible au format PDF (1,1 Moctet)


N° 139

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , autorisant l' approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l' exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon - Turin ,

Par M. Yves POZZO di BORGO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; M. Pierre André, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Luc Carvounas, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava, André Vallini .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

459 , 1475 , 1496 et T.A. 230

Sénat :

115 et 140 (2013-2014)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'accord qui est soumis aujourd'hui à l'approbation du Sénat est un projet ambitieux.

Il marque une étape décisive pour un projet d'infrastructure majeur mis à l'étude depuis plus d'une quinzaine d'années par les gouvernements français et italien : la construction d'une liaison ferroviaire nouvelle entre Lyon et Turin. Une large partie de l'itinéraire sera vouée non seulement aux trains de voyageurs, mais également au trafic de marchandises, notamment par ferroutage.

Il s'agit, par cette liaison nouvelle, de répondre aux besoins générés par le trafic entre les deux pays en rééquilibrant sa répartition au profit du mode ferroviaire, aujourd'hui très insuffisamment développé. Les accidents survenus dans les tunnels routiers du Mont-Blanc, en mars 1999, du Gothard, en octobre 2001, et du Fréjus en juin 2005, ont mis en lumière l'acuité des problèmes relatifs aux transports entre l'Italie et le reste de l'Europe au travers des Alpes, et l'urgence de solutions adaptées pour satisfaire aux besoins de transport, tout en satisfaisant aux exigences de sécurité et d'environnement.

L'enjeu du projet Lyon-Turin est donc considérable et dépasse largement les seules relations entre la France et l'Italie, ce qui lui a valu d'être retenu, lors du Conseil européen d'Essen, en 1994, parmi les 14 grands projets d'infrastructures prioritaires. Aujourd'hui, ce projet est toujours considéré comme un maillon essentiel du réseau européen de transport.

I. LA LIGNE FERROVIAIRE LYON-TURIN : UN PROJET AMBITIEUX VISANT A RÉPONDRE À UNE SITUATION ACTUELLE NON SATISFAISANTE

A. ETAT DES LIEUX DU TRAFIC FRANCO-ITALIEN

1. Un trafic actuel principalement routier ...

Le trafic transalpin est principalement un trafic routier. En termes de fret, les chiffres sont particulièrement éloquents : 85% des tonnes de marchandises qui traversent les Alpes sont acheminées par transport routier et 15% par le ferroviaire.

Il faut dire que la ligne ferroviaire du Mont-Cenis est ancienne et inadaptée à nos systèmes de transport actuels : située à une altitude très élevée (1 300m) avec des rampes d'accès en pente forte (jusqu'à 33%o), les convois de fret ne peuvent les passer sans rajouter de locomotive supplémentaire, d'où une utilisation limitée à 17% de ses possibilités.

Les points d'accès entre la France et l'Italie sont actuellement au nombre de 5 :

- Le tunnel du Mont-Blanc ;

- Le tunnel de Fréjus ;

- Vintimille ;

- La voie ferrée du Mont-Cenis ;

- La voie ferrée côtière.

En termes de trafic de marchandises, Vintimille est le point de passage le plus important en France, et le deuxième passage alpin. Les trafics s'élèvent à 1,3 million de poids lourds en 2011 (49,2% des passages transalpins français mais 13,5% de l'ensemble des passages alpins). Les trafics correspondent à des échanges entre le sud de la France et l'Espagne d'une part et l'Italie d'autre part.

Les autres passages sont le Fréjus (0,7 million de poids lourds) et le Mont-Blanc (0,6 million de poids lourds) dont les trafics sont majoritairement locaux (c'est-à-dire entre une zone allant du sud-est de la France à l'Ile-de-France et le nord-ouest de l'Italie).

Source : rapport annuel Alpifret

2. ... qui provoque des nuisances et des risques sécuritaires

Les limites de la situation actuelle sont de deux ordres.

Tout d'abord les nuisances provoquées par le trafic. Entre 1980 et 2005, le volume total de transport de transit a plus que doublé. En 2011, comme en 2010, 2,7 millions de poids lourds ont franchi les passages franco-italiens, soit une moyenne de 7 400 camions par jour. Même si le nombre de poids lourds traversant les Alpes est resté constant ces dernières années, les conséquences sont tout de même ressenties, particulièrement en termes de nuisances sonores et de pollution. Il est urgent de désengorger les Alpes.

Après l'accident du tunnel du Mont-Blanc, des études ont été menées afin d'évaluer la qualité de l'air dans les vallées alpines. Ainsi l'initiative POVA 1 ( * ) a confirmé très largement la grande sensibilité des vallées alpines, parfois plus polluées que les grandes zones urbaines : les émissions y sont plus faibles, mais dans ces sites où la topographie et la météorologie sont parfois très pénalisantes, les niveaux de concentration peuvent localement augmenter par accumulation et une évolution en système quasi fermé.

Ensuite en termes de sécurité. Votre rapporteur rappelle que de tragiques accidents se sont produits ces dernières années : incendies dans le tunnel du Mont-Blanc, provoquant la mort de 39 personnes en 1999, et du Fréjus, faisant 2 victimes. En Suisse, l'accident du tunnel du Gothard a coûté la vie à 11 personnes.

Il est nécessaire de sécuriser les déplacements sur l'arc alpin, dont la vulnérabilité est importante.

B. GENÈSE DU PROJET

1. Deux accords ont déjà été signés

L'idée de créer une nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin n'est pas récente. Dès les années 1990, des études ont été menées et deux accords ont été signés entre la France et l'Italie.

Ainsi, le 15 janvier 1996, un premier accord a été signé entre les deux pays. Celui-ci a en particulier mis en place une conférence intergouvernementale, chargée de l'ensemble des questions liées à la préparation de la réalisation de la section internationale.

Celle-ci a réalisé des premières études de faisabilité, qui ont abouti, lors du sommet franco-italien du 29 janvier 2001, à la signature d'un nouvel accord arrêtant les principales caractéristiques du projet. Cet accord ne portait que sur la partie internationale du projet Lyon-Turin et sur la première phase de sa réalisation, essentiellement consacré aux études et travaux préliminaires. Cette charge est confiée à un promoteur commun créé par l'accord, « Lyon Turin ferroviaire ». À ce titre, sous l'autorité de la commission intergouvernementale et conformément au programme approuvé, il est responsable des études d'avant-projet et de la conduite des travaux de reconnaissance de la partie commune franco-italienne de cette liaison. À l'issue de cette phase d'études et de reconnaissances, il proposera à la commission intergouvernementale la consistance définitive des ouvrages de la ligne nouvelle, leur localisation, l'enveloppe financière prévisionnelle et leurs modalités de réalisation.

Trois galeries de reconnaissance (descenderies) ont ainsi pu être creusées côté français, à Modane, La Praz et Saint-Martin-La-Porte, qui représentent environ 9 kilomètres de tunnels. Les mêmes travaux ont commencé côté italien, pour la galerie de La Maddalena, fin 2012, qui sera une descenderie horizontale. Rappelons que ces descenderies ont plusieurs fonctions : outre la reconnaissance du terrain, elles permettront aussi le creusement du tunnel, sa ventilation, et serviront d'issues de secours.

2. La préparation du présent accord

En décembre 2007, la conférence intergouvernementale a été chargée de préparer un nouvel accord portant en particulier sur des questions pratiques : tracé, financement, gouvernance, modalités de réalisation, politiques de report modal et création d'un nouvel opérateur appelé à succéder à « Lyon Turin ferroviaire ».

Cette négociation a été confiée à un groupe de négociation binational. Celui-ci a mené ses travaux entre janvier 2008 et décembre 2011. Le projet, présenté à la conférence intergouvernementale lors de la réunion du 20 décembre 2011, a été approuvé. L'accord a ensuite été signé à Rome le 30 janvier 2012.

Outre la gouvernance, ce sont aussi les clés de financement et les modalités de report modal qui ont été contractualisées.

C. UN PROJET MIXTE PASSAGERS-FRET QUI S'INSCRIT DANS L'OBJECTIF D'UN RÉSEAU EUROPEEN DE TRANSPORT

1. Une ligne répondant aux objectifs du réseau européen de transport

Le réseau transeuropéen de transport (programme TEN-T) vise à concrétiser deux grands objectifs de l'Union européenne : le bon fonctionnement du marché intérieur et le renforcement de la cohésion économique et sociale.

Pour ce faire, divers objectifs spécifiques devront être mis en oeuvre : la mobilité durable des personnes et des marchandises dans toute l'UE ; une infrastructure de haute qualité ; une couverture efficace de l'ensemble du territoire de l'UE, qui relie les régions insulaires, enclavées et périphériques aux régions centrales et qui relie entre elles les grandes agglomérations et régions de l'UE ; l'interopérabilité et l'intermodalité à l'intérieur des différents modes de transport et entre ceux-ci ; l'utilisation optimale des capacités existantes ; la viabilité financière du réseau ; et enfin la connexion du réseau aux pays membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE), les pays d'Europe centrale et orientale et les pays méditerranéens.

Ainsi, des projets prioritaires ont été définis par la Commission européenne. Ceux-ci sont des projets européens d'intérêt commun qui :

- visent à résorber un goulet d'étranglement ou à compléter un chaînon manquant sur un axe majeur du réseau transeuropéen ;

- sont d'une dimension telle qu'une planification à long terme au niveau européen apporte une valeur ajoutée importante ;

- présentent des avantages socio-économiques potentiels ;

- améliorent de manière significative la mobilité des personnes et des marchandises entre les pays de l'UE ;

- contribuent à la cohésion territoriale de l'Union en intégrant les réseaux des nouveaux pays de l'UE ;

- contribuent au développement durable des transports.

Ces "corridors" doivent quadriller l'Europe du nord au sud et d'ouest en est. Ils seront connectés entre eux et engloberont 94 ports et 38 aéroports. Au final, ce sont 15 000 kilomètres de voies ferrées à grande vitesse qui seront créées, et 35 projets d'infrastructures transfrontaliers qui seront développés.

Source : la Transalpine

La nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin s'intègre donc dans un projet beaucoup plus large de corridor méditerranéen allant d'Algésiras à la frontière orientale de l'Union européenne.

Le projet de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin répond aux objectifs du réseau européen de transports, ainsi que l'a rappelé le Commissaire européen M. Siim Kallas lors du sommet de Tallinn en octobre 2013. Ce dernier a également engagé les États à « faire leur part », sous peine de mettre en péril la totalité du projet.

2. Un tracé et une réalisation en plusieurs étapes

Le projet de la ligne ferroviaire Lyon-Turin sera une ligne mixte passagers et fret.

La ligne ferroviaire actuelle, ancienne et mal adaptée à nos modes de transport modernes, a été modernisée. Les travaux de rénovation ont permis de faire passer sa capacité à 20 millions de tonnes de marchandises par an.

Néanmoins, malgré les travaux accomplis, elle n'est toujours pas à même de supporter un transfert de la route vers le ferroviaire, du fait de contraintes telles que son altitude et les pentes des rampes d'accès. Le tracé et la construction d'une nouvelle ligne sont donc incontournables.

La longueur totale de ligne nouvelle entre Lyon et Turin est d'environ 269 kilomètres dont 193 kilomètres en tunnels et 76 kilomètres à l'air libre. Cette ligne sera divisée en trois tronçons :

- Un accès français entre Lyon et St Jean de Maurienne, d'une longueur de 140 kilomètres ;

- Une section transfrontalière entre St Jean de Maurienne et Suse/Bussoleno, de 64 kilomètres ;

- Un accès italien entre Suse/Bussoleno et Turin, d'une longueur de 65 kilomètres.

Pour les accès français, les deux premières phases (respectivement entre Lyon et Chambéry et entre Avressieux et Saint-Jean-de-Maurienne) ont fait l'objet d'une enquête publique qui s'est déroulée début 2012. La commission d'enquête a rendu un avis favorable assorti de 3 réserves et le décret de déclaration d'utilité publique a été publié le 23 août 2013.

Source : la Transalpine

Outre le tunnel, plusieurs ouvrages d'art devront être construits le long du tracé de la ligne, dont 6 viaducs et 8 tunnels de plusieurs kilomètres.

Ces travaux et projets, outre les gains en termes d'aménagement du territoire, sont pourvoyeurs d'emplois dans la région. Déjà, sur la période 2002-2010, pour les constructions des descenderies, ce sont environ 400 emplois directs qui ont été générés. La réalisation de la section internationale du Lyon-Turin, côté français, génèrera sur les 5 années de pleine activité du chantier plus de 2 000 emplois directs. En pic d'activité, il pourrait même atteindre 2 800 emplois. À cela il faut ajouter les chantiers des accès français, qui nécessiteront également une main d'oeuvre importante.

Source : projet de loi

Plusieurs types de trains circuleront. Ainsi, sur la ligne nouvelle construite en première phase des accès français (Lyon - Chambéry), des trains de voyageurs (TGV et TER) pourront circuler jusqu'à une vitesse de 220 km/h et les trains de fret et d'autoroute ferroviaire jusqu'à une vitesse de 120 km/h. Sur la ligne construite en seconde phase des accès français (Avressieux - Saint-Jean-de-Maurienne), seuls des trains de fret d'autoroute ferroviaire pourront circuler jusqu'à une vitesse de 120 km/h.

Sur la section transfrontalière, les trains de voyageurs pourront rouler jusqu'à une vitesse de 220 km/h et les trains de fret et d'autoroute ferroviaire jusqu'à 120 km/h.

Sur l'itinéraire d'accès italien au tunnel transfrontalier, les trains de voyageurs pourront circuler à une vitesse de 220km/h et les trains de fret et d'autoroute ferroviaire à 120km/h.

À terme, les temps de transport seront donc considérablement réduits : Paris-Milan se fera en 4h contre près de 7h aujourd'hui .

Sur le plan du report modal, les deux États se sont engagés à le promouvoir par une politique conjointe (hausse ciblée des péages routiers, horaires de circulation, marchandises transportées, interdictions de certains poids lourds dans les tunnels, mise en oeuvre des dispositions prévues par la directive Eurovignette, ...). Lyon-Turin ferroviaire estime à près de 40 millions de tonnes les marchandises transférables d'ici 2035. La part du marché ferroviaire sur l'axe passerait de 15% aujourd'hui à près de 45%.

Rappelons que l'autoroute ferroviaire alpine (AFA), lancée en 2003, offre aujourd'hui 4 à 5 navettes quotidiennes entre le terminal ferroviaire d'Aiton près de Chambéry en Savoie, et celui d'Orbassano dans le Piémont près de Turin. Ces navettes sont composées de 11 wagons portant chacun 2 poids lourds. En moyenne, moins de 30 000 poids lourds sont ainsi transportés chaque année. La mise en place de la nouvelle ligne ferroviaire permettra d'augmenter significativement le nombre de poids lourds empruntant l'AFA. Les estimations font état de 700 000 poids lourds ainsi transportés à l'horizon 2035 grâce à la mise en place de la nouvelle ligne ferroviaire.

II. LES DISPOSITIONS DE L'ACCORD DU 30 JANVIER 2012

Composé de 7 titres, 28 articles, et trois annexes, cet accord, principalement technique, met en place les outils permettant au projet de franchir une nouvelle étape. Il ne s'agit néanmoins pas d'un accord enclenchant les travaux 2 ( * ) .

A. LA CRÉATION D'OPÉRATEURS DÉDIÉS

1. Un nouveau promoteur public

Élément central de ce nouvel accord, un promoteur public est créé par l'article 6 . Celui-ci sera chargé de la conduite stratégique et opérationnelle de la partie transfrontalière du projet. En effet, pour la réalisation de l'ouvrage, qui représente un investissement particulièrement important, les gouvernements français et italien ont souhaité renforcer la gouvernance du projet et notamment s'assurer que, tout en disposant d'une autonomie suffisante pour la conduite opérationnelle de l'opération, le nouveau promoteur soit directement contrôlé par les États.

Ainsi, le directeur général et le directeur administratif et financier seront nommés par la partie italienne, tandis que le président du conseil d'administration, le président de la commission des contrats et le président du service permanent de contrôle seront nommés par la partie française. Un représentant de la Commission européenne assiste aux séances du conseil d'administration mais ne peut prendre part au vote. De même, des représentants des régions Piémont et Rhône-Alpes peuvent assister aux séances mais ne sont pas non plus dotés du droit de vote.

Ce promoteur aura une double base géographique : son siège est à Chambéry, où sont situés au moins la moitié des effectifs, tandis que sa direction opérationnelle est à Turin.

L'article 6 rappelle également deux principes que le promoteur public sera tenu de suivre :

- Les directives européennes 2004/17/CE, 89/665/CE et 2007/66/CE dans la passation et l'exécution des contrats. Le droit communautaire prime, et toute norme nationale contraire ou incompatible à celui-ci devient, de fait, inapplicable :

- La « démarche Grand Chantier », pour la France, ainsi que son équivalent italien, la loi de la région Piémont « Promozione di inteventi a favore dei territori interessati dalla realizzazione di grandi infrastrutture. Cantieri Sviluppo Territorio. ». Rappelons que la « démarche Grand Chantier » est un ensemble de réflexions, de dispositifs et d'actions destinés à préparer l'arrivée des chantiers sur le territoire, accompagner leur déroulement, valoriser les opportunités offertes à cette occasion pour le développement et la qualité des territoires, notamment dans le cadre de projets de développement local, et préparer, à beaucoup plus long terme, l'après chantier. La loi de la région Piémont, adoptée en avril 2011, a été directement inspirée par la « démarche Grand Chantier » française et poursuit des objectifs analogues.

La création effective du promoteur public devrait intervenir dans les meilleurs délais après la ratification du présent accord par les deux parties.

2. Des commissions spécialisées
a) La commission des contrats

L'article 7 instaure une commission des contrats, au sein du promoteur public, chargée de contrôler la régularité et la transparence des procédures d'attribution des contrats et marchés. En particulier, les principaux contrats que la Commission des contrats sera amenée à examiner concerneront d'une part les travaux de génie civil, notamment pour la réalisation des deux tubes du tunnel, à partir des extrémités de l'ouvrage et des descenderies qui ont été réalisées, d'autre part l'équipement de l'ouvrage (pose des voies, caténaires, alimentation électrique, radio, ...). D'autres contrats pourront concerner l'ingénierie, notamment l'assistance à la maîtrise d'ouvrage.

Elle sera composée de 12 experts indépendants nommés pour moitié par chaque État. Ils devront posséder des compétences en ce qui concerne les aspects techniques, juridiques, économiques et financiers de la passation et de l'exécution des contrats, en particulier, au moins pour une partie d'entre eux, dans le domaine des grands travaux de génie civil. Le Président de la commission, nommé par la partie française, a voix prépondérante.

En termes de procédure, une commission d'évaluation est nommée après réception des offres, qui a pour but de formuler son avis sur celles-ci. Le directeur général ne peut passer outre un avis défavorable de la commission que si et seulement si une majorité qualifiée, au sein du conseil d'administration, le lui permet.

b) Le service permanent de contrôle

L'article 8 crée un service permanent de contrôle. Celui-ci aura une double mission : veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur public.

Composé de douze experts nommés à parité par chaque État, le service permanent de contrôle dispose de pouvoirs d'investigation et rend compte de l'activité du promoteur public. Il peut être saisi par le conseil d'administration du promoteur public, y compris le représentant de la Commission européenne, par l'une des parties signataires, par le directeur général ainsi que par le président de la commission des contrats. Il peut aussi s'autosaisir.

Cette création s'inspire de ce qui existe au niveau national, en particulier des attributions de la Mission de contrôle économique et financier des Transports.

c) Les autres organismes

Le présent accord renforce également la commission intergouvernementale instaurée par le premier accord de 1996. Rappelons que cette commission a des compétences en matière d'avis et de recommandations aux Gouvernements sur cette opération et sur la gestion de la ligne historique, d'information des collectivités, de coordination des procédures, acteurs et normes applicables. Enfin, elle est chargée d'élaborer le projet d'avenant prévu à l'article 4 de l'accord de 2001, lequel sera le point de départ des travaux.

La commission intergouvernementale pour le Lyon-Turin est actuellement présidée par M. Louis Besson pour la partie française et M. Mario Virano pour la partie italienne.

Au sein de cette commission sont placés deux comités :

- Un comité de sécurité, chargé de toutes les questions afférentes à la sécurité civile, aux secours, et à la sécurité des infrastructures et des circulations ferroviaires ;

- Un comité de sûreté, chargé d'émettre des avis et propositions, et d'être l'interlocuteur privilégié des intervenants dans le domaine de la sûreté, d'instruire les documents relatifs à ce même sujet et d'organiser les contrôles nécessaires.

B. LE FINANCEMENT DU PROJET

1. Un coût non négligeable pour les deux parties ...

Le programme du Lyon - Turin est constitué de trois principales parties déjà présentées par votre rapporteur.

Rappelons que l'accord soumis à votre approbation couvre la section transfrontalière du projet et son financement, soit au total 8,5 milliards d'euros (valeur 2010), et non les accès français comme italiens. Néanmoins, il semble nécessaire à votre rapporteur de vous présenter une vision globale du projet et des coûts s'y rapportant.

Les coûts des accès français ont été établis au stade de l'avant-projet sommaire et sont issus du dossier d'enquête publique des deux premières phases. Le coût de la section transfrontalière est établi sur la base du dossier de projet et doit faire l'objet d'une certification des coûts, selon l'Accord de Rome du 30 janvier 2012. L'ensemble des opérations actuellement déclarées d'utilité publique permet la réalisation d'un aménagement fonctionnel côté français.

De manière à permettre une comparaison avec le coût de la section transfrontalière, exprimé en date de valeur 2010 dans l'Accord de Rome du 30 janvier 2012, les coûts ont été actualisés en date de valeur 2010 :

Opérations côté français déclarées d'utilité publique

Coût (M€ CE 2010)

Section du contournement ferroviaire de Lyon nord nécessaire à la réalisation du Lyon-Turin

400

Phase 1 des accès français (Grenay-Chambéry)

4 400

Phase 2 des accès français (1 er tube sous Chartreuse et Belledonne/Glandon)

3 000

Total

7 800

Le coût de la section transfrontalière, quant à lui, est estimé à 8,5 milliards d'euros , financés par l'Union européenne, l'Italie et la France. La part de la France devrait s'élever à environ 2 milliards ( cf. infra ).

Le financement du projet en Italie

Sous l'impulsion de Mario Monti et de son ministre du développement économique, Corrado Passera, le projet Lyon-Turin a été inclus dans la liste des sept infrastructures dont la réalisation est jugée indispensable pour l'économie italienne. À ce titre, fin 2012, 840 millions d'euros ont été inscrits, pour la période 2013-2015, dans la loi de finances italienne, permettant ainsi de provisionner la totalité des études, des projets, des activités et des travaux préliminaires (60 M€ pour l'année 2013, 100 M€ pour l'année 2014, 680 M€ pour l'année 2015, et de 150 M€ par an de 2016 et ce jusqu'en 2029).

La clé de financement entre la France et l'Italie, prévue à l'article 18 du présent accord, précise que déduction faite de la participation de l'Union européenne et de la part financée par les péages, la France financera 42,1% de la première phase et l'Italie 57,9%.

Votre rapporteur souligne que si les chiffres annoncés semblent importants, ce n'est en réalité pas le cas puisque ces financements se feront sur plusieurs dizaines d'années. Il convient, sur ce genre de projet, de raisonner en termes de recettes et non en termes de dépenses !

Néanmoins, votre rapporteur engage les deux parties à réfléchir sur des possibilités de financement innovantes, comme des partenariats public-privé, ou des fonds d'investissement. Il propose, à l'instar des connaisseurs du projet, qu'un groupe de travail examine cette possibilité et puisse faire des suggestions et des études sur les financements ouverts.

C'est également une idée retenue par la Commission européenne, qui a invité la France et l'Italie à explorer ensemble toutes les hypothèses de financement : financements croisés, nouveaux instruments financiers, recours à la Banque européenne d'investissement (BEI) dont le rôle a été renforcé ou encore partenariats avec des financiers privés.

2. ... pour lequel il conviendra de faire appel à l'Union européenne

Afin d'atteindre l'objectif d'un réseau européen de transport moderne et interconnecté, l'Union européenne a décidé de consacrer, dans le cadre de son programme ?TEN-T, 26 milliards d'euros sur la période 2014-2020, c'est-à-dire trois fois plus que sur la période précédente .

Le 17 octobre dernier, le commissaire européen chargé des transports, M. Siim Kallas, a rappelé l'importance de ce dossier, le soutien plein et entier de la Commission européenne à la nouvelle ligne ferroviaire et la nécessité, pour les États, de mettre en oeuvre concrètement ces projets. Ainsi, afin d'accélérer les grands projets transfrontaliers , l'Union européenne participera au financement jusqu'à hauteur de 40%.

Rappelons que le projet de nouvelle ligne ferroviaire entre dans la catégorie des projets soutenus par l'Europe et donc pourra bénéficier de ce co-financement. Cela réduira substantiellement la part afférente aux États dans le financement du projet. Compte-tenu de la clé de répartition des coûts entre la France et l'Italie, la part effective sera la suivante :

- Coût total de la section transfrontalière : 8,5 milliards d'euros

Dont financement de l'Union européenne (40%) : 3,4 milliards

Part à la charge de l'Italie (57,9%) : 2,95 milliards

Part à la charge de la France (42,1%) : 2,15 milliards

Néanmoins, ce co-financement suppose aussi le respect de certaines conditions, au premier rang desquelles la présentation d'un plan d'investissement par les deux États, que ceux-ci procèdent par appel d'offres et que la sélection du projet proposé se fasse par une évaluation externe et interne. Les deux États doivent aussi ratifier l'accord signé en 2012, et qui est aujourd'hui soumis à l'approbation du Sénat, installer le nouveau promoteur et mettre à disposition les fonds nécessaires pour que les travaux de la descenderie de Saint-Martin-La-Porte puissent être lancés au début de 2014.

Il est donc nécessaire d'engager dès à présent la prochaine étape, votre rapporteur reviendra sur ce point.

C. LES AUTRES DISPOSITIONS DE L'ACCORD

1. Le droit applicable

Le droit applicable au promoteur pour la passation et l'exécution des contrats et marchés est le droit public français , à l'exception des contrats sans lien direct avec la conception, la réalisation ou l'exploitation des ouvrages et qui sont entièrement réalisés sur le territoire italien, et soumis au droit italien.

Concernant les litiges portant sur l'interprétation et l'exécution des contrats passés par le promoteur public ayant directement pour objet la construction, l'installation des équipements ou l'exploitation des ouvrages de la section transfrontalière, ceux-ci sont soumis au tribunal arbitral prévu par l'article 27.

Les procédures d'autorisation en matière d'urbanisme, d'environnement, d'aménagement foncier restent soumises au droit territorialement applicable.

En matière de droit du travail, le droit applicable est celui du territoire concerné. Toutefois, par exception, les travaux de génie civil se voient appliquer le droit du pays à partir duquel les travaux ont été engagés jusqu'au diaphragme constituant le point de jonction entre les chantiers engagés de part et d'autre de la frontière.

Également par exception, les marchés d'installation des équipements sont soumis au seul droit français. Les corps d'inspection du travail sont autorisés à exécuter des missions sur l'ensemble de la section transfrontalière. Le promoteur public est chargé de faire figurer parmi les pièces des marchés et contrats les règles spécifiques en matière de santé et de sécurité au travail telles qu'elles résultent des études effectuées en prévision du chantier de construction de la section transfrontalière par les services français et italien d'inspection du travail.

Enfin, le promoteur est assujetti à la législation et à la réglementation fiscale applicable en France.

2. Les autres dispositions de l'accord
a) La conduite des études

Les études et travaux sont réalisés à parts égales entre les deux États, sauf les surcoûts liés au changement de tracé en val de Suse, intégralement pris en charge par l'Italie.

b) Les dispositions en matière d'exploitation

Les autorités nationales de sécurité restent compétentes sur leur territoire. Toutefois, elles doivent se coordonner et rendre une décision conjointe et motivée pour l'instruction des agréments de sécurité ainsi que pour l'instruction des demandes de certificats de sécurité.

Chaque gestionnaire d'infrastructure est chargé de définir sur la section qui le concerne un plan d'intervention et de sécurité cohérent avec le plan de secours binational établi par les préfets territorialement compétents et validé la conférence intergouvernementale.

Le commandement et la direction des secours sont assurés par les autorités nationales compétentes selon la localisation du sinistre. En cas d'incertitude, les secours sont engagés des deux côtés. Ces dispositions ne font pas obstacle à une action immédiate lorsque les circonstances l'exigent, le cas échéant après consultation de l'autre partie.

c) Les mesures d'accompagnement du projet

La mise en place de la nouvelle ligne ferroviaire doit s'accompagner de la mise en oeuvre de mesures volontaristes de report modal dont les principes sont énumérés en annexe 3 de l'accord. Il rappelle la nécessité de mettre ces mesures en oeuvre dans un cadre coordonné à l'échelle de l'Arc alpin.

Les deux États doivent également modifier dans un délai de deux ans la convention du 29 janvier 1951 relative aux gares internationales de Modane et Vintimille et aux sections de chemin de fer comprises entre ces gares, afin notamment de constituer un comité de sécurité pour le tunnel historique.

Enfin, le promoteur est compétent pour fixer les redevances d'utilisation de la section transfrontalière de la ligne nouvelle et de la ligne historique sur sa partie comprise entre les raccordements avec la ligne nouvelle. Ceci doit permettre d'assurer la cohérence de la tarification et d'éviter un effet de concurrence.

d) Les dispositions finales

Comme tout accord international, celui-ci prévoit des dispositions finales pour sa mise en oeuvre effective.

Ainsi cet accord pourra être amendé par les deux parties, en particulier pour prévoir la réalisation de prestations non expressément prévues par le présent accord.

De même, un tribunal arbitral est institué, qui connaitra du règlement des différends pouvant survenir entre les parties, ou entre le promoteur public et les parties, ou encore dans l'exécution des contrats.

Enfin, le dernier article est un article classique des conventions internationales prévoyant l'entrée en vigueur du texte. Celui-ci prendra effet le premier jour du premier mois suivant la notification de l'accomplissement des procédures législatives par toutes les parties.

III. LA NOUVELLE LIGNE FERROVIAIRE, UN ATOUT POUR L'ENRICHISSEMENT DES RELATIONS FRANCO-ITALIENNES

A. DES AVANTAGES NON NÉGLIGEABLES

1. Des relations bilatérales déjà intenses ...

La relation franco-italienne est dense, à la mesure d'une coopération entre deux grands partenaires frontaliers étroitement liés par les échanges économiques, la culture et l'histoire.

La France et l'Italie sont, l'une pour l'autre, le deuxième partenaire commercial (avec 70 milliards d'euros d'échanges en 2012, légèrement bénéficiaires pour l'Italie). L'Italie représente le premier marché pour les ventes de produits agroalimentaires français et constitue un des débouchés privilégiés pour les exportations françaises d'automobiles (12%) et de produits métallurgiques (10%).

Les investissements directs à l'étranger (IDE) accueillis en Italie proviennent pour une grande part de France (environ 1/5e du stock), la France étant le deuxième investisseur étranger dans le pays après les Pays-Bas. Les groupes français sont présents aussi bien dans la grande distribution italienne, l'énergie que les banques. En ce qui concerne l'industrie, la France est bien positionnée sur les biens d'équipement et produits intermédiaires.

Le secteur de l'énergie concentre environ 10% des investissements français. Les services représentent près des trois quarts des stocks d'IDE français en Italie, dont près de 30% pour l'assurance et les banques.

S'agissant de la présence italienne en France, on recense quelque 1 366 groupes italiens, soit plus de 2 700 établissements qui emploient plus de 100 000 salariés. Les PME et grands groupes italiens ont beaucoup investi en France dans les dernières années (entre 45 et 60 opérations par an), et ce, dans des secteurs variés : énergie, automobile, spatial, aéronautique, défense, assurances...

Ainsi, l'Italie figure au 7e rang des investisseurs en France en termes de stocks, qui s'élevaient, selon la Banque de France, à 13,3 Mds€ en 2011 : 78% des investissements italiens en France concernent le secteur tertiaire et 15% l'industrie manufacturière.

2. ... qui pourront être enrichies par l'ouverture de la ligne

La France et l'Italie ont confirmé l'intérêt stratégique de la nouvelle liaison ferroviaire entre Turin et Lyon, qui constitue une infrastructure prioritaire pour les deux pays mais aussi pour l'Union européenne. Le rééquilibrage des relations nord-sud est en effet une priorité de l'Union européenne, qui a réaffirmé le 17 octobre dernier son intérêt pour le projet.

L'essentiel de l'économie italienne se concentre dans le nord-ouest du pays, autour de Milan, véritable capitale économique du pays, de Turin et de Gênes, et se caractérise par une forte présence industrielle avec un PIB par habitant parmi les plus élevés d'Europe.

Plus qu'une liaison Lyon-Turin, votre rapporteur souligne que ce sont aussi les relations Paris-Milan qui bénéficieront de cette nouvelle ligne ferroviaire ! Deux aires économiquement fortes, le Grand Paris et la région milanaise, verront leurs relations encore progresser grâce à la mise en service de cette nouvelle ligne.

C'est également la sécurisation des voies de communication entre la France et l'Italie qui est en jeu. Les économies françaises et italiennes sont fortement intégrées, mais néanmoins dépendent de trois passages routiers et une ligne ferroviaire inadaptée, le transport de fret par avion étant marginal entre nos deux pays. Or ces axes de communication sont fragiles !

Rappelons que suite aux incendies, le tunnel du Mont-Blanc a été fermé pendant 3 ans et celui de Fréjus 2 mois.

Un trafic ferroviaire plus intense permettra de réduire la fragilité des axes et de sécuriser les échanges entre les deux pays.

D'autant plus que, les pays alpins développant des infrastructures de transport de ce type, le risque est la marginalisation des flux avec la France si nous restons à l'écart des grands axes de communication modernes. Rappelons que l'Autriche et l'Italie ont mis en place le chantier du tunnel du Brenner, et que la Suisse a mis en service le nouveau tunnel du Lötschberg et s'apprête à mettre en service le nouveau tunnel du Gothard. Au final, ces projets et infrastructures renforcent le partenariat économique entre l'Italie et l'Allemagne.

Votre rapporteur rappelle que les industries s'implantent à proximité des aires de transport ! Les enquêtes qualitatives menées auprès des acteurs économiques s'accordent à montrer que la qualité des infrastructures joue sur l'attractivité du territoire.

À terme, la mise en service de la nouvelle ligne permettra donc d'améliorer et de développer la capacité du transport de marchandises au sein de l'arc alpin, en effaçant la barrière de la chaine des Alpes, frein au développement des échanges entre la France et l'Italie.

Même s'il est impossible d'établir aujourd'hui des projections à si long terme, on peut s'attendre, au minimum, à un effet positif régional en Rhône-Alpes, comme cela avait été le cas en Nord-Pas-de-Calais avec la mise en service du tunnel sous la Manche, mais les espérances ici sont encore plus fortes.

Enfin, rappelons que la liaison Lyon-Turin est un maillon d'une chaine beaucoup plus longue allant du sud de l'Espagne à la frontière orientale de l'Union européenne. De fait, nos échanges avec les pays européens hors UE, comme l'Ukraine (qui représente aujourd'hui 1 milliard d'euros d'exportations), pourront vraisemblablement en profiter.

3. Un gain écologique indéniable

Dès 1991, par la signature de la Convention alpine, la France s'est engagée, avec ses partenaires européens signataires de ladite convention, à prendre des mesures, dans le domaine des transports, « en vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin, de telle sorte qu'ils soient supportables pour les hommes, la faune et la flore ainsi que pour leur cadre de vie et leurs habitats, notamment par un transfert sur la voie ferrée d'une partie croissante du trafic, en particulier du trafic de marchandises, notamment par la création des infrastructures appropriées et de mesures incitatives conformes au marché, sans discrimination pour des raisons de nationalité. »

Le protocole d'application au domaine des transports de cette convention prévoit même, en son article 10, que les Parties contractantes doivent favoriser, dans les limites de leurs compétences :

- L'amélioration des infrastructures ferroviaires par la construction et le développement des grands axes ferroviaires transalpins, y compris les voies de raccordement et la mise en place de terminaux adaptés ;

- L'optimisation de l'exploitation des entreprises ferroviaires et leur modernisation, en particulier dans le domaine du trafic transfrontalier ;

- L'adoption de mesures visant à transférer sur le rail le transport à longue distance des marchandises et à rendre plus équitable la tarification d'usage des infrastructures de transport ;

- Les systèmes de transports intermodaux ainsi que le développement du transport ferroviaire ;

- L'utilisation renforcée du rail et la création de synergies favorables à l'usager entre les transports des voyageurs sur longue distance, les transports régionaux et les transports locaux.

En réduisant les nuisances subies dans les vallées alpines, par le report modal, l'accord permettra aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre, puisque le fret ferroviaire possède une plus grande efficacité énergétique que le transport routier.

L'objectif recherché est de passer d'une répartition 85/15 en faveur du routier à une répartition 55/45.

La Suisse, qui a fait le choix du ferroviaire, a mis sur rails 80% de son trafic de marchandises.

Rappelons que les études menées par « Lyon-Turin ferroviaire » ont montré que sur les 350 km de liaison, un poids lourd rejetait 1 tonne de CO2 dans la vallée alpine. Tout report modal est autant de gaz épargné à l'environnement !

B. ACCÉLÉRER LE PROCESSUS POUR ENGAGER LE PROJET

1. La définition d'un calendrier fiable

Comme l'a rappelé votre rapporteur, ce texte est un texte technique de gouvernance du projet mais il n'engage pas l'ouverture des travaux. Un nouvel accord devra être négocié et signé par la France et l'Italie pour que ceux-ci puissent démarrer.

Votre rapporteur souligne l'importance d'un nouvel accord rapide pour que le projet puisse être véritablement enclenché ! D'autant plus que les appels à projet afin de pouvoir bénéficier des aides européennes en la matière se dérouleront courant 2014.

Le sommet franco-italien du 20 novembre 2013, qui traitera en particulier du présent projet, doit être l'occasion de lancer la prochaine phase. Il en va de la crédibilité du projet aux yeux de tous les acteurs concernés, y compris, voire surtout !, européens.

Pour cela, il est essentiel de mettre en place le plus rapidement possible le promoteur public, de désigner ceux qui réaliseront les études financières adéquates et de s'engager à répondre à l'appel à projet de l'Union européenne.

Rappelons que ceux-ci, pour recevoir une issue favorable, doivent être complets, réels, avec un montage financier clair.

2. La nécessaire levée des dernières interrogations

Ce projet d'ampleur suscite également interrogations et oppositions.

Tout d'abord, sur le coût . Certains opposants pointent le caractère pharaonique du projet dans une période de crise. Un rapport de la Cour des comptes a estimé le coût total du projet à 26 milliards d'euros ! Comme il a été répondu, cette estimation est largement surestimée car englobe des coûts qui n'ont pas à être pris en compte pour la France, comme la modification du tracé en val de Suse, intégralement pris en charge par l'Italie. Par ailleurs, le financement du projet se fera à très long terme, sur plusieurs décennies, permettant de ne pas grever les finances publiques dans une période budgétaire déjà contrainte.

De plus, votre rapporteur rappelle que ces projets d'infrastructures doivent être appréhendés en termes de recettes et non de dépenses !

Ensuite, sur le phasage . Les opposants au projet soulignent que le tunnel est une chose, mais qu'il va déboucher ... sur la ligne existante, dont on souligne qu'elle est vétuste et inadaptée ! Les accès français sont prévus à long terme, et, de fait, les gains attendus par le tunnel ne seront pas immédiats.

Votre rapporteur rappelle que la question du phasage, quoiqu'importante, n'est pas l'objet dudit accord puisque celui-ci n'enclenche pas les travaux ! Néanmoins, il souligne aussi que cette question est une fausse question : la construction du tunnel va provoquer de fait l'accélération de l'ouverture des travaux pour les accès .

Rappelons que les hypothèses retenues dans le dossier d'enquête d'utilité publique des accès français de 2012, évoquant le phasage, étaient les suivantes (pour une réalisation du tunnel de base estimée à 2023) :

- En 1 ère étape, horizon de mise en service 2020 : réalisation d'une ligne nouvelle mixte Lyon St Exupéry - Avressieux et d'un tunnel bitube mixte sous les massifs de Dullin et de L'Epine. Cette première étape intègre la réalisation de la partie nord du contournement ferroviaire de Lyon ;

- En 2 ème étape, horizon de mise en service 2025 : nouvel itinéraire fret d'Avressieux à Saint-Jean-de-Maurienne composé d'un tunnel à un tube et une voie sous les massifs de Chartreuse, Belledonne et Glandon ;

- En 3 ème étape, horizon de mise en service 2030 : réalisation des deuxièmes tubes des tunnels sous Chartreuse, Belledonne et Glandon. Ces deux derniers deviennent alors mixtes fret et passagers.

- En dernière étape, horizon de mise en service 2035 : le reste du programme (ligne à grande vitesse entre Lyon St Exupéry et le tunnel de Dullin/L'Epine).

Enfin, les opposants pointent la sous-utilisation de la ligne actuelle , qui ne serait utilisée qu'à 17% de ses capacités, et serait apte au report modal. La sous-utilisation est une réalité, néanmoins, ainsi que l'a souligné précédemment votre rapporteur, les caractéristiques mêmes de la ligne historique font qu'elle n'est pas adaptée. L'exemple de la ligne du Gothard n'est pas comparable avec la ligne du Mont-Cenis, puisque son altitude maximale est moins élevée (1 151 m contre 1 324 m au Mont-Cenis), sa pente maximale moins forte (2,8% contre 3,3% en Maurienne) et que le tunnel est accessible aux conteneurs C60/384 (alors qu'il est limité aux C45/364 au Mont-Cenis, après travaux de mise au gabarit GB1). Il s'agit également d'un tunnel monotube ne répondant plus à la réglementation européenne.

Votre rapporteur rappelle que ce projet n'est ni démesuré, ni financièrement inopportun, mais qu'il s'agit au contraire d'un projet d'aménagement du territoire cohérent, adapté et vecteur de gains économiques et écologiques.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du présent projet de loi le 13 novembre 2013.

À l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Jean-Louis Carrère, président - Je comprends ces préoccupations : sur la nationale 10, ce sont plus de 10.000 camions par jour qui passent, et la forêt landaise n'est plus en capacité d'absorber les émissions de gaz à effet de serre. Je suis donc favorable à ce projet. Néanmoins, l'Europe doit aussi offrir des perspectives en termes de grands travaux : ceux-ci font sens et doivent voir le jour !

M. André Vallini. - Il s'agit à la fois d'un projet d'avenir et d'un vieux projet, présent depuis 20 ans dans nos territoires, il nécessite d'être pris en compte dans le PLU, nos départements sont impactés alors même que le projet est juste esquissé.

Le rapport de la Cour des Comptes a insufflé le doute dans les esprits sur ce projet. Il a fait beaucoup de mal. Mais il ne présente que de fausses alternatives ! Sauf à entreprendre de très lourds travaux, il est impossible d'utiliser la ligne du Mont-Cenis.

Les Verts ont manifesté une opposition forte au projet, en France comme en Italie. C'est contradictoire, car il s'agit d'un projet de report modal ! Je compte sur l'aide de l'Europe, elle ne doit pas flancher malgré les oppositions.

Enfin, s'agissant du soutien financier, on entend parler de grands travaux européens depuis Jacques Delors. Ici, c'est une opportunité formidable ! Mais il faut en parallèle montrer une détermination politique pour faire avancer ce projet d'avenir.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Le rapport de la Cour des Comptes a fait beaucoup de mal au projet, qui suscite aussi beaucoup d'oppositions en Italie. Ce projet a-t-il fait l'objet d'un débat public au sens de la législation française ?

Nous avons une habitude de patience, dans les Hautes-Alpes, nous voyons les tentatives de désenclavement, nombreuses mais souvent avortées. Regardez ce qu'il se passe avec l'A51, alors qu'il s'agit pourtant de terminer l'axe Genève-Marseille !

M. Jean Besson. - L'ensemble des élus de Rhône-Alpes soutient ce projet, ainsi que les syndicats et le patronat. Lyon-Turin s'inscrit en réalité dans la liaison Séville-Kiev, seule liaison ferroviaire qui n'est pas nord-sud. Nous sommes tous très mobilisés sur ce dossier.

Quant au rapport de la Cour des Comptes, il est incompréhensible, d'autant plus que le dossier est financièrement solide et qu'il est soutenu par l'Europe !

M. Jacques Berthou. - L'avantage économique sera indéniable pour la région Rhône-Alpes également. Ce projet permettra le transit de voyageurs et facilitera la desserte des vallées alpines. La plus grande partie du tracé est souterrain et permettra de capter une grande partie du trafic du tunnel du Mont-Blanc. Aujourd'hui, il faut trois locomotives pour faire passer un train sur la ligne du Mont-Cenis !

M. Christian Cambon. - Je suis stupéfait de voir que les Verts sont opposés à ce projet, c'est d'autant plus incompréhensible quand on voit le choix de la Suisse d'opter pour le ferroutage et l'impact environnemental du report modal. Quels seront les investissements, côté français, pour améliorer le réseau, au-delà de la création de cette ligne ?

M. Bernard Piras. - Sur ce dossier, il est fondamental de montrer une volonté européenne et italienne de tenir face aux oppositions !

Mme Kalliopi Ango Ela. - Les Verts sont par principe pour le ferroutage. Néanmoins, sur ce dossier précisément, nous émettons des réserves car nous ne sommes pas convaincus de l'utilité économique et écologique du projet. L'influence des Verts ne doit pas être appréhendée à la seule mesure de l'élection présidentielle. Ils ont une importance locale forte, avec une préoccupation récurrente de proximité. Nous estimons nécessaire de revoir les priorités, dont la desserte locale.

M. Raymond Couderc. - L'Europe a revu à la hausse son enveloppe pour les grands projets de transport, mais quid de la ligne Séville-Amsterdam ? Il manque toujours un tronçon entre Montpellier et Perpignan !

Mme Michelle Demessine. - Le trafic routier est trop important, mais il faut garder à l'esprit que c'est le fruit de la mondialisation et de la recherche du profit. L'essentiel du blocage est financier, il y a des freins sur les grands projets d'infrastructure, en particulier ferroviaires. Aujourd'hui ce projet repart mais il doit être porté politiquement ! Il faut s'engager à tous les niveaux, local comme étatique, comme l'avait fait Jean-Claude Gayssot. Et il ne faut pas oublier le rôle que l'Europe a à jouer.

M. Rachel Mazuir. - Il convient d'être vigilant lorsque l'on parle de bilan carbone, car les camions devront toujours aller à Grenay, point de départ de l'autoroute ferroviaire alpine. Ce projet ne règlera malheureusement pas totalement le problème du routier.

M. Jean-Claude Requier. - Cette ligne va permettre d'opérer un rééquilibrage en Europe. Il ne faut pas faire remonter les peurs et les rumeurs.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Les responsables italiens sont fortement mobilisés sur cette question, un travail a été mené par M. Virano, président pour la partie italienne de la conférence intergouvernementale pour le Lyon-Turin, afin de renouer le dialogue. Aujourd'hui, le consensus est presque établi dans la vallée. En France nous n'avons pas tenu de débat public.

S'agissant du financement européen, les projets devront être déposés très rapidement, en 2014.

Concernant l'impact économique, bien sûr que c'est en premier lieu la région Rhône-Alpes qui en bénéficiera, tout comme cela avait été le cas pour la région Nord-Pas-de-Calais lors de la mise en service du tunnel sous la Manche. Mais au-delà, l'impact sera aussi positif pour l'ensemble des régions.

S'agissant du phasage, il s'agit évidemment d'une question primordiale. Les accès français et italiens font partie du projet, je vous renvoie à mon rapport pour le détail.

Il est nécessaire d'accélérer les choses, et en premier lieu de déposer le dossier auprès de l'Union européenne.

Le soutien politique est pour cela nécessaire, et l'action de certains, comme M. Jean-Claude Gayssot, a effectivement été décisive pour porter ces projets.

Également, il est vrai qu'en 2013, l'autoroute ferroviaire alpine n'a pu transporter que peu de poids lourds, ses navettes étant limitées à 4 ou 5 par jour. Néanmoins, les estimations à horizon 2035 misent sur 700 000 poids lourds par an.

Quant aux 17%, on ne peut malheureusement pas, techniquement, attendre plus de cette ligne ferroviaire existante. Autrement, on l'aurait privilégiée !

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi. Elle a également proposé qu'il fasse l'objet d'un examen selon la procédure normale en séance publique.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR VOTRE RAPPORTEUR

- M. Louis Besson, président de la CIG pour la partie française, et M. Thierry Louis, secrétaire général ;

- Cabinet de M. Frédéric Cuvillier, Ministre délégué auprès du ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche ;

- M. Mario Virano, président de la CIG pour la partie italienne, et M. Marco Menna ;

- M. Dominique Dord, Député de la Savoie ;

- Mme Anne Houtman, représentante de la Commission européenne en France ;

- M. François Lépine, vice-président délégué de la Transalpine ;

- M. Hubert du Mesnil, président de Lyon-Turin ferroviaire ;

- M. Jean-Pierre Vial, Sénateur de la Savoie ;

- M. Jean-Michel Genestier, directeur de l'offre intermodale de la SNCF GEODIS, et Mme Anne-Gaëlle Simon, Directrice des affaires européennes et des relations extérieures ;

- M. Thierry Repentin, Ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des Affaires européennes ;

- Cabinet de Mme Nicole Bricq, Ministre du commerce extérieur.


* 1 Pollution des vallées alpines - Coordonné conjointement par "L'Air de l'Ain et des Pays de Savoie"(Air-APS) et le Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de l'Environnement (LGGE), ce programme a pour ambition d'accroître significativement les connaissances scientifiques sur cette question.

* 2 L'accord du 29 janvier 2001, dans son article 4, prévoyait qu'un avenant relatif à l'engagement des travaux définitifs serait conclu. L'article 1 er du présent accord précise explicitement que ce n'est pas son objet.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page