EXAMEN EN COMMISSION

Audition de MM. Gérard RIVIÈRE, président du conseil d'administration, et Pierre MAYEUR, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav)

Réunie le mercredi 16 octobre 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'audition de MM. Gérard Rivière, président du conseil d'administration, et Pierre Mayeur, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse sur le projet de loi n° 1412 (AN-XIV e ) de financement de la sécurité sociale pour 2014 et sur le projet de loi n° 1376 (AN-XIV e ) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

Mme Annie David, présidente . - Bienvenue à MM. Gérard Rivière, président du conseil d'administration, et Pierre Mayeur, directeur de la Cnav. Nous souhaitons aborder avec vous à la fois le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014 et la réforme des retraites, l'équilibre général de la branche étant conditionné par les mesures prévues dans le cadre de cette réforme.

M. Gérard Rivière , président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse . - Saisi pour avis, le conseil d'administration de la Cnav a émis un avis majoritairement négatif sur ces deux textes. Notre débat du 2 octobre a d'ailleurs porté davantage sur la réforme des retraites que sur le PLFSS, ce dernier texte ne comportant pas de mesure spécifique vieillesse.

En 2012, le solde négatif de la Cnav s'établit à 4,8 milliards d'euros, contre 6 milliards en 2011 ; c'est donc une amélioration de 1,2 milliard. A réglementation constante, le déficit se réduirait en 2013 pour s'établir à 3,3 milliards d'euros, et se creuserait en 2014 pour atteindre 3,7 milliards. La réduction du déficit entre 2012 et 2013 découle de l'affectation de ressources nouvelles par la loi de finances rectificative de 2012 et le PLFSS pour 2013.

On estime qu'en 2017, l'incidence démographique et les mesures de retraite anticipée pèseront sur les comptes de la branche vieillesse pour plus de 17 milliards d'euros, soit l'équivalent de 18 % de la masse des pensions. Sur cette somme, 3,4 milliards d'euros seraient liés aux retraites anticipées, 11,8 milliards à l'effet papy-boom, partiellement anticipé avec la création du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), les gains d'espérance de vie ne pesant que pour 1,9 milliard d'euros, soit un tiers de point de cotisation d'assurance retraite. N'imputons pas tout à la progression de l'espérance de vie : la dégradation des comptes est essentiellement due à l'effet papy-boom.

M. Pierre Mayeur , directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Au-delà de l'allongement de la durée de cotisation et des modifications en matière de gouvernance, la réforme des retraites aura d'importantes conséquences sur l'exercice de leur métier  par les caisses de retraite : calcul unique de la retraite acquise dans les régimes alignés, à l'article 14 ; suppression du versement forfaitaire unique, à l'article 29 ; création de l'Union des institutions et services de retraite surtout. Cette réunion des différents régimes de retraite dans un groupement d'intérêt public supposera de mener des projets informatiques, mais aussi de mettre en commun les moyens des caisses. Le régime général, qui verse une pension à 90 % des retraités et regroupe 70 % des actifs, y jouera bien entendu un rôle majeur.

Mme Christiane Demontès, rapporteure . - Diverses mesures du projet de loi portant réforme des retraites auront des conséquences pour la Cnav en termes de gestion. Comment la caisse va-t-elle gérer le passage de 200 à 150 heures par trimestre pour valider un trimestre ? L'Union des institutions et services de retraite a pour vocation de remplacer le GIP Info-retraite. Quel poids cela représente-t-il pour vous, en termes de gestion ? Comment simplifier les choses pour les institutions, et pour la Cnav en particulier ?

M. Pierre Mayeur. - Le Gouvernement a annoncé vouloir réaliser des économies de gestion - 200 millions d'euros à l'horizon 2016, selon le dossier de presse du 27 août 2013. La simplification est essentielle, qu'elle bénéficie à l'assuré, à la caisse ou aux deux. Certaines mesures, comme le calcul unique, auront ce double dividende, pour l'assuré ainsi qu'à terme, pour les régimes de retraite.

Le passage de 200 à 150 heures Smic suppose une évolution de nos systèmes informatiques qui ne devrait pas poser problème. En revanche, les dispositions relatives au reliquat des cotisations et au plafonnement seront lourdes de conséquences en termes de gestion. Il nous faudra attendre d'avoir digéré la mise en place du système de déclaration sociale nominative avant de les intégrer dans nos systèmes informatiques. Nous nous fondons aujourd'hui sur la déclaration annuelle de données sociales ; la déclaration sociale nominative représente une vraie sophistication de notre réglementation.

M. Jean Desessard . - Il faut relativiser l'effet de l'allongement de l'espérance de vie par rapport aux effets du papy-boom, nous dit M. Rivière. Soit. Mais alors, quelle solution propose le conseil d'administration ? Réduire la pension des papy-boomers ? C'est que je suis concerné au premier chef !

M. Jacky Le Menn . - Le conseil d'administration de la Cnav a émis un avis négatif sur la réforme des retraites, nous dites-vous. Voilà qui est bien lapidaire. Nous aimerions savoir quels points précis ont suscité des oppositions. Certaines mesures ont bien dû être jugées positivement, par exemple celles relatives aux femmes, aux personnes handicapées, à l'apprentissage ou encore la possibilité de racheter des années d'études... Quels sont les éléments qui justifient cet avis négatif ?

M. Alain Milon . - Vous évaluez l'effet du gain d'espérance de vie à 1,9 milliard d'euros. Est-ce un chiffre annuel ?

M. Claude Jeannerot . - J'allais poser la même question. L'effet papy-boom est aussi lié à l'augmentation de l'espérance de vie ! Il me paraît difficile de dissocier les deux : le coût prévisible vient aussi du fait que ces personnes seront longtemps à la retraite.

M. Gérard Rivière . - Sans doute ai-je été un peu rapide. Bien entendu, les membres du conseil d'administration de la Cnav n'expriment pas tous le même vote négatif : les organisations d'employeurs auraient souhaité que l'on recule l'âge légal de départ à la retraite ; les organisations de salariés dénoncent l'allongement de la durée de cotisation.

Mme Christiane Demontès, rapporteure . - Des avis motivés par deux raisons diamétralement opposées, donc...

M. Jean-Noël Cardoux . - Moins par moins, cela fait plus...

M. Gérard Rivière . - Les organisations de salariés ne se sont pas prononcées sur la question de l'âge légal, qui ne figure pas dans le projet de loi. Le conseil d'administration de la Cnav émet un vote global, et non article par article. Nombreux sont ceux qui ont souligné l'intérêt des mesures en faveur des femmes ou des jeunes, non sans regretter parfois leur manque d'ambition ou leur faible portée...

La situation de l'emploi pèse lourd sur nos comptes : 100 000 affiliés au régime général, au salaire moyen de l'industrie et du commerce, c'est 400 millions d'euros de ressources nouvelles pour la Cnav.

Je qualifierais l'effet papy-boom de structurellement provisoire : il se fera sentir jusqu'en 2040 environ. L'espérance de vie, c'est-à-dire la durée de service de la pension, ne progresse pas tant qu'on pourrait le croire. Je ne sais jusqu'à quel âge vivront les personnes qui entrent aujourd'hui dans le système. Reste que l'espérance de vie en bonne santé a reculé depuis un an, avec la crise, et qu'on ne saurait mesurer l'espérance de vie de salariés qui auront passé quatre ou cinq ans de plus au travail que les générations qui ont travaillé 37,5 années, voire ont bénéficié de pré-retraites... Bref, je ne suis pas sûr que l'espérance de vie augmente tant que cela.

M. Pierre Mayeur . - L'effet majeur, c'est le papy-boom ; l'effet mineur, c'est l'allongement de l'espérance de vie. En termes financiers, on est passé brutalement de 450 000 liquidations de retraite par an au début des années 2000 à près de 800 000. Cette évolution structurelle va détériorer le ratio démographique entre cotisants et retraités, malgré la progression de la population cotisante due à notre taux de fécondité élevé : plus de personnes arrivent à l'âge de la retraite qu'il n'en rentre sur le marché du travail.

Mme Françoise Boog . - Vous avez évoqué la mise en commun des moyens des caisses de retraite. Selon quelle méthodologie ?

M. Pierre Mayeur . - Nous avons une expérience sur un segment limité avec la mise en place du GIP Info-retraite depuis 2003-2004. Nous envoyons chaque année des millions de documents : à partir de trente-cinq ans, les assurés reçoivent un courrier tous les cinq ans, les relevés individuels de situation sont accessibles sur Internet, et à cinquante-cinq ans, une estimation globale de la pension est réalisée par les régimes. Avec l'Union des institutions et services de retraite, nous passons d'une structure de dix personnes à la mise en commun de techniciens des différents régimes pour fournir aux assurés un service unifié et amélioré. L'entretien info-retraite était déjà l'occasion de faire un bilan de la situation globale de l'assuré. Il faudra des règles de gouvernance : avec trente-cinq régimes de retraite, dont vingt et un régimes de base, on ne peut donner les mêmes prérogatives à tous. Si l'on veut être efficace et efficient, l'on devra donner aux grands régimes de retraite les moyens de se coordonner entre eux. Cela fait quatre ans que la Cnav travaille étroitement avec l'Agirc-Arrco, avec la demande de retraite coordonnée.

Mme Annie David, présidente . - Ce savoir-faire sera utile.

M. Hervé Poher . - Le temps passé au travail joue sans doute sur l'espérance de vie sans être un facteur majeur : si celle-ci augmente, c'est grâce aux progrès de l'hygiène, de l'alimentation, de la médecine. D'ailleurs, l'espérance de vie des femmes stagne, car elles sont moins raisonnables que leurs mamans ; celle des hommes progresse, car ils sont plus raisonnables que leurs papas. Le delta de progression va forcément diminuer : on ne peut être plus fort que la nature.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - On arrive à l'asymptote.

M. Hervé Poher . - Je ne pense pas que le facteur travail soit déterminant, même si la pénibilité joue sur l'espérance de vie.

Mme Annie David, présidente . - L'impact des conditions de travail se voit pourtant clairement dans l'écart entre l'espérance de vie à soixante ans d'un ouvrier et celle d'un cadre. On ne peut le nier, même si d'autres facteurs entrent bien sûr en jeu.

M. Claude Jeannerot . - On sait la relation entre pauvreté et accès à la médecine.

M. Hervé Poher . - A conditions de travail inchangées, l'espérance de vie s'est accrue de quinze ans en un siècle.

M. Gérard Rivière. - Plus encore que l'activité professionnelle, c'est l'origine sociale qui détermine, encore aujourd'hui, le parcours éducatif, professionnel et même l'espérance de vie. Celle-ci n'est pas la même dans les quartiers huppés et dans les quartiers déshérités ; celle d'un ouvrier est inférieure de sept ans à celle d'un cadre supérieur ou d'un enseignant du supérieur. Le recul de l'âge de départ à la retraite réduira l'espérance de vie des ouvriers par rapport à celle des cadres supérieurs - qui pèsent bien moins lourd dans les comptes de la Cnav. L'espérance de vie continuera-t-elle de progresser ? Le débat est ouvert.

Quant au PLFSS pour 2014, il ne traite pas le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). La dégradation de l'emploi plombe les comptes du FSV : ses dépenses augmentent, alors que ses recettes baissent. Son déficit s'établit autour de 3 milliards d'euros, soit autant que celui de la Cnav, à comparer à ses 20 milliards de prestations (110 milliards pour la Cnav). Le FSV n'a pas été conçu pour générer du déficit. Nous avons formulé des propositions pour en améliorer le financement, notamment sur la prise en charge des périodes relevant de la solidarité nationale : chômage, mais surtout maladie et maternité. La cotisation est à la hauteur des besoins : c'est l'expression de la solidarité nationale, due à la crise, qui plombe les comptes du FSV. Ce déficit doit être traité dans les meilleurs délais. Je regrette que nos propositions n'aient pas été entendues, qu'il s'agisse de financement ou de simplification et de réduction des coûts de gestion. Au contraire, plusieurs mesures sont venues complexifier les choses, à commencer par le report des cotisations d'une année sur l'autre et le plafonnement pour les salariés ayant une activité sur une période réduite de l'année. Difficile, dans ces conditions, d'éviter les effets d'aubaine...

Mme Annie David, présidente . - Je vous remercie.

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